Freckles savait que les rangs des garçons perdus s’étaient amoindris, mais jusqu’à ce qu’ils réintègrent le Grand Arbre, il ne se rendait pas compte d’à quel point. Maintenant, il le voit. Quand il traverse les passerelles, salue les artisans en train de réparer les dégats du givre, quand il passe devant les entrainements à l’arène, quand ils mangent tous ensemble le soir, il ne peut s’empêcher de remarquer tous ceux qui manquent à l'appel. Tous ces gamins morts, perdus, éparpillés aux quatre coins de l’Île et jamais remplacés. Mais maintenant que Peter Pan est sorti de son cocon, les escapades dans le Monde Ordinaire sont de nouveau au menu. La veille, il lui a présenté tout fier une fille blonde à l’air effacé. Freckles ne sait même pas ce qui est arrivé à Alice. Quand il a dit son nom, Peter a juste eu l’air perplexe. Il a laissé tomber.

Il y a eu une grande fête pour accueillir les quelques nouveaux. Et puis maintenant c’est le matin. Et c’est à lui d’expliquer tout le reste à la nouvelle mère des livreurs. Après l’appel, il l’attend hors de la cabane, un peu nerveux. Il a plus trop l’habitude.

« C’est Mirela, c’est ça ? »

Il demande pour la forme. Il sait qu’elle s’appelle Mirela. C’est joli comme nom. Embarrassé, il se frotte le bras distraitement.

« Moi c’est Freckles », il dit, un peu inutilement – Bow a déjà du lui dire qui il était, ou Peter, ou les gosses. « Je dois te faire visiter. Si tu veux. »

Il se rend compte qu’il dit ça comme si c’était une corvée qu’il est obligé de faire. Vraiment rouillé, l’accueil. Pour compenser, il offre à Mirela un de ses grands sourires. Ça au moins, il a pas oublié comment on fait.

Mirela s'est levée hagarde, ayant presque oublié un instant, dans la brume du réveil, que tout ça n'avait pas été le simple songe d'un esprit qui veut s'échapper. Et puis, gentiment, l'odeur de sève des planches de pin qu'on avait clouées à la va-vite la veille pour boucher un trou dans sa hutte a fait son chemin jusqu'à elle. Souvenir olfactif qui a amené à sa suite ceux de la veille et de la fête.

Difficile à dire si elle s'y est vraiment amusée, à cette fête. Des enfants, plus qu'elle n'en avait jamais vu à la fois. Trop de monde et trop de choses nouvelles pour ses sens affûtés d'enfant sauvage et solitaire. Toutefois, pas totalement insensible à la bonne humeur et la joie de Perdus, elle a pu entrevoir l'espace de quelques heures ce que pourrait être son futur ici.

Ce matin, c'est avec le Chef du groupe qui lui a été attribué : les Livreurs, qu'elle doit faire plus amplement connaissance. Elle ne l'a que brièvement croisé pendant la fête mais il lui a fait une bonne impression.

Lentement, parce qu'elle a un peu d'avance, la Songeuse brosse ses longs cheveux de la couleur des blés sauvages avant de les natter en une tresse épaisse qu'elle laisse reposer sur son épaule.

***

Pendant l'appel, le premier auquel elle a participé, les enfants de son groupe et  surtout les plus petits lui ont adressé des regards mi-curieux mi-intéressés tout le long de la réunion. Elle a essayé d'y répondre en sourires sans encore vraiment savoir comment se comporter avec eux. Nouvelle arrivée dans la meute, elle se dit qu'il lui faudra probablement quelques temps pour y trouver sa place et incarner son rôle de mère louve.

***

A l'extérieur Mirela est tout de suite plus détendue, plus distraite aussi. Elle ne se lasse pas de glisser les doigts sur le troncs immense du Grand Arbre, de humer l'air forestier qui y règne.

C’est Mirela, c’est ça ?

Elle tourne la tête vers le garçon, presque surprise de se faire adresser la parole, qu'il ne s'agisse pas là encore de l'une de ses rêveries solitaires.

Moi c’est Freckles. Je dois te faire visiter. Si tu veux.

C'est un mot qu'elle comprend bien que difficile à prononcer pour elle. Freckles. Il semble presque mal à l'aise, elle se demande pourquoi, mais il reprend vite confiance en lui offrant un sourire auquel elle ne peut que répondre. Le sien est moins extravagant mais très sincère.

Oui je veux bien. Merci Frrekols. elle fronce les sourcils, n'arrive pas à empêcher sa langue de rouler le ''r''. Il lui faudra un temps.

Silencieuse un instant, elle l'observe; ses yeux brun doux mouchetés de vert glissent sur les joues tachetées de soleil du Chef et ses cheveux qui ressemblent aux feuilles des hêtres pendant le plus éclatant des automne.

Si cela le met mal à l'aise, la Songeuse n'y fait pas attention.

J'ai remarqué. Les autres se donnent des noms, des noms différents du vrai. Des surnoms, oui. Quel est le tien ? demande-t-elle, curieuse.

Mirela le regarde avec attention, comme si elle voulait mémoriser à quoi il ressemble. Il y a quelque chose de très doux chez elle, pensif. Dans sa voix aussi. Quelque chose qui donne à Freckles envie de tout diminuer d’un cran.

« Oui je veux bien. Merci Frrekols. »

Son sourire se fait presque attendri du coup, en l’entendant buter sur son nom. Elle n'est pas la première. C'est un peu difficile pour les gamins dont l’anglais n’est pas la langue maternelle. Mirela poursuit :

« J'ai remarqué. Les autres se donnent des noms, des noms différents du vrai. Des surnoms, oui. Quel est le tien ? »

Il répond sans réfléchir :

« Oh tu peux m’appeler Freck, si c’est plus simple. Ou ce que tu veux. »

Et puis il comprend de quoi elle veut parler. Sent ses joues rougir un peu malgré lui. Il fallait qu’il passe pour un con pendant leur première rencontre, sinon c’est pas drôle.

« Oh, tu veux dire. Les surnoms de … Ouais. Euh. Le mien c’est le Lionceau. »

Il n’a pas de problème avec son surnom. Quand les gens l’utilisent pour parler de lui, ou même pour lui parler directement, il tilte même pas. Mais le donner là, à la nouvelle mère des livreurs, il ressent comme un truc qui ressemble à de la honte. Le Lionceau, c’est pas la Lame, le Rouge, ou la Gueule Cassée, ça fait mignon, ça fait bébé, et c’est le dernier truc qu’il veut qu’elle pense de lui. Mais c’est aussi pas un choix. Il hausse les épaules d’un air gêné, et sourit de nouveau.

« Toi aussi t’en auras un. Normalement » Si elle tient assez longtemps, il pense, sans lui dire. « C’est jamais moi qui les trouve mais bon. »

Freckles n’a jamais été réputé pour son imagination.