« Oh bordel. »

Mon nom est Patches. En vrai, je n'ai pas de nom. C'est juste un qualificatif qu'on me donne. Je suis une ancienne française, devenue une poupée par la force des choses. Je bosse pour le Big D, Dracula, un vampire. C'est un boulot honnête. Mais là, je dois escorter une Fée à travers son manoir. Voici ce qui s'est passé.


Mon boulot, c'est pas très compliqué. De nuit, je dois faire en sorte qu'une bande de petits vampires oublient leur faim et passent malgré tout une bonne nuit. Faut dire que c'est pas la joie, au manoir. Les humains en bonne santé, y en a de moins en moins. Foutre, des êtres vivants en bonne santé ça se trouve plus facilement. Depuis que ces Orbleus, ou quoi qu'ils soient, sont apparus. Des espèces de mort-vivants bleus de la tête aux pieds jusqu'au fond des yeux. De sales bêtes, j'ai même eu des ennuis avec l'un d'eux, mais c'est une autre histoire. Bref, de nuit, je fais ça. Ces pauvres gamins... Mais tout le monde ici a faim. Je suis bien contente de plus avoir de sang, croyez moi...

Et puis le jour, j'ai quartier libre. Et c'est là que je ressemble beaucoup à mes employeurs. Voyez vous, j'ai pas faim. J'ai pas froid. Mais le problème, c'est que je suis une poupée de son. Une GRANDE poupée de son. Et j'ai besoin de paille spéciale pour continuer à fonctionner. Cette paille, c'est celle de poupées vivantes, comme moi. De poupées venant de la Machine. Et je les chasse, évidemment. La plupart du temps, dans la machine elle-même. Parfois, quand elles sortent.

Ce jour là, je m'étais préparée pour aller chasser. Généralement, quand je fais ce genre de chose, j'y mets du cœur. Là, je m'étais habillée et grimée pour. Représentez-vous la tenue la plus clichée pour un safari. Cousue à même ma peau. Je suis une poupée, rappelez-vous. Et le temps, ici, n'est qu'illusion. Ajoutez-y quelques "peintures de guerre" ( des barres, tracées au charbon ) sur le visage, un filet qui pourrait ressembler à un filet à papillon, si les mailles n'étaient pas aussi grandes, un sac de voyage vide, j'étais fin prête à capturer les petites poupées que je verrai.

Ben, j'ai même pas eu à sortir quand j'ai vu cette petite poupée dans le manoir. Très jolie, ça aurait été un crime de l'ouvrir et la vider, mais ça n'aurait pas été mon premier crime. Alors avoir un service à domicile, vous savez, ça me dérange pas. J'ai juste attendu qu'elle soit assez engagée dans un couloir sans porte facile d'accès, pour mieux l'attraper.

Bon, elle avait l'air rapide, cette petite poupée, à pouvoir grimper un peu n'importe où quand je tournais le dos pour la contourner, mais c'était pas ça qui m'arrêterait. Alors, forcément, quand le moment s'est présenté, j'ai sauté sur cette pauvre poupée avec mon filet.

« Qu'est-ce que vous faites ?»

La poupée n'avait pas bougé. Elle me regardait, d'un air confus. Faut dire que c'est pas tous les jours qu'une idiote essaie de nous attraper avec un filet aux mailles bien trop grosses. Il n'existait pas de peur dans son regard. Il y avait juste de la pure incompréhension. Je ne sais pas ce qu'elle pouvait voir sur mon visage, peut-être de la surprise, peut-être de la terreur. Mais, en tout cas, la tête d'une imbécile qui vient de se rendre compte qu'elle avait pris une fée pour une poupée. A ma décharge, ses ailes étaient presque invisibles.

Une fée. Ici. Elle avait réussi à passer les horreurs et les gardiens. Et elle s'était perdue, ici, dans les couloirs. Et il fallait évidemment que ça tombe sur moi. A y repenser, je crois que je reste la meilleure rencontre qu'elle aurait pu avoir en ces lieux. Le temps de reprendre mes esprits, elle avait amené le filet à mes pieds et... se tirait les joues pour esquisser un sourire ? C'est... Je... Quoi ? Patches.exe a cessé de fonctionner. Je ne sais pas si je dois rire ou hurler. Un mélange de colère, d'amusement et de panique commençait à m'envahir.

« Bonjour, humaine, pouvez vous me dire où je suis, qui vous êtes, toute l'histoire de cette bâtisse et la votre au passage? Je suppose que vous êtes la maîtresse des lieux? »

Elle venait de sortir de quoi prendre des notes. Ce qui finit de faire craquer quelque chose à l'intérieur de moi. Ce même sentiment qui me hante chaque fois que les bébés vampires prennent des risques dangereux. L'inquiétude. Pour moi, pour cette fragile fée. Pour tout ce que sa disparition entraînerait à ce jour. Et quand je panique, c'est la France qui rapplique. J'attrapais cette fée le plus rapidement possible avant de la porter devant mon visage. Et, dans un cri chuchoté, et dans ma langue natale, je lui assénais ces mots :

« Mais t'es complètement tarée, gamine ! La plupart des créatures qui vivent ici te prendraient pour un snack, et j'ai failli faire la même chose ! Qu'est-ce que tu fous là ? Mab le sait ? Tu t'es annoncée ? »

Et après un léger silence, je continuais, cette fois de nouveau en anglais.

« T'as pas d'instinct de survie ou quoi ? »

Avez-vous déjà travaillé avec quelqu'un complètement hors de la réalité ? Cette fée, que je venais d'attraper avec une facilité déconcertante, et qui ne semblait nullement se sentir en danger, venait littéralement de me demander si l'instinct de survie se mangeait. Vous savez quoi, sur le moment, j'ai buggué. Je suis restée silencieuse alors que ma prise sortait de quoi prendre des notes. Mais aujourd'hui je ne sais toujours pas si je dois en rire ou hurler. Toujours est-il que je n'ai pu faire autre chose que continuer ma presque silencieuse engueulade.

« La seule personne ici qui va finir en spécialité culinaire c'est toi si tu restes aussi inconsciente ! »

A ce stade-là, ce n'était plus de l'inconscience. La personne qui l'avait laissée pénétrer ce domaine était vraiment criminelle. Même moi qui avait pénétré le domaine par effraction, morte, presque sans danger, je ne l'avais pas fait sans surveiller mes arrières et rester discrète.

« Est-ce que tu sais seulement où tu es ? »

Oui, je venais de prouver que j'avais pas écouté la fée. Mais franchement, à ma place, l'auriez-vous écoutée ? Je paniquais, okay ? Je voulais juste savoir pourquoi elle n'appliquait pas le concept important de rester en sécurité. Et puis toute cette situation me rendait de plus en plus confuse. C'est pas facile, hein, de toujours devoir tout bien faire.

Oh. Elle ne savait donc pas ce qui était ici. De l'inconscience. De l'inconscience pure. Comment avait-elle seulement survécu jusqu'au manoir ? J'en savais rien. Probablement la chance la plus insolente qui puisse exister. Alors ouais, sur le moment, je me suis facepalm. Elle. Venait. D'esquiver. Un bien terrible champ de mine. Sans. S'en. Rendre. Compte. Dans un soupir d'agacement, je lui ai espliqué ce que je pouvais, toujours sur ce ton de sermon chuchoté.

« Le domaine d'Halloween. Ça te dit rien ? Les humains, ici, ils fuient ou meurent. Ou ont BEAUCOUP beaucoup de chance. Et non, chuis pas humaine. Et non, y a pas d'humain ici. Juste des horreurs avides de peur et de chair fraiche. Alors un humain miniature comme toi, pour elles, c'est juste un snack. Compris ? »

Bon et pendant que je m'occupe de cette fée, je peux pas aller chasser les poupées de la Machine. Mais j'allais quand même pas la laisser comme ça, si ?

Quand on parle de mon nom, je ne peux m'empêcher de grimacer et de faire la gueule. Je me rappelle juste que je l'aimais bien, mon nom, et qu'on me l'a remplacé par un... qualificatif, jamais vraiment flatteur.

« Ici, on m'appelle Patches. Mais j'ai pas vraiment de nom, alors... Fais ce que tu veux. »

Le Démon Vert me l'a volé, de toute façon. Il paraît que les noms sont cachés dans la Lande, mais même si je suis une habitante d'Halloween, cet endroit me fout les jetons. Bref, vous avez compris. Comme vous avez compris qu'on arrive au moment où j'escorte cette fée.

« Oh bordel. »

Y a pas besoin d'être devin ou un mastermind pour savoir que cette fée refuserait seulement l'idée de partir d'ici sans en avoir décousu tous les secrets.

« Je veux bien, mais à deux conditions. »

Parce que c'était déjà assez angoissant de devoir supporter l'idée de la présence de la fée, si en plus elle se mettait en danger en faisant n'importe quoi...

« La première, c'est de rester dans ma poche pendant toute la visite. » Je lui montrais la poche placée sur la gauche de la poitrine. Elle était assez grande pour que la fée puisse s'installer et regarder. « Si tu en sors, quelque soit le prétexte, je t'assure que je t'escorte en dehors du domaine. »

Et puis la deuxième condition était très simple.

« La deuxième condition, c'est qu'une fois sortie, tu me promettes de NE PLUS REVENIR. C'est clair ? »

Un peu stupide de croire que ça allait être aussi simple, mais on sait jamais.

Au moins, le Maître de maison et les adorables petits cauchemars que je devais gérer étaient endormis. C'était ça de moins à gérer pour assurer la protection de la fée. Les autres serviteurs étaient assez intelligents pour savoir que fallait pas emmerder Mab. Enfin, je l'espérais. Dehors, ça allait très probablement pas être la même chose. Si seulement je pouvais mettre la main sur la garde-chasse. Je me sentirais un peu plus rassurée.

« Je suis juste une domestique. » répondis-je à l'interrogation de la fée, considérant en soupirant sa remarque. « Je m'occupe plutôt des enfants ici. »

J'avais peut-être fait une bévue en lui parlant des enfants. Mais basta. J'étais la guide, je décidais du chemin. Et pour le moment, dans les couloirs sombres et vides, je errais à la recherche de la garde-chasse.

Of course. Il fallait que cette dernière phrase l'intéresse. Mais ce n'était ni le moment de la journée, ni la période. Et ça, j'allais le faire comprendre peut-être un peu trop froidement. Je pense que si je m'étais vue dans un miroir, mon regard de colère m'aurait glacée. Ou peut-être que j'exagère. Je me rappelle juste d'avoir vu rouge rien qu'à l'idée.

« Non. » avais-je répondu froidement.

Puis, considérant que l'interlocutrice ne savait peut-être pas pourquoi j'étais aussi ferme, je lui expliquai mes raisons.

« D'abord, ils sont jeunes. Ils ont besoin de sommeil. C'est TRES important pour eux. Même s'ils sont morts, même si ce sont des vampires, le jour, ils ont besoin de DORMIR. Surtout en cette période de disette. Ensuite, il fait jour. Le Soleil risque de les tuer. J'ai même dû verrouiller certains cercueils de l'extérieur pour empêcher des vampirets d'aller sortir. Et enfin, comme j'ai déjà dit, ici, tout le monde a faim. Alors un humain miniature comme toi ? Même si ça ne peut même pas en satisfaire un, il va juste te sauter dessus pour te dévorer vivante. »

Décidément, cette fée n'avait aucun sens commun.

« Alors non. On n'ira pas voir les enfants. Ou le Maître de Maison. Ou qui que ce soit. On se promène, je te montre les environs, et on repart. Point. »

Si, peut-être la Garde-Chasse. Elle serait sûrement raisonnable, et m'aiderait à escorter cette sotte jusqu'à l'extérieur du domaine. C'est que malgré tout, j'ai pas envie qu'elle meure bêtement, cette idiote !

La petite fée s'excitait beaucoup trop pour sa position. A tel point qu'elle paraissait sortir dangereusement de la poche. J'entends bien que la découverte est une sensation intense, mais il faudrait qu'elle arrive à se mettre en tête qu'elle n'est PAS en sécurité ici, bordieu de del ! Au moins elle ne faisait pas mine de sortir, et reprenait plutôt son incessant interrogatoire. Si ça l'occupe, alors autant y répondre et subvenir à sa curiosité.

« Un vampire c'est... Hmmm... C'est comme un mort, mais qui peut marcher. Pour survivre, il doit boire du sang, d'humain généralement. Et puis le soleil c'est pas bon du tout. Les humains prennent des coups de soleil, parfois, ben les vampires c'est plus des coups de barbecue. Ils brûlent et tombent en cendres. »

Difficile de démêler le vrai du faux dans ce que j'avais entendu, mais avec les tentatives de Morgana et les regards de crainte et de respect envers la coupe de Big D, je pouvais déduire que le Soleil n'était pas forcément si dangereux et qu'il y avait d'autres faiblesses. Sauf peut-être pour le Saigneur. De toute façon, lui il est un peu en dehors du jeu, hein. Même si j'aurai sa cape un jour. J'ai tout mon temps, après tout.

« Et sinon, comme autres habitants... Y a Wilbone, qui devrait être je sais pas où. Elle fait ce qu'elle veut quand tout le monde dort, hein. C'est la garde-chasse du Maître. Y a d'autres vampires qui bossent avec moi pour garder les petits occupés, et j'ai vu des spectres se promener. Après je sais pas trop. Je suis pas Gouvernante. » Un léger silence gêné. « Et heureusement qu'elle dort... »

Bon. Pas de Wilbone en vue, elle devait déjà être partie. Et vu l'heure, Morgana aussi. Je ne savais pas si ça me soulageait ou m'embêtait. Mais je terminais par ma "chambre". Un désordre de brics et de bracs, des habits et outils de couture partout, ainsi que des poupées éventrées.

« Ici c'est mon domaine. Et ça clôt la visite. On peut rester ici discuter un peu, mais dès qu'on quittera cette pièce, ce sera pour quitter la lande. Compris ? »