Ravi d’avoir été réveillé par un énième cauchemar, Kaze a été franchement insupportable une bonne partie de la journée—et le pire c’est de ne garder aucun souvenir de ce qui a peuplé sa nuit. Très certainement un vent particulièrement glacé. En tout cas, il n’est pas le seul a vivre ainsi depuis la fin du Givre. Malgré la fatigue, Kaze s’est préparé pour sa journée, enfilant maladroitement une veste en cuir pas forcément adaptée à la température clémente.

Sur le navire de Zeb, il a été physiquement présent, et mentalement un brin moins. Bosser, ça lui vide l’esprit, même s’il s’est maudit d’avoir oublié son déjeuner (parfaitement emballé dans un tissu sur un côté de la table, juste qu’il était pas assez réveillé pour le prendre). Bien sûr, sa sœur ne va pas lui apporter, elle était déjà partie au taf avant même qu’il ne se tire du lit.

Il en est à son cinquième bâillement, Caelum roulé en boule de la capuche de son haut sans manches, lorsqu’il décide d’aller chez les Delaware—son déjeuner servira de repas tardif, et il ne supporte plus les bruits ambiants du Port d’un coup. Ce qui arrive malheureusement régulièrement. Au moins, Kaze connaît le chemin par cœur, et ses boucles d’oreilles à gauche émettent un tintement métallique lorsque la chaîne heurte le reste, qui le berce presque pendant sa marche.

On sent les bisons avant de les voir—la plaine en elle-même a une odeur que Kaze apprécie, tandis qu’il effectue un léger détour, ne se doutant nullement que quelqu’un d’autre ne passe pas spécialement une super journée. Lui ne craint pas les bisons, certainement par flemme de s’en inquiéter, ou bien parce qu’il sait se montrer posé et attentif.

Le petit détail qui l’a marqué, en vérité, c’est de voir un papoose voler dans le décor et se casser plusieurs côtes après avoir raté plusieurs coups de lasso.

Caelum émerge tout aussi difficilement que son compagnon, sa petite tête sortant de la capuche pour lancer un regard perplexe aux bêtes imposantes.

Le cri, par contre, c’est moins calme. Kaze baille une sixième fois depuis la fin de son service, étouffant le son contre le revers de sa manche ; au loin une silhouette. Et un autre cri. Kaze n’était pas assez proche pour le premier, donc il s’arrête à deux. Cette fois, c’était une demande à l’aide—urg.

Le pirate hésite—il y a forcément un certain danger à aller là-bas, surtout si la personne panique et qu’elle énerve un troupeau entier. Caelum s’enroule contre son cou, obligeant Kaze à le virer pour ne pas se faire étrangler par affection. Agacé, le Néfaste place le furet sur son épaule, sachant très bien que Caelum est aussi prompt à rester en place une fois réveillé que le Second à rire.

Beugler ‘faut pas crier’ lui semble contre-productif. Ne rien dire aussi.

« Hey ! » Qu’il lance, de loin, levant un bras pour indiquer sa présence, « res’e calme. »

C'est un pas décidé quoique dénué d'inquiétude que Kaze se rapproche.

Un instant, il en a oublié qu'il était pirate maintenant, et que c'est une enfant au loin.

Les bisons doivent être doux, avec leur épaisse masse sur le dos, et ça serait pas mal comme lieu pour une sieste. Au risque de faire piétiner par contre—Kaze préfère éviter de tenter le coup. D’autant plus que déjà la jeune fille le rejoint, visiblement plus assurée maintenant qu’elle n’est plus seule au milieu du troupeau. Déjà, qu’est-ce ce qu’elle fout là ?

A la phrase qu’elle lui lance, presque nerveusement, le jeune pirate en déduit que c’est une surprise mutuelle.  Pas que ça réponde en quoi que ce soit aux questions qui lui traversent l’esprit. Une moue pleine d’ennui sur ses traits, pas qu’il veuille l’offenser, juste que la situation est peu commune, pour ne pas dire bizarre, Kaze marque une pause dans son avancée.

Autant garder une distance de sécurité. D’une main, il pointe au loin. « Delaware. » Pour tourner son poignet et désigner les alentours. « Plaine 'es bisons. »

Caelum profite que sa main soit en mouvement pour descendre le long de son bras, pattes qui laissent de fines marques contre sa peau. Avant que le furet ne puisse utiliser la paume tel un tremplin, et qu’il ne saute sur la fille, Kaze referme sa main, agitant gentiment la saucisse qui se déhanche en baillant. « Cae, non. » Quelle autorité ! Totalement inefficace, et il repose la bestiole sur son épaule, certain qu’elle tentera le même jeu une seconde fois.

« Caelum, » Kaze effectue un mouvement de tête vers le furet, prêt à donner son nom juste après.

Lequel.

C’est une gamine, et les enfants et les pirates ne s’entendent tout simplement pas. Une sorte d’ordre pré-établit dont il se fout jusqu’à ce que ça lui retombe dessus. Quel nom donner, hein ?

« Ibijau Assou'i. T’es per’ue ? » Pas forcément un mensonge, après tout, elle n’a pas demandé son nom actuel, d’ailleurs elle n’a rien demandé du tout.

Impossible de la raccompagner au Grand Arbre—c’est pas qu’il aurait envie d’y remettre les pieds même en étant capable. Un peu plus loin, un bison s’est posé contre un congénère pour ce qui semble être une pause bien méritée après un broutage intensif de la plaine.

L’adolescente interrompt ses pensées de sieste pour faire le point sur sa situation et, tout de suite, ça rappelle quelque chose à Kaze-temporairement-Ibijau, une histoire de sa sœur au sujet de triangles. Rien de bien sensationnel, pour l’île où tout est perpétuellement figé et en mouvement à la fois. De toute façon, il a rien écouté à ce que disait Rain. Il étouffe un bâillement, l’impression d’entendre les voiles de la Zorra dans un coin de sa tête tandis qu’il regarde Caroline.

On dirait un nom de mère—quoique Kaze-Ibijau n’est pas sûr, imitant sans le vouloir le questionnement de son interlocutrice. Du moment que de n’est pas une Soigneuse, ça lui va. Pas envie de croiser des gens de son ancien groupe. C'était... Mary, non ? Sa mère.

« T’veux aller au cam’ ? » C’est pas si loin, et puis elle n’a pas l’air à l’aise au milieu des bisons, « y son’ ‘as méchants, » qu’il explique, avec un ton posé quoique emprunt de fatigue.

Peut-être qu’il y aura quelqu’un de l’Arbre capable de la raccompagner jusqu’au bout avant la soirée. Ou bien qu’elle pourra au moins se poser et manger un truc.

« J’y vais aussi, au cam’. »

Moins que le Port étant approximativement la pire réponse qu’il peut offrir, Ibijau reste silencieux un moment après la question. Il n’en sait trop rien, pas habitué à réfléchir en taille—même le Grand Arbre, il peine à s’en souvenir parfaitement, il n’y a que la cabane des Soigneurs qui puisse servir de point de repère. « Non, ça ‘asse, » qu’il offre, se disant que ça ne répond pas vraiment à ce que Caroline vient de demander.

Aujourd’hui, d’après ce qu’il en sait, il n’y a pas de festivités spécifiques de prévues, donc ça ne devrait pas être le bazar, en plus il est encore tôt. Dire qu'il aurait pu visiter Ibis, mais là ça serait pas l'idéal d'abandonner la fille au milieu du camp pour faire autre chose, « T’sors ‘as beaucou’, » qu’il remarque, soudain pris d’un doute qui ne lui plaît guère.

« Soigneuse ? Ou Mère ? » Qu’il ajoute en se disant que ça reste l’option la plus logique. D’un pas tranquille, il effectue un demi-tour, histoire de pas traîner là trop longtemps.

Caelum, tout curieux, se redresse dans la capuche, observant Caroline pour savoir si elle compte jouer avec lui ou pas.

Ah oui, les Artisans. Pas un groupe dont il était proche—tant mieux, moins de chance d’être reconnu par une parfaite inconnue. Le Grand Arbre lui apparaît tel un géant étouffant, un manque de place et un bruit constant ; il a du mal à imaginer comment les enfants font pour y rester quasiment en permanence. Lui en serait bien incapable.

Kaze n’a guère d’anecdote à partager en retour, sinon il risquerait de s’exposer à un potentiel combat—ce n’est pas son truc, de tabasser des gosses. Nan, en ce moment son délire c’est plutôt de se prendre une corde en plein visage parce que cet imbécile d’Hubert ne l’avait pas attachée correctement. C’est très lourd, un cordage de navire, il l’a découvert à ses dépens. Son visage a gardé la marque pendant un petit moment et c’est toujours un peu rouge, vers un œil, au niveau du sourcil.

« Hm ? Cae mor’ ‘arfois, ‘as fort, » qu’il prévient en hochant la tête. Le furet mordille plus qu’il cherche à bouffer la personne, et son truc c’est plutôt de chasser les pieds des gens. Ses pas ralentissent un peu, tandis qu’il tourne la tête vers la créature dans sa capuche, espérant qu’elle se tienne bien.

Le scénario le plus plausible c’est qu’après quelques caresses, Caelum grimpe sur Caroline pour venir l’inspecter. Et qu’il lui choure un truc comme un bouton ou n’importe quoi dans une poche. Très kleptomane, le furet.

Caelum s’élance dès qu’il en a la possibilité, ses petites pattes s’accrochant aux habits de Caro jusqu’à trouver ses épaules. De là tout est un jeu, une découverte—vas-y que la bestiole fouille ses cheveux, mordille une oreille, et qu’il cherche n’importe quoi à piquer. Comme si le dessous des meubles de la maison manquait de trésors quelconques.

Conforté dans sa quête, qui est forte importante, Caelum continue son escalade humaine, terminant dans la chevelure de l’adolescente, ses pattes avant qui pressent contre le front de Caroline pour conserver un vague équilibre. A cet instant, le furet est le roi du monde !

Même Kaze, d’ordinaire peu expressif, pouffe un peu face à la scène, se retournant pour marcher à reculons en observant le duo.

« Cae ! » Aucune écoute ne sera apportée, Caelum bien trop ravi de son nouveau compagnon de jeu gigantesque. En baillant, le furet s’étire et dérape, effectuant une roulade sur le crâne de Caroline pour effectuer un atterrissage de saucisse molle contre son épaule. Kaze secoue la tête, peu surpris.

Caelum peut faire le pitre autant qu’il le souhaite ; ça arrange Kaze que le furet soit au cœur de la scène à sa place. Plus son esprit s’y attarde, moins il parvient à envisager une entente quelconque entre Caroline et lui si elle venait à apprendre son identité. Après tout, lui-même avait une haine profondes envers les pirates, à une époque qui lui paraît si lointaine qu’elle s’est floutée.

« Furet, » qu’il répond sans hésitation, « j’savais ‘as non plus, au ‘ébut. » Qui lui a dit ? Aucune idée, probablement un.e pirate qui passait par là. « Carnivore, l’furet. Dort beaucou’ aussi. » En spécialiste animalier de premier ordre, Kaze poursuit sa description.

« Cae aime les œufs crus, et la vian’e. » Et les élastiques à cheveux, les brosses, les baguettes, les chaussettes—vraiment la quantité de trucs qu’il retrouve sous les meubles là où le furet les planque est une source inépuisable d’amusement. Pour Caelum. Moins pour Kaze.

La bestiole se blottit dans les mains de Caro, appréciant visiblement le contact.
Bon, ils ne doivent plus être si loin du camp, leurs chemins se sépareront là, non ?