Il fait encore nuit,
genre nuit toute noire, si noire que même l'Effacée mérite son nom.
Et ce malgré la blondeur platine de ses longs et soyeux cheveux, malgré la blancheur de sa peau,
Bref, en moins poétique, le cachet d'aspirine qu'est Christa s'était dissous dans les bras de morphée, c'est tout.

Elle dormait paisiblement même, pour la première fois depuis longtemps, depuis l'arrivée de Violet, plus agée mais presque aussi ingénue, tout avait changé ou presque, la savoir là, juste à coté, derrière le fin rideau de leur cabane de mère, la rassurait, et puis, les journées n'étaient plus les mêmes.

La nouvelle Mère elle n'avait pas vécu les catastrophes précédentes, et n'avait pas encore eu a gouter à cette amertume, a cette eau salée issues des vagues que Christa se gardait à l'âme. C'était, rafraichissant, elle n'étais pas spécialement expressive, pas spécialement impressionnante, elle était juste, là, et c'était assez.

La Jeune Blonde aimait cette compagnie, elles se devaient de partager leur vie, et c'était rassurant, cela devait être ainsi et pas autrement, elles n'avaient pas leur mot à dire, et tant mieux. L'effacée aimait cette présence, car elle était obligatoire, elle coulait sous le sens, elle était évidente et silencieuse, mais elle était bien là, et c'est tout ce qui comptait.

Se taire, et ne pas être seule.
Seulement, ce sommeil peut être trop léger pour durer se vit interrompu, quand quelques interrogations vinrent poindre à l'esprit de l'Apprentie, juste avant que le bleu de ses yeux ne se reflètent aux quelques rayons de Lunes, rares.

Alors, elle se lève, ses pas jusqu'au rideaux sont de velours, aucun bruit ne brise le silence.. et quand, après avoir remué l'épaule de sa collègue, sa douce voix se fait entendre, elle ne semble même pas dénoter dans la mélodie nocturne, elle est dans le même mouvement que le vent qui passe, que le bois qui grince.

-Dis... heu... Violet.

Impossible de le voir mais, elle rougit, en repensant à ces quelques premiers jours, et à tout ces moments partagés, ou, au détour de quelques remords, elle apprends à la nouvelle mère tout ce qu'il faut savoir, en repensant au moments d'égarement de sa collègue.
Elle s'en inquiétait oui, mais les trouvait aussi assez doux, ces moments.

-Quand je t'explique les choses... je vois que tu perds parfois tes yeux dans les miens.. je me demandais... tu vas bien ?

Ça fait beaucoup, tout fait beaucoup.

On lui a donné une responsabilité et une jolie Cabane, plus élaborée et ornée que celle des autres Perdus. Violet l’a accepté sans rien dire, Violet s’est laissé porter par la vie étourdissante de l’Arbre en essayant de faire bonne figure.

Le rôle de Mère est conséquent, c’est le moins que l’on puisse dire. Lorsqu’elle est arrivée, on lui a présenté son apprentie, une petite blonde à la voix douce qui semblait bien plus douée à son rôle qu’elle. L’Esquisse a fait sa connaissance puis a fait de son mieux pour apprendre tout d’un coup. La vie de Perdu, la vie de Mère, la vie à l’Arbre.

Forcément, ça fait beaucoup. Mais aussi sûrement que le temps n’existe pas, l’Esquisse finit par s’en sortir.

Cette nuit-là, après les contes et un temps de vide, à fixer la silhouette de la lune découpée par les branches, Violet a fini par se poser dans sa Petite Hutte ornementée, profitant du calme pour s’en griller une. A la lueur de lucioles prisonnières d’un bocal, la fumée prend une allure spectrale. Le silence, au sein de l’Arbre, est aussi rare que mortifère.
Un soupir. Ses vinyles lui manquent.

Un contact, sur son épaule. La Mère se retourne, fait face au visage familier de Christa. La voir ici ne l’étonne plus, elles vivent ensemble après tout. L’Esquisse n’a pas pu le choisir, mais il y a bien pire colocataire que l’Effacée.

-Dis... heu... Violet.

Elle la sonde, plante ses yeux marrons dans l’azur qui agite les siens.

-Quand je t'explique les choses... je vois que tu perds parfois tes yeux dans les miens.. je me demandais... tu vas bien ?

Oh.
Voilà autre chose.

L’Esquisse hausse les sourcils alors qu’un élan de surprise vient adoucir ses traits. Elle a dû se montrer trop insistante, oublier qu’elle ne pouvait pas se permettre de regarder les filles ici comme elle le faisait dans l’autre monde. Dans la lumière des lucioles, ses joues se colorent d’un rose traître.
Très embarrassant.

Raccrochant sa clope à ses lèvres, Violet soupire et étend sa main vers son calepin, au bois solide et aux feuilles parcourues d’une énergie magique. Un stylo, qu’elle sort de derrière son oreille. Que dire ?
Au moins, le calepin lui laisse le temps d’écrire.

Je vais bien. Elle ment, à demi. Je n’avais pas remarqué que je te fixais. J’espère que ça ne te dérange pas. Un temps. Violet tapote contre la feuille, puis se reprend. A quoi bon faire des mensonges ?

Ça doit être parce que je te trouve jolie.

L'Esquisse délaisse son carnet et le tourne vers la Mère apprentie, lui laissant découvrir la vérité, sans aucune attente derrière. De toute façon, Christa est trop jeune, mais c’est possible qu’elle se soit perdue dans son visage plus d’une fois. Ce n’est pas de sa faute si l’Effacée ressemble à un ange.

Oh, j'avais oublié de le mentionner ?
L'esquisse ne parle pas, ou plutôt peu, ces mots ne sont pas seulement rares, ils sont précieux.
Christa ne sait pas pourquoi, n'a pas posé la question (beaucoup trop tôt, elle n'oserait pas en la connaissant si peu)

Ca la rend énigmatique, à quoi peut bien ressembler sa voix ? Et surtout calme, la moindre communication devenant une épreuve, ainsi, elle ne vous fera comprendre les choses que si nécessaire. Sinon, il faudra les deviner derrières ses moues discrètes, ses jeux de regard, bref, ce qui, au delà des mots de son calepin, peut se lire sur Elle... C'est un bien joli Surnom pour Violet, L'esquisse..

Et D'ailleurs, là, elle n'userait toujours pas de sa voix, même dans la nuit, celle qui dévore la vue pour la donner à l'Ouïe, oui, cette situation serait compliquée, peut être un peu agaçante à la Longue, mais L'Effacée l'accepterait toujours, et si elle entendait un jour sa voix, elle en serait heureuse.

Parce qu'elle se doute bien que ce mutisme n'est pas "normal", qu'il ne vient pas de nulle part, derrière toutes les pratiques de privation se cachent des choix durs, souvent accompagnés des histoires qui y mènent.
Et la petite hésitation que Violet à, en écrivant son "je vais bien", ne fera pas changer Christa D'avis.
après tout, c'est si frais tout ça, elle est nouvelle, et même si elle ne traîne pas avec elle le poids de ce monde, elle porte surement le précédent sur ses frêles épaules.

La Blonde se rapproche de sa collègue, pour aider ses yeux à suivre, il n'est pas aisé de Lire en pleine Nuit.

-Oh non, tu ne me dérange pas je m'inqui...

Le message disparait, et avec celui qui le suit, la contenance de L'effacée aussi.
Jolie ? Sa conscience religieuse lui fait apparaître des images proscrites à l'esprit,
Jolie dans quel sens ?
Ca la trouble, elle ferme puis rouvre ses paupières quelques fois, comme pour se réveiller, mais le message est toujours là, c'est lui qui la regarde, même.

-Ouah c'est.. heu..

Rouge, elle tourne au rouge.

-Très gentil je...

Que faire, que dire.
A venir secouer les doutes de sa collègue, elle avait fait chuter de l'arbre ses propres insécurités.
Généralement, quand on la complimentait, elle pouvait éviter les mots, oublier de les écouter, mais là... c'était un peu de sa faute, quand même.

Il fallait bien dire quelque chose non ? Genre, "toi aussi" ou je ne sais quelle réponse préconcue pour lui retourner le compliment, et faire taire un peu le profond malaise qui s'installait.
Et qui de mieux qu'elle pour apprécier son charme discret.... ah
Ouai, personne n'y crois hein, écoutez, pour Elle, c'était compliqué. Ce n'est pas que sa compréhension faisait défaut mais... elle devait recoller quelques morceaux ca et là, accepter certaines choses peut être un peu trop moderne pour elle... Plus que l'affrontement de la parole et du néant, c'était celui de deux époques.

-Attends !

Petite Idée qui lui vient, elle attrape un tas de feuille et un vieux stylo à Bille qui trainait dans ses affaires (elle s'en servait surtout pour noter des recettes... et des noms.)
Et, en s'appliquant, elle écrit à son tour, en espérant que Violet ne trouve pas Insultant qu'elle retourne ses propres gimmicks contre elle.

Toi aussi

C'était pratique l'écrit, pas de bégaiement, pas de voix qui se casse, pas de bruit, juste l'intime.
En l'occurrence, là, les joues rouges, le sourire coupable, et la gêne.

Il y a quelque chose de comique, dans la réaction de l'Effacée. Dans ses joues qui se colorent, sa voix qui bafouille, la profonde surprise qui a déformé ses traits lorsque son regard est allé d'un bout à l'autre de sa phrase. Sans bouger, sans rien dire, l'Esquisse se demande si elle n'en a pas trop fait. Elle ne connait pas encore la sensibilité de Christa, ignore ses émotions si prenantes et sa vie d'Avant. Une telle réaction lui paraît un peu exagérée : c'était un simple compliment.

Après plusieurs débuts de phrases avortés, le regard de l'Effacée semble s'illuminer d'une lueur fugace. Avec intérêt, la clope toujours pendue à ses lèvres, Violet la regarde écrire à son tour avant de lui présenter deux mots soigneux, moins hésitants que sa parole.

Toi aussi

Au tour de Violet d'être surprise. Doucement, ses yeux passent de la feuille à la Mère apprentie. C'est la première fois qu'on lui répond ainsi, par mimétisme. L'Esquisse se rend compte que ça la touche. Elle ne s'y attendait pas.

Un temps. Se redressant, Violet expire un peu de fumée. Ce n'est pas toujours pratique de communiquer sans parler, mais elle s'y est faite. Elle en est venue à apprécier l'attente, le silence entre chaque réplique. Peu importe si ce n'est pas au goût de ses interlocuteurs.

Avec rapidité, elle griffonne quelques mots.

Merci ツ j'espère que mon regard ne t'a pas dérangée. Je ne veux pas te mettre mal à l'aise.

Une pause. En relisant ses mots précédents, la Mère se rend compte qu'elle a déjà écrit quelque chose du genre juste avant avant, finit par hésiter puis n'efface rien. Avec rapidité, sa plume parcourt le calepin.

Je me rends compte qu'on a jamais eu le temps de vraiment discuter avant ce soir alors je te le dis maintenant : merci de m'avoir bien accueillie quand je suis arrivée ici.

Ça fait beaucoup, déjà. Délaissant son carnet, Violet le présente à sa collègue. Son spleen se met en retrait, chassé par la perspective d'avoir quelqu'un avec qui discuter, ce soir. Et puis, Christa est jolie. Et mystérieuse. L'Esquisse ne sait rien d'elle, cette soirée sera peut-être l'occasion d'en apprendre plus.