Il est des mélodies en tout si l'on sait tendre l'oreille. Ce qui vit et court est rythmé par son souffle et son sang qui tambourine, mais les plus immobiles des plantes ont elles aussi un chant secret que certains savent percevoir. L'inerte même possède sa musique. Si elle reste inaudible, c'est que vous ne savez pas l'entendre.

Il est un être sur l'île que toutes ces notes bercent. Il ressent l'harmonie du monde aussi naturellement que vous respirez. L'île, dans tout son chaos, prend sens à ses oreilles. Il y a de la magie dans ces juxtapositions rocambolesques qui, contre toute attente, produisent de la beauté.

Il est un bruit qui court entre les arbres, le long des chemins. La fragile et naissante légende d'une silhouette sombre que vous pourriez confondre avec une ombre, et dont le seul langage serait celui de la musique que ses longs doigts fins caressent hors d'un piano. Est-ce seulement un unique être dont on parle ainsi ? Ne seraient-ce pas des hasards, des jeux de lumières et de sons, des coïncidences ? On le dit trop simple, comme stylisé. Une ébauche. Doit-il encore grandir ?

Il est des notes cristallines qui appellent à la rêverie, à la contemplation. Il en est d'autres qui résonnent de cette violence brute et sans objet de la nature elle-même. Si vous entendez au détour d'un sentier la voix puissante et douce d'un piano, vous laisserez-vous entraîner à ralentir le pas et à, vous aussi, tendre un peu plus l'oreille ?

Maestro ne parle pas, ne chante pas. Maestro observe, s'interroge, mime et questionne de ses mains effilées. Sa silhouette humanoïde est toute entière fine, en longueur, et d'un noir suggérant le dessin plus que la vie. Une tête arrondie ornée de deux points blancs surmonte un cou portant une esquisse de nœud papillon –c'est son seul trait défini. Maestro a tour à tour des gestes lents et vifs, posés et nerveux, mais toujours la précision d'un pianiste l'accompagne.

Maestro n'émet aucun son, sauf les accords qu'il tire des plantes et des objets qu'il effleure, presque amoureusement, comme s'il y voyait un clavier. Et si vous ne voyez rien de nouveau, vous entendrez malgré tout les mélodies qu'il joue alors. Mais c'est assis devant un véritable piano que Maestro libère tout son talent ; ses doigts volent alors sur les touches avec une virtuosité certaine, ouvrant une fenêtre sur le monde.

Si c'est bien souvent la curiosité qui entraîne Maestro sur les chemins de l'île, c'est toujours la bienveillance qui teinte ses interactions. Maestro ne comprend que rarement, mais il accepte. Et puisqu'il est une émanation de l'Imaginaire humain, certaines choses lui viennent tout naturellement, par instinct. Maestro comprend la paix. Maestro comprend la douleur, la tristesse. Maestro comprend l'attachement. Mais Maestro toujours voit plus grand, plus large, et sait que tout peut jouer un rôle dans l'harmonie. Même la plus abjecte douleur peut être belle.

Maestro est l'écho d'un piano : versatile, capable de douceur fragile comme de dureté indifférente.
Maestro a l'âme d'un pianiste : attentif, délicat et minutieux.
Maestro est la musique. Libre et éternelle.

♪ "Maestro" est le nom qui lui aurait été donné par Peter Pan.
♪ Maestro est né avec le tintement de la Pluie sur les feuilles.
♪ Maestro a la taille d'un adulte, bien que personne ne semble s'accorder sur plus de détail.
♪ Au toucher, Maestro ressemble à du velours posé sur du bois.
♪ Maestro aime à tout effleurer des doigts ; c'est ainsi qu'il perçoit le plus de choses.
♪ Maestro ne se conçoit pas réellement comme un individu. Pour lui, il est une simple partie de la musique de l'île.
♪ Maestro a une compréhension basique des différentes langues de l'île. Le plus souvent, ce sont les concepts qui lui manquent, plus que les mots.
♪ Quelque part, au cœur du Bois Joli, là où est apparu Maestro pour la première fois, se trouve un piano qui jamais ne se désaccorde.

Maestro vit Never Never Land comme une évidence. C'est de ce monde qu'il perçoit la mélodie, ce monde qu'il comprend, ce monde qu'il incarne.

Maestro n'a aucune conscience de l'existence d'un ailleurs. Le désir n'est pas quelque chose qu'il ressent ; pour lui ce qui est est. Il est une partie de l'harmonie, c'est sa place, son rôle, son essence. Il lui est inconcevable de changer cela.

Peter Pan a été le premier à entendre le piano de Maestro, le premier à venir l'écouter. Peut-être même est-ce sa présence qui a fait venir Maestro au monde. Maestro sait, instinctivement, que l'Enfant-Roi est le Cœur de l'île. Il sent que c'est lui qui donne le tempo. Il accepte cela comme tout le reste : l'indiscutable réalité.

♪ Né au début de la Pluie Salée (intrigue 5)
♪ Chassé du Bois Joli par la montée de l'eau, a trouvé refuge sur le Sommet Enneigé
♪ Est redescendu en même temps que le niveau de l'eau
♪ Quand le Vent Frais s'est changé en Givre Mortel (phase 2 de l'intrigue 6), s'est installé dans la forêt non loin du Camp de Réfugiés

Le chant de l'eau s'éloigne, jour après jour, nuit après nuit. Maestro attend.

Quand la voix du Bois Joli se fait de nouveau entendre, Maestro se met en marche. Il descend le flanc de la montagne, s'enfonce sous le couvert des arbres, et chaque pas apporte avec lui une volée de notes, mélange doux-amer de la vie qui revient et de celle qui est partie à jamais. Il y a les troncs puissants qui ont résisté à l'eau, et ceux qui gisent à terre, barrant le chemin des rescapés, déjà à moitié pourrissant. Il y a les jeunes pousses qui viennent percer le sol pour prendre la place laissée par leurs aînés, et il y a les corps –gonflés par l'eau et déchiquetés par les prédateurs– de ces humains que personne ne peut plus identifier.

Maestro effleure du doigt chaque vie, chaque mort.

C'est l'Île toute entière qui est mise à nue dans ces paysages de chaos. L'exubérance de la vie. La fatalité de la mort. Et toujours, toujours, l'inéluctabilité de l'oubli. Les chemins ne seront plus les mêmes, mais qui s'en souviendra ? Les peuples de l'Île auront tous perdu des âmes, mais n'auront que le doute et le vide pour compagnie avant de tourner la page, passer à d'autres notes, d'autres mouvements dans cette infinie symphonie.

Maestro sait tout cela. C'est la première fois depuis qu'il s'est incarné qu'il traverse une telle catastrophe, mais il le ressent au plus profond de son être : ce qui apparaît présentement comme un bouleversement ne sera demain qu'une histoire, après-demain qu'un mot, puis sera oublié. C'est ainsi qu'avance l'Île.

Mais dans le présent, tant de choses ont changé. Maestro les fixe une à une de son regard où se mêlent certitude et curiosité. Maestro les touche, laissant ses doigts résonner de leur musique. Et lorsqu'il parvient à l'endroit où ses yeux se sont ouverts pour la première fois, son piano l'attend, immaculé.

Alors Maestro s'installe devant l'instrument, et joue les mélodies de tous ceux qui sont partis.

Demain, il jouera la vie.

Si Maestro a une compréhension instinctive de l'Île en tant qu'ensemble, il ne se comprend pas lui-même. Et pour cause, il ne se pense pas en tant qu'individu, et n'a donc pas conscience de ce qui le concerne.

Maestro n'a pas conscience du fait que son corps n'est pas figé, intouchable. Il a la consistance du bois tendre, et peut tout aussi facilement être brisé, entaillé ou coupé. Les doigts fins de Maestro ne seraient pas bien difficiles à rompre ; une lame pourrait graver des signes immuables sur son corps, qui ne guérit pas ; quelques coups de hache pourraient le mettre en pièce et libérer l'étincelle de vie qui l'anime, ne laissant que quelques morceaux de bois de formes étranges.

Mais Maestro n'a pas conscience de tout cela, alors il n'a peur ni des blessures ni de la mort.

Maestro n'a pas conscience d'être lui-même un acteur de l'Île. Il se veut observateur, mais ne réalise pas qu'en interagissant avec les habitants de l'Île, il modifie ce qu'il observe, ajoute ses propres notes à l'harmonie. S'il était directement confronté à cette réalité, peut-être serait-il obligé de réfléchir à ce qu'il est. Peut-être comprendrait-il que le fait d'avoir un corps fait de lui un individu aux yeux du monde.

Mais Maestro n'a pas conscience de tout cela, alors il n'a pas peur d'être.

Pour le moment.