Il y a des personnes, qui aiment bien se plaindre. Se plaindre, pour rejeter la faute sur les autres alors que les personnes en question savent pertinemment qu'ils sont eux-mêmes en faute.
Heaven fait partie de ces personnes. La raison ? Des mitaines, et sa tenue en général. Oui, des mitaines, par ce temps. Une robe d'hiver avec les collants tout aussi hivernaux, les bottes en cuir de l'escapade du Monde Ordinaire, une grande écharpe.
C'est tout ce qu'elle avait trouvé.

C'est tout ce qu'elle avait trouvé, quand elle avait bien voulu se pointer pour aller se chercher des vêtements, lorsqu'il fut décrété que tout le monde devait quitter le Grand Arbre. Alors, on trouvait ce qu'on pouvait, où on pouvait -chez les Raccommodeurs, donc.
Le problème, c'est que leurs stocks ne sont pas illimités, et ça, la Mésange en a vite fait les frais, étant l'une des dernières personnes à se servir. Résultat : pas grand chose. En plus, c'est qu'elle gratte, son écharpe.

Alors, la Récolteuse se plaint. Elle se plaint du fait qu'on l'envoie dehors chercher des victuailles, dans le froid, dans le gel, avec des mitaines et sans manteau.
Et puis, surtout, pourquoi l'envoyer dehors par ce temps, d'abord ? Elle est malade, elle n'arrive plus à faire deux mètres sans tituber, alors pourquoi ne pas envoyer quelqu'un d'autre nourrir le Camp à sa place ?
Le job de Récolteur, en ce moment, ce n'est pas bien compliqué !

- Et je me demande comment j'ai pu ramener le bois ici !

Grommelle la jeune fille en rentrant au Camp, sa vision lui jouant des tours comme si elle marchait sur la Lune.
Chargée de morceaux de bois pour allumer des feux, Heaven se sentait aussi inutile que les Chasseurs en ce moment. Ha, ça avait quand même eu le mérite d'être drôle quand un gamin a une fois ramené un lapin directement congelé.
On aurait pu le déguster à la manière d'un Mister Freeze, dans son état !

- Faut croire que c'est que les Récolteurs qui doivent aller chercher des trucs pour les autres qui bougent pas leur cul. Les RECOLTEURS ! Et… et j'ai même pas d'habits adéquats. Et pourtant, JE SUIS RECOLTEUSE !!

Les morceaux de bois sont déposés négligemment dans une réserve toute aussi négligée. Et Heaven repart, de sa démarche un peu chancelante, braillant du non-sens que seul elle -et un comité restreint- pourrait comprendre.

- Toujours au service des autres. TU SAIS QUE J'AI FAIT DES HEURES SUP' POUR TES BEAUX YEUX, HEIN ? Et j'ai même pas été foutue de me trouver des habits de saison portables… TU AURAIS PU FAIRE UN TRUC POUR MOI, NON ? Les câlins c'est bien, mais du concret, c'est préférable. JE SUIS QUOI POUR TOI HEIN DIS VOIR ?

Ce n'est rien de compréhensible. Mais bon, encore une fois, la Mésange, qui n'avait pas l'esprit très clair non plus ces derniers temps, rejetait la faute sur autrui. Ce n'était même pas sûr qu'elle éprouvait réellement le besoin de pousser sa gueulante, là, maintenant.
Surtout pas sur lui. Qui sait, peut-être l'entendrait-il, peut-être l'inviterait-il à rester à ses côtés ensuite ? Il devait avoir une couverture bien chaude ou une peau d'animal -précisons-le au cas où- sous laquelle on pouvait bien caser deux personnes.
Que ce serait agréable…

- RECOLTEUSE MALADE EN GREVE !!!

Hurla-t-elle enfin à s'en détruire les poumons. Son teint blanc comme neige dû à la maladie lui aurait donné l'air d'un cadavre si ses joues et son nez n'étaient pas rehaussées du rouge du froid.
Du coup, on dirait plutôt qu'elle avait bu un petit coup. Même sa démarche se prêtait aisément à l'illusion.

Soudain, Heaven avisa l'un de ses collègues, non loin. Si elle n'avait pas le nez bouché à cause de la maladie, elle ne serait pas allé le voir, craignant l'odeur de la fumée de cigarettes qui lui donnait la migraine.
Mais là, qu'importe ! Sa migraine, elle l'avait déjà. Elle lui donnait même la sensation que chacun de ses déplacements se retrouvait soumis à la force gravitationnelle de la voie lactée.
Un peu plus, et elle allait s'évanouir.

- Hey, hey, hey. Smoke. Viens, on fait grève des Récolteurs.

Qu'elle lui balance comme ça, en arrivant à sa hauteur; sans formule de politesse, sans bonjour, rien. Même pas un regard.
Et la jeune fille s'affale même à ses pieds, en tailleur, à même le sol, prenant la jambe de son collègue comme appui pour y reposer sa tête.
Il fallait qu'elle se calme un peu. Que la sensation de tournis constant s'arrête.
C'en était devenu franchement insupportable.

La tragédie a frappé sans prévenir, une chute malencontreuse au milieu d'un pile de flèches et hop, un ours en peluche embroché. Moins pire que Nancy, qui—Creepy n'est plus au courant des détails, un truc à propos d'un imperméable jaune et d'un conduit de canalisation—ou bien était-ce dans un film ? Un avec clown, peut-être ? A ce sujet, les Récolteurs, ses précieux petits, doivent plutôt pas mal se débrouiller, puisqu'il n'a pas entendu de plainte récente à leur sujet. Voir tout court. Outre l'aventure non-programmée de son élément le plus physiquement au bord du rouleau avec une Diplomate. Et encore, Pale elle s'en sort toujours, il s'inquiète pas plus qu'il le faut, ça servirait à rien.

La limace par contre—ou Soap. Est-ce qu'elle a assez de savon ? Ah, Smoke c'est plus simple, sa clope maudite est incapable de s'éteindre. Creepy songe qu'il faudra le tapoter au retour du beau temps, pour faire tomber les cendres et l'aider à revoir la lumière du soleil. La fatigue se fait ressentir, à force d'être coincés au camp, si loin de chez eux. Ses mains sont trop agitées, en l'absence de Pumpkin. Il a été obligé de laisser l'ours à son médecin attitré. Seraph en prendra soin, sans l'ombre d'un doute. Bien que ses murmures fanatiques au sujet d'une menace céleste étaient plus louches que d'habitude. Creepy s'est juré, plus tard, d'organiser un petit rituel pour purifier l'Ossuaire. Un soupçon de sa magie, utilisée pour happer le mal.

Le Cryptique a confiance en ce qui va se passer de toute façon, ou plutôt il est incapable d'exercer un contrôle total sur ses gosses. Le fémur tournoie dans sa main, en occupant au moins une. La peinture commence à s'écailler bien que ça ne soit pas le meilleur endroit pour la refaire. Il s'est occupé des malades, avant de passer voir Seraph, le taf habituel. Les porter d'une tente à l'autre, trouver des vêtements pour ceux capables de se déplacer de nouveau. L'inactivité est insupportable, même s'il met sans doute trop d'énergie à agir pour les autres au lieu de se reposer.

D'où son idée de s'asseoir un peu, de tirer un bout de charbon de la poche de son sweat et de tracer des runes sur sa peau.

« RECOLTEUSE MALADE EN GREVE !!! »

Quoi encore ? Oh ce n'est qu'Heaven. Son visible manque d'enthousiasme à sa nomination n'a jamais perturbé Creepy. Elle aurait pu le défier en duel, si elle avait été si motivée à l'empêcher d'accéder à la position. Fidèle à lui-même, le Cryptique s'approche sans un bruit, ses talons ne touchant pratiquement pas le sol. Il se glisse entre les obstacles jusqu'à se retrouver proche des fauteurs de trouble.

Sa voix est absente, aux prises avec fils et aiguilles, ne laissant qu'un creux au fond de sa gorge. Un qui ne fait que s'agrandir tandis qu'il replace le fémur contre sa hanche, dans son harnais. A quoi bon s'adresser à eux avec Pumpkin, de toute façon ? Rien n'est sujet à encouragement et ils sont trop vieux pour véritablement croire en des paroles de réconfort. Ils veulent du concret, la réalité. Tant de suppositions, envers des gens que Creepy connaît à peine.

Les traits de leur visage, l'illumination dans le regard d'Heaven à la mention de Pit, le rire qui s'échappe de la gorge de Smoke—ces détails sont une évidence. Ils forgent ce qu'ils sont, la manière dont ils existent en tant que Récolteurs. Néanmoins, Creepy n'a jamais rien confié en retour, se contentant d'observer et de mémoriser jusqu'à emplir sa tête avec leur existence pour oublier des parties de la sienne.

Se faire des amis est si difficile, si épuisant.
Pourquoi ne peut-il pas simplement—

« Et on revendique quoi ? »

« J'écoute. »

Creepy sort de l'ombre, leur adressant un bref signe avant de s'asseoir, pressant son dos contre le corps de Smoke. Et bien, il attend les doléances de ses enfants, son expression aussi difficile à lire que les autres jours. Qu'importe qu'elles soient irréalisables, ça, ils s'en moquent.

Le collègue ne bronche pas, c'est déjà une bonne chose. Il se laisse faire, et s'intéresse, même : il lui demande ce qu'elle revendique.
C'est vrai, ça. Elle revendiquait quoi ? A part râler sur le monde entier qui l'envoyait promener pour chercher trucs et machins dans le froid, et sur Pit qui ne lui avait pas accordé assez d'attention depuis le début du Gel, la liste des revendications était maigre.

- Qu'on nous traite comme des CHIENS devant rapporter bois et vivres ! On a une vie qu'on risque pour les autres, on a froid, et on a rien en retour.

"En tout cas, J'AI rien en retour", qu'elle rajoute ensuite, ne sachant pas grand chose du cas de Smoke. Qui sait, peut être qu'il avait plein de potes, plein de personnes qui l'aimaient, et le soutenaient, et le remerciaient pour ce qu'il faisait.
Ou, peut être qu'ils étaient tous les deux dans le même cas. Pourquoi donc les remercier ? C'est leur job après tout, non ? Qu'est-ce qu'ils attendaient de plus !

- Même notre "haute sphère" est pas reconnaissante de notre boulot. Clumsy nous félicitait tant… il était POSITIF, lui, AU MOINS. Il donnait envie de bosser.

C'est à ce moment que la Mésange tourne lentement la tête, gravement, vers Creepy. Elle l'avait senti, elle l'avait entendu, mais elle avait fait comme s'il n'était pas là, répondant à Smoke comme s'ils n'étaient que tous les deux.
Une forme d'arrogance, peut être, envers son supérieur, qu'elle regardait maintenant avec un air de chien de faïence. L'adolescente ne l'appréciait aucunement, et elle le lui faisait comprendre chaque jour quand elle le pouvait.

- Mes autres revendications… c'est personnel.

Fit-elle enfin, fermant les yeux avant de lâcher un long soupir. Ce qui la concernait personnellement, ils n'avaient pas besoin de le savoir. Surtout si cela concernait Pit. Qui sait si le Cryptique savait tenir sa langue ? Tout allait s'ébruiter, dans le cas contraire.
Qu'allait-on dire d'elle si l'on apprenait qu'elle fricote avec un pseudo-criminel de la pire espèce ? Et puis, c'était sa vie, mince alors. Elle ne voulait pas être jugée, par qui que ce soit.

« Même notre "haute sphère" est pas reconnaissante de notre boulot. Clumsy nous félicitait tant… il était POSITIF, lui, AU MOINS. Il donnait envie de bosser. »

Si Heaven désire un petit tour dans la lande pour retrouver l'esprit de leur cher disparu, à quoi bon demander la permission ? Ces deux-là ne sont pas les éléments favoris de Creepy pour des raisons évidentes, quoique à l'opposé. Ils restent ses gosses, malgré tout. Le genre qu'on ne peut abandonner sur le chemin en espérant qu'un esprit ne les dévore. Oh, si Laurie a placé tant d'énergie dans la protection des petits qu'elle baby-sittait, Creepy doit être en mesure d'en faire autant. La présence de Myers ne serait pas malvenue pour le coup.

Clumsy était un chef compétent. Le genre que Creepy a soutenu jusqu'à ce qu'on le rétrograde. A l'époque, il n'a pas tant le souvenir qu'on se soit opposé à sa nomination, alors qu'il était prêt à la jouer dans l'arène si nécessaire.

« Mes autres revendications… c'est personnel. »

« Si c'est personnel, tu crois que ça va t'aider de lancer une grève du groupe ? »

Leur travail ne possède qu'une importance mineure au milieu de ce chaos. S'ils ne sont pas capables de le réaliser—Creepy aimerait les interroger sur ce qu'ils font de leur temps libre, s'ils sont assez courageux pour apporter leur soutien aux autres réfugiés au lieu de se planter là telles des courgettes pas mûres. Un petit rituel de purification serait le bien venu, pour celui qui se croit sorcier, chasser une bonne fois pour touts les esprits qui s'accrochent à eux pour semer la discorde. Ou alors ses talents de chef ne sont pas à la hauteur.

« Les morts ne reviennent pas. Je ne suis pas Clumsy et je peux pas l'être. »

Pumpkin lui manque plus que prévu, les mots butant dans sa gorge, sortant avec ce ton si dur qu'il n'a jamais supporté. Seul, Creepy ne peut encourager les siens, ni même les soutenir. C'est—épuisant de formuler ses peurs et ses regrets.

« Je ne lis pas dans vos pensées, si vous ne venez pas à moi—vous devez communiquer. Parler. Pas faire grève sans rien dire. »

Le 'vous' englobe surtout la terreur aux cheveux roses. Smoke n'a jamais rien eu de spécial à dire aux autres, il a l'impression.

Smoke lui a cassé son fil de pensée en deux temps trois mouvements. C'est vrai qu'elle n'allait pas faire grève avec ça, mais ce n'était pas ce qu'elle voulait non plus !
"Attends un peu que je réfléchisse à autre chose !" qu'elle allait lui dire, sans réussir à le faire. C'est que la migraine n'aidait ni à parler, ni à réfléchir.

- Les morts ne reviennent pas. Je ne suis pas Clumsy et je peux pas l'être.

Déclare soudain leur Tête, en réponse à la pique qu'avait lancé la Récolteuse juste avant. Elle plonge son regard fuchsia dans le sien, avant de lui souffler un "c'est regrettable" tout bas, et de se laisser à nouveau divaguer dans le blanc-gris du ciel.

- Je ne lis pas dans vos pensées, si vous ne venez pas à moi—vous devez communiquer. Parler. Pas faire grève sans rien dire.

Qu'il rajoute. Un ange passe avant qu'Heaven ne se relève brusquement, manquant de tomber. Elle est énervée par sa remarque et elle compte bien le faire comprendre :

- Et tu crois que tu pourrais faire quelque chose par rapport au fait que tout le monde se fiche de nous ? Ca fait peut-être deux ans que je suis ici et tout le monde fait son travail sans que personne ne soit félicité ne serait-ce que de temps en temps… c'est pesant, à force !

Ca hausse le ton dans les rangs ! Il faut avouer que ce qu'elle venait de dire avait du sens pour la Mésange. Sans trop se souvenir, elle avait été couvée auparavant, félicitée, chérie, et cela a commencé à lui manquer lorsque son père a mal tourné et qu'il l'a délaissée.
Sur l'Ile, c'était la même chose…. retrouvera-t-elle un jour de la considération de la part d'une personne ? Si ce n'est peut-être…

- Une personne actuellement me fait l'honneur de se soucier de ma présence. C'est tout. J'aimerai qu'il en soit de même avec les autres. Voilà mes revendications. Je suis une égoïste insatisfaite, c'est tout.

La suite, quelques révélations sans doute évidentes, est dite sur un ton plus calme, limite fatigué. Le fait d'avoir bougé si précipitamment fait un peu tourner la tête de la jeune fille. Foutue migraine persistante… quand allait-elle donc partir ?

Se relever, les affronter, ça ne voudrait rien dire. Un règne de terreur n'apporterait pas grand-chose, outre un conflit complexe à résoudre sans un nouveau changement. Creepy n'a pas confiance, il doute que ces deux-là, ou les autres, puissent commander le groupe aussi bien que lui. Ils sont trop dissipés, gouvernés par leur égocentrisme. Une partie de lui se dit que Heaven finira par partir, par ne plus supporter tout ça. Et Smoke ? Qui sait, un jour ils ne trouveront que des cendres et rien d'autre là où il se tenait la veille.

« Ca fait peut-être deux ans que je suis ici et tout le monde fait son travail sans que personne ne soit félicité ne serait-ce que de temps en temps… c'est pesant, à force ! »

La date tend à prouver que Creepy n'est aucunement responsable de tout ça. Deux ans ça veut dire quoi déjà ? Long ? L'individualité qu'elle réclame par la suite est quelque chose de plus concret, bien que l'adolescent estime déjà respecter un tel concept. Enfin—il connaît les faiblesses de certains, les points forts des autres. C'est juste que le système est ainsi, que rien ne sert d'aller contre. Après tout, qui irait maudire ce qui les maintient en vie ? Mirka—Creepy ne veut pas songer à elle, ni aux autres fantômes du passé.

« Trouver une personne qui nous félicite pour notre travail, c'est un privilège, pas un droit, notre travail c'est pas ce qui compte, pas vrai ? On est là pour les missions, pour se battre contre les pirates, pour… Pour se distraire. Et les Chefs sont là pour nous rappeler de ne pas le faire 100% du temps ? Pas si simple, pas vrai ? »

Le bon côté de la situation, c'est que le Cryptique n'est pas certain que sa présence soit nécessaire pour cette discussion, puisqu'ils paraissent en majorité s'adresser l'un à l'autre. Tant mieux, il ne gère pas très bien les conflits sans devenir un peu trop cruel. Autant ne pas culpabiliser pour quelque chose qui peut être évité.

« Individuellement, je vous respecte. En groupe, on doit tous accomplir des choses. Vous—vous faites quoi au camp ? Vous aidez ? Vous portez les malades ? Vous leur tenez la main ? Ou bien aidez-vous à la cuisine ? Ou pour le reste ? C'est une guerre, de la survie. On a pas le choix. Après, avant, c'est différent. Moi je m'occupe l'esprit, j'en ai besoin.»

La notion même des groupes, de Récolteur, ça n'a guère de sens en ce moment. Bien sûr, une fois la situation revenue à ce qu'elle était avant—non, ça ne changera pas vraiment. Même les chefs subissent le poids de cette routine nécessaire.

« Heaven, tu ne peux pas être la préférée de tout le monde. Je t'estime, et tu ne m'as jamais aimé, c'est tout. Smoke, je ne vais pas mentir et prétendre te connaître. Il en va de même pourtant. »

Même en les critiquant, Creepy est attaché à tous les siens. Retrouvant le silence, il hume une comptine familière en se demandant ce que Freddy en penserait. Le problème c'est que ce bon vieux Fred' n'est pas très doué avec les enfants.

Comme il avait l'air de se foutre d'elle, l'accro à la clope... mais dans un sens, il n'avait pas tort; qui se souciait donc réellement d'eux ?
Lui, il avait l'air de s'en foutre, tellement... il ne la comprenait pas, il ne faisait aucun effort, et son attitude désintéressée donnait à la jeune fille une violence envie de lui foutre une droite...
Mais, il avait quand même raison. En demandait-elle trop ? Se trouvait-elle des raisons pour détester l'Arbre ? Elle avait au moins une chose à laquelle tenir, en tout cas...

- Je vais chérir mon cher et tendre privilège, alors...

Souffla la jeune fille, plus au moins audiblement. Ils n'avaient pas besoin de savoir cela... mais dans un sens, elle n'en dirait pas plus non plus.

Comprendre ce que disait Creepy, par contre, c'était une autre affaire. Il parla d'abord de respect individuel puis des groupes, sûrement pour faire comprendre qu'ils étaient tous dans le même panier.
Après, il semblait un peu leur faire la leçon, en leur demandant ce qu'ils faisaient, là, actuellement, au Camp. Alors lui il la méritait, sa droite dans le nez. Quand on sait pas, on se tait, au lieu de subtilement traiter des innocents de branleurs.
Si le monde tournait moins autour de la Mésange, c'est sûr qu'elle en serait venue aux mains. Depuis quand était-elle devenue si violente ?

- Une fois on m'a dit : "Heaven, va chercher du bois pour le feu". Maintennat je me pose plus la question et j'en ramène tous les jours. C'est un automatisme. Alors non, je passe pas ma vie à me plaindre -comme tu parais le croire- lors d'une situation de crise.

Qu'elle raconte, se remettant en position assise d'une grâce douteuse. On aurait plutôt dit qu'elle avait perdu l'équilibre.
Et la jeune fille écoute, se dit qu'elle a son mot à dire du pourquoi du comment elle ne l'aime pas. Après tout, on ne lui avait rien expliqué du cas de Clumsy. Et lui, il s'était pointé comme un cheveu sur la soupe, avait pris la place du Petit Chef.
La Récolteuse, elle, n'eut pas son mot à dire. Pourquoi ne pas s'être manifesté ? À quoi pouvait-elle bien penser lors du débat à propos de l'élection de leur nouvelle tête ?
Oh, elle devait sans doute se poser trop de questions, si bien qu'elle s'était sûrement coupée du monde à ce moment là.
Qui sait ce qu'elle aurait pu dire, sinon.

Elle ouvre la bouche pour revendiquer, se ravise tout aussi vite, et choisit de réagir à ce qu'avait dit son collègue plus tôt dans la conversation.
Les explications, trop longues, attendraient un peu.

- Rare sont les occasions pendant lesquelles Peter m'envoie en mission -parce qu'il ne m'aime pas. Je ne me bats plus contre les Pirates, j'ai assez risqué ma vie pour celle des autres sans rien en retour. Et je ne sais comment me distraire...

Soupir. Heaven se livrait, mais seulement à moitié. C'est un test... juste, juste pour voir à quel point elle pouvait parler avant qu'ils ne décident de l'arrêter d'une façon plus ou moins polie.

- Maintenant, quasiment plus rien ne m'intéresse. Je ne m'attache plus à grand monde, j'ai oublié comment jouer de la guitare, et les seuls êtres à qui je ne me lasse pas de parler, ce sont mes animaux de compagnie.

Dans l'état actuel des choses, elle se demandait sincèrement si elle n'avait pas un problème de contact avec autrui.
Elle se posait des questions. Où était donc réellement sa place, au final ?

Ses mains s'ennuient de la présence de son compagnon habituel—ne pourrait-il pas simplement espérer une apparition impromptue de Seraph, retournant le jouet réparé avant de divaguer vers d'autres aventures—il les fait craquer, d'un geste sec et plein de pratique, laissant les paroles le bercer tout autant que la mélodie qui continue à lui échapper. Ils se déplacent, absolument pas coordonnés, incapables de demeurer inertes trop longtemps lors de cette conversation qui ne mènera nulle part.

Creepy ne s'autorise pas à s'étendre sur ce qu'il fait mal ; un véritable chef n'abandonne pas sous prétexte que tout est devenu trop dur à gérer. Son dos appuie contre celui de Smoke néanmoins—mieux que de s'écraser ou de s'exiler à l'autre bout du camp sans personne à qui parler. Ils sont fatigués, tous les trois, et Creepy n'y peut rien. A la place, il bouge ses cheveux d'une main, pour ne pas qu'ils embêtent le Rieur, les bougeant sur ses épaules.

« Une fois on m'a dit : "Heaven, va chercher du bois pour le feu". Maintennat je me pose plus la question et j'en ramène tous les jours. C'est un automatisme. Alors non, je passe pas ma vie à me plaindre -comme tu parais le croire- lors d'une situation de crise. »

Qu'elle lui en colle une et qu'on en finisse—Creepy aimerait ne pas en arriver là, à un duel lors de leur route. Clumsy est mort, elle n'a rien dit lorsqu'il s'est proposé—ordonné—pour le remplacer et c'est trop tard, elle n'avait qu'à se bouger avant. Ce qui suit est un récit bien pitoyable, de chaque côté. Les problèmes de l'adolescente ne lui avaient pas semblé si—tordus. Quant à Smoke, Creepy avoue s'être contenté du même avis qu'il a toujours possédé envers son camarade. Il hume, de temps en temps, pour prouver qu'il écoute, bien qu'il attendre que le venin se soit écoulé avant de prendre la parole. Ces discours, débats sans queue ni tête, ça n'est pas pour lui.

Est-ce que le Cryptique se tient entre deux zombies, assis sur le sol à attendre qu'ils dévorent sa chair jusqu'à ne laisser que des ossements dénués de nom ? Le jeune chef n'apprécie pas une telle pensée, encore moins lorsqu'elle ne lui semble pas si étrange. Un maléfice qui se serait infiltré au sein de leur groupe ? Peut-être sous Clumsy, une punition pour une erreur dont aucun d'eux n'est au courant.

« J'ai toujours eu l'air de ne m'intéresser à rien, à cause de ma voix blasée et de Pumpkin qui doit s'exprimer à ma place. Donc, vous pouvez confier de telles vérités sans que ça ne me perturbe. Puisque je suis pareil. » Est-ce qu'il est également une coquille vide ? Certains jours, probablement. Son corps pivote, s’affaisse également, jusqu'à ce que sa joue soit pressée contre l'épaule de Smoke. Quoique lentement pour ne pas blesser la tête qui s'était posée contre la sienne. « Tu es souvent avec Pit, je le sais quand on parle, nous parlons parfois de toi. » Foutues répétitions. Creepy soupire. « Ce n'est pas suffisant, n'est-ce pas ? Pour que tu existes. »

S'attendent-ils à une punition quelconque ? A un châtiment magique emplissant leurs veines ? Creepy ne voit pas pourquoi il devrait empêcher une discussion complexe avec les siens. Après tout ils avaient le même rang il y a peu.

« Est-ce que vous êtes vides ou—tristes ? En colère ? Tout ? Comment est-ce qu'on se répare ? Je n'en sais rien. Je ne suis pas soudainement plus malin parce que je suis chef. »

Leur conversation venait de prendre une tournure bien pitoyable, dirait-on. Ça avait pourtant quelque chose de rassurant, comme si elle n'était pas la petite fille la plus malheureuse du monde et qu'elle n'était pas la seule à se poser des questions, à... souffrir, dans une certaine mesure ?

Heaven eut un petit rire en réponse à la remarque de son collègue, comme quoi rien ne l'intéressait. Elle souriait, même, mais cela ne se voyait pas, son visage caché sous sa grande frange rose pastel.
Il faudrait qu'elle la fasse un peu couper, mais c'était bien l'une de ses dernières préoccupations du moment. Dans l'instant présent, elle écoutait le fruit de leur petite conversation entre Récolteurs, qui allait rapidement se transformer en cellule psychologique pour le groupe.

- J'ai toujours eu l'air de ne m'intéresser à rien, à cause de ma voix blasée et de Pumpkin qui doit s'exprimer à ma place. Donc, vous pouvez confier de telles vérités sans que ça ne me perturbe. Puisque je suis pareil.

Même leur Tête se mettait à parler de son ressenti. Et les voilà qui tenaient tous les trois une véritable réunion dans un semblant d'ambiance des rassemblements des alcooliques anonymes, à parler de leurs déboires, de leurs peines.
Cela aurait pu être réellement agréable pour la Mésange, si Creepy ne s'était pas directement adressé à elle en débordant sur Pit.

Alors comme ça, il lui parlait d'elle ? Que pouvait-il bien lui dire ? Sûrement des choses qui contrastaient avec son attitude envers son propre Chef.
Peut-être lui parlait-il du lien qu'elle possédait avec feu Clumsy, qu'elle appréciait tant ? Ça expliquerait beaucoup de choses, et notamment son intolérance vis-à-vis de cette nouvelle tête de remplacement.

Une prunelle fuchsia, dans laquelle passe une lueur mauvaise, brillant d'une colère à peine contenue, se fait voir au travers de la frange un peu trop longue.
Il ne sait rien d'elle. Il ne comprend pas ce qu'elle peut ressentir, parce qu'il ne doit pas être attaché à qui que ce soit de tout son cœur, rendant le reste obsolète à ses yeux.
Alors, qu'il se taise !

La Récolteuse ne réagit même pas à la dernière réplique de son Chef, laissant à la place s'installer un grand silence pesant. En tailleur, un peu voûtée en avant, elle se taisait, ses coudes reposant sur ses genoux.
Tête basse, elle le regardait malgré tout, toujours, sans ciller, plus perdue que cherchant concrètement à le déstabiliser. Elle cherchait ses mots, comment expliquer son problème.
Sa relation avec le Raccommodeur en Chef ne restera pas à jamais dans l'ombre.

- L'intérêt que Pit me porte me suffirait amplement si je me destinais à passer éternellement ma vie à ses côtés. Mais ce n'est pas si simple. Je ne sais pas si mon cœur penche plus vers un seul homme ou vers une communauté entière, et je m'en sens perdue...

Le fait de se livrer ainsi, à voix haute, dans la plus grande sincérité, lui enlevait comme un poids. Ils ne pourraient sûrement pas comprendre le pourquoi du comment elle racontait une telle chose.
L'évidence, par contre, était compréhensible. Elle venait clairement d'insinuer que le Joker ne passerait pas toute sa vie au sein du Grand Arbre.
La question était maintenant de savoir si elle devait le suivre ou non.
Si elle le voulait.
Si elle s'en sentait capable.

- Il est plus simple d'avoir de l'importance aux yeux d'une seule personne que d'une centaine... Du coup, je ne sais plus vraiment où est ma place.

Oh, elle payera sûrement un jour ses révélations. Si seulement cela lui permettait de sauter le pas et de se retrouver définitivement là où elle devait être.

Rien n'est agréable, outre la chaleur du corps contre le sien. Tout est oppressant, Heaven remplissant l'air d'une magie prête à couper les liens qui relient les étoiles au ciel pour les regarder s'effondrer sans même être satisfaite. Rien n'est juste, ne le sera jamais, alors d'où vient ce soudain besoin de transformer les erreurs en droits, en demandes même ? Creepy n'a pas forcément envie de poursuivre cette conversation, de pousser jusqu'à ce qu'ils se blessent en prétendant que c'est un club de soutien pour âmes égarées.

Pit ferait un excellent compagnon pour une telle discussion. Creepy n'aurait aucun mal à le laisser régner en maître sur la scène pendant un moment pour reprendre son souffle. Ses doigts tapotent contre son ventre en silence, pendant que les paroles se déversent. Les cicatrices ne tirent pas trop pourtant aujourd'hui—il a juste envie des toucher au travers du tissu un moment, de se souvenir de leur existence.

« Il est plus simple d'avoir de l'importance aux yeux d'une seule personne que d'une centaine... Du coup, je ne sais plus vraiment où est ma place. »

L'idéal se situe dans la compagnie d'un ours en peluche, facilement remplaçable en cas de trahison. Et en plus, on peut lui mettre des tenues assorties aux siennes, ce qui en fait un accessoire des plus fantastiques. Le Cryptique se retient bien de balancer ça, bien sûr. Il est celui qui doit écouter et faire plus que d'avoir l'air mal à l'aise. Comme si c'était simple !

« Il est peut-être plus simple d'avoir de l'importance pour une personne que pour cent… mais il est aussi plus simple de perdre une seule personne. »

Et donc, les peluches.
Au jeu de choisir la bonne réponse, Creepy préférerait s'abstenir de participer. Impossible de contenter tout le monde, pas alors que son avis diffère encore des leurs. C'est idiot, s'ils pensaient que leur jeune chef allait soudainement proclamer un choix comme supérieur à l'autre.

« Se lier est éprouvant dans n'importe quel cas. Je suis plus à l'aise avec Pumpkin qu'avec les humains. Tu peux t'enfumer et ne jamais bouger, te perdre dans le brouillard et être d'accord avec ce choix. Rester là où tu es. Ou bien tu peux être la plus visible, bien être vue, prétendant être sûre de toi alors que tu continues d'avancer sans connaître la destination. Aucune réponse n'est mauvaise. »

Peut-être que la solution serait que chaque Récolteur possède son propre compagnon en peluche ? Il n'a aucun mal à imaginer un mini-Pit accroché à la ceinture d'Heaven en fidèle compagnon. Ou bien Smoke, avec un lapin à l'oreille brûlée par des cendres de cigarette. C'est presque—amusant.