C’est trop pour toi, Scorpion.
Tout juste comme la pensée lui traverse l’esprit, paré qu’il est à décocher une flèche de plus, Malik sent, d’un coup, le feu de l’action l’abandonner, lui glisser des épaules comme sa défunte tunique, et tomber à ses pieds.
Et comme pour le punir de sa secrète capitulation, c’est Carne qui se prend un coup. Comme en rebond, Malik tire à son tour, sans prendre le temps de s’empêtrer dans quelque autre handicapante pensée.
Il ne sait pas si l’autre est touché, car aussitôt la flèche tirée, il lui tourne le dos, à elle et au romantico-western qui se joue dans le canyon.
Hé, Carne! lui fait-il à sa façon, et d’une voix trop douce pour ne pas trahir la petite cassure opérée entre le Scorpion et la gravité de la situation.
Rejoignant le Pécheur à couvert, il lui détaille les blessures en silence.
Dis moi qu't'a canardé c'trou du cul !
Malik tourne la tête, détourne le regard. Un nuage de poussière répond pour lui.
Qu’importe maintenant si le Peau-Rouge compte plus d’un trou à son cul.
Malik sourit.
Carne rit.
Et Malik songe que s'il y en a bien un sur cette fichue île qui peut lui lire à même les idées, c'est ce grand con de Blafard.
De plus bel et de rire, le Scorpion montre les dents.

Comme la poussière retombe, ou plutôt, d’entre deux nuées, Malik reconnaît le Papoose et, de le faire, il expire lourdement, lèvres closes.
Enfin. murmure-t-il pour lui-même, tandis que Keith, héros de l’heure, s’élance.

Arc et flèches en main, le Scorpion s’approche lentement du groupe de Peaux-rouges et lâche tout bonnement les armes aux pieds de l’un. L’apparente neutralité de son visage ne laisse filtrer qu’un trait de bravade. Le geste, néanmoins, est équivoque.

Et il reste là, Malik, planté près d’un Peau-Rouge, sans prendre la peine de le regarder ni se soucier d’être dévisagé de bas en haut. L’autre renifle, puis grimace. C’est qu’il pu toujours, Malik. Après un regard blasé pour le ciel, il croise les bras, peu désireux de fraterniser.

C’est bon, la famille est réunie… commence-t-il comme dans un soupir.
Il tourne alors la tête vers Shifty, sourire en coin, parce que quand même, blasé ou pas, quoi de mieux qu’un brin d’humour pour calmer les petits et grands esprits? Et donc, à l’adresse de Shifty, dans une passagère moue boudeuse, Malik articule en silence, mais on ne peut plus clair :
Mama.
Avant de s’en remettre aux sauvages. Ou plutôt à Christopher, qu’il désigne d’un coup de tête.
C’est pour vous en soulager, qu’on est venu.
Comme si ça réglerait tout. Mais qui sait, ce pourrait être le cas. Qu’ils leur laissent le Papoose et qu’ils repartent avec leurs cadavres, tiens. Tout le monde serait content, comme ça. ...

Carne s’est remis debout sur ses deux guibolles. Il se tient sous l’aisselle pour comprimer sa plaie. C'est poisseux mais ça a cessé de pisser comme un pirate incontinent un soir de beuverie. La douleur est là, juste assez pour lui fouetter les nerfs.

Il observe la scène avec un calme étrange.

Il y'a parmi les Piccaninny ses anciens frères, des papooses devenu adultes qui se rappellent encore , peut-être, de Ska-le-Blanc. Il ne discerne pas le visage délicat de Nunca ou le rire de Hyène. Le timbre persiflant de Mamba n'est pas d'avantage du lot. La famille est là sans être là : il s'inquiète un instant de ne pas savoir les reconnaitre. La proximité des mustangs et de leur cavaliers, les peintures de leurs corps, les embrassades fervente du père et du fils à la croisée des peuples... Toute cela ne fait que lui rappeler qu'il n'est pas à sa place, ici comme ailleurs.
Alors il reste silencieusement en retrait.

Et il remarque qu'il n'est pas le seul.

Shifty a cette même expression vide, vaguement mélancolique, qui ne fait que souligner sa jeunesse dans ce monde de constantes hostilités. Et de solitude. Elle est d'ailleurs et de nulle-part. Carne lève le bras et enserre le cou de Jolie-Tresse, comme s'il s'agissait d'un camarade de comptoir.
Comme, si elle pouvait tomber, à tout moment du haut d'une falaise et qu'il ne restait que ce crochet de coude pour l'en empêcher.
Il se souvient avec un temps de retard que lever le bras, et en plus le mauvais, ça douille. OUCH ! Il a un petit couinement et l'angle de sa mâchoire se durcit. Pourtant son sourire ne faiblit pas. Il est toujours à poil, toujours souriant. Peut-être pour deux.

-...Je suppose que c'est l'heure de rentrer à la maison.

C'est l'affirmation qu'on en a une. C'est bien assez pour lui.

- Ouais, faisons ça ! Hey !

Il lui ébouriffe les cheveux, cette fois-ci avec la main qui ne pendouille pas au bout du mauvais bras. Il s'avance, la nudité toujours aussi décomplexée.

- Aowh ! Fils du Clan de l'Ours. Je suis Ska-le-Blanc, fils de Hyène Ricanante et Mamba Corrosif, frère de Kokoï Avide et Nadie-sans-Nom. Nous voyageons sur les terres du clan pour réunir le père et le fils, les ramener à leur foyer*, amorce-t-il  dans le dialecte des peaux-rouges, qui rejaillit en lui comme un mécanisme grippé mais jamais complétement éteint.

Il s'étonne lui même de l'automatisme sévèrement encré dans sa cervelle malgré le temps. Carne s'adresse à celui qu'il devine comme le guerrier le plus aguerri, au vu des tatouages et nombreux grigris autours de son cou.

- Nous venons en paix. Nous repartirons en paix. Si le sang coule, ce sera dans l'honneur et le respect des traditions.*

La formule consacrée a glissé sur sa langue comme un poisson nage dans la flotte. Facilement.

Comme si il n'était jamais parti.

HRP:

*Carne parle en Piccaninny.

Il ne l'a pas reconnue immédiatement. Sa carrure de taureau, massive et musculeuse, se découpe pourtant au dessus de la mêlée, d'une bonne tête. Pour être tout à fait honnête, il l'avait complètement oubliée.

Buffle.
Buffle Loyal.

Celle qui leur faisait faire du tape-cul sur ses épaules carrées, un jumeau pendu à chaque anse de bras, un blafard accroché à son dos. Celle qui riait fort, cognait dur, et bordait doux le soir venu. Celle qui grondait de la voix en coursant les délicieux papouses indisciplinés qu'ils avaient pu être. Celle qui n'a jamais fait attention à la couleur de sa peau.

Nicuwe Ki.
"Grande Soeur."

Carne remarque que si l'Oubli a délavé les traits de ce visage familier, il se se souvient parfaitement de ses naseaux se dilatant par grosse colère.

- Te souviens-tu seulement de nos traditions, Ska? Après t'être enfui , avoir laissé ta famille et ton clan?

Elle lui fait face, elle le surplombe, elle l'écrase presque. Sa chevelure poivre et sel chatouille son front qu'il lève bien haut, par défi. Son regard à lui s'est fait dur, tous comme chaque cassure de son visage d'angles. Pas un membre de l'équipage ne l'a vu afficher autant de sérieux, autant de majesté, digne et silencieuse. Il est indien par le port et la pensée, quoi qu'il profère.

-Et pendant tout ce temps tu étais au Jolly Roger. Tu avais trahi, et maintenant, tu reviens te battre contre nos braves accompagnés de tes amis et de ça. Pourquoi demandes-tu la paix, après toutes les inquiétudes que tu nous a causées? Pour venir t'excuser, nous présenter ta femme? Carne a un très bref haussement de sourcil. Comment sait-elle pour Sangre ? Est-ce que tu as seulement idée de ce qu'a vécu le clan ensuite, Ska, ou quelque soit ton détestable nom de monstre, maintenant?

- Carne. Ska est mort il y a longtemps, avec Nadie.

Elle recule. Peut-être accuse-t-elle le coup. Carne plie et déplie son poing. Sa blessure saigne sans gravité, gouttant le long de son bras. Elle rappelle le rouge du canyon, le rouge de cette poussière que ses pieds nus ont maintes fois foulée.

- Après tout ce qui a été fait pour toi...
- ... Si vous n'aviez pas fait tout ça, pour moi, j'me tiendrais pas devant vous tous pour parlementer. Z'auriez mon harpon en travers d'la gorge. Sois louée que chois pas tout à fait ce dont tu m'accuses. Perdu, Piccaninny ou Pirate, je reste un nageur solitaire, Nicuwe Ki. Et tu l'as toujours su.

Il a un sourire, un de ces rares sourires tendres qui ne montre pas toutes ses dents et la possibilité qu'il a de vous mordre jusqu'à l'os.

- On vient juste chercher le p'tiot pour le ramener à son 'pa. Tu peux m'casser la gueule si ça te fais plaisir, ça change pas l'fait que les trois gadjos qui m'accompagnent repartent avec son cul d'matelot. On peut faire ça bien, ou moche. Vu qu'vous l'avez gardé en vie tout c'temps, ce s'rait con.


Et je sais que tu m'aimes encore, grosse vache butée. C'est inscrit dans nos chairs à tous les deux...