Cygne, au premier coup d’œil, on se dit qu'elle n'a rien d'une Delaware. Elle n'a pas leur peau mate, elle n'a pas leur sourire resplendissant, elle n'a pas leur étincelle de joie dans les yeux ni leurs peintures sur son visage, ni même leurs tatouages sur la peau.

Cygne, elle est blanche, blanche comme les plumes de l'oiseau dont elle a hérité le nom, des pieds à la tête, jusqu'à ses cheveux blonds si pâles qu'on se demande de quelle couleur ils sont vraiment. Sa seule marque, c'est celle qu'elle a sur le bras droit, cette cicatrice qui, elle l'espère, ne s'en ira jamais, lui rappelle pourquoi elle est là et la réconforte même parfois. Elle a le visage austère, Cygne. De son regard bleu qui transperce à son absence de sourire, de ses silences pleins de sens -elle qui n'use des mots qu'avec parcimonie- à ses froncements de sourcils, on se dit qu'elle ne doit pas être marrante, Cygne.

On se dit qu'elle est froide, qu'elle est dure quand elle interdit aux plus petits de monter jouer dans l'arbre et qu'aucun de leurs yeux doux ne parvient à la faire flancher. Parce qu'elle est inflexible, Cygne. Entêtée qu'elle est. Mais si elle s'obstine, c'est parce qu'elle a vu le nid perché à mi-hauteur et l'oiselle qui le protège férocement, prête à attaquer ; c'est parce qu'elle l'a observé longtemps, sans rien dire, l'arbre, et qu'elle a remarqué qu'il était fatigué, fatigué que les plus petits y montent sans arrêt, tellement que l'une des branches sur laquelle ils vont tout le temps menace de céder sous le poids du prochain. Elle ne s'entête jamais pour rien. C'est qu'elle fait très attention aux détails, Cygne, et qu'elle protège sa tribu comme n'importe quel membre.

Cygne, elle n'était pas des leurs, mais elle l'est devenue. En voulant rejoindre un frère, elle a trouvé une famille, et maintenant elle hésite et oscille entre deux univers auxquels elle n'est pas certaine d'appartenir. Elle est loyale, Cygne. Fidèle au-delà des mots. Tellement que ça la déchire de l'intérieur de se dire qu'elle pourrait encore avoir à quitter un monde pour rejoindre l'autre.

C'est une rêveuse, Cygne. C'est peut-être pour ça qu'on ne l'entend pas trop, dans le Camp. Elle reste souvent là à fixer les autres sans les voir, semblant survoler l'agitation ambiante. C'est qu'elle a l'habitude de ce genre d'atmosphère, Cygne. Même si elle ne s'en souvient pas vraiment. Elle ne s'en souvient pas et pourtant cela lui tire un sourire doux, léger et éphémère, comme un secret qu'elle emporte avec soin au fond de son cœur. Elle en fera des histoires, qu'elle mêlera à celles qu'elle a lues, celles qu'elle a écoutées, celles qu'elle peut inventer et celles dont elle pense se souvenir. Pourtant, jamais elle ne démêlera le faux du vrai pour quiconque. Ses souvenirs sont ses secrets, à elle, et personne d'autre ou presque ne pourra s'en emparer.  A moins de les avoir vécus également.

Elle a l'âme d'une artiste, Cygne. La moindre manifestation l'attire comme la pie qu'elle n'est pas. Elle peut passer des heures à regarder peintres et sculpteurs croquer nature et visages, à s'imaginer dans les contes et histoires de ses aînés, à écouter les instruments que d'autres font chanter et à se joindre à la danse.

Et quand elle danse, Cygne, elle resplendit. Elle est la grâce qui sied à son nom et soudain elle s'éclaire. Son sourire, si solitaire, si fugace, devient un soleil vibrant pour qui la regarde. Elle danse et elle oublie le monde, elle oublie qu'on l'observe, elle oublie qu'on la juge elle et sa différence, elle et sa pâleur qui n'a rien à faire là, elle et sa droiture si rigide qu'on ne la comprend pas toujours. Elle oublie qu'on l'observe et pourtant elle espère, qu'au fond, lui finira par la voir.

A défaut, elle lui parle. A la faveur de sa solitude, parfois chèrement gagnée dans une tribu toujours dense, elle murmure des mots qui n'ont l'air pour personne et qui pourtant s'adressent à quelqu'un en particulier. Elle lui dit qu'elle ne l'a pas oublié, qu'elle va le trouver, qu'elle est désolée. Elle pose sa main gauche sur son avant-bras droit qu'elle serre fort, longtemps. Qu'elle caresse parfois, quand elle ne sait pas, qu'elle est mal à l'aise ou que sa gorge se tend de tristesse et d'amertume. Elle touche la légère bosse en forme de "L" sur sa peau et elle se calme. Elle ferme un peu les yeux, respire profondément et continue son chemin, son regard bleu embué de détermination.

Parce qu'elle n'a pas oublié, Cygne. Elle sait pourquoi elle est là. Pour qui elle est là. Elle le cherche désespérément la nuit, quand elle pense que personne ne peut la voir quitter le camp et s'enfoncer dans le Bois Joli et la jungle jusqu'à atteindre le Grand Arbre. Elle s'assoit en tailleur à l'abri des regards et elle guette, avec une patience infinie, dans l'espoir d'apercevoir cette silhouette dont elle a peur d'un jour oublier les contours. Mais jamais elle n'entre.

Elle est faible, Cygne. Elle est faible parce qu'elle a peur, parce que l'atmosphère du Grand Arbre l'angoisse, parce que l'aura de son chef l'effraie. Alors elle n'entre pas et elle s'en veut, terriblement, parce qu'elle sait qu'elle devrait être forte et fière et brave, qu'elle devrait entrer et hurler pour attirer son attention, pour le revoir et pour qu'il sache qu'elle est venue, comme il le lui avait demandé. Mais c'est toujours pareil. Elle reste des heures là, à attendre, sans jamais oser et sans jamais le voir, et elle repart bien avant le chant du coq, le cœur lourd et la gorge serrée, plus désolée et dégoûtée d'elle-même que jamais.

Elle essaie d'oublier ses faiblesses, Cygne. Même si elle ne dort pas assez, même si chaque nuit est un nouvel échec, elle fait de son mieux pour aider les autres. Parce qu'elle aime bien les autres, Cygne. Malgré son air renfermé et ses envies de solitude, malgré son anglais et ses langues indigènes cassés par son fort accent russe qui rappellera toujours qu'elle n'est pas tout à fait l'une d'entre eux, elle aura toujours à cœur de bien faire pour la communauté. Et la nuit venue, elle y retournera, en espérant cette fois arriver à quelque chose. Elle est tenace, Cygne. Elle n'abandonne jamais.

❆ Cygne est menue et pas très grande pour son âge (un petit mètre quarante), sans formes marquées mais avec des muscles relativement dessinés, notamment ses cuisses et mollets dus à sa pratique de la danse. De fait, elle est plutôt agile mais a des fragilités au niveau des chevilles, qui peuvent parfois la lâcher sans raison. Cela s'est accentué avec le Givre.

❆ Intelligente et pleine d'imagination, ces deux qualités lui ont été d'un grand secours durant sa captivité, même si elle a l'apparence d'une fillette renfermée et solitaire (...qu'elle est également).

❆ Lorsqu'elle danse, elle donne l'impression d'être une toute autre personne, beaucoup plus ouverte et passionnée, vestige de son ancien "elle", qui n'est jamais bien loin.

❆ Elle a tendance à paraître plutôt mature pour son âge, essentiellement parce qu'elle a toujours vécu entourée de personnes plus âgées.

❆ Elle a très peu de souvenirs de l'Ordinaire, mais certains détails de sa fratrie restent ancrés et elle y tient comme à la prunelle de ses yeux. D'ailleurs, elle a emporté avec elle le livre et la lettre de Lev, qu'elle connaît par cœur.

❆ Malheureusement, elle a presque tout oublié de sa langue maternelle. Elle continue cependant d'user de l'alphabet cyrillique pour écrire, apparentant les lettres aux langues qu'elle parle à présent, comme un code secret qu'elle serait la seule à pouvoir déchiffrer.

❆ Même maintenant qu'elle parle couramment trois langues, la danse reste son exécutoire et son moyen de communication privilégié, notamment lorsqu'elle veut transmettre des émotions avec lesquelles elle est à présent beaucoup moins à l'aise.

❆ Elle a gardé un très fort accent russe, qui s'entend dans toutes les langues qu'elle parle.

❆ Elle déteste la violence, les chewing-gums et le tabac à chiquer.

❆ Elle est persuadée que son esprit totem et son frère sont liés, et qu'elle ne pourra jamais trouver le premier sans le second (et inversement).

❆ Elle est gauchère.

❆ Dès qu'elle est nerveuse ou indécise, elle  redessine du bout des doigts la cicatrice en forme de L qu'elle a gravé sur son avant-bras droit. Ce geste a le don de la calmer presque instantanément.

Cygne Entêtée ne le montre peut-être pas, mais elle est très insécure. Consciente de ne pas être "de ce monde", de sa différence de ses pairs. Elle essaie parfois de mieux faire, de s'intégrer, mais elle reste persuadée que ce n'est pas assez. Éternelle insatisfaite d'elle-même, qui se met des barrières en se convainquant qu'elle n'y arrivera de toute façon jamais. Mais, volontaire et déterminée, elle persiste. Ce n'est peut-être que dans sa tête, qu'elle n'est pas Delaware à part entière.

Le reste de l'Île, Cygne a appris à l'aimer. Aimer les arbres et les fleurs et les créatures enchantées, tous ces fruits d'imaginaire qui auparavant ne sortaient jamais de sa chambre-sanctuaire. Finalement, ce qu'elle craint le plus, sur cette Île, c'est ce qui vient de l'Ordinaire. Les pirates et leurs armes, leur violence et leur dédain. Et Peter.

Car si elle aime le produit de son imagination fertile et décadente, elle reste effrayée et tourmentée par le personnage en lui-même. Au vu de ce que l'Île devient actuellement, elle se dit qu'elle a raison.

L'Ordinaire en lui-même, elle ne le regrette pas. Mais l'Oubli, lui, fait peur. Elle se fiche de savoir comment était le monde avant qu'elle ne parte par cette fenêtre, mais elle s'en voudrait d'oublier pour toujours les mémoires de ses frères et sœurs. Du soutien d'Alexey qui essayait maladroitement de combler le vide laissé par Lev dans son cœur, tout en sachant qu'il n'y parviendrait jamais. Des journées où elle dansait avec Ivanna, tournant sur elles-mêmes jusqu'à en perdre la tête et à s'écraser au sol en riant. Des sourires de Luba, qui semblait la comprendre bien mieux qu'elle ne le disait réellement. Des longues discussions avec Galina sur les livres qu'elles lisaient toutes les deux et qui les amenaient à débattre de n'importe quel point de l'intrigue.

Ce L sur son avant-bras droit, fait à son arrivée sur l’Île, il ne fait pas que lui rappeler sa quête. Il lui rappelle aussi ce qu'elle a laissé sur place. Souvent, elle y pense et elle leur parle, à eux aussi, leur disant qu'elle ne les oubliera jamais et qu'elle parlera d'eux à Lev, lorsqu'elle l'aura retrouvé. Et, quand elle a peur d'oublier leurs noms, elle relit cette fameuse lettre, celle qui a tout déclenché, et elle sourit, des étoiles brillantes au fond des yeux.

Si elle a été positivement ravie de voir Peter apparaître à sa fenêtre après tant d'années d'attente, Cygne a vite été dépassée par le personnage. Il y a chez l'Enfant-Roi quelque chose qui la fait frissonner, sans qu'elle s'explique pourquoi. Il l'inquiète. Pire que cela, son aura l'effraie, et si elle n'a pas oublié la raison première de sa venue, elle n'est jamais parvenue à retourner au Grand Arbre pour y rejoindre son frère -car elle est persuadée que jamais il ne serait devenu adulte. Cela ne l'empêchait pas de traîner la nuit aux alentours du domaine des Garçons Perdus pour espérer l'apercevoir.

Jusqu'à il y a peu, le capitaine Hook l'indifférait. Elle avait entendu parler du personnage, compris qu'elle devait s'en méfier, mais elle se contentait de tout faire pour ne pas le rencontrer, et tout allait bien dans le meilleur des mondes. Depuis le Givre, elle le craint comme elle peut craindre Peter et espère ne jamais avoir à croiser sa route.

Arrivée de Russie en 2012, Cygne a été Éclaireur l'espace d'un très court instant... Juste le temps de se faire kidnapper par des Peaux-Rouges qui l'avaient prise pour la Mère-en-Chef. Son anglais étant extrêmement basique à l'époque, impossible de leur faire entendre raison.

Elle est restée un moment prisonnière chez les Delaware, avant que ces derniers, oubliant peu à peu les raisons de sa présence, ne la considèrent comme l'une des leurs. Héron Placide fut le premier à agir ainsi, la délogeant efficacement de sa solitude, mais pas de sa méfiance. Silencieuse et effacée, ne parlant leurs trois langues que de manière succincte, il lui était difficile de se faire réellement accepter.

C'est d'abord par la danse, son moyen de communication privilégié dans ce monde où sa langue maternelle ne lui servait pas, qu'elle se fit une place au sein de la tribu. Sa grâce, puis sa volonté de se faire comprendre, sa résilience et sa ténacité lui valurent son patronyme de Cygne Entêtée. Dès lors, elle se mit à participer activement aux activités de la tribu, cherchant avant tout à prendre soin de tous, présence silencieuse, froide et pourtant étrangement réconfortante. Elle s'est tenue à l'écart de la plupart des événements, apportant son aide à la tribu dans la mesure de ses moyens.

Depuis le Givre et le déménagement au Canyon, Cygne Entêtée oeuvre où elle peut selon les besoins -même si elle rechigne un peu lorsqu'on lui demande de prendre soin du feu où se trouve Peter Pan, n'aimant vraiment pas s'approcher de lui-, ne restant jamais bien loin de Héron Placide et des autres Delaware, tout en tentant de repérer une figure familière dans la foule...

"C'est votre faute ! C'est vous qui l'avez laissé en premier ! C'est VOTRE FAUTE !"

Une porte qui claque et un corps qui semble vouloir se fondre avec le sol. Dos contre la porte, genoux relevés, Lilya soupire. Dans sa petite main tremblante se trouve une lettre, qu'elle a lue et relue sans parvenir à entièrement la comprendre. Elle la jette avec un râle de frustration et pose sa tête contre ses genoux, qu'elle enlace de ses bras. Les larmes coulent sans qu'elle parvienne à les arrêter.

Elle les a supplié pendant toutes les vacances de retourner le chercher. De faire demi-tour, de rentrer plus tôt. Mais leurs parents n'ont rien voulu entendre. Soi-disant qu'il était grand, qu'il se débrouillerait. Les poings de la petite se serrent rien qu'en y repensant. Evidemment qu'il sait se débrouiller ! Même elle est capable d'utiliser la gazinière, si on la laisse faire. Mais c'est pas une raison pour abandonner son frère.

"T'as pas pensé qu'il avait fait exprès ? Qu'il en avait marre de toi ?"

Un reniflement dédaigneux. Ah, il avait eu l'air malin Alexey avec ses méchancetés, quand ils étaient rentrés et que Lev était nulle part. Même ses meilleurs copains l'avaient pas vu. Ni Grigori, ni Sergeï, ni Varlaam, ni Zoya, ni PERSONNE. En plus, y'avait eu des violences dans l'église. Apparemment, on avait attaqué le Révérend Père. Et si quelqu'un s'en était pris à Lev aussi, hein ?!

Lilya redresse la tête et essuie furieusement ses larmes. Elle reprend la lettre et l'aplatit avec douceur, comme pour s'excuser de l'avoir malmenée un peu plus tôt. Elle relit les mots lentement, en bougeant les lèvres. C'était difficile, et plein de mots compliqués. Lev ne l'avait jamais traité comme un bébé. C'était aussi pour ça qu'elle l'adorait.

Quand elle a trouvé la lettre, peu après leur retour, elle ne s'est pas inquiétée. Elle n'a pas compris tout de suite et s'est dit qu'il avait dû partir chez un ami qu'elle ne connaissait pas. Et puis, sous son oreiller ce soir-là, elle a trouvé le livre. Elle a mis un peu de temps à le lire, mais même après l'avoir fini, Lev n'était pas de retour. Malgré toutes les promesses des parents et des autres. Elle avait relu la lettre. Et elle avait compris plus de choses.

Reniflant à nouveau, Lilya se lève et se dirige vers le lit, évitant divers livres et vêtements -dont une robe qu'elle soupçonne être à Ivanna- sur le chemin. Elle se couche sur le dos, lettre à la main, tendue au-dessus d'elle.

"J'ai été emporté par Peter Pan jusqu'au Pays de Jamais. Et je pense que si tu l'appelles très fort, si tu y crois de tout ton cœur, il viendra à ta fenêtre aussi. Je ne dis pas que c'est ce que tu dois faire mais je pense que - si nous avions été ensemble lorsqu'il est arrivé - je t'aurais demandé de venir."

Son regard se tourne vers la fenêtre. La moustiquaire est là, mais on dirait qu'elle a pris un coup. Au travers des larmes qui continuent de couler, Lilya sourit. Mais c'est un sourire d'une tristesse infinie qui se peint sur ses traits.

"...Pourquoi tu m'as pas attendue... ?"


"Lilya, tu viens manger ?"

Un coup sec contre la porte entrouverte pour donner plus de poids à une question purement rhétorique. Lilya, huit ans, soupire et referme son livre sans prendre la peine de répondre.

Ils font plus attention, maintenant. Avant, dans l'appartement bondé, chacun arrivait à trouver un moment d'intimité, à passer inaperçu. Maintenant, les portes doivent rester ouvertes, même un tout petit peu. Pour être sûr que personne ne s'enfuie encore.

Quand les parents ont émis l'idée de transformer la chambre de Lev, Lilya s'y est fermement opposée. A coups de cris et de colère telle qu'on la lui a laissée. Elle y a mis ses affaires, mais elle n'a pas touché à celles de son frère. Rangé, tout au plus. Sur une petite table, elle a posé une photo d'eux en train de faire des grimaces qu'elle regarde tous les soirs avant de se mettre à la fenêtre.

Peter Pan n'est pas encore venu.

Alexey lui dit que c'est n'importe quoi, qu'elle doit arrêter de croire à ces bêtises, qu'elle est trop grande pour ça à présent. Mais elle sait que ce n'est pas vrai. Tous les matins, après une nouvelle désillusion, elle relit la lettre de Lev et sait qu'il ne lui mentirait jamais. Alors elle part à l'école, écoute en classe, fait tout ce qu'on lui demande, et rentre à la maison en attendant le soir, ce moment où elle peut se remettre à la fenêtre et attendre que Peter Pan vienne enfin la chercher pour la ramener près de son frère.


"Elle est douée, elle devrait y penser."

Assise à côté de sa mère, face à sa professeure de danse, Lilya, dix ans, attend que les adultes aient fini de parler d'elle comme si elle n'était pas là. Elle est devenue comme ça Lilya, silencieuse et obéissante, bien loin de l'astre solaire qu'elle était jusqu'à ses six ans. Jusqu'à la disparition de son frère.

On a voulu lui faire voir un spécialiste, mais elle a refusé, et ses parents savent bien qu'il est inutile de la forcer. Au fond, Lilya est bien plus maligne qu'on le pense et n'a pas besoin qu'on lui dise quel est son problème et comment faire pour aller mieux. Elle a déjà les réponses à ces questions-là. Elle ne les partage pas parce qu'elle sait que personne ne la croit.

Et pourtant, quand elle danse, elle donne l'impression de rajeunir. D'être à nouveau la petite fille vivace et solaire, indomptable qu'elle était, la rage au ventre et le cœur à l'abandon. Ils s'en sont tous rendu compte, au dernier gala. Seulement, ils ne savent pas que si elle danse comme ça, c'est parce qu'elle l'imagine avec eux, à la regarder, et qu'elle a envie de le rendre fier.

Peut-être même qu'un jour, elle pourra vraiment lui montrer.


Eerie a douze ans, et avec son allure, ses grands yeux clairs qui observent tout, sa pâleur de ses doigts de pieds à ses cheveux si blonds qu'ils en paraissent blancs, elle fait peur à la plupart des petits. On murmure sur son passage qu'elle a l'air d'un fantôme, et que c'est pour ça que Peter l'a nommée Éclaireur. Que, ça se trouve, elle peut traverser les murs et les arbres.

Elle est bizarre Eerie. Elle ne comprend pas ce qu'on lui dit. Elle reste là à vous regarder avec ses grands yeux de chouette puis elle fronce les sourcils et hausse les épaules avant de continuer son chemin. C'est comme ça qu'elle n'a pas compris ce qu'il se passait, quand les Peaux-Rouges sont arrivés en embuscade.

C'est comme ça qu'elle a à nouveau perdu son frère avant même de l'avoir retrouvé.

Au Grand Arbre, personne ne s'est inquiété. Après tout, Eerie, elle avait l'air d'un fantôme capable de traverser les murs et les arbres. Elle s'est sûrement enfuie, qu'on s'est dit.

Et puis, elle venait d'arriver. Elle n'a pas été difficile à oublier.