A la fin de la cérémonie, Freckles réalise que ça y est, Sharpy est plus chef. C’était un des plus vieux, un de ceux qui étaient déjà là depuis très longtemps quand lui a débarqué. C’est pas le seul qu’il a vu partir, mais la différence, c’est que les autres sont morts, et que Sharpy est bien vivant. En fait Freckles ne s’est pas rendu compte que Sharpy en avait marre avant que ce soit trop tard. Même devant le fait accompli, il arrive pas à se dire qu’on peut avoir le droit de juste en avoir marre.
Mais bon maintenant y a Salvo.

Ça lui déplait pas que Salvo soit chef. Il a une attitude, une allure qui marchent. Une espèce de classe nonchalante, qui en fait lui rappelle un peu Sharpy, une version moderne, avec quelque chose d’un peu plus acéré dans le regard. Ça fait pas longtemps du tout qu’il est là Salvo, mais quand le Printemps est arrivé et que Freckles s’est rendu chez les armuriers, il a accepté de l’entrainer direct, et ils sont devenus potes avec une simplicité folle, étonnante même pour quelqu’un comme Freckles.
C’est peut-être pour ça que Salvo lui a demandé à lui de lui faire visiter la Maison Souterraine. Pas Peter, pas Bow, pas Scar ou Lacerate.

(Il sait que c’est ridicule d’être fier pour ça.)

Il attend à l’entrée, un peu nerveux, un peu excité, et peut pas s’empêcher de sourire lorsqu’il voit l’armurier arriver avec son sac à dos et sa plante dans les mains. Ça paraît complètement déplacé à côté de son look de bad boy et sa veste cool. Peut-être qu’il pourra lui piquer des fringues maintenant qu’ils vivent au même endroit, il se dit distraitement alors que Salvo trottine en sa direction avec un grand sourire.

« HEYYY beau gosse », il s’exclame, et Freckles grimace dramatiquement lorsqu’il passe un bras autour de lui pour lui claquer une bise. « Alors, c’est parti ?  »

Oui parce que Salvo est tactile, très. Mais bon, Freckles aussi.
Ça tombe bien.

« C’est parti. », il répond sur le même ton, avant de désigner la plante. « T’amènes de la déco ? »

Il trouve l’idée assez charmante. La Maison Souterraine est tellement encombrée que ce serait difficile de trouver une décoration qui fasse une vraie différence. Certainement pas une petite plante en pot en tout cas.

« J’espère que t’es prêt. C’est la première fois que tu viens, non ? »

S’il en croit les étoiles dans les yeux de Salvo, la réponse est oui. Ils passent devant les deux sentinelles qui gardent l’entrée, Freckles montrant sa médaille en levant presque les yeux au ciel, comme pour leur rappeler un événement récent dont aucun des deux n’est responsable, et puis une fois dans le tunnel, il fait un espèce de geste galant et prend un ton exagérément appuyé, insistant sur le dernier mot :

« Après toi, Chef ! »

Le rire de Salvo le prend presque par surprise : il brise un peu cette image d’assurance parfaite, du mec cool et mature, que Freckles imagine en tout cas. Ça le fait sourire lui-même alors qu’il le mène dans le tunnel, jusqu’à l’entrée de la grande salle principale. Il marque un arrêt, créant un suspense bien involontaire, avant de tirer le rideau.
Salvo a la mâchoire qui pend comme s’il venait de tomber sur une ruine remplie de statues en or. Il se met immédiatement à faire le tour de la pièce et regarder chaque meuble avec des yeux ronds. Freckles, qui sourit toujours, a l’impression de lui aussi regarder la Maison Souterraine pour la première fois. Il se dit que c’est bien que Salvo vienne maintenant et pas directement au retour du Givre, dans l’état où ils l’ont retrouvé après plusieurs phases d’évacuation, de crue et de gel. Depuis ils ont eu le temps de restaurer l’endroit dans toute sa splendeur. Les décos ont été remises, le bordel s’est fait de lui-même, et les fleurs et champignons ont repoussé sans qu’on leur demande. Tout est redevenu comme avant. Comme il s’en rappelle, en tout cas. Avant est un concept bien flou pour Freckles.

Il suit Salvo dans la pièce, à moitié fier et excité, et à moitié bizarrement inquiet, comme quand on a peur qu’un gosse plus jeune fasse une grosse connerie. Il a aucune bonne raison de penser ça. L’armurier n’ose toucher à rien.

« Mec c’est fou. Tu me fais pas une blague hein ? »

Salvo s’est retourné vers lui d’un coup et Freckles doit s’arrêter net pour ne pas lui rentrer dedans.

« C’est quoi cette question ? » il se marre, perplexe.

Une fausse question, il se rend compte très vite, une qui mérite pas vraiment de réponse. Il se doute bien que Salvo ne l’accuse pas d’avoir rempli la pièce de décos en carton qui vont tomber si on les examine avec attention.

«  Et là-bas, y a quoi ? »

Le temps qu’il réalise de quoi il parle, Salvo a déjà fait quelques pas dans cette direction. Sans réfléchir, Freckles le dépasse pour lui bloquer le chemin.

« Nan nan, pas par là, c’est la chambre de Peter » , il explique, parlant beaucoup trop vite. « Mais je crois pas qu’il est là pour le moment. »

Il essaie d’ignorer le coup de stress bizarre qui lui a glacé la colonne vertébrale en réalisant dans quelle direction allait Salvo. En fait, il sait foutrement pas si Peter est là où pas, mais l’idée du nouveau chef qui débarque dans sa chambre sans invitation et de devoir s’expliquer à sa place le dérange beaucoup.
C’est con, parce que ça serait sans doute pas si terrible.
Et puis dans cette chambre il y est déjà allé mille fois.
Mais depuis le Givre tout est bizarre, surtout Peter.

« Tu veux pas poser ta plante ? » il demande, histoire de changer de sujet. Et puis il désigne un autre coin de la pièce. « Le hamac de Sharpy c’était celui-là je crois, tu peux le prendre. Ou tu peux te mettre ailleurs. Comme tu veux. »