Vivre sans devoir se défendre, sans apprendre à se battre dès l'enfance, c'est si utopique. Wrath n'a pas été spécialement détruit par ses jeunes années, mais c'était dur parfois. Des ouragans le prenant par surprise, l'entraînant au fond d'un océan peuplé d'autres humains cherchant à rejoindre par surprise. Il suppose qu'elle a été chanceuse, sans s'y attarder. Si elle avait été apte à se défendre depuis le départ, ce voyage n'aurait jamais existé. Qui sait, peut-être que les monstres parviendront à les retrouver, en une ultime embûche qui leur ôtera la vie. Tout ce qui compte, pour Wrath, c'est d'être fier—borné qu'il est—et de faire face à cette dernière bataille sans abandonner.

Pas qu'il fasse franchement le malin, tandis qu'un voile se dessine devant son regard, le prenant en traître. La sieste attendra.

Il profite de l'opportunité, de ce qui lui semble être de la gêne, arrêtant le caddie pour reprendre son souffle. Abandonnant son flanc, l'adolescent en profite pour récupérer son couteau, qui glisse entre ses doigts au point de presque chuter sur le sol. Gluant et peu pratique. Étouffant un soupir, la Flamme se dépêche, ignorant le frisson qui traverse son corps. Il trace quelques lignes de plus sur sa main opposée, sachant bien que ça ne se verra pas sous le reste. Peut-être que Caro s'est retournée, qu'elle a vu, mais Wrath a déjà rangé son arme, ses doigts retrouvant leur place contre son flanc.

« La peur… Pas mauvais. Parfois bien. Garder en vie quand avoir peur. Je suis—suis ? Oui, je suis arrogant. Beaucoup de danger. »

Un piètre professeur, voilà ce qu'il n'ajoute pas. A la place, il pousse le caddie un peu plus loin, pour faire signe à Caro de reprendre les rennes. Le pic de douleur qu'il a causé lui permet de se tenir debout sans aide, pour quelques minutes. Il faut vraiment qu'ils s'arrêtent bientôt.

« Tu sais faire bandages ? Et nettoyer ? Je sais, mais—fatigue ? »

Ah, c'est que Wrath commence à lui faire confiance.

Un peu, c'est mieux que certains. C'est suffisant. Wrath a choisi de remettre son existence entre ses mains dès l'instant où il a dérapé sur le sol pour glisser sous le monstre. Bien sûr, à cet instant précis, il n'en savait rien, c'était simplement l'unique résultat possible. Un jour, s'il est chanceux, il apprendra à ne pas vivre tel un sacrifice permanent, à ne pas penser que pour survivre, le pire doit se produire. Se faire ouvrir le flanc, c'est moins—ah, l'île lui a déjà enlevé quelques connaissances, une poignée de visages. L'adolescent tente de ne pas s'y attarder, concentré sur le besoin de nicotine et l'envie de juste recoudre ses plaies avec n'importe quoi. D'abord stabiliser et nettoyer.

Le sol lui convient, tant que son dos est maintenu, il est peu probable qu'il parte en arrière. Quoique glisser sur le côté—ça serait ne pas assez bien le connaître. Avec des doigts ensanglantés, et tremblant, il tend son couteau, si joli, un modèle papillon qu'il peut faire danser dans l'air lorsque son cœur le désire. Le sang frais sur la lame lui appartient, un fait qu'il tait en le tendant à celle qui pourrait lui enfoncer dans le corps.

« Je pense—pas de dégâts dedans ? Le mot pour dedans le corps ? » Intérieur. La Flamme ne le trouve pas, son regard peinant à se focaliser sur Caroline à cause des points sombres qui se multiplient. Fermer les yeux lui paraît plus simple. Si un monstre décide de faire une grande apparition, Caroline sera armée au moins. « Merci, petite camarade. »

Il n’y a que rarement d’autres soigneurs auprès de lui. Le Nautilus—certainement que de ne pas s’en remettre uniquement à un nouveau serait plus malin. Les règles de ce pays lui sont trop chimériques, emplies d’un stress qui se répand et qui le laisse sur le point de vouloir exploser à la moindre erreur. Caroline n’est pas soigneuse, elle est mère, et il aimerait qu’elle soit plus comme lui, l’espace d’un instant.

Son ventre se contracte tandis qu’elle travaille à nettoyer les plaies. Ah, il a enduré bien plus brutal, comme se recoudre lui-même à moitié ivre. En un sens, ça paraissait beaucoup plus drôle sur le moment. Bah, les cicatrices, l’adolescent connaît. Outre quelques inspirations trop brutales, Wrath se garde bien de se plaindre. Autant ne pas attirer un énième monstre, il n’est plus d’humeur à lui enseigner quoi que ce soit.

« Toi brave, tu sais, » il rouvre les yeux, les laissant glisser vers la blessure. Moche quoique bien propre et bandé, ça devrait guérir sans souci. Il secoue la tête, pas réflexe, bien que la dernière phrase lui échappe. Autre chose ? Autour d’eux il y a encore le caddie, si là est sa question. Il suppose que ça doit avoir un rapport avec son corps et outre des bleus y’a rien de dramatique à signaler. « Repos, puis rentrer. Il faut—temps pour blessures. Pas trop, je n’abandonne pas camarade. »

Un sourire, un peu mauvais.
C’est quand même marrant, non ? Leur petite virée.

Une fois son arme fétiche retournée, Wrath ne la range pas immédiatement. Elle tournoie entre ses doigts fatigués, évitant pourtant de déraper contre la peau. Pas devant Caroline—indirectement c’était différent, ça ne risquait pas de lui causer une nouvelle montée de panique. Entre soldats, ils doivent faire équipe autant que possible pour survivre. Et, entre amis ? Ah, la Flamme se plaît à jouer avec son arme tout en avalant quelques gorgées d’eau. Sa gorge était asséchée, il ne le réalise que maintenant.

S’endormir serait malvenu, certainement contre indiqué vu ses blessures. L’adolescent baille néanmoins, des heures d’adrénaline enfin retombées. S’ils parviennent à ne pas se faire repérer sur le chemin du retour, aucune raison d’enchaîner avec un énième combat.

« Tes mains. Plus hautes. Toi avoir meilleure prise comme ça, » le cours ne s’arrête jamais vraiment, d'ailleurs il n'a pas corrigé sa posture plus tôt déjà ? Enfin, il lui semble avoir échoué lorsqu’il est devenu incapable de protéger son élève face au danger. C’est ce sentiment qui lui avait manqué—qui l’effraie parfois, lorsqu’il a conscience de ce qu’il implique—cette danse avec la mort.

« Je sais que—être un peu mauvais. Violent. Tu vas aller bien ? »

C’est mieux, de demander. Après tout, il est soigneur, ceux qui réparent les blessures. Un rôle un peu incongru, lorsqu’il est incapable de faire ses bandages par lui-même. Ces derniers semblent bien faits d’ailleurs, ils ne risquent pas de partir en vrille sur la route. Ah, Soul va être dépité, encore.

Mentalement et physiquement.
Qu’est-ce que ça signifie, de n’aller bien que pour l’un des deux ? Le mental n’a pas le droit de compter ; erreur cachée sous une indifférence écrite telle une partition de seconde zone, stylo dérapant contre le papier tandis que des lumières jouent contre les fenêtres d’un vieil appartement, en une mise en garde de ce qui va suivre. Elle lui avoue des détails qui sont embarrassant, une honte qu’elle soulève à bras le corps sans qu’il ne comprenne s’il doit la féliciter ou s’en inquiéter.

« Je pas avoir la—note, non notion. Pas avoir cette notion dans ma tête. Tout est différent pour moi. Grandir en mentant, survivre et survivre. Pas vivre sauf si toi mourir d’abord, survivre jusqu’à tomber, jusqu’à avoir mal. Pas très juste. Pas très bon. » Ah, il n'a jamais autant causé, dans le coin.

Son pied tape contre celui de Caroline, en un rappel vers la réalité, rien de bien brutal. Tout l’est déjà bien assez, pour l’adolescente, n’est-ce pas ? Ah, il est incapable de voir plus que les détails, que la fatigue dans sa posture et son besoin silencieux de rentrer.

« Caro, moi plus peur. Toi, garde ça. Parce que peur peut te sauver la vie. »

Il se rapproche, se glisse, à genoux, entre eux, gardant une certaine distance. Couteau rangé, bouteille d’eau posée, il pose sa main, paume ouverte, contre son torse. Inspirer, expirer. Compter jusqu’à cinq pour chaque. Wrath n’est pas très doué avec leurs nombres, le fait de compter à voix haute, il espère qu’elle pigera.

« Essaye ça, pas soigner, pas te faire oublier—juste vider tête. »

Le poids ne disparaîtra pas de sa poitrine juste en faisant un exercice ridicule ; c’est tout ce qu’ils ont pour l’instant. Après, personne n’ira non plus leur tenir la main pour les rassurer. Wrath se sait trop dur, tranchant telles les lames qu’il manie avec une aisance qui a laissé des cicatrices. A quoi bon faire attention, à quoi ça sert de tout réussir, on souffre d’une façon ou d’une autre, autant faire déraper le couteau de son propre chef. L’illusion de contrôle est l’unique droit qu’on l’autorise à posséder. Un moment, il contemple la jeune fille, la peur dans son regard, sa prise maladroite et brutale sur son arme. Ce n’était pas une bonne leçon, pas une dont elle se souviendra avec une quelconque nostalgie. La peur enseigne beaucoup néanmoins.

« Je me sentir—sens—assez bien pour retour. »

C’est un mensonge qui serait flagrant si son visage n’était pas si calme, presque inexpressif. Si tu montres trop, si tu t’ouvres plus que nécessaire, alors c’est elle qui risque de paniquer une fois encore. Se relever est un effort, douleur qui pulse dans son corps sans pour autant l’empêcher de tenir. Wrath attend encore, depuis une éternité, le jour où son organisme dira non, qu’il commencera à s’effriter pour s’évaporer dans l’air, devenu poussière. Malgré le sang séché, et son apparence pitoyable, il parvient à se maintenir sur ses deux jambes, contrôlant sa respiration autant que possible.

« Nous avoir—ayons—je pas savoir le verbe bien, de—rentrer. »

Et de s’en griller une, visiblement, veste qu’il glisse sur ses épaules sans y passer ses bras, doigts qui sont occupés à récupérer briquet et paquet de clopes à la place. Bah y’a du sang dessus, visiblement. Pour ses standards, ça passe largement et il fourre la cigarette entre ses lèvres avec une expression toujours distante.

Qu’est-ce que ce bordel le fait chier.

« Toi vouloir une ? » Il est certain d’avoir déjà demandé plus tôt, pourtant il est incapable de se rappeler de la réponse, de si elle lui a avoué ne pas fumer ou non. C’est pas un super signe, pas que ça semble le perturber.