Dans un coin de son champ de vision, il reconnaît la lueur jaunâtre de Volt qui vient se poser sur l’épaule de Scar. Il décide pourtant de ne faire aucun commentaire ou de ne lui accorder aucun regard : ils n’ont vraiment pas le temps pour ces conneries.

« Oui, bonne idée. Je vais laisser la chienne avec- »

Scar s’interrompt, coupé par la voix étouffée du blessée qui leur parvient comme un râle de douleur à peine articulé.

« P... Pilate... Pilate… »

Just échange un regard entendu avec son chef. Pas besoin d’être sorcier pour comprendre ce qu’il essaye de leur dire, surtout dans un pareil contexte.

« Pirate ? Oui, oui on s’en est douté.
— Tu devrais garder tes forces, vieux. »

Conscients du danger – ou peut-être pas tant que ça, les sentinelles poursuivent les opérations. A quelques pas de là, Just met la main sur deux bâtons dont il éprouve la résistance avec le genou. Ouais ça pourrait faire l’affaire.  

Il capte l’agitation à côté, lève le nez et découvre un Scar en position d’attaque. Volt à côté, Just reconstitue le tableau sans trop de difficultés et décide de ne pas s’en mêler. Il tire le drap de son sac et commence à le nouer aux extrémités de ses bâtons.

Quand il les rejoint, il choisit résolument d’ignorer Volt qui semble désormais faire partie de l’équipe. Il est en mission « redorer le blason » et il n’a pas besoin de la fée pour tout faire capoter. C’est pas le moment de rappeler à Scar l’existence d’Apache ou des événements de la Boum.

Il étend son brancard improvisé à côté de Right. C’est pas tout à fait assez long mais ça devrait être assez solide pour le soutenir quand ils le poseront dessus. Enfin, il l’espère.

« Qu’est-ce qu’on fait ? J’aime pas trop l’idée de me balader à découvert avec les mains prises mais Right peut pas attendre. »

Bon, la fée n'a pas l'air ravie mais pas trop amochée non plus. Scar a bien vu les étincelles électriques parcourir le petit corps cependant, comme il s'agit de son élément, ça ne doit pas être très dangereux pour Volt. S'il ne peux pas voler ils le porteront. Trop pris par l'urgence, il ne fait pas attention aux tintements féerique et n'entend pas la sage proposition.

Qu’est-ce qu’on fait ? J’aime pas trop l’idée de me balader à découvert avec les mains prises mais Right peut pas attendre.

S’accroupissant à côté du brancard de fortune, le Chef en teste rapidement la solidité; tirant sur les branches et les secouant un peu.

C'était rapide et ça a l'air de bien tenir. Merci, ça va nous faciliter la vie. Et la chienne nous avertira s'il y a quelque chose.

Près de lui Right est à nouveau très silencieux, inerte. Le Rouge ne parvient pas à voir si la poitrine ensanglantée et bandée se soulève ou non et ça l'alarme. Il rapproche son oreille des lèvres du blessé entre lesquelles filtre un souffle mince.

Hey ! se redressant, il lui assène une petite tape sur le côté du visage histoire de le réveiller un peu Reste avec nous, mec ! C'est pas le moment de dormir.

Tout à coup il a une idée, probablement une idée à la con mais il fait avec ce qu'il a.

Se tournant vers Justice il lui demande Aide Volt à venir jusque là je crois que ses ailes sont mouillées. puis il s'adresse à la fée Tu veux bien nous prêter un peu de poussière ? S'il flotte on le ramènera plus vite. Je te revaudrai ça.

Ils trouveront bien un moyen de lui faire avoir des pensées heureuses...

Son chef s’accroupit devant son brancard pour en éprouver la résistance. Just ne s’inquiète pas : il pense avoir trouvé du bois solide et la couverture qu’il a noué à leurs extrémités devrait tenir le poids de leur blessé. C’est une fille artisan qui lui a filé l’astuce. S’il se rappelait son nom, il la remercierait.

« C'était rapide et ça a l'air de bien tenir. Merci, ça va nous faciliter la vie. Et la chienne nous avertira s'il y a quelque chose. »

Lorsqu’ils tournent la tête vers Right, les sentinelles remarquent que leur collège est drôlement sage. Tellement sage en fait, qu’on pourrait croire qu’il vient de caner. Le Rouge s’empresse de vérifier sa respiration avant de lui asséner une petite tape sur la joue.

« Hey ! Reste avec nous, mec ! C'est pas le moment de dormir. »

La Main serre les dents tandis qu’elle envisage tous les risques, toutes les issues les plus sinistres. Ils allaient devoir se trimballer un brancard en milieu hostile, sachant que le ou les pirates étaient peut-être dans le coin. Ils allaient aussi devoir le garder éveiller, aussi. Donc en clair, ils allaient manquer de… mains.

« Aide Volt à venir jusque là je crois que ses ailes sont mouillées. »

Scar donne ces directives et Just commence à reconstituer le puzzle et l’image ne lui plaît pas. Ils allaient avoir besoin d’aide, oui. Et manque de mot, la seule aide disponible c’était…

« Trouvez...bzzzt, moyen...bzzzt, sécher...bzzzt, peux aider...bzzzt, poussière....bzzzt fée. »

Le sentinelle laisse échapper une brève grimace avant de se retourner nonchalamment vers la petite chose qui s’agite et grésille dans une flaque d’eau à quelques pas de là. Il la rejoint en quelques enjambées, s’accroupit devant elle.

Volt et l’eau, c’est un cocktail dangereux, il le sait. Alors, armé comme à son habitude, Just ouvre sa veste pour tirer de sa poche intérieur un vieux gant en cuir râpé. Il y fait glisser ses doigts jusqu’à bien toucher le fond, tire sa manche pour ne pas laisser la peau de son bras exposée.

Deux doigts, c’est tout ce qu’il lui faut pour pincer l’encolure de la petit fée et la soulever lentement, la laissant s’égoutter au-dessus de sa flaque comme un genre de serpillère.
Just lève Volt à hauteur de ses yeux froids, entre ses mâchoires crispées, sa voix s’échappe comme un sifflement menaçant.

« Ne fais pas tout foirer, Volt. », qu’il souffle tout bas, de manière à ce que seul son petit interlocuteur puisse l’entendre.

Il baisse les yeux vers la flaque et l’espace d’un instant, sa prise se desserre comme s’il menaçait de le lâcher.

« Je m’en souviendrai. »

Ça sonne comme la promesse d’une récompense. Mais ça pèse comme un avertissement.

Message passé, Just pose la fée sur son épaule et rejoint son chef, ayant retrouvé son air grave teinté d’inquiétude pour son collègue.

« Tu veux bien nous prêter un peu de poussière ? S'il flotte on le ramènera plus vite. Je te revaudrai ça., fait Scar à l’adresse de l’intrus.
— Volt peut produire des petites décharges. Peut-être qu’il pourrait aussi maintenir Right éveillé pendant qu’on le transport. », suggère la Main, toujours aussi peu enclin à s’adresser directement à la fée.

De toute façon, elle n’avait pas son mot à dire.

Volt s’éjecte de son épaule dans une vilaine décharge électrique. De surprise, mais aussi dans un mouvement de colère mal réprimée, Just fait un pas pour l’étriper mais se ravise aussitôt. Franchement, ça ne serait pas difficile. La fée peine à voltiger, on dirait un moustique ou un avion en panne. Il aurait pu la choper au vol sans mal et l’écraser dans sa main. Mais devant Scar, ce serait pas bon pour son dossier.

Quoique le chef en question aurait peut-être préféré ça à l’Alcaline qui s’essuie sur lui sans faire gaffe au jus.

« Bon ça suffit, grouille-toi, s’impatiente Scar.
— Ouais, c'est mieux là ! », fait Volt sur l’épaule de Scar en lissant ses ailes comme une grosse mouche.

Après ces quelques instants gênants, la fée effectue quelques rondes au-dessus du blessé pour laisser pleuvoir sa poudre magique avant de se poser sur lui et commencer le travail. Bientôt les cheveux de Right s’hérissent et Just admet que ça lui va bien. Mais quand ses yeux s’ouvrent, il a l’expression d’un animal blessé au bord de la panique et ça lui fait se sentir presque coupable.
Il a rien fait pourtant. Enfin, pas encore.

« Maintenant bon courage pour les pensées positives... »

Volt ne se rend pas compte de la colle qu’il leur pose. La Main échange un regard avec son chef où se lit un mélange d’appréhension et d’incertitude. Malgré leur vie sociale correcte, personne n’irait dire qu’ils soient particulièrement doués en compliments.
Just use des sentiments avec précaution, comme le mazout dans le fourneau. Prudemment, pour ne pas se brûler.

« Euh...
— Hm. »

Right a plein de qualités humaines, ça devrait pas être difficile de lui faire plaisir avec quelques compliments. Pas vrai ?

« Ça va aller, ça fait mal mais c'est rien de grave. », lui assure Scar. « Dans quelques jours t'es sur pieds c'est sûr. T'es un mec costaud... »

Ce qui indéniablement vrai mais quand même. Est-ce qu’ils peuvent se permettre de lui faire des promesses comme ça ?

« Oui. Une balle ça n’a jamais tué personne. », murmure le sentinelle, sans doute trop bas pour être entendu.

Il se reprend. C’est le moment de montrer qu’il s’inquiète pour Right, que c’est quelqu’un d’impliqué et de fiable. Alors il va falloir y mettre de l’énergie et de l’enthousiasme. Il sait qu’il en est capable tant qu’il n’oublie pas sa motivation : rester en vie.
Le sentinelle se rapproche du blessé, s’accroupit devant lui et reprend donc du ton de la conversation :

« Regarde-toi, on dirait un héros de guerre. T’en fais pas, t’en as vu des pires. », il pose une main sur l’épaule de Right, la serre doucement pour lui faire sentir un genre de chaleur humaine qui lui échappe un peu. Il ne s’en rend pas compte mais ce sont les mots de son père qui lui sortent de la bouche : « T’es un
battant. »

C’est un peu bizarre de dire tout ça à Right qui a les yeux révulsés et qui respire bruyamment. Mais bon, il faut juste faire abstraction de ce qu’on voit et de ce qu’on entend.

« Y’a une rumeur chez les sentinelles. Tu vas rire : il y en a qui disent que Scar t’envisages comme successeur potentiel. Dingue, non ? Enfin, ça m’étonne pas. Il dit souvent qu’il est fier de toi quand t’es pas là. Lui dis pas que je te l’ai
répété. »

Il glisse un regard contrit vers Scar qui semble s’excuser pour le paquet bobards qu’il est en train de monter et une invitation à jouer le jeu. Une vie est sur le feu, quand même.

Y’a une rumeur chez les sentinelles. Tu vas rire : il y en a qui disent que Scar t’envisages comme successeur potentiel. Dingue, non ? Enfin, ça m’étonne pas. Il dit souvent qu’il est fier de toi quand t’es pas là. Lui dis pas que je te l’ai
répété.

Jusque-là Scar avait profité du relais de son sentinelle aux mots doux pour jeter un oeil autour d'eux, repérer sa chienne, s'assurer que ce qui avait attaqué Right ne les suivait pas.

Mais à ces mots son attention revient brutalement à Justice. Celui-ci a presque l'air désolé, quoique probablement pas autant que le Rouge.

T'inquiète, on va te ramener à Owl! Il va te remettre sur pieds en moins de deux!

Le Chef glisse un regard à la fée puis à Right qui se met tout à coup à flotter légèrement. Merde ça fonctionne; une idée aussi con, ils vont pouvoir le transporter au petit trot s'ils parviennent à le garder en lévitation.

Il a raison. Tu peux être fier de toi, je suis fier de toi.

Prenant le blessé par les épaules, Scar le guide doucement vers le brancard.

T'es le seul gars sur qui je peux vraiment compter.

C'est dit avec un peu de piquant, il peut pas s'empêcher, alors qu'il l'attache au brancard par la taille pour être sûr qu'ils le perdent pas en route.

C'est pas simple de trouver des gens honnêtes comme toi. il en rajoute Je sais que si c'était moi à ta place tu me laisserais pas crever non plus. Alors tu dois tenir, ok ?

Soulevant lentement un côté de la civière, il fait signe à Justice de prendre l'autre extrémité.

Les encouragements semblent fonctionner. La face sanglante et tuméfiée de Right se moue en un genre de sourire, ses deux petits yeux verts devenus humides. Comme pour un tour de prestidigitation, le corps massif du sentinelle, raide comme une planche, s’élève au-dessus du sol. Scar le déplace dans l’air comme un chef de chantier, le harnache solidement à leur brancard de fortune.

« Il a raison. Tu peux être fier de toi, je suis fier de toi. », fait le Rouge. « T'es le seul gars sur qui je peux vraiment compter. »

Just sent le reproche à peine dissimulé, jette un regard discret vers son chef. Il n’y répond pas, opte pour une attitude humble et repentante. C’est mérité, sans doute.

« C'est pas simple de trouver des gens honnêtes comme toi. Je sais que si c'était moi à ta place tu me laisserais pas crever non plus. Alors tu dois tenir, ok ? »

Ouais enfin là, il devient mesquin. Même si c’est vrai.

Les deux sentinelles soulèvent la civière et se mettent en routent d’un pas rapide mais prudent. En temps normal, ils auraient peut-être préféré courir mais l’enchevêtrement de racines à leurs pieds forme une toile traitresse, parfaite pour trébucher.

« On coupe par la rivière ? », demande Just à Scar.

D’un côté, l’état de Right ne leur permet pas trop de détours. De l’autre, les rives sont exposées aux attaques, des pirates comme d’autres créatures qui fréquentent les cours d’eaux.

Avant qu’ils n’aient trop le temps d’en débattre, un projectile siffle au-dessus de leur tête, se fraye un chemin dans les feuillages avant de se ficher dans l’écorce d’un arbre un peu plus loin.
C’était quoi ça ?