C'est moche, ces blessures là. C'est moche et triste. Mais le gamin respire encore, le Silence n'est pas encore là. Pas pour lui, il y a encore son pouls qui tambourine un peu de vie. Pendant que Shrub s'active, toi tu t'éloignes. Le soigneur a hoché de la tête, mais une part de lui n'aime pas ça. Ça tinte dans sa caboche, danger danger ! Les plumes, il les a vu et n'aime pas ça. N'aime pas non plus que Fluff soit si nerveux, lui qui a plus d'instinct encore. Alors vite il s'active, oui, nettoyer pour mieux voir les blessure, mettre du baume, un bandage ou deux selon les blessures. De quoi sommairement le faire survivre au mieux, même si ça cogne un peu dans sa poitrine du peur de ce Silence si envahissant. Pourtant non, ça pulse. Alors pourquoi ?

Heh. Où est l'autre gosse ?

Il en a vu, des cas où le Silence est en fait Absence, où il ne retrouve pas un des blessé qui pourtant ne revient jamais. C'est que la Nature est cruelle et possessive, par ici. Qui peut donc prétendre la dominer alors qu'ils dépendent beaucoup de ses caprices ? Le Roi a beau dire, trop de fois Shrub a du ramener un Muet de vie, ou se résigner à abandonner les recherches pour un Absent. Ce n'est jamais plaisant, même le Tout-Terrain n'a pas forcément d'autre choix pour autant.

Il ne t'entend qu'à moitié d'ailleurs quand tu dis avoir trouvé l'autre gosse. C'est comme si c'était trop tard, même si évidemment il ne peut pas le savoir. Il choisit ses priorités, se concentre sur celui qu'il peut sauver et qui est juste devant lui, là, juste là. Ce qui le fait émerger, ce ne sont pas tant tes mots que ton intonations plus pressante. C'est donc avec un temps de retard qu'il lève le museau de ses bandages et se redresse vers toi, et c'est aussi avec un temps de retard que tes paroles effleurent sa conscience. Son regard s'assombrit quand il comprend la situation, et les coins de sa bouche se plissent légèrement. Le Silence. Le Silence est donc bien là, après tout.

Pensif, le soigneur observe les alentours, et sa mains se perds vers son gros couteau de chasse par réflexe. Un mort, déjà. Un second peut-être s'ils ne se dépêchent pas pour qu'il reçoive un traitement plus approprié. Peut-être même Mary ou lui ou Fluff selon ce qui rôde alentour. Comme souvent, la suite est assez logique et ne laisse que peu de choix. D'un air un peu plus décidé, Shrub finit de nouer le dernier bandage, et te fait signe de venir le rejoindre.

- On peut mettre celui-là sur un des travois. Il reste à mettre des cataplasmes sur le visage, est-ce que tu peux le faire ? Pendant ce temps, je vais chercher l'autre.

Un soupire, oui. Mais de la détermination aussi.

- On ne laisse pas un enfant derrière, si possible. Je le porterai jusqu'au second travois. Je l'ai déjà fait.

Trop souvent.

- Je ne pense pas qu'ils soient comme ça à cause du duel. Mieux vaut ne pas trainer, à mon avis. En plus, il reste un enfant à trouver, il me semble.

C'est une longue journée. Shrub vérifie le bandage, et se redresse, et prend dans ses bras le blessé pour marcher doucement vers les montures et le poser là-bas aussi délicatement que possible. Si tu aides, il acceptera volontiers. Sinon, il le fera seule. C'est une cube solide, après tout. Et ensuite.. Ensuite il faudra aller chercher l'autre, le porter ici aussi, et partir.

Vite, si possible.

Il parle, et soudain te voit qui te fige avec un air étonnée. Il note ça, mais ne prend pas la peine de s'y attarder. Y a l'autre à ramener. Un truc cloche. Il le sent, à nouveau, sans savoir une fois de plus ce qu'il a fait. Ce qui se passe. C'est même pas un truc tangible, eut-être même de la parano. Il se comporte avec toi comme avec un animal blessé et dangereux : avec prudence. S'il peut s'éviter un coup de griffe, ça l'arrangerait. De un, il n'aime pas forcément avoir mal, merci bien. De deux, il ne peut pas trop se permettre d'être à l'arrêt. Les gens n'attendent pas que les soigneurs soient en forme pour se blesser ou devenir Silence. Ca se saurait, depuis le temps.

Quand il revient avec le corps, il note du coin de l’œil que le visage du blessé n'a pas de cataplasme. Pourquoi ? Pas sûr qu'il ait envie de poser la question. Quelle que que soit la raison, le fait est là, ça n'y est pas. Shrub n'a pas envie de commencer un combat, pas maintenant. S'écraser, faire comme si ? Ouais mais non. Les cataplasme, c'est du soin. Ça ne se négocie pas. Alors il pose le cadavre soigneusement sur le travois, et observe le blessé cette fois ouvertement.

- Oh. Pardon. Je t'ai pas donné de quoi mettre les cataplasmes.

Sa faute, donc. Shrub s'écrase, oui, il piétine ce que d'autre considèreraient comme de l'amour-propre. Mais au fond, à quoi cela sert-il si ce n'est à rajouter des tensions ? C'est donc en tirant à lui sa besace qui était restée près du blessé et en prenant de quoi appliquer les soins qu'il hoche la tête pensivement et te répond. Une fois de plus, le Tout-Terrain essaye de choisir ses mots. Avec toi, c'est une tension permanente. Il se sent comme un funambule, même si c'est très certainement un mot qu'il ne connait pas ou a oublié depuis longtemps. C'est proprement épuisant, voilà ce qu'il sait.

- Hm. Je crois qu'il faudrait aller chercher le troisième, parce qu'on ne sait pas dans quel état il est. On peut rentrer au village ensemble, si tu veux. Et après, comme tu préfères. Soit on va chercher le troisième ensemble, soit l'un de nous y va et l'autre rentre au Grand Arbre avec le blessé. Le mort, on pourra revenir après.

Léger silence. Shrub préfèrerait aller le chercher seul, s'il faut se séparer, mais il ne sait pas trop comment annoncer ça. Finissant de poser le baume, il s'essuie les mains et enfile à nouveau la lanière de sa besace avant de monter sur son cheval. Et il te regarde quand il parle, d'un regard franc.

- Si tu préfères qu'on se sépare, peut-être que l'un d'entre nous peut rentrer au Grand Arbre d'abord ? Il a besoin de soin, et peut-être que ça lui sauvera la vie d'être ramené vite. Ou pas, mais en tout cas je crois que c'est vraiment important qu'il rentre vite. L'autre, on ne sait même pas comment il sera.

Important, oui. Sauver une vie. Rentre Mary, soit celle qui sauve les vies et laisse le porter le Silence à bout de bras. C'est ce qu'il espère alors que son visage grave et franc est tourné fers toi.

Ne jamais quitter du regard les fauves. Jamais.

Il ne comprend pas trop pourquoi ni comment soudain l'atmosphère semble plus détendue. En tout cas, moins à cran. Shrub qui n'est pas si bavard ni doué avec les mots, se retrouve à choisir les siens avec soin. Tu le pousse décidément hors de sa zone de confort. Alors il se contente d'acquiescer en hochant de la tête en retour à ta silencieuse approbation/ Le chemin du retour est assez rapide et pourtant un peu pesant pour le soigneur. Non pas que le silence en soi le gêne -ce serait un comble étant donné qu'il n'est pas si bavard !- mais Shrub ne peut décidément pas se détendre avec toi dans les parages. C'est comme être avec un animal sauvage et imprévisible. Ca use les nerfs.

Une fois au Village, il s'apprête à repartir quand tu reprends la parole. Et pour des mots qui.. Bah qui le surprennent un peu. "sois prudent" ?? Serait-ce de la gentillesse ? C'est bien vite tempéré par un ordre de ne pas tarder, par l'accentuation des autres inquiets mais il décide de passer outre. De ne garder que le début. C'est plus simple que de réfléchir pendant mille ans sur le pourquoi du comment de tes mots improbables. A quoi bon se retourner le cerveau pour un truc dont il n'aura jamais la réponse ?

Alors en retour, il hoche de la tête énergiquement et te fait un grand sourire. On, Off. Les sourires du Tout-Terrain sont comme ça : solaires pour le temps qu'ils existent, sans nuance, entier. Mais bref.

- Toi aussi. Je ferais aussi vite que je peux.

De toute façon, il vaut mieux si l'autre est blessé.

Sur un dernier signe de main, Shrub fait faire volte face à son cheval à bascule et part vivement en direction de la piste qu'il avait trouvé. Pourvu qu'il ne soit pas trop tard !

Mais heureusement pour lui, le dernier enfant n'était pas parti aussi loin que les deux autres. Il avait pu échapper à l'animal mystérieux. Mais pourquoi n'avait-il pas rallié le village ? Il s'était peut-être perdu. Avec la panique, ce genre de truc. D'ailleurs, certains se perdent même sans ça. Mais des fois, les histoires de Neverland se finissent bien. Des fois il arrive à être plus rapide que le Silence.

Quand il trouve le perdu, celui-ci respire. Mieux, sa vie n'est pas en danger. Oh, il a besoin de soins, oui. Mais rien que Shrub ne puisse faire de suite, rien qui ne le mette en péril. Et le Tout-Terrain rayonne gravement en voyant ça. Oui, des fois ça se finit bien. Alors il le soigne, panse ses plaies, et lui laisse sa monture qu'il tient à la bride alors qu'il marche vivement à côté.

Ils seront rentrés pour le diner.