Bien qu’on y croisât peu de fées, il n’était dit nulle part que les Portes du Temps étaient réservées aux humains. Certes Photon pouvait aller dans l’Ordinaire quand et où il voulait mais un Versailles banalisé et empli de touristes humains était bien différent que les splendeurs de celui qu’on trouvait ici, avec son ample salle de bal dénuée de cordages et d’écriteaux.

Évidemment que le Précieux l’avait déjà visité, ainsi que la forteresse. Mais en ce jour de printemps il avait eu envie de se rendre dans une époque plus lointaine ; l’antiquité des grands sages et du théâtre.

Sauf que le voyage seul était moins amusant, la petite créature aimait son public, c’est pourquoi il avait demandé à la douce Écorce de l’y accompagner. Ils ne se connaissaient pas outre mesure mais Photon savait qu’elle affectionnait les civilisations anciennes et s’était dit qu’elle accepterait bien de venir avec lui. De plus, lui qui d’ordinaire vadrouillait aux quatre coins de l’Île voir ses amoureux humains, recherchait maintenant davantage la présence de ses sœurs fées.

Une fois le portail passé, ils s’étaient retrouvés devant le coffre à déguisement. Il y avait une grande malle pour les humains mais également, posée juste à côté, une toute petite déposée là par l’Ile à leur attention. Photon carillonna.

Regarde Écorce, regarde comme la magie de Peter est accueillante !

Il voleta jusqu’au coffre et se mit à fouiller à l’intérieur, ses ailes mauves papillonnant d’excitation. Au bout d'un moment il en sortit un long pan de tissu blanc qu'il drapa savamment autour de ses épaules et de sa taille. Ainsi vêtu, il fit quelques pas fiers et adressa ensuite à l’Archéologue quelques mots de grec ancien – qu’il maîtrisait plutôt bien – sur un ton de philosophe.

Bien le bonjour, belle dryade. Mon nom est Aristote.

Écorce, sans trop savoir pourquoi, ne s’était jamais rendue aux Portes du Temps. C’était pourtant le genre d’endroits qui aurait pu lui plaire... si elle n’avait pas eu autant de préavis sur le sujet. D’un lieu créé de toute pièce par l’imaginaire, elle s’attendait à quelque chose d’assez déformé, voire exagéré. Si ça ne convenait pas à son esprit - parfois trop cartésien sur les bords pour une fée - elle n’avait pourtant pas rechigné à accompagner Photon. Même s’ils ne se connaissaient que très peu, elle savait au moins qu’il était une fée de goût...

C’est en tout cas ce qu’elle se dit lorsqu’elle le voit se vêtir d’un pan de tissu. Il l’avait fait si bien ! Comme s’il était habillé ainsi toute sa vie. L’entrain du Précieux est contagieux, et Écorce s’avance à son tour vers la petite malle. Elle en extirpe un long chîton, qu’elle met du temps à enfiler correctement. Si elle a lu de nombreux ouvrages sur les vêtements de la Grèce antique, la théorie diffère bien de la pratique...
Enfin, elle prend la peine d’enfiler des sandales, noue ses cheveux à la manière grecque, et lâche un rire amusé lorsque Photon s’adresse à elle dans un grec absolument parfait. Très heureuse d’avoir trouvé quelqu’un avec qui se prêter au jeu, elle lui répond dans la même langue :

- Mon cher Aristote, enchanté. Avez-vous un nouveau thème sur lequel philosopher, aujourd’hui ?

Elle n’est pas autant à l’aise que lui, mais pour le coup, elle fait un effort. Des tas de concepts liés à Aristote lui viennent en tête : la nature, la métaphysique, les mathématiques... et elle en passe. Pour autant, Écorce se retient, craintive de noyer Photon sous ses tonnes de connaissances. Peut-être qu’il n’en a pas envie et qu’il souhaite simplement s’amuser.

La fée des forêts ose faire quelques pas, s’éloignant du portail... jusqu’à tomber sur le fameux temple gréco-romain. Effarée, la petite fée écarquille les yeux d’émerveillement et ses ailes se mettent à son tour à papillonner d’excitation. On sent la splendeur passée des lieux, malgré les quelques ruines apparentes.

- Photon, viens voir !

Ça y est, la joie étreint son cœur et balaye toute autre forme d’émotion. Écorce reste là où elle est, n’osant pas du tout s’approcher des sculptures qu’elle repère au fond du temple, au sein de niches directement creusées dans le marbre. Il faut dire que de là où elle est... Même le regard de pierre de Zeus la fait frissonner.

- C’est si bien reproduit ! Ça ressemble presque aux temples grecs ou romains qu’on trouve encore dans le monde des humains.

Elle prend son envol et fait un petit tour rapide au sein du temple. Le seul reproche qu’elle aurait à faire est que tout est blanc... trop blanc. Elle s’attendait à un peu de couleur, comme cela avait été le cas dans la Grèce antique. Enfin, en soit, cela ne la surprenait pas trop. Ce lieu était né de l’imaginaire. L’Archéologue part se reposer, et adresse un regard à Photon. Elle sait son amour de la poésie... et étonnement, elle a envie de l’y encourager.

- Tu ne veux pas me faire une démonstration de lyrisme ici ? Finit-elle par lui demander en pointant le centre du temple. Je suis sûre que l’écho sera parfait.

L’Archéologue avait tout d’une déesse dans sa robe si joliment plissée et nouée. Elle inspirait ainsi à Photon nombre d’éloges qu’il lui tardait de partager.

Mon cher Aristote, enchanté. Avez-vous un nouveau thème sur lequel philosopher, aujourd’hui ?

Qu’elle entre dans son jeu et lui réponde d’un si joli grec emplit le cœur du Précieux d’un grand bonheur. Peut-être connaissait-elle également ses classiques et ils pourraient se donner la réplique tels de grands acteurs athéniens.

Je débattrais bien sur mimesis, mais nous éprouverons le concept plus tard au théâtre ! Je veux y tester quelques vers tragiques que j’ai écrits pour notre Reine.

En effet, malgré son choix de s’allier à la figure d’Aristote, l’aristocrate se sentait d’une humeur plus bacchanale – bien qu’il préférât le nom de grec de Dionysos. Peut-être aurait-il dû se présenter alors sous le nom de Socrate.

Photon, viens voir !

Photon rattrapa son amie qui avait avancé alors qu’il se perdait dans ses pensées métaphysiques.

C’est si bien reproduit ! Ça ressemble presque aux temples grecs ou romains qu’on trouve encore dans le monde des humains.

Son ravissement des lieux ne fut qu’accentué par le plaisir évident de sa compagne d’épopée à la vue du temple. Il était vrai qu’il y avait de quoi se pâmer face à tant de majesté et d’élégance, il en avait le rose aux joues ! Et puis Écorce était si délicieuse avec ses ailes frétillantes de dryade. Quoiqu’il trouvât de beau et romantique aux humains, le Précieux devait bien avouer qu’aucune créature ne pouvait rivaliser de joliesse avec ses sœurs.

S’approchant de la fée des bois, il lui saisit brièvement les mains comme pour partager le bourdonnement de sa réjouissance.

Oui ! Quel beau cadeau l’Île nous fait là. Oh, Écorce, aussi divine qu’Artemis, je suis si content de partager cette belle visite avec toi.

Photon la laissa ensuite s’envoler, la suivant de près. Il brillait si intensément que par moment sa lumière se reflétait dans le marbre des piliers et des statues. Tant de beauté à portée d’yeux et de bisous, ça lui faisait tourner la tête.

Tu ne veux pas me faire une démonstration de lyrisme ici ? Je suis sûre que l’écho sera parfait.

La voix de sa sœur arrêta le petit être lumineux qui dessinait des arabesques dans l’air à force de pirouetter d’une statue à l’autre. Qu’elle veuille l’entendre lui causait un plaisir immense mais il lui fallait trouver une inspiration car il gardait ses vers récents pour le théâtre. Regardant brièvement autour de lui, ses yeux bleus s’arrêtèrent sur la toute-grande statue du roi des dieux et il s’illumina.

Bien sûr ! Écoute bien cette prose improvisée en l’honneur du grand parmi les grands.

Il fila vers le centre de la pièce.

Ô Zeus, dieu suprême à la face stellaire
Toi que les jolis romains nomment Jupiter
Mari volage, amant fougueux, amour immense
Celui qui te contemple connaîtra la transe  

Au sommet de l’Olympe trône l’astre divin
Comme sur sa Gwo Kay Won le Baron félin
De vos grandes mains de soupirants au cœur doux
Jaillissent les éclairs en Grèce et au Bayou

De longs cheveux d’orage couronnent vos têtes
Et j’y soufflerai un bisou les jours de fête

Rougissante, la fée porta les doigts à sa bouche et les laissa glisser sur sa petite barbichette d’un air embarrassé. Il fixait la statue d’albâtre qu’on disait vivante mais qui n’avait heureusement pas bronché.

Je me suis laissé emporter par le lyrisme Écorce ! J’espère ne pas avoir offensé le puissant Zeus et le comparant au magnétique guédé de ma connaissance !

Photon était vraiment doué pour le lyrisme. Écorce l'écoutait religieusement en retenant son souffle, comme si elle craignait de perturber sa démonstration. Lorsqu'il termine et se tourne vers elle, l'Archéologue ne peut s'empêcher de lui adresser une ovation timide en l'applaudissant doucement. Elle jette par ailleurs un coup d’œil à la statue de marbre de Zeus : son expression est toujours aussi impressionnante, mais il n'a pas l'air en colère... du moins pour l'instant.

- Je n'en ai pas l'impression ! Tu es vraiment doué pour le lyrisme, ajoute-t-elle sur un ton enjoué et sincère. Je serai incapable de faire d'aussi beaux vers que toi...

Si elle l'enviait un peu, Écorce ne s'en formalisait pas trop : à chacun ses talents, après tout... La fée n'aurait de toute façon jamais eu le courage de faire du lyrisme, même s'il n'y a qu'un seul spectateur. Pleine d'entrain, causé par le beau poème de Photon et par le superbe reflet de sa lumière dans le marbre immaculé, Écorce quitte son poste et voltige çà et là afin d'admirer plus en détails les diverses statues grecques qui trônent dans les niches. Elle s'arrête lorsqu'elle aperçoit Athéna : elle ne fera pas aux statues l'affront de le dire à voix haute, mais c'est probablement sa déesse préférée. Est-ce si surprenant qu'elle apprécie la déesse de la ruse, du savoir et de la stratégie ?

Face à la fille de Zeus, Écorce marque un temps de pause. Oserait-elle... ? Elle a l'impression d'être inspirée par le naturel de Photon, bien plus assuré que le sien. Quoiqu'elle n'est pas très douée pour inventer une prose. L'Archéologue se rapproche de Photon et jette un coup d’œil à la statue qui se trouve près de Zeus : Héra. Reine de tous les dieux... et peu commode, au demeurant. En penchant légèrement la tête en signe de révérence, elle entame, en grec ancien, l'hymne homérique à la déesse :

- Je chante Héra chrysothronos que Rhéa a enfantée, Reine immortelle, illustre par sa beauté sans égale, femme et sœur de Zeus qui tonne dans les hauteurs, glorieuse, et que tous les Dieux heureux, dans le large Olympe, honorent et vénèrent à l'égal de Zeus.

Le grelot cristallin d’Écorce se suspend... Mais elle est soulagée de voir que la statue de la divinité ne semble pas agacée : au contraire. Ravie, la fée se tourne vers son acolyte.

- Qu'est-ce que tu en dis ? J'ai presque envie de m'amuser à réciter les hymnes homériques des douze divinités de l'Olympe.