La journée touchait à sa fin. Une longue, longue journée, tranquille au possible, presque ennuyante. Une journée à regarder la mer en premier lieu. À pêcher toute l'après-midi. Seul, dans sa barque. Le temps avait semblé s'être suspendu. Et, loin du rivage, il avait contemplé avec un sentiment étrange cette Île maudite qui était sa maison depuis un siècle au moins. Un sentiment étrange, oui. De la colère. De la lassitude. Une profonde mélancolie. De la rancoeur. Il n'arrivait plus à lui trouver quoique ce soit de positif. Il lui en voulait. Il en voulait à Peter de lui avoir pris sa vie.
S'il était heureux, lorsqu'il était enfant perdu, de traverser les époques et de pouvoir apprendre le plus possible, à présent, il n'en voyait aucun intérêt. Et s'il avait fallu qu'il soit à ce jour retourné à l'état de poussière pour avoir vécu une vie normale, dans le monde Ordinaire, il l'aurait fait sur le champs. Car, après tout, que valait l'immortalité si l'on était même pas sûr d'être réel ?

En traînant les pieds, il était rentré. Avait donné un coup de main à Moriko et ses collègues pour remettre de l'ordre dans la fumerie. Était resté seul, un long moment, rongé par de sombres pensées qu'il n'arrivait même pas à saisir. Avant de sortir d'un pas presque décidé.

À présent, il faisait parti des meubles, à la taverne Rhumantique. Sans se mêler, néanmoins, à l'ambiance festive qui régnait toujours ici, il restait-là, dans son coin, une chope à la main, à observer les gens avec un certain détachement. Les sourcils froncés, bras croisés, appuyé contre le mur, il aurait mieux fait peut-être de rester chez lui plutôt que de faire tâche parmi tous ces pirates sales et qui parlaient forts. Il se forçait un peu, l'Eteint, à se mélanger un peu à la foule. Afin de ne pas sombrer totalement.

Ce fut alors qu'une silhouette attira son attention. Là, juste là. Il venait de rentrer. Sa peau si dorée, ses cheveux blancs comme neige … Certes, il ne passait pas inaperçu. Mais c'était autre chose. Un infime ressenti qui compressait petit à petit la poitrine d'Adam. Qui soulevait en lui une peur venue d'ailleurs. Un souvenir, qui ployait contre son cœur. Il le connaissait, c'était certain. Et ce qu'il lui inspirait ne lui plaisait pas. Cette peur était enfantine, comme lorsque l'on craint un monstre caché sous son lit. Comme si le monstre, il était sorti de sa cachette, et qu'on avait dû l'affronter.

Les prunelles claires de l'Eteint brillèrent d'une lueur différente. Un éclat de noirceur vint durcir son regard tandis qu'il baissait partiellement la tête, incapable de détourner les yeux de cet homme qui, subitement, faisait bouillir le sang dans ses veines. Ses doigts se resserèrent sur sa chope, il retint son souffle. L'envie de vengeance faisait battre ses tempes.

Mais il resta-là, à observer cet homme qui ressemblait plus à un peau-rouge qu'à un pirate. Essayant de contrer cette pulsion qu'il ne savait même pas comment justifier.

C'était la fin de la journée, le début de la soirée. Il avait fait bien froid aujourd'hui et il ne restait en Salazar qu'un sentiment d'inachevé. Comme s'il avait perdu son temps aujourd'hui, qu'il n'était arrivé à rien. C'est vrai qu'il n'était pas vraiment sorti et qu'il n'avait pas vraiment travaillé. Il y avait toujours eu quelque chose pour contrarier ses projets et le temps s'était moqué de lui, passant bien trop lentement quand il n'avait rien à faire et bien trop vite quand il se retrouvait avec une tonne de corvée. Aussi se sentait il des plus maussades et il avait l'impression plus que tenace d'avoir gâché sa journée.

Ce fut sans doute pour cette raison qu'il était allé au port ce soir là. Pour se changer les idées. Pour boire un coup et oublier cette journée merdique et ennuyeuse. Et puis, qui sait, peut être qu'enfin il se passerait quelque chose. Il entra donc tranquillement dans le bar et alla directement demander une choppe de rhum (ou un truc du genre) au barman, lançant une pièce au passage. S'asseyant tranquillement en attendant qu'on le serve, il ne fit pas vraiment attention à ce qui se passait autour de lui.

Et puis soudain, il eut comme une sorte de frisson dans le dos. Comme si son corps se mettait soudain en mode danger. Comme s'il était réellement en danger. Une sorte d'impression bizarre, de malaise pas vraiment explicable et qu'il n'arrivait pas à rationaliser. Pourtant, s'il réfléchissait logiquement, il n'avait rien pour le mettre dans cet état. Et puis les sixièmes sens, ca n'existait pas vraiment. Mais rien à faire, il n'arrivait pas à se débarrasser de ce sentiment et mit quelques secondes avant de comprendre ce qui se passait : quelqu'un le fixait avec intensité. Mais il ne savait pas où.

Il regarda un peu partout. Peut être n'était ce qu'un ami, une personne amicale qui n'osait pas le déranger. Mais il avait beau scruter, il ne voyait rien. Oh tiens, son rhum venait d'arriver. Il en but une gorgée. L'impression ne passait pas. Il recommença donc jusqu'à finalement croiser le regard d'un homme, posté contre un mur. Ce fut un contact bref, presque anecdotique s'il n'avait pas été ainsi sur ses gardes mais il était convaincu. C'était lui.

Bon ok, peut être le fait qu'il gigotait comme un asticot dansant depuis quelques minutes ne devait pas passer inaperçu et en soit, c'était totalement normal qu'on le regarde. Ou même pire, peut être n'était ce que pur coïncidence et qu'il levait juste les yeux au même moment. Cependant, son sixième sens, celui qui n'existait pas dans son esprit carthésien mais qu'il ressentait quand même, lui soufflait que c'était lui. Aussi tenta-t-il d'y aller franco. Il se leva et s'avança vers l'homme.

-Un problème l'ami ?

Leurs yeux s'accrochèrent. Pendant une fraction de seconde, Adam put lire beaucoup, beaucoup de choses dans les sombres prunelles du pirate. Et il y avait une chose qu'il avait retenu : il s'était passé quelque chose. Cet homme avait un jour contribué à son mal-être, sa peur, son angoisse, ou quelque chose dans ce genre. C'était furtif, cette impression, mais elle était assez présent pour que l'Eteint ait des envies de violence. La rancoeur gonflait petit à petit à l'intérieur de lui. Il devait lui faire comprendre, à ce faux peau-rouge. Qu'Adam avait grandi. Qu'il ne se laissait plus faire. Plus autant qu'avant.

Néanmoins, cette assurance faillit se faire la malle lorsqu'il vit le pirate se diriger vers lui. Une seconde, il pensa partir, tout simplement, sans rien faire. Comme le lâche qu'il pensait avoir toujours été. À la place, la rancoeur le cloua sur place. Et son regard ne se déroba que pendant une seconde à peine du sien.
Il serra son verre entre ses doigts et crispa la machoire. Et, juste en face de lui, assez pour qu'il puisse discerner à la perfection chacun de ses traits, l'homme ouvrit la bouche.

L'ami …

Cette appelation lui donna envie de hurler. À la place, il se força en lentement expirer par le nez, refoulant les fourmis qui lui chatouillaient les phalanges.

- Je ne suis pas ton ami, articula-t-il.

Il posa avec un brin de brutalité sa chope sur la table la plus proche et croisa les bras sur sa poitrine, laissant volontairement un regard provoteur glisser sur la silhouette de l'homme aux cheveux blancs.

- Et toi, un problème ?

Il redressa un peu plus le menton.

- Qu'est-ce que tu veux ? Tu veux pas retourner t'asseoir et ficher la paix ?

Il n'était pas bien grand, Adam. Pourtant, il avait à cet instant l'assurance d'un homme immense. C'était à cause, ou grâce au pirate, et à ce qu'il suscitait chez lui. S'il n'avait pas fait attention et ne se serait pas contrôlé, il l'aurait attaqué, comme ça, sans plus réfléchir. Il en avait terriblement l'envie. Mais une petite voix lui chuchotait encore et encore que c'était mal. Que ce n'était pas ce qu'il fallait. Cet homme à la peau foncée, il ne se souvenait pas de lui. Et, même s'il se souvenait de ce que l'Eteint fut, lorsqu'il était garçon perdu, il avait tellement grandi et vieilli qu'il était présent presque totalement méconnaissable.

Si Salazar avait eu des doutes sur l'identité de la personne qui le dévisageait ou ce qu'il lui voulait, il en fut vite débarrassé. Pas de doute c'était ce type (... qu'il n'arrivait pas du tout à resituer d'ailleurs, un total inconnu) et il ne lui voulait pas du bien. Tout en lui dénotait l'agressivité et la provocation et ses mots crachés ne faisaient que renforcer son impression. Je ne suis pas ton ami. Pas de doute, cet homme avait une dent contre lui. Ce n'est pas un ivrogne qui chercher à se défouler sur quelqu'un, c'était vraiment une personne, qui, même complètement inconnu à ses yeux, lui en voulait personnellement et semblait n'avoir qu'un seul désir : lui péter la gueule. Sauf qu'à ce petit jeu, salazar aussi pouvait se montrer fort.

- Et toi, un problème ? Qu'est-ce que tu veux ? Tu veux pas retourner t'asseoir et ficher la paix ?
- Et bien, l'ami, rétorqua-t-il sur un ton sarcastique en insistant bien sur les deux derniers mots. Chez moi, généralement, c'est plutôt le type qui te fixe avec insistance et agressivité qui a un problème. Donc, je te retourne la question, c'est quoi ton problème ?

C'est vrai que l'autre en imposait un peu sur le moment. Et c'est vrai aussi, que Salazar, à côté, avec sa vieillesse et ses os fragiles, ne semblait d'habitude guère imposant. Sauf que là, se type le narguait. Alors, il faisait pareil : il se redressait, le toisait de sa hauteur, était prêt à sortir poignard et crocs. Il rajouta d'un ton narquois :

-D'ailleurs, si tu as un problème avec moi, tu pourrais, je ne sais pas, venir me le dire en face plutôt que ce soit moi qui vienne te chercher parce que tu te caches dans un coin comme un pleutre.

"Tu veux te battre ?" semblait il crier dans sa tête "Va y ramène toi boloss, je vais te ******** ". Mais tout ceci, dit avec classe, car ils étaient des pirates tout de même. Et les pirates, même quand il se tapait sur la gueule, le faisait avec classe et élégance. Du moins en théorie.

Il provoquait. Ce putain de faux peau-rouge jouait délibéremment avec les nerfs d'Adam. Il avait clairement vu qu'il était en colère. Et cela semblait le ravir. Comme s'il n'attendait qu'un litige éclate, dès son entrée dans la taverne.
Et Dieu qu'il était difficile de se retenir ! Ça grondait en lui, de plus en plus fort, ça lui faisait mal au ventre et ça tapait dans son crâne comme un marteau déchaîné. À s'en arracher les cheveux.

Inspirer. Expirer. Lentement. Par le nez. Contrôler ses tremblements. Les doigts, les mains, et même le visage. Il essayait de se convaincre que le pirate n'en valait pas la peine. Que c'était stupide de se laisser envahir par les émotions. De s'énerver pour un souvenir qu'il n'arrivait même pas à se rappeler. C'était stupide, oui. Mais Adam était, et sera toujours victime de ses émotions.

Ses prunelles affrontaient avec vérocité celles de celui qu'il considérait comme un ennemi. Un pirate du Jolly Roger, ça se sentait, et ça contribuait plus encore au mépris que l'Eteint ressentait pour lui.

Adam grinça des dents quand l'autre répéta le mot 'ami'. C'était fait exprès, clairement. Et l'ancien garçon perdu se maudissait de plonger dans sa provocation sans pouvoir rien faire.

- Je n'ai pas de problème, souffla-t-il, trop vite pour être sincère.

Deux coqs, dressés fièrement, face à face, prêt à se donner des coups de becs sans aucune raison.
L'autre type enchaîna encore, prétextant que si Adam avait un problème, il devrait plutôt lui dire en face plutôt qu'agir en lâche.
Fronçant les sourcils dans une moue tout ce qu'il y avait de plus touchée, l'Eteint se força à prendre une grande inspiration avant d'ouvrir la bouche. D'un geste absolument pas naturel, il croisa les bras contre son buste pour empêcher son poing d'entrer en contact avec le visage de son interlocuteur. Il se redressa de toute sa petite hauteur et lui adressa un regard presque amusé, qui tranchait avec sa précédente expression. Il affichait un rictus au coin des lèvres, de celui qu'aborrait certaines femmes provocatrices mais toujours dans la réserve.

- Je ne suis pas de ceux qui marchent dans tes provocations. Je ne te connais pas. Je ne veux pas te connaître. Alors maintenant, lâche-moi, avant que ça ne dégénère pour de bon, okay ?

Une seconde de silence. Adam se félicita intérieurement de parvenir à se contrôler. C'était dur. Il suffisait d'un rien pour que son assurance reparte en éclat et qu'il lui saute dessus.
Alors, pour éviter de jouer avec le feu, il contourna vaguement le pirate, non sans omettre de le bousculer d'un coup d'épaule pour s'éloigner de lui. Lui tournant presque volontairement le dos. Oui, peut-être que lui aussi, il provoquait. Et peut-être aussi qu'il ne mesurait pas le danger que pouvait représenter son adversaire.

Une fois n'était pas coutume, ce morveux nia totalement les faits. Mais il y avait quelque chose dans sa façon de parler, un rythme un peu trop rapide, un soufflement du coupable... Qui lui faisait penser que c'était un mensonge. En plus, quand ce fut à son tour de répondre, ce type était clairement dans la provocation avec sa posture et son sourire-rictus qui ornait ses lèvres.

- Je ne suis pas de ceux qui marchent dans tes provocations. Je ne te connais pas. Je ne veux pas te connaître. Alors maintenant, lâche-moi, avant que ça ne dégénère pour de bon, okay ?

Le flûtiste dû avouer que pour la première partie, il avait raison en quelque sorte. Il avait beau se creuser les méninges, il n'arrivait pas à voir qui était cet homme qui semblait si hostile envers lui. Et pourtant, ce dernier semblait le connaitre ? Ou en tout cas, il avait une raison de manifester une telle réaction à son égard. Sauf que Salazar ne comprenait pas laquelle.
Pendant ce temps, l'inconnu en avait profité pour le contourner et le bouscula par l'épaule, tentant vraisemblablement de partir. Salazar se retourna lui aussi, énervé au possible et lui cria :

-C'est ca, casse toi pauvre con !

Ce mal-élevé lui tapait sur le système. Il avait bien envie de lui rétamer la gueule. Et alors qu'il devait à peine avoir fait quatre pas et qu'il était donc encore assez proche pour pouvoir l'entendre, Salazar remarqua un détail intéressant. Il n'avait pas d'ombre. C'était donc un ancien garçon perdu ? Peut être était ce la raison de son agressivité ? Il ne le savait mais un rictus naquit sur ses lèvres.

-Oh, quelle surprise, un ancien morveux de Peter. Pas étonnant que ce soit un lâche pareil.

Soudain l'impulsion lui vint et il attrapa la première chope à portée de main et la balança sur la tête de l'homme qui lui tournait le dos, faisant totalement mouche tandis que le liquide se répendait sur son crâne et ses cheveux. En accompagnant son geste il cria :

-Oh, tu m'écoutes espèce de sale traître !

La première réplique cinglante du pirate laissa Adam de marbre. Un joli 'casse toi pauvre con' digne d'un homme sans argument et blessé dans son orgueil, il connaissait. Il n'en valait pas la peine.
Il n'en valait pas la peine, non. C'était ce qu'il se disait et se répétait, lorsque l'énième remarque de l'autre homme fila dans l'air pour parvenir à ses oreilles et aussitôt faire mouche. L'Eteint venait d'être touché en plein ventre, en plein orgueil lui aussi.

Parce qu'il était un ancien garçon perdu, il était forcément un lâche ?

Il s'arrêta net et serra les poings. Souffla lentement par le nez, sans vraiment parvenir à se calmer. Il avait constaté, en effet, que son interlocuteur avait une ombre, et s'était rendu compte que cette simple silhouette sombre peinte sur le sol lui donnait une prestance supplémentaire. Lui offrait la chance d'exister réellement.
Il se contrôla, Adam. Déserra un peu ses doigts crispés. Son regard croisa celui d'un autre client de la taverne, un autre pirate édenté qui lui sourit avec un certain amusement. Il avait visiblement suivi toute la scène et attendait la suite avec impatience.

Et la suite, ne tarda pas à arriver. Un choc violent à l'arrière de son crâne fit tituber l'Eteint. Il se rattrapa de justesse à une table et se redressa aussitôt en grimaçant. Une main se passa dans ses cheveux. Il y recueillit un peu de sang. En plus de l'alcool qui avait totalement trempé ses vêtements, ça lui avait fait sacrément mal.

- Oh, tu m'écoutes espèce de sale traître !

Il y eut un léger silence dans la taverne. Après quelques secondes où l'ancien garçon perdu récupéra ses esprits, ce dernier fit volte-face, des flammes pleins les yeux.

- Pourquoi t'as fais ça ?! Cria-t-il.

La colère prit le dessus. Elle éclata par tous les pores de sa peau, si bien que, surmené par cette violente émotion, Adam, d'un geste ample, renversa le contenu de la table à laquelle il s'était maintenue un peu plus tôt. Tout se déversa au sol avec fracas. S'ensuivit alors des exclamations outrés qu'il n'entendit pas. La seconde d'après, l'Eteint se ruait sur Salazar et lui envoyait un revers en pleine figure.
Profitant de cette attaque, il rattrapa son rival par le col de son vêtement et le plaqua brutalement contre le mur. Visage à quelques centimètres du sien, il eut tout le loisir de plonger son regard dans le sien. Et ce qu'il vit dans ses yeux lui arracha une expression de mépris. Dans ses yeux, il se voyait lui, Adam, enfant. Il se voyait en larmes, terrifié. Il voyait cette main d'adulte, cette peau mate, qui touchait son visage de garçon. Qui caressait. Et alors il se souvint. Vaguement. Et ça le dégoûtait.

- Je te connais, grinça-t-il en serrant un peu plus ses poings contre le tissu blanc de sa chemise. Regarde-moi … Regarde-moi bien, monstre !

Rageur, il le replaqua un grand coup contre le mur.

- Est-ce que vieux comme je suis maintenant, je te plais toujours autant ?!

Salazar ressentit une grande satisfaction en voyant ce merdeux réagir. Un peu comme si c'était une victoire personnel, ce qui était totalement stupide car il se prit de suite un point dans la gueule et se fit plaquer contre le mur. Mais cela en valait totalement la peine.

En attendant, il était quand même plaqué contre un mur et la personne en face de lui était enragée. Il en avait même renversé une table et du coin de l'oeil, il pouvait voir que les gens s'activaient derrière, regardant ce qui se passait. Oh la la, ils allaient finir par être viré de la taverne s'ils n'y prenaient pas garde. Enfin, à supposer que quelqu'un puisse les séparer ce qui était une autre histoire.

L'ancien garçon perdu finit par parler et le pirate eut enfin l'impression d'arriver à quelque chose. Les premiers mots ne le surprirent nullement. Il l'avait compris depuis longtemps. Ils se tournaient autour depuis plusieurs minutes déjà comme si cela allait masquer la vérité mais oui, ils se connaissaient. Oh certes, Salazar ne se souvenait plus de où ni de quand il avait rencontré ce morveux. Mais tout en lui exprimait un sentiment familier. Par contre, la suite le surprit.

- Regarde-moi … Regarde-moi bien, monstre ! Est-ce que vieux comme je suis maintenant, je te plais toujours autant ?!

Son premier réflexe fut de buguer. De quoi ? Qu'est ce qu'il racontait ? Et puis, tout d'un coup, un déclic, un flash, un souvenir. De sa main libre, il repoussa son assaillant, lui prenant la machoire entre ses doigts pour l'examiner de plus près. Oui, mais oui, c'était donc cela !

-Tu... Tu es le gamin du port. Celui qui s'était aventuré avec la grande gueule.

Ah c'est qu'il avait grandit le petit. Oh certes, il n'était pas si jeune à l'époque. En tout cas plus âgé que l'autre. Mais Salazar se rappelait encore de son regard effrayé, de ses boucles et ses petites mains, de sa peau douce comme celle d'un bébé. Ah oui, il avait bien grandit. Il était bien ridé et vieux désormais. Il se souvenait des propos qu'il avait tenu à son égard. Et tout reprit sens. Il lâcha la mâchoire alors qu'un rire, d'abord nerveux puis incontrôlable, fort, qui devait faire une drôle d'impression pour les gens autour. Mais le flutiste s'en fichait. De toute manière, il était incapable de s'arrêter alors qu'il savait qu'il allait se prendre un nouveau coup à continuer ainsi. Peu importe. La situation était tellement ironique.

-Effectivement, hoqueta-t-il entre deux rires. T'es vieux maintenant.

Bouillonnant, il haletait, les dents serrées, à l'affût d'une moindre réaction chez ce pirate. Il lit de la confusion dans son regard. Puis l'homme se souvint, cela se vit. Et Adam relâcha son emprise sur le col de se chemise pour le laisser explorer son visage avant de reprendre son passage à tabac. Il ne comptait pas en restait-là. Dans ses veines, la colère coulait. Une colère, une rage folle, emmagasinait pendant beaucoup trop longtemps, et qui ne demandait qu'à être exprimée. Le premier coup était parti. Et Adam ressentait une satisfaction malsaine à avoir fait mal.

- Tu … Tu es le gamin du port.

L'Eteint resta silencieux, ses prunelles fouillant la face de bronzé de l'autre type. La surprise était palpable.
Un moment de flottement s'abattit entre les deux hommes. L'ancien garçon perdu ne savait pas ce qu'il se passait derrière lui. Si les clients avaient repris leur activité, s'ils les regardaient ou s'ils préparaient quelque chose pour les faire sortir. Seul comptait l'homme de Hook et ses réactions. Il se délectait des expressions de son visage, les aspirait tel un vampire et les laissait emplir un peu plus sa colère.

Il rit.

Il rit, l'impudent.

Et il riait. Il riait, riait, riait, de sa voix qui sonnait démoniaque à l'oreille de l'Eteint. Ce dernier serra les poings et crispa la machoire. S'il était maladivement empathique, à cet instant, il n'avait pas envie de rire, lui.

- Ouais. Ouais j'suis vieux.

À cet instant seulement, alors qu'il s'était tourné pour toujours regarder son ennemi, il remarqua les regards des autres personnes qui n'avaient rien manqué de la scène. De lourds regards, de grands sourires édentés ou carnassiers, des gueules cassées qui n'attendent que d'en voir d'autres. Et toutes ces paires d'yeux, d'un coup, pesèrent sur les épaules d'Adam. Pendant une seconde, il en perdit sa colère et se sentit démuni.

Et ses yeux à lui se reposèrent sur la silhouette du pirate. D'un pas décidé, il s'approcha et de nouveau, l'attrapa par son vêtement comme il se saisirait d'un vieux sac et le traîna à sa suite hors des lumières et des regards de la taverne.
Il accueillit l'atmosphère tamisée des rues avec soulagement. Quelques habitants se baladaient encore mais prêtaient guère attention à eux.
Après quelques pas, il envoya avec force celui portant le nom de Salazar contre un mur, dans une ruelle un peu plus étroite que les autres. De là, il le considéra de son indexe, pointé rageusement dans sa direction.

- Toi … Toi !

Il secoua la tête. Les mots lui manquaient pour exprimer toute sa rage, tout son dégoût.

- Je n'ose imaginer sur combien d'autres malheureux tu as posé tes sales mains !

Ses propres souvenirs lui étaient flous, flous, flous. Et ça lui faisait peur, de ne pas se rappeler. De se dire que peut-être, il avait vécu pire encore qu'une simple caresse sur le visage. Il n'osait pas s'imaginer … Non, non. Il ne fallait pas imaginer.

- Tu devrais être mort pour ça ! Tu … c'est même fou que tu sois encore là, vivant, avec la même tête d'imbécile qu'avant !

Et ça le rendait fou, oui, de voir que lui avait tant vieilli et de voir lui, en face, sans une ride en plus que dans son souvenir. C'était injuste.

- Je devrais te tuer, souffla-t-il encore, dans un état second.

Adam n'était pas un violent, pourtant. Au contraire. Il avait l'impression que ce n'était pas lui qui parlait. Cette colère, toujours, qui prenait le contrôle. Il savait que c'était mal. Mais il se sentait trop faible pour résister à cette puissante émotion.

- Ouais. Ouais j'suis vieux.

La phrase était drôle aux oreilles de Salazar mais il arrêta de rire. Son sourire était toujours présent cependant, à lui en faire mal. Il le narguait du regard. A présent qu'il avait réalisé, la scène lui était clair en tête (à l'exception de tout ce qu'il avait oublié). Alors il le narguait car la situation était tellement cocasse. Il ne se serait jamais attendu à une telle scène.

Sauf qu'en face, l'ancien gamin ne semblait pas si sûr de lui. Au contraire, il s'était retourné et prenait conscience de la foule. Peur d'un public ? En tout cas il se dépêcha de les faire sortir, le traînant comme un sac de pomme de terre, ce qui n'était guère agréable. Le pirate planta ses doigts peu onglé dans la main pour tenter de la faire partir (il pouvait très bien marcher tout seul tout de même) et ils finirent dans une ruelle. Il aurait du le savoir. Cette histoire finirait dans une ruelle, comme elle l'avait commencé.

Il se sentit projeté contre un mur et son dos n'approuva pas ce choix mais au moins, il était de nouveau libre de ses mouvements alors il se releva et le toisa du regard, de ce même regard narquois et amusé qu'il avait dans la taverne.

- Toi … Toi !

La scène avait quelque chose de comique au yeux du flûtiste. Il écoutait cela, amusé. Comme il tremblait, comme il l'apostrophait comme s'il était le démon....

- Je n'ose imaginer sur combien d'autres malheureux tu as posé tes sales mains !

C'en fut trop pour le flûtiste qui se mit à rire de nouveau, d'un rire totalement fou et qui se ravivait à chaque phrase, qu'il écoutait malgré son rire. Et quand, finalement, il déclara sa dernière phrase, sa menace ultime, son rire s'éteignit. Mais pas parce que la situation ne le faisait plus rire, bien au contraire. Simplement, c'était à son tour de jouer et son air carnassier ne le quittait pas.

— Je ne sais pas quelles idées tu te fais, trésor...

Il l'avait appeler trésor de manière très naturelle, pour le narguer, sans trop avoir à y réfléchir et en y pensant justement, cela le faisait rire lui même. Il n'avait pas marqué de pause entre ce début et la suite, mais il s'était mis en mouvement. Il s'approchait, doucement, et sa main était prête à prendre son poignard à tout moment.

— Mais je ne fais pas ce genre de chose, tu étais le seul.

Car après tout, Salazar n'était pas un pédéraste voyons. Un tueur d'enfant oui, mais pas de ça. Les petites têtes blondes, il les faisait se fracasser contre un rocher ou il les tenait sous l'eau jusqu'à ce qu'elles deviennent bleus. Mais pas de ça.

— Et puis, de souvenirs que j'en ai, je n'ai rien fait de si terrible et vous vous êtes enfuis très vite.

Il était juste en face de lui désormais et il le fixait droit dans les yeux. Et c'était à son tour d'attaquer. Il le plaqua contre le mur.

— Alors pourquoi tu viens chialer là dessus ?

Dans la ruelle. Cette histoire se terminerait de la même manière qu'ils avaient commencé.

Dans une ruelle.