C'est pire.
C'est devenu pire, non ? Le Gel.
Ça se ressent dans l'âme, ça se ressent dans les tripes, qu'on a encore perdu quelque chose.
Quoi ? Allez savoir.
Mais c'est comme si on se demandait si on allait vraiment pouvoir la gagner, cette bataille contre le Froid.
C'est comme si on avait perdu quelque chose d'important. L'espoir, peut être ?
Non, ça n'a pas de forme physique. Quoique, sur l'Île, tout est possible.
En tout cas, il y a ce truc dans l'air, pas très agréable, qui vous crie que des alliés ont récemment ployé.

Ossuaire.
On se couvre, on se cache, on se serre les coudes. On essaye de survivre.

- L'atmosphère, ça a changé, non ?

- Ouais, et Rex l'a senti aussi, je crois. Il est devenu plus agité...

Plus loin, un Berger Allemand, les oreilles plaquées en arrière, remuait nerveusement la tête, fixant tantôt l'horizon, tantôt les deux garçons. Les animaux sentent quand quelque chose cloche.

- T'as raison, Thrash, il a pas l'air normal ton chien. Même mes rapaces font profil bas, c'est pour dire qu'il se passe un truc louche...

- Et tu vas faire quoi, là ?

- J'vais voir s'il y a pas des endroits qui soient pas touchés par le gel. Histoire qu'on puisse y aller s'il arrive jusqu'ici.

En fait, il ne partait pas tout seul. Renouant avec le Canyon, le Fauconnier avait prévu de se rendre aux Portes du Temps, accompagné de Sense, afin de faire un bref état des lieux. Avec un peu de chance, l'accès y était encore possible, et ils pourraient non seulement s'y changer les idées, mais peut être, aussi, y faire un peu de ménage afin que cela serve d'abri.

- Gare à ton cul, Eagle. Reviens en un seul morceau, si tu peux.

- C'très encourageant ce que tu me dis là... enfin bref, à tout' !

Ce fut avec un simple signe de main que la Sentinelle laissa son compagnon de camp, s'engageant vers la sortie de l'Ossuaire. Sur ses talons, c'est Häfeli, la Buse de Harris, qui décida de l'accompagner.
Les rapaces avaient tellement l'habitude de ne jamais laisser leur ami seul qu'ils se relayaient, chaque jour, pour qu'au moins l'un d'entre eux lui tienne compagnie. La grande majorité desdits oiseaux s'était même rassemblés à l'Ossuaire, leur clairière étant gelée.

Les Portes du Temps.
Basiquement, une aire de jeu pour chaque époque, par lesquelles on accède par une porte dans un arbre. Le sol est gelé, les arbres le sont tout autant.
Et voilà Eagle en train de les forcer, frottant ses dessus avec vigueur, donnant des coups de pieds pour faire céder la glace. Et il essaye, chacune d'entre elle, pour voir la première qui cédera.
On passe le temps comme on peut, quand on attend quelqu'un. Alors autant faire quelque chose d'utile.

Qu'importe l'avancée du givre, Sense est incapable de demeurer au camp en permanence. Quelque soit le danger qui l'attend à l'extérieur, ça sera toujours plus simple à gérer que l'attente permanente d'une lueur d'espoir. Si ça n'arrive pas, c'est que c'est à eux de se bouger le cul, au lieu de ne rien faire. Sa blessure s'est effacée, devenue une cicatrice encore fraîche qui reste tendre sous ses doigts. Pour ça qu'elle évite d'y toucher, la recouvrant avec ses cheveux jusqu'à oublier son existence. Bonnet et écharpe cachent suffisamment sa tronche en premier lieu, donc pas de raison de songer à ces machins sans importance.

Tirant un carnet de la grande poche de son sweat, elle relit le plan du jour, tout en se disant que tenir un journal de ce qui se passe est cool. Même si dans quelques temps, elle aura oublié de le mettre à jour et ça sera de l'histoire ancienne. Faut pas trop pousser quand même.

Soyons francs, le chemin jusqu'à la destination est une torture, même pour elle qui ne supporte pas de ne pas parcourir l'île chaque jour. Tout est glissant et les flocons obscurcissent sa vision déjà limitée, quoique pas assez pour lui faire rebrousser chemin. Si Sense était si prompte à l'abandon, elle ne serait pas Diplomate, habituée à se foutre au milieu des conflits pour les arrêter aussi rapidement que possible. Là, elle peut pas faire grand-chose fasse à la météo—qui déconne d'ailleurs depuis un bail sur l'île.

Ah, elle arrive en second, son compère en train de s'acharner sur les portes. Il va pas apprécier qu'ils doivent se changer au milieu de la neige, elle le craint. Pas que ça lui dise non plus outre mesure en vérité. Faudra qu'ils balancent leurs affaires dans le coffre pendant leur absence, ou alors ils vont retrouver des machins gelés sur le sol.

« Oi, Eagle, t'veux un coup de main ? »

C'est un gamin. Elle aussi, en vrai. Loin d'être adulte. Juste qu'elle doit avoir un peu plus de force, surtout dans les jambes. S'approchant de la porte la plus proche d'elle, Sense se concentre avant de donner un coup assez fort pour qu'un frisson parcoure son corps entier. C'est que le gel est solide, dans le coin. Il y a une certaine satisfaction à entendre le craquement de la glace néanmoins, à voir de gros morceaux tomber d'un coup. Bon, ça n'est pas suffisant. Pas qu'elle va se gêner de répéter le geste avec ses bottes épaisses. Et la porte couine sous la seconde attaque, comme si ce n'était pas de sa faute en premier lieu.

« On les libère toutes avant d'changer, ou t'as une préférence pour un coin en particulier ? »

Portes du Temps, encore.
Les coups se font plus ou moins répétés, plus ou moins vifs. Le fait de frotter avec insistante sur les portes de bois de ses gants réchauffe les mains d’Eagle qui ne demande que ça. De temps en temps, il parle à Häfeli, lui demandant de ne pas rester posée trop longtemps au même endroit de peur que ses pattes ne gèlent. C’est qu’il n’entend même pas Sense arriver, tellement concentré qu’il est sur sa tâche. Le son de sa voix fait bien sursauter le Fauconnier, qui fait volte-face, ses joues à la fois rougies par le froid et la gêne.
S’il s’agissait d’une bête sauvage préparant une attaque surprise, il en serait mort sur le coup… quoique, Häfeli surveillait ses arrières. Et elle semblait bien se moquer du haut de son perchoir, comme si elle avait tout vu de ses yeux perçants et qu’elle avait volontairement choisi de se taire afin de pouvoir constater la réaction de son maître. C’était réussi ! Ah, même ses propres amis à plumes ne le prenaient pas au sérieux… Ce constat fit un peu bouder la Sentinelle, qui se mit à regarder ses pieds. Ho, quelles belles bottines fourrées ! Qu’il les aime bien, même si parfois on dirait qu’il les a volées à une fille ! Ah oui, elles sont vraiment, vraiment belles…

- On les libère toutes avant d'changer, ou t'as une préférence pour un coin en particulier ? »

La deuxième réplique de la Diplomate fit une nouvelle fois tressauter le jeune garçon, qui releva les yeux de sa paire de bottes. Ah, mais quel homme il faisait de réagir ainsi… Pourquoi avait-il été gêné, au premier abord, d’ailleurs ? Peut être qu’elle n’avait même pas vu ce qui s’était passé, même si Häfeli, plus haut dans les arbres, s’était moquée ! Wah mais quelle honte ! Bon, allez, on se reprend, dans les troupes ! Du nerf, bon sang, du nerf !

- J’pense qu’il faudrait les débloquer toutes si on peut, t’vois… Si jamais les autres viennent, qu’ils aient pas à le faire eux-mêmes, surtout s’ils se sentent pas bien.

Qu’il lance, Eagle, reprenant son boulot de déblocage de porte. Il devrait utiliser un peu plus ses pieds, lui aussi, tient. C’est pas que, mais il y avait quand même une fille qui venait pratiquement d’en débloquer une en deux temps trois mouvements alors que lui galérait encore. C’est un peu rabaissant, surtout pour une Sentinelle. Il fera jamais garde du corps avec une force pareille. Pas comme Just. Il était trop bien taillé pour, lui. Et les cowboys, c’est classe, en plus.
Alors que le faucon pèlerin reprend son vol histoire de bouger un peu, le Fauconnier recommence à s’acharner sur sa porte, dont le bois semble menacer de céder sous ses coups. C’est que ça fragilise pas mal, le gel. Ce serait quand même bête de péter ces portes-là, pas sûr que les Artisans puissent les réparer, en plus. Après, avec ce temps, il valait mieux casser une porte menant à un univers différent plutôt que de les préserver et n’avoir aucun endroit où aller si le froid continuait à s’étendre.

- En vrai, j’aimerai bien voir ce que le terrain de Paintball est devenu. Tu sais, le train, le McDo, tout ça…

Fit l’espagnol d’un air nonchalant, en se remémorant ce qu’il avait vu lorsqu’il jouait à l’arbitre-secouriste-délimiteur de terrain lors de la partie de Paintball. Au début, c’était assez drôle… puis, ça a commencé à devenir violent, mais qu’importe, il avait déjà vu ça. Ca faisait déjà quelques années qu’il était sur l’Ile, alors il savait comment les autres avaient tendance à en venir aux mains. Alors les coups de crosse de fusil dans la tronche, les filles qu’on met au trou et autre, il trouvait ça normal.
Par contre, il y avait eu pas mal de catastrophes naturelles. Jets d’acides, tremblements de terre, bâtiments qui s’écroulent… Sur le coup, quand l’affiche du McDonald’s était tombée, c’était assez drôle. Quand il a su qu’il y avait quelqu’un en-dessous, là, il avait moins ri. C’était qui déjà, qui avait pas eu de bol au point de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment ?

C’était qui…

- AH !

S’écrie soudain le jeune garçon, faisant sursauter Häfeli à son tour, qui s’était posée à nouveau sur une branche. Mince, quelle andouille ! C’était Sense qui s’était pris l’enseigne sur la tronche, pas Blue ! Elle, c’était l’acide ! Il les avait confondues ! Pas très intelligent pour un gars faisant parti de la « police » du Grand Arbre…
Avec un tas de gestes inutiles et des joues rouge tomate, voilà que la Sentinelle étalait excuse sur excuse, baragouinant très vite des « je suis désolé » en un mélange d’anglais et d’espagnol tant il était perturbé par la honte d’avoir confondu deux personnes.

- J’vouais pas te blesser en parlant du McDo, j’te jure, je pensais que c’était Blue mais non c’était toi et waaaah je voulais pas je suis vraiment nul, tu me pardonnes ?

Qu’il se justifie en une longue tirade, presque sans reprendre sa respiration. Et plus haut, le faucon se bidonne. C’est qu’il lui en fallait peu, à son maître, pour se mettre dans tous ses états…

S'acharner sur les portes, c'est presque thérapeutique. Un excellent exutoire qui joint l'utile à l'agréable. Pas que Sense soit particulièrement prompte à utiliser la violence. Il faut simplement savoir se défendre lorsqu'on arpente l'île. Une petite montée d'adrénaline, rien de tel pour oublier la mission difficile aux côtés de Pale et tout le reste. Elle offre un sourire à Eagle, un qui montre un peu trop ses dents en avant mais elle s'en fout là, lorsqu'il suggère qu'ils s'occupent du lot en entier. Super, ça va lui permettre de s'entraîner au niveau de ses coups de pieds.

Certaines sont glissantes à cause du gel, couinant d'une façon peu rassurante qui l'encourage à ne donner qu'un coup ou deux avant d'utiliser le reste de son corps. C'est qu'elle a toujours été plutôt endurante, enfin depuis l'île. Avant Sense s'en souvient pas, et honnêtement ça n'est pas franchement un détail crucial. Quant à Eagle—ben il se débrouille. Elle le regarde de temps en temps, obligée de tourner sa tête totalement vers le garçon pour ça.

« En vrai, j’aimerai bien voir ce que le terrain de Paintball est devenu. Tu sais, le train, le McDo, tout ça… »

Woah, vas-y qu'il balance ça dans le plus grands des calmes. Son corps s'en arrête d'un coup, Sense appuyant son épaule contre l'une des portes pour reprendre son souffle. Soudainement, le Givre lui paraît avoir décidé de rendre une petite visite de courtoisie à ses poumons. Genre, c'est le moment de reparler du Paintball ? C'était—oh, Sense s'est beaucoup amusée, elle suppose. La joie de travailler en équipe et—en fait, c'était fun sur le moment, lorsqu'elle ne réalisait pas les conséquences de leur petite aventure. La cicatrice sur le coin de son crâne dément le coté agréable du jeu néanmoins.

Elle l'écoute, plus par habitude de laisser les gens terminer au lieu d'interrompre, même quand ils disent de la merde. Au 'Ah !', l'Indécise réalise que c'était simplement de la maladresse et ses épaules s'affaissent un peu tandis qu'elle se retire de la porte pour ne pas geler ses fringues. Ouais, c'est qu'une erreur, pas de raison d'en faire tout un plat.

« J’vouais pas te blesser en parlant du McDo, j’te jure, je pensais que c’était Blue mais non c’était toi et waaaah je voulais pas je suis vraiment nul, tu me pardonnes ? »

Blue est morte.

Sense ne l'a pas—bien sûr elle n'a pas été mise au courant de suite. Faut dire que son état s'est détérioré après le Paintball. C'est ça d'aller contre les conseils de son médecin et de se battre alors qu'il faut du repos. Y'avait pas que sa tête comme blessure, quoique c'était la seule de vraiment dangereuse au final.

Blue a crevé parce que l'acide a rongé bien trop de son corps.

On en parle jamais de ces trucs là. On zappe aussi rapidement que possible et puis on passe à autre chose. Sense n'échappe pas à la règle. Bientôt, à la prochaine saison, sans doute que ça lui paraîtra flou. En plus, elle ne la connaissait même pas si bien. C'était juste—le duo de victimes. Oh putain, c'est pathétique dit ainsi, non ? Elle s'en veut que ça soit son unique pensée au sujet de sa compagne d’infirmerie. Le Soigneur qui s'est occupé de Blue lui a annoncé sa mort lorsqu'ils se sont croisés au milieu du Grand Arbre.

Sense n'a rien dit, sur le coup.
Dans son esprit, elles allaient guérir toutes les deux et en rire après.
C'est comme ça, on se fait défoncer mais c'est pas grave si c'est pour l'équipe.

Pour cette raison, l'adolescente passe une main dans sa chevelure, écartant les mèches blondes pour montrer l'impressionnante marque qui paraît se résorber bien trop lentement. Les cicatrices, une fois formées, elles évoluent pas trop, Sense présume.

« J'ai un souvenir de malade du Macdo, donc moi j'risque pas d'oublier que c'était ma pomme. »

C'est pas si grave, elle se chuchote dans un coin de sa tête.
Pas sa cicatrice, ça c'est même plutôt cool à montrer aux autres Diplomates pour prouver qu'elle peut tout encaisser.

Blue, par contre...

« T'sais quoi, c'était pas si mal le Paintball, malgré ça. On a défoncé des zombies et tout. Et y'a rien à pardonner, j't'en veux pas. Deux blondes avec beaucoup de malchance, c'est plutôt funky. »

C'est un terme si inadapté ; rien d'autre ne vient de toute façon.

Eagle ne savait plus du tout où se mettre. C'est qu'il était tellement perturbé, gêné, retourné parce ce qu'il venait de dire, qu'il en avait presque des sueurs… froides (il fallait faire un jeu de mot idiot en référence au temps actuel).
Ca ne s'arrange pas lorsque sa compagne de voyage lui montre la preuve de son agression par l'enseigne au "M" jaune, sur le haut de son crâne. Une cicatrice… et celle-là, elle n'allait pas partir de sitôt.
Un "souvenir de malade" ? A qui le dis-tu ! Quel idiot il a fait, le Fauconnier. Ne jamais plus mentionner un événement passé lorsque l'on est pas fichu de se rappeler à qui on a affaire, afin de ne pas remuer le couteau dans la plaie de vieilles blessures de guerres, c'est noté.

Alors que l'espagnol allait se remettre à fondre littéralement en excuses comme il sait si bien le faire, à se liquéfier -et geler aussi vite, du coup- sur place, Sense le prit de vitesse en sortant plein de trucs positifs à la volée.
Des trucs du genre, comme quoi le Paintball c'était pas si mal, qu'elle ne lui en voulait pas, et que son cas et celui de Blue (ça fait longtemps qu'il ne l'avait pas vue, d'ailleurs ! Qu'est-ce qu'elle devenait ?) était plutôt funky.

- Plutôt… quoi ?

Qu'il demande, l'adolescent, en lui servant sa tronche la plus candide, fronçant un peu les sourcils en penchant la tête sur le côté.
En attendant l'explication de ce terme inconnu -qu'il était tout à fait probable qu'il oublie plus tard-, Eagle s'était remis à donner des coups de latte soigneusement placés dans les portes. Ca glisse, son pied dérape un peu, mais ça passe.
Ses bottines de gonzesse et lui tiennent bon.

Il met tellement de cœur à l'ouvrage, alternant coups de pied et d'épaule, qu'à un moment, il passe au travers d'une porte qui s'est ouverte un peu trop brusquement. Voilà le garçon qui se rétame lamentablement, ses pieds dépassant de l'entrée d'une façon assez comique, le reste étant à l'intérieur.

- Ouh là !

Qu'il lâche, quelques instant après sa chute. Il ne s'est même pas plaint. C'était juste une exclamation de surprise. Une Sentinelle qui a mal, c'est pas une Sentinelle. C'est comme les Armuriers, ils se doivent d'être des durs de durs ! Peut-être même plus que les Armuriers, tiens !

- Celle-là était facile !

Et il se relève, avise, grâce à la gravure, de quelle porte il s'agit. Bingo : la Ville Post-Apocalyptique. C'est leur destination, justement.
Quelqu'un a dû y pénétrer récemment, comme si le Givre n'avait pas pu s'y reformer complètement. Qui sait ce qu'ils pourraient y trouver !

- Tu viens, du coup ?

Qu'il lance d'un ton léger, le Fauconnier, appelant alors la Diplomate. Pas sûr qu'elle veuille encore bien se risquer à nouveau dans ce monde avec ce qu'elle y a subi…

« Plutôt… quoi ? »

Différences culturelles, la grosse merde. Ou alors c'est un machin de générations, ce qui est à proscrire sur l'île de la joie et de la vie éternelle. Sauf si on s'appelle Blue et qu'on se fait défoncer à l'acide. Okay, faut qu'elle passe à autre chose, un peu de respect pour les morts. Oh putain, son crâne aurait pu se péter entièrement à cause de l'enseigne. Ou bien y'a encore des morceaux qui se baladent et qui risquent de lui provoquer un ane—any—de sacrées emmerdes. Paranoïa, amie si fidèle. Sense voudrait dire qu'être hypocondriaque c'est pas l'idéal, surtout quand Eagle lui raconte sa vie et qu'elle doit avoir l'air de passer par trois différents stages de traumatisme en quelques secondes. Tout va bien, Eagle est plutôt cool. Elle sait pas exactement à quoi il sert lorsqu'il s'acharne sur les portes avec son absence visible de force, mais il fait de son mieux.

On ne peut pas lui retirer ça.

Son vol plané est d'ailleurs admirable, malgré que Sense se demande ce qu'elle ferait s'il s'était pété un bras en s'étalant comme une crêpe de l'autre côté. Probablement pas grand-chose, outre le porter héroïquement sur son dos jusqu'au camp. Faut qu'elle cesse ce trip bizarre de porter les gosses plus petits qu'elle, cet instinct de protection des enfants est peu adapté à la situation.

« Celle-là était facile ! »

Ah bon ? S'abstenant de partager le fond de sa pensée, elle se contente d'un hochement de tête solennel, par respect pour l'honneur que Eagle tente de sauvegarder comme il peut. Admirable, bon boulot. Maintenant, les zombies. Une toute autre ambiance. Dire qu'ils se sont dit 'oh on va aller voir l'avancée du Givre' tout ça. Faut avoir un grain quand même. Sense tripote sa cicatrice un moment, avant de songer aux risques de contamination d'un tel geste. Certes, la marque n'est plus si récente, mais faut pas jouer avec le feu non plus.

« Tu viens, du coup ? »

« Ouais, on va se faire défoncer. Ou tout niquer, j'sais pas. On va gérer. Tu gères, en général, non ? La dernière fois on a pas trop merdé. » Putain, faut qu'elle se foute devant lui, sinon il risque d'y passer. En un sens, c'est une ville quand même. Une bien ravagée—

« Si on croise un macdo, j'fais demi-tour. »

L'affirmation est tranchante tandis qu'elle le suit, ouvrant le coffre qu'elle avise peu après. Fringues, ça va c'est la partie facile. Pas besoin de trop se changer non plus. La chemise sombres à carreaux par dessus un t-shirt c'est son truc, sans trop savoir pourquoi. Les filles aiment bien en général, ça lui donne un petit air rustique, Ginger lui a balancé. Techniquement, c'est un compliment. Sense a la flemme de trop y réfléchir. Niveau arme, le fusil fait l'affaire. Un peu lourd, super dangereux, et sans doute à court de balles dans trente secondes.

« Funky, ça veut dire cool. »

Ila allaient gérer ? Évidemment qu'ils allaient gérer. Ça s'était plutôt bien passé la dernière fois, non ? Bah euh, disons qu'elle, elle s'était fait assommer par une enseigne américaine. Lui, il était juste sur le côté, en tant que genre d'arbitre-délimiteur-de-terrain.
Oh, et il avait évacué Justice, aussi. Au final, c'était pas grand chose. Mais il avait géré ce "pas grand chose" quand même, ça avait quelque chose d'admirable. Non ?

- On va géreeer.

Affirme la Sentinelle d'un ton confiant, peut-être un peu trop emporté par la curiosité et l'adrénaline pour le moment. C'est vrai, il était surtout curieux de voir si tout était resté comme avant.
Est-ce qu'il y aurait encore autant de zombies ? Ça restait à voir. Comment ils étaient conçus d'ailleurs ? Ça se reproduit, un zombie ?
Oh, beh, c'est dégoûtant. En général, on se pose pas ce genre de questions, sur Neverland. Un "c'est magique" et c'est réglé, faut pas chercher plus loin, sinon on en arrive à de drôles d'interrogations.

- Si on croise un macdo, j'fais demi-tour.

- Tu m'étonnes !

Glousse Eagle, goguenard. Il était pas réellement certain que la Diplomate plaisantait ou non, mais valait mieux en rire qu'en pleurer.
Au pire, il se prendra une remarque désagréable pour cause de mauvais comportement. Au mieux... il se passera rien, et c'est pas plus mal.

Ce qu'il y a de bien avec ce monde, c'est qu'ils ont pas vraiment besoin de se changer. Ils sont bien comme ils sont, pas besoin de fanfreluches et autres trucs dans le genre. Là, ils jouaient à la guerre comme dans les jeux vidéos.
De toute façon, c'étaient pas les zombies qui allaient juger leurs vêtements. Ils allaient pas juger non plus le bandana vert anis que le Fauconnier s'était noué autour de la tête, bien positionné sur son front, et les deux marques noires sur ses joues.
Pour l'arme, il opta pour une arbalète, sans oublier la réserve de traits qui allait avec. Un truc de ouf trop bien pour viser à distance. Ça va péter !

- Funky, ça veut dire cool.

- Eh bah on est trop funky, alors !

S'exclama Eagle, pénétrant officiellement sur leur nouveau champ de bataille, suivi de près par Häfeli qui gardait ses distances.

Le lieu était comme ils l'avaient laissé. Toujours ses commerces désaffectés, ses ruines, le bitume craquelé et le trou du train. Et pas de neige, ni rien.
Honnêtement, l'adolescent avait encore un peu de mal à digérer le fait que ouais, il y avait bien eu un métro qui était sorti de terre en pleine partie de Paintball, et tout.
C'était impressionnant, mais fallait s'y attendre; c'est l'Île et son lot de surprises.

- Toujours le même bazar, eh ?

Lâcha le jeune garçon, qui avait posé le pied sur un morceau de bitume qui dépassait du sol en un pic disgracieux. Ainsi positionné, il se la pétait un peu.
Mais en tout cas, une chose était sûre : le Givre, il entre pas par les portes.
Ou du moins, pas ces portes-là.

« Eh bah on est trop funky, alors ! »

Le métro était quand même pas mal dans le genre chelou. Sense doute qu'il soit—rentré par lui-même à la maison donc un obstacle en moins. Les tunnels sentent quand même bien la pourriture pour accéder à la ville et c'est ce qui arrive avec les égouts probablement. Eagle y met vachement de la volonté, avec son arbalète et ses marques sur sa gueule et on dirait encore plus un petit garçon qui veut s'amuser avec ses potes—ça aide pas forcément le petit flashback traumatique de la dernière fois, pas que Sense s'y attarde. Faut dire que c'pas l'genre de lieu où on peut faire un petit goûter dans le plus grand des calmes, oh que non.

A première vue, y'a pas spécialement de Givre. Leur mission est genre terminée ; direction la maison. Déjà, ils ont plus de baraque à cause du froid, merci bien. C'est maladie-land qui les accueille à la place et l'Indécise passe pas des moments géniaux au Camp. Alors si elle peut traîner chez les zombies quelques heures, profiter de l'absence du putain de froid qui règne partout ailleurs, elle va pas cracher sur l'opportunité.

« Toujours le même bazar, eh ? »

« Grave, ça déchire pas sa mère. Quoique ça m'va. »

Un peu glauque de considérer le coin comme reposant. Visiblement, le calme règne en maître, promettant une horde sur leur cul dans les plus brefs délais. Sense, qui garde son œil—enfin celui qui voit quoi—sur Eagle, songe que c'est pas une mauvaise opportunité pour se balader un peu, s'entraîner au tir, tout ça. Voir avoir une conversation profonde sur leurs vies—ils sont pas assez proches pour ça, genre.

« J'ai bien envie qu'on reste un peu—j'veux dire, on devrait voir si l'Givre s'est pas glissé en traître dans certains coins t'vois. »

Direction—elle suit le bitume au final, marchant au milieu de la route puisque ça donne une vue plutôt dégagée et qu'elle en a besoin, avec son handicap visuel. Oh le fusil est plutôt un poids cool contre elle, même si s'en servir serait pas l'idéal. Les coups de feu ça attire toujours des tas d'emmerdes, que ça soit dans son pays d'origine à l'île.

« On a pas genre—y'a pas d'bus et j'pense qu'on a loupé l'métro donc autant marcher. »

Blague de merde, bravo. Elle s'en voudrait presque de balancer de telles bêtises mais faut bien faire avancer la conversation. Ne pas penser à Blue, se concentrer sur le gosse qu'elle doit se retourner pour observer. Une bonne sortie entre potes, ouais. C'est cool.

- Grave, ça déchire pas sa mère. Quoique ça m'va.

Haussement d'épaules. C'était pas vraiment son monde, enfin, pas celui dans lequel il vivait, c'était un truc à part, du coup, ça le dérangeait pas trop, Eagle.
Du moment que l'Ile se retrouvait pas elle aussi infestée de zombies et qu'un métro sortait pas de terre sans prévenir, il avait pas vraiment à se plaindre.

- J'ai bien envie qu'on reste un peu—j'veux dire, on devrait voir si l'Givre s'est pas glissé en traître dans certains coins t'vois.

- Ouais, dis plutôt que ça te change de voir autre chose que d'la neige.

Glousse la Sentinelle, qui avait laissé sa compagne de voyage le dépasser. Allez, fini de faire le matin en posant le pied sur un morceau de bitume, comme un survivant de l'apocalypse.
Il s'était encore rien passé, encore. Du coup, l'adolescent rattrape Sense au petit trot, se mettant à sa hauteur.

Non mais vraiment, on dirait la scène de crédits d'un film d'action américain, avec les deux protagonistes qui marchent côte à côte.
Ils sont de dos, plongés dans l'ombre parce que la lumière vient face à eux, et la route parait sans fin…
Un film américain, je vous dit !

Nouvel arrêt, juste pour voir ce qui avait bougé à sa gauche -oh, c'est juste un rat. Puis, un coup d'oeil dans le ciel : Häfeli a disparu de la circulation.
Elle a dû se poser quelque part. Il y a des buses en ville. Enfin, plus dans les villages avec des champs. Du coup, elle doit être un peu paumée, Häfeli.

- On a pas genre—y'a pas d'bus et j'pense qu'on a loupé l'métro donc autant marcher.

C'est chouette que Sense et lui partent dans une petite conversation. Ca leur aérait un peu l'esprit, si j'ose dire.
Et là, la vanne qu'elle avait sortie a bien fait rire le jeune Fauconnier, qui en profita pour rattraper la Diplomate, une fois de plus.
Ce qu'il pouvait être déconcentré, par tout et n'importe quoi… Mais bon, une Sentinelle ne se doit-elle pas de garder un œil sur tout ?

- Le métro est officiellement hors service depuis ce qu'on lui a fait subir la dernière fois… et pis t'imagines s'il existe un bus, ici ? La seule chose qu'il voudra faire, c'est nous rouler dessus, j'te jure.

Renchérit Eagle, tout sourire, avant de s'arrêter net, le sourire disparu aussi vite qu'il était apparu. Il avait bien vite fini de rire.

Il y avait un bruit de moteur, et ça se rapprochait.

Sans réfléchir, il choppe l'Indécise par la main, et l'entraîne hors de la route. Se trouver en plein milieu du bitume dans ces moments là, c'est pas franchement conseillé. C'est un peu comme traverser au feu rouge.

Sans lâcher la main qu'il tient, il se rue vers un bâtiment à proximité, se réfugie à l'intérieur. Tout est saccagé, poussiéreux, et on peut encore voir des boîtes de conserve qui traînent.
Le bruit se rapproche. Eagle, pas très fier de lui, essaye de se montrer un minimum courageux; il ne tremble pas -il essaye.
Sa main vient s'échouer sur son front en un claquement sonore lorsqu'il se rend compte que, l'idiot, il les a entraînés dans la supérette d'une station essence de bord de route.

- Oh, le con ! Je suis désolé, chuis un idiot, vraiment. Faut juste espérer que le machin vienne pas se ravitailler ici…

Se lamenta-t-il en se rendant compte de sa bêtise. Bien planqué derrière un rayon, il observait ce qui allait arriver pas la baie vitrée de la supérette…
C'est long, c'est jaune poussin, et ça a plein de sièges : un foutu bus de style américain, en contraste avec les massifs double decker rouges anglais.

- Mais, je- un BUS ! La grosse blague !!

S'exclama la Sentinelle en suivant du regard le véhicule qui traçait devant eux sans s'arrêter. Ils avaient eu chaud, mais ça lui importait franchement peu, dans l'état actuel des choses.
Il se relève, tend les deux bras en direction du bus qui disparait déjà lentement de leur champ de vision, son regard posé sur Sense en une expression de surprise totale.

- Fallait que ce soit un BUS ! J'dois être devin ! Je- et pourquoi pas une limousine tant qu'on y est ?!

Et il restait ainsi, bouche bée, complètement décontenancé devant ce qui venait de se passer. Ca aurait pu être n'importe quoi, du genre, un buggy, une vieille Golf, ou autre.
Mais non. Il avait parlé de bus, et à la seconde d'après, un bus apparaissait. Allaient-ils voir une limousine, maintenant ?

Une fois, genre dans une autre vie, y’avait un bus qu’elle devait prendre. Un qu’elle a loupé—peut-être un peu exprès. C’est trop lointain pour que Sense veuille y repenser. Les transports en commun, ce sont pour les gens qui n’ont pas sa passion permanente de la marche. Les muscles de ses jambes se sont bien refroidis depuis le début du Givre et les expéditions devant être raccourcies à cause de la perte de terrain.

« Le métro est officiellement hors service depuis ce qu'on lui a fait subir la dernière fois… et pis t'imagines s'il existe un bus, ici ? La seule chose qu'il voudra faire, c'est nous rouler dessus, j'te jure. »

Quitte à crever dans l’coin, autant le faire avec un peu plus de panache quoi. Pas de ‘vroum vroum motherfuckers’ accompagnés d’un engin fonçant dans leur gueule. Sense préfère songer qu’elle a souvent des fusils dans le dos ces derniers temps—et voilà le paint-ball qui lui revient en pleine tronche. Faut arrêter là, se focaliser sur des trucs importants et utiles.

Genre le gamin qui lui prend un main avant de taper un sprint pour rester en vie. Ah bah super, manquait plus que ça, un machin de plus qui a décidé de les buter. Non, sincèrement, Sense commence à être blasée par cette attention négative de la part de l’île.

« Oh, le con ! Je suis désolé, chuis un idiot, vraiment. Faut juste espérer que le machin vienne pas se ravitailler ici... »

« C’pas super cool, mais on va éviter d’paniquer genre si vite. »

Le lieu est super glauque, quoique familier. Un bon petit machin de ville, avec des produits éventrés et des restes de bagarre comme si y’avait eu des emmerdes dans le coin plus tôt.

« Mais, je- un BUS ! La grosse blague !! »

Quel beau machin jaune. Sense s’écarte un peu de la fenêtre, s’enfonçant dans la supérette sans savoir si les produits autour d’eux sont encore consommables. La majorité semble avoir été pillée de toute façon.

« Hey te moque pas, j’en avais un du style pour aller à l’école. Les films te romantisent vachement le truc, d’ailleurs. En vrai, c’est juste des sièges collants et des cons partout autour de toi. »

Ce qui la trouble, c’est que le métro, ça semblait un minimum spécial, genre un sale coup de magie pour les forcer à souffrir pendant le paint-ball. Là, elle voit pas qui aurait pu conduire ce bus en premier lieu, et encore moins sa raison d’être. Certes, elle a pas non plus super envie d’y songer.

« Fallait que ce soit un BUS ! J'dois être devin ! Je- et pourquoi pas une limousine tant qu'on y est ?! »

Oui mais non merci. Sense répond en haussant les épaules, pas forcément d’humeur à encourager une autre apparition malvenue pour le coup. Que faire maintenant ? Rester planqués un brin semble être judicieux même si elle a vu assez de films d’horreur dans sa vie pour savoir qu’une putain de station service à moitié dans le noir et bien flippante ça veut dire que y’aura un problème sur leur gueule à un moment donné. Le fusil sert à rien, pas la place de gérer le recul et encore moins la taille du canon dans un truc pareil. Donc elle le laisse dans son dos, tapotant la tête d’Eagle d’une main.

« On va rester là un peu, genre si le bus décide de refaire un tour vaut mieux pas se tenir sur la route. J’suis quasi sûre qu’une merde va nous tomber sur la gueule ici donc fais gaffe à toi. »

Okay, y’a quoi de cool à récupérer ici ? La bouffe ? Probablement foutue. Mais y’a peut-être d’autres machins. Si y’a des lumières qui marchent, Sense sait qu’il vaut mieux pas les allumer, ça signalerait leur position. Et ça risquerait de réveiller ce qui pionce dans le coin.

« T’viens d’où toi ? T’avais pas l’air de connaître les bons vieux bus scolaires américains, » Certes la majorité des gosses sont anglais, un détail malencontreux auquel Sense s’est fait, bon gré mal gré, «] ‘fin j’peux comprendre que ça fasse bizarre d’en croiser un là. Putain j’espère que j’aurais pas à tirer sur des trucs, j’manie pas souvent des fusils quoi. J’viens du Texas donc genre, le stéréotype de la gamine qui a grandi avec des fringues dans une petite ville paumée bah c’est grave moi. »

Okay, ça lui un peu manqué de pas pouvoir causer avec des gens qui crachent pas leurs poumons.

S'il y avait un bus, c'est qu'il y avait encore des zombies. Peut-être même des centaines, des milliers, des centaines de milliers, même !
Ca n'avait rien de rassurant. Quel idiot d'avoir proposé de venir crapahuter dans une ville en ruines peuplée de zombies !

Le "pat-pat" de Sense sur sa tête empêchait la courageuse Sentinelle de verser quelques larmes. Une Diplomate allait être en danger, à cause de lui !

- On va rester là un peu, genre si le bus décide de refaire un tour vaut mieux pas se tenir sur la route. J’suis quasi sûre qu’une merde va nous tomber sur la gueule ici donc fais gaffe à toi.

Et en plus, c'est elle qui prenait les bonnes décisions et qui avait tendance à le protéger, alors que c'était censé être l'inverse ! Qu'il était inutile, comme Sentinelle…
Cependant, il hoche tout de même la tête, histoire de lui assurer qu'il fera attention. Mais quand même; il reste pourri, comme Sentinelle.

Justice est mille fois mieux.
Et Shark aussi, et Slant, et Her.
Scar, c'est sûr, et en prime il est impressionnant.
Et même Sweet, quand elle s'appelait encore Boy, elle était mieux que lui !
Sérieusement, ça se prend, des cours de "Sentinellage" ? Pour devenir meilleur en la matière. Non ? Parce qu'il en aurait bien besoin, le Fauconnier.

- T’viens d’où toi ? T’avais pas l’air de connaître les bons vieux bus scolaires américains.

- Ah, bah non…

- ‘fin j’peux comprendre que ça fasse bizarre d’en croiser un là. Putain j’espère que j’aurais pas à tirer sur des trucs, j’manie pas souvent des fusils quoi. J’viens du Texas donc genre, le stéréotype de la gamine qui a grandi avec des flingues dans une petite ville paumée bah c’est grave moi.

Eagle a des étoiles dans les yeux. Qui aurait cru que Sense, en fait, c'était une Cowgirl du Texas ? Elle cachait bien son jeu !
Décidément, le Fauconnier s'entourait de gens classes. Plus qu'un chapeau et l'Indécise ferait la paire avec son collègue Sentinelle.

- Viva España ~

Fit Eagle dans sa langue natale, claquant des doigts en une vaine tentative d'imitation du bruit des castagnettes.
Un sourire.

- Mon père était Fauconnier. On avait un genre de pseudo-ferme, avec nos animaux et nos rapaces. On avait pas grand chose pour vivre, mais on vivait, c'est le principal.

Expliqua-t-il à son tour. Il aimait bien discuter avec les autres, Eagle. Ca lui changeait, un peu, et il pouvait se montrer très bavard.
Un peu comme Häfeli… tiens, d'ailleurs, la voilà qui les avait repérés et qui venait délicatement se poser sur une étagère poussiéreuse.
visiblement, elle avait fini de faire son petit tour des environs.

- Ah, c'est sale, c'est moche, je déteste la ville ! Il y a pas un arbre ! On peut partir ?

Se plaint cette dernière, lançant à son maître un regard implorant.

- Nan, pas tout de suite, désolé… il faut qu'on attende un peu si jamais le bus revient, et qu'on continue d'explorer. Ensuite, on part, promis.

Répond le jeune garçon à son amie à plumes.
Puis, il se tourne vers sa compagne de voyage.

- Je sais pas si tu connais Häfeli… C'est une buse de Harris. En général, elle parle tout le temps e-

- Hey !

- Non mais c'est vrai, avoue, un peu.

- Il raconte des craques…

- C'est faux… Enfin bref, tu sais à quoi réfère son nom ?

S'ils devaient passer le temps encore quelques minutes avant que le bus ne repasse -ou pas- autant faire la conversation.
Peut-être bien que les autres n'avaient aucune idée de la signification des noms des rapaces du jeune espagnol.

« Viva España ~ »

Ses connaissances géographiques, siphonnées par l’île qui ne cesse de changer malgré les cartes que Sense trace dès qu’elle a l’opportunité—trop prise dans un ancien rôle certainement—ne suffisent pas situer l’Espagne sur une carte. D’ailleurs, c’est un vrai gruyère, lorsqu’elle tente de tout remettre à sa place. Bon, c’est en Europe, vers le bas, et y’a de l’eau. Voilà, elle a les bases, ça suffit totalement à pouvoir dire d’où vient Eagle.

« Mon père était Fauconnier. On avait un genre de pseudo-ferme, avec nos animaux et nos rapaces. On avait pas grand chose pour vivre, mais on vivait, c'est le principal. »

Ce qui explique que le gosse soit toujours pas loin d’un piaf. Hey, c’pas mal comme job, ça a l’air sincèrement classe pour Sense. Elle se souvient pas de ce que faisait sa famille—rien de bien, qu’elle se dit avec une tension autour de son œil qui voit plus grand-chose, rien dont elle veuille se rappeler en fait.

« C’est plutôt cool, c’que tu fais. Genre, j’me débrouille un peu mieux qu’toi avec les portes à faire péter et tout, mais t’es classe aussi à ta façon, Eagle. »

Des fois, c’est un brin un boulet. On commence tous quelque part, Sense présume. La vie c’est une quête où on se paume avant de trouver là où souhaite se rendre, quitte à faire demi-tour en plein milieu. Ah, c’est qu’elle se sentirait presque philosophe, aujourd’hui. Avant qu’elle puisse faire une remarque à voix haute, une autre conversation s’engage, cette fois sans sa présence. C’est spécial, le lien entre ces deux là. Et drôle aussi. Eagle paraît sincèrement s’amuser lorsqu’il chahute avec la bestiole au nom que Sense juge difficile à prononcer. Les oiseaux qui parlent, c'pas le plus bizarre qu'elle ait croisé.

«C'est faux… Enfin bref, tu sais à quoi réfère son nom ? »

« Pas la moindre idée. J’suis une buse en noms d’oiseaux. »

Oh, son jeu de mots est digne de ses meilleurs jours. Ne pas être prisonnière du camp, ça la soulage d’un poids dont elle n’avait même pas conscience. Plus tard, faudra qu’elle prenne le temps de remercier Eagle pour ça, de faire comprendre au gamin que partir ensemble c’était une bonne expérience. Enfin, ça c’est s’ils rentrent en un seul morceau. Pas que ça parte pas si bien que ça, mais elle commence à ajuster son œil visible à la faible luminosité dans le fond de la supérette et y’a quand même de belles marques sanglantes sur le sol. Sèches, mais quand même.

Ah. Seiche. La petite sirène lui manque.
Son premier baiser, leur contact avec l’eau qui ruisselait contre sa peau—

Un gémissement interrompt ses pensées, les coupant en plein vol. Son regard passe de la buse à Eagle, vérifiant que ça ne provient pas d’eux. La supérette est pas franchement gigantesque, donc elle suppose que ce n’est pas si lointain. Ils pourraient sortir, éviter le problème et continuer leur petite virée. Outre pour le bruit de moteur qui ronronne soudainement dans la rue. Le bus s’amuse à faire des tours et détours, heurtant ce qui était sans doute un amas de poubelles au passage.

« Okay, j’adore notre petite convo’, les piafs, toi, moi, tout ça—j’pense qu’on doit s’éloigner un peu plus des fenêtres, genre sans paniquer. »

Du coin de l’œil—le côté dirigé vers la rue hors-service, Sense a l’impression de voir quelque chose qui rampe entre deux allées, genre dans leur direction, lentement mais sûrement.

« C'est chill, mais euh, t’vois quoi toi ? »

Eagle se surprend à glousser d'une manière un peu idiote en réponse au jeu de mot -probablement intentionnel, non ?- de sa compagne de voyage. Rapace, buse... compris ?

- C'est un nom d'avion de guerre suisse de 1918. Tous mes potes à plumes ont des noms d'avions de guerre, parce que ça sonne classe, et j'adore ce qui se rapporte au ciel.

Fit le Fauconnier d'un air goguenard. Pfiou, qu'est-ce qu'il se sentait fier d'apprendre un truc à quelqu'un de plus âgé que lui !
Il allait énumérer les noms des autres rapaces qui l'accompagnaient parfois (Seversky, Curtiss, Macchi...) quand un bruit, pas si loin que ça, le fit s'arrêter net avant même d'avoir commencé.

- Okay, j’adore notre petite convo’, les piafs, toi, moi, tout ça—j’pense qu’on doit s’éloigner un peu plus des fenêtres, genre sans paniquer.

- Tu crois aussi, hein ?

Souffla la Sentinelle, devenue livide en un rien de temps. Courageux, mais pas téméraire, hein ? Enfin, que voulez-vous ? Se retrouver face à une armée de cadavres en décomposition avec un permis bus, ça calme...
Le jeune garçon se plaque contre le rayon poussiéreux sur lequel était perchée la buse, qui semblait d'ailleurs bien se ficher du danger qui les menaçait et ne serait probablement d'aucune aide.

- C'est chill, mais euh, t’vois quoi toi ?

- Un passager qui a visiblement raté son arrêt...!

S'étrangla l'espagnol en réponse. Seul une fraction de son visage, rien qu'un œil, dépassait des étagères. Mais c'était bien assez pour constater qu'un zombie, probablement un des passager du bus en folie qui passait et repassait devant la supérette comme pour les narguer, semblait être descendu plus ou moins volontairement du véhicule.
Il rampait maintenant vers le petit magasin, et se retrouvait si près que les deux compères ne pouvaient sortir qu'en lui passant dessus, d'une manière ou d'une autre.

- Il est trop près, faut qu'on le descende pour pouvoir passer, il campe pas loin de l'entrée...

Étant Sentinelle, Eagle se serait simplement débrouillé pour le mettre hors d'état de nuire et passer son chemin. Mais comme ils étaient un peu trop, et qu'en plus, un bus rentrait dans l'équation, cela avait refroidi le jeune garçon quis'était figé, incapable de penser à une stratégie.
Le but des Sentinelles, c'est de protéger les autres Perdus, pas de les mettre en danger !

« C'est un nom d'avion de guerre suisse de 1918. Tous mes potes à plumes ont des noms d'avions de guerre, parce que ça sonne classe, et j'adore ce qui se rapporte au ciel. »

Et bah, c’est une ambiance. Sense est pas forcément fan des guerres, de les glorifier de cette manière—un souvenir effacé, quelqu’un dont elle était proche qui n’est jamais rentré—sans pour autant le mentionner. Eagle est trop enthousiasmé par sa relation avec ses oiseaux, dur de lui en vouloir. Puis il a des connaissances le gamin, c’est classe.

Le machin qui rampe, certainement parce qu’il a vu les contrôleurs à l’arrêt suivant et qu’il a préféré se casser les membres restants au lieu de payer l’amende—tout à fait honorable, Sense aurait fait la même—vers eux est pas une super nouvelle. En un sens, si y’en a qu’un seul, suffit de le descendre vite fait bien fait. Quoiqu’elle a un flingue et que c’pas l’arme idéal pour ça ; déjà le bruit ne va pas jouer à leur avantage, ensuite, y’a un certain recul qui ne lui permet pas de tirer à moins de se foutre en dehors de la supérette, aka juste devant le truc.

« Il est trop près, faut qu'on le descende pour pouvoir passer, il campe pas loin de l'entrée... »

Ou alors, ils le laissent faire ses courses tranquille, bien à l’abri derrière le rayon, et ensuite ils sortent. Ouais, dans ses rêves. Sense soupire, bien lourdement parce qu’elle est pas connue pour sa patience extraordinaire, laissant le fusil glisser de son épaule. Super, ça lui fait penser au paint-ball. Désagréable souvenir de plus.

« Ecoute, si j’tire, ça va faire un certain boucan, donc faudra que t’sois prêt à courir loin d’ici ou alors on reste et on se planque un moment, » qu’elle prévient, ouvrant la porte d’entrée du bout du pied une fois sortie de leur cachette. Elle fait gaffe, un minimum, que le bruit venant du bus demeure lointain. Ensuite, tout est—quelques vieux souvenirs. On retire la sécurité, on ajuste sa position, on évite les dents qui veulent se planter dans sa cheville—Bordel de saleté !

Sense aurait aimé ne pas crier, mais les choses ne se passent pas toujours comme prévu. Son pied shoote dans la tête qui craque sans pour autant se décocher. Et enfin, les mains qui tremblent et le canon presque contre le visage du zombie—faut pas oublier qu’elle voit que d’un côté—elle tire. En plein dans le mille.

Exactement lorsque le bus décide de faire un dérapage au coin de la rue.

« Eagle, plan ?! Ça serait cool, une distraction ou j’sais pas quoi, merci. »

Lorsqu'Eagle avise le fusil prêt à l'emploi, ça ne le rassure pas beaucoup. Il n'a jamais été trop fan de zombies et films de ce genre... il ne sait pas si ça a une bonne vue, un bon odorat, ou un truc dans le genre.
Allez, réfléchissons deux secondes. Un cadavre en décomposition, ça ne peut pas avoir une bonne vue ni un bon odorat, non ? Scientifiquement parlant, c'est de la chair complètement pourrie, ça ne peut plus être fonctionnel, non ?

Ah oui, c'est vrai, le Fauconnier n'est pas un scientifique.
Et pas sûr que la science, ça fonctionne, sur l'Île.

La Sentinelle est figée. Dans sa tête, il y a comme un genre de sifflement infernal, probablement dû au stress.
Punaise de punaise, c'est encore lui qu'on couvre et pas l'inverse ! Qu'est-ce qu'il fait, si ce n'est rien ? C'est pas possible !
C'est vraiment la pire des Sentinelles !

Surpris par la détonnation, l'espagnol pousse un petit cri aigu des plus virils qui soient tout en se précipitant, lui aussi, hors de la supérette.
Quant à leur ennemi, qui ne se remettra probablement pas d'une balle dans la tête illico presto, il l'évite en lui passant au-dessus avec un beau saut de cabri.

Ce n'est que lorsqu'il se retrouve en plein milieu du bitume qu'il avise le bus faire demi-tour juste à ce moment-là, pour mieux se diriger droit sur eux.

- ¡Madre mía!

Se lamente Eagle, qui se sent impuissant face au bus qui leur fonce dessus à pleine vitesse -logique.

- Eagle, plan ?! Ça serait cool, une distraction ou j’sais pas quoi, merci.

- Non non non, Eagle pas plan, Eagle en roue libre ! Cours !!!

Et il prend lui-même les jambes à son cou, courant un peu n'importe comment avant d'aviser une crevasse assez large dans le béton, sur le bord de la chaussée. Elle n'est pas très profonde; assez pour laisser passer des humains mais pas les roues d'un bus. C'est parfait !
Ça fuse dans la caboche du Fauconnier, qui se voit déjà y plonger pour mieux s'y planquer. Mais, le vrombissement du moteur est trop prêt pour qu'il juge avoir le temps de rejoindre sa cachette sans risquer de se faire applatir avant...

- Dans la crevasse ! Vite, allez !

Crie-t-il à Sense. C'est une Sentinelle, elle est une Diplomate. C'est lui qui doit protéger les autres et se mettre en danger à leur place quand le besoin s'en fait ressentir.
Dans le cas présent, mieux vaut avoir une galette plutôt que deux. Au mieux, aucune. Alors, pour faire en sorte que cela n'arrive pas, l'espagnol dégaine son arbalète, vise le pare-brise à moitié dégommé de l'habitacle.

Le choc est assez important pour faire voler ce qui reste de verre feuillé en éclat, surprenant le conducteur qui perd le contrôle du véhicule.
Eagle n'a jamais couru aussi vite, talonné par le bus qui rigzagait de gauche à droite en d'immondes crissements de pneus.
Au moment où il plonge dans la fissure, se réceptionnant mal au point de s'érafler les mains et les joues sur le béton, le bus vire soudainement à gauche, assez pour être déséquilibré par un morceau de chaussée manquant et partir dans le décor.

- Ouaaaaaah, j'ai cru creveeeeer !

Chouine le Fauconnier, les yeux brillants de larme qu'il refuse de laisser couler. Non seulement c'est pas viril de pleurer devant une fille, mais en plus, ça va probablement piquer sur ses plaies.
Sa réplique est presque coupée par le bruit d'une explosion, ni trop près, ni trop loin. Ça va sentir le cochon grillé dans peu de temps.

- Jeeeeee... chuis désolé, j'ai fait un truc un peu casse-cou mais chuis Sentinelle, faut que je fasse de mon mieux pour protéger les autres ! Toi, ça va ?

S'enquit le jeune garçon, ses yeux brillants de larme et se sincérité recherchant ceux de sa compagne de voyage.
Peu lui importait le sang sur ses joues et ses mains, ou encore ses genoux qui lui faisaient mal -il avait dû se cogner, aussi. L'important, c'est qu'elle aille bien, elle !