— Comment tu as fait ? Toi, comment tu as fait pour ne pas te laisser déborder ?

Abeille met quelques secondes à répondre, prenant son temps en lissant de ses doigts la paume de Koala. Elle en suit les lignes avec application. Elle sait que certaines personnes lisent l'avenir là dedans. Elle est loin d'en être capable, mais elle veut bien croire que ce qu'elle fait ressemble à de la magie.
Koala a l'air apaisé.

« Je me suis laissée déborder, en réalité. Pas qu'une fois. »

Abeille parle lentement et choisit ses mots. Elle ne se considère pas comme une experte en courage. Ni en paix intérieure, ni en spiritualité, ni en rien. Et elle opte pour la vérité, finalement, même si elle a peur que ça le décourage.

« Ça n'est pas venu tout de suite. Au début c'était très dur, et j'ai passé de très mauvaises années, et je n'étais pas heureuse. »

Elle laisse traîner un voile pudique sur la situation. Ce n'est pas qu'elle en aie honte, mais elle n'a pas spécialement envie de parler de l'avalanche d’événements qui ont marqué son enfance : ce n'est pas son moment, de toutes façons, mais celui de Koala.

« Le plus difficile c'est- » Elle trace de petits cercles dans la paume du garçon, doigts étirés. « De s'ouvrir. D'accepter que les autres t'aident, montrer que tu es vulnérable, et surtout vouloir t'aider toi-même. »

Elle ne peut pas retenir un petit rire. Elle a l'impression d'être beaucoup plus sage qu'elle ne l'est.
Puis elle lève la tête vers lui, un sourire sur les lèvres.

« C'est pour ça, que tu es très fort, bien plus fort que moi, même. Parce que tu as déjà ça, cette attitude, je crois. »

Parce que oui : Koala sait déjà qu'il n'est pas seul. Koala parle, demande de l'aide. Il fait face à son problème, même s'il a peur, et c'est un grand, grand début.

« Tu ne te laisseras pas déborder », affirme-t-elle.

— Je crois que sans les Hurons... Sans vous. Je crois que je n'aurais pas su. Je n'y serais pas arrivé. Ma force était de vous demander de l'aide.

Abeille hoche la tête. C'est ça non ? C'est ça qu'elle essaie de dire. Qu'accepter d'être faible, et de chercher de l'aide, c'est ça, la force.
Puisqu'un jour elle a eu la force d'en donner, après.

— Vous êtes mes Abelliqueuses.

La comparaison la déstabilise un petit peu.
Mais elle ne dit rien du tout.

— Est-ce que... Est-ce que je pourrais venir te voir, de temps en temps ? Juste pour que tu déplies mes doigts s'ils sont trop raides ? Nous ne sommes pas forcés de parler...

L'espèce de pudeur polie de Koala l'émeut beaucoup ; encore une fois ce sentiment d'affection lui tombe dessus comme un rayon de soleil au niveau du cœur. Elle lui sourit.

« Tu pourras toujours venir me voir, dès que tu as envie.J'aime quand on parle et j'aime quand on ne parle pas. Les deux font tout autant de bien. A moi en tout cas », ajoute-t-elle après une seconde de réflexion.

Et les secondes suivantes se font justement dans le silence. Ils restent là devant la ruche, à écouter le bourdonnement des ailes qui s'éloigne et se calme.

— Tu as vu, elles vont dans la Ruche.
—Oui, elles en ont assez de nous.

Sans cesser de tenir la main de Koala, Abeille se lève de l'herbe mouillée. Elle attend d'être sûre qu'il la suive pour lui demander posément :

« Tu veux bien faire le chemin retour avec moi ? »