« Regarde, j'suis vivante... »

Bien sûr que non, elle ne l'est pas. Samurai pourrait pleurer la jeune fille perdue pendant des lunes que ça ne changerait rien au fait que la chose devant lui ne peut pas être plus qu'une coquille vide—des restes d'humanité peints de bleu. Il abhorre l'absence de violet, de ce côté brillant qui allait si bien à Reaper—Samurai répète son nom dans sa tête en une litanie sans fin, terrifié d'oublier ça aussi—tout ce qui la rendait vivante. Est-ce que Wrath a terminé ainsi également, si horrible ? Comme si la glace avait construit un halo autour des Orbleus pour les étouffer. Est-ce que son ami est mort également ? Avec un illustre inconnu prétendant être capable de retenir les noms et les visages ?

Et les larmes ne se tarissent pas, malgré qu'il voudrait qu'elles cessent. Elles sont douloureuses, le froid essayant d'endommager son regard. Tout brûle—il est en colère, l'Injuste—il déteste cette situation et la façon dont tout s'est terminé, donc il est trop tard pour qu'il puisse s'enfuir. Déteste ne pas être en mesure de baisser son épée et de mettre ses bras autour de Reaper, de lui dire que tout ira bien, de savoir que ça serait suicidaire et inutile. On ne ramène pas les morts et c'est tellement plus simple de les oublier, de laisser l'île voler tout ce qu'on a un jour aimé. Si Freckles, Pretty—si Peppy ou Poncho ou même Sally Swag—si un des livreurs venait à disparaître, Samurai l'oublierait, parce que les choses ont toujours été ainsi. Les anciens chefs, les mères et les apprenties, toutes se sont effacées à jamais et ça le rend furieux, de s'être laissé entraîner dans une telle machination, d'avoir sacrifié son cœur.

« Tu n'es plus Reaper. »

C'est une affirmation, une qui est rauque et pénible. Il va continuer de chialer un moment. Encore plus lorsque la scène se transformera en horreur. L'épée est trop lourde, tandis que Samurai est incapable de prendre une décision. Ah, la dernière fois, le héros c'était Freckles—et ils ne sont que des gosses, pourquoi est-ce qu'ils devraient toujours vivre de belles aventures qui se finissent bien—et Samurai a beau avoir progressé avec son arme, il doute de pouvoir faire le moindre dégât à l'Orbleu.

« Tu n'es qu'un démon, un que l'on doit bannir. »

Belles paroles, quoique ça sera pas son job. Pas alors qu'il la laisse bien trop s'approcher.

« Choisis. »

Où se situe le choix, dans cette barbarie évidente ? Quelque soit la réponse, c'est Samurai qui paiera pour l'avoir soutenue, qui devra accepter des conséquences funestes. L'Injuste ne peut que ressasser la scène, encore et encore. S'il avait été meilleur—oh, le résultat aurait été similaire. On ne peut vaincre tous les ennemis, les contes mentent. Les gens également, profitant de la première ouverture dans un discours pour s'y engouffrer, pour réécrire l'histoire. Il aurait mieux fait d'être ainsi. Les larmes brouillent sa vision, au point qu'il en abandonne presque son arme lorsque les doigts glacés s'en emparent. Plus tôt, lorsque le contact fut presque une obligation, qu'elle comptait l'imposer avant de réaliser que le jeu pouvait durer, Samurai est resté bloqué, son corps refusant de répondre.

Tant de signaux, tous hurlant à différents volumes, depuis son dos jusqu'à sa tête. S'il enfonce la lame, qu'il commet un acte de trahison envers la mémoire de Reaper—un geste de bravoure face aux terribles monstres—est-ce que ça lui fera gagner du temps ? Quelques maigres pas. L'Injuste est bien conscient que les créatures de glace ne sont pas si faciles à éliminer. Sinon, les Résistants ne seraient pas si nombreux, à attendre le retour de deux de leurs membres. Ah, les autres. Samurai ignore certains de leurs noms, voir leur groupe. Jusque là—non, ça fait un moment qu'il tente de mieux faire, d'être plus normal. De moins s'enfermer dans un château où seuls les conteurs peuvent entrer.

Reaper est réelle. Sa mort l'est tout autant.

Samurai abandonne une main, une qui glisse de la garde de l'épée pour retomber. Après tout, il n'utilise les deux que lorsqu'il veut se battre sérieusement. Ah ? A l'orée de la fin du monde, Samurai n'a plus envie d'agir ainsi, de toujours proclamer de belles paroles en jouant avec une arme trop lourde. Il l'abandonne, l'épée heurtant le sol gelé en un brin un peu étrange. Un qui se répand en un écho funeste. Ses vêtements épais ne le sont pas tant que ça, en vérité, le Givre pourra s'y infiltrer sans peine. L'adolescent en a pleinement conscience, en franchissant la distance entre eux, son avant bras gauche pressant contre l'épaule de la jeune fille. Qu'importe qu'elle le regarde ou non, lui ne laisse pas ses yeux déviés.

« Reaper, je ne t'en veux pas. Ce n'est plus toi. »

Les larmes gèlent un peu contre sa peau, à cause de l'air ambiant. Il préfère mourir que de devenir comme elle, cela se lit sur son visage. Pourtant, une énième course—

« Je vais essayer de me rappeler de toi, d'accord ? Je ne suis pas très doué, mais je me souviendrai jusqu'au bout, » sa voix se casse, s'éparpille au milieu du vent. Il est terrifié.

Je suis désolé, j'ai passé ma vie à me battre, je n'en ai plus envie.

TW Amputation

« J’vais t’laisser un souvenir pour être sûre que tu t’en rappelles. »

Il n’y a pas de victoire dans cette histoire, ni dans aucune. Pas pour Samurai. Ce sont les forts, les vainqueurs, qui écrivent les livres, qui narrent leurs exploits, transformant les épées en monstres et leurs porteurs en être dénués de bon sens. L’adolescent n’ignore pas que c’est une fin, une qui tranche, brutalement, sans lui laisser le loisir de digérer l’information. Le monde s’arrête, le souffle gelé si proche de son visage, un instant où le regard sans vie de celle qui fut Reaper—ça ne peut plus l’être, sinon ça voudrait dire que les gens sont horribles et impardonnables—croise le sien. Et puis l’épée, arme volée par chacun de ses propriétaires—poids mort qu’il devrait être soulagé de voir disparaître, s’il n’était pas incapable de réfléchir.

Coup sec, silence. Ses doigts ne sont plus là, c’est tout ce qu’il remarque, prisonnier d’une stupeur effarante qui s’arrête à son coude. Ensuite, rien ne vient. Est-ce qu’il devrait hurler, se rouler par terre de douleur ou bien tenter de stopper l’hémorragie qui a déjà commencé ? Samurai n’a pas le choix, même si la chose prétend lui en avoir offert un.

Tout cela ne s’est pas produit, pas encore.
Il est trop loin, abandonné au recoin de la scène, à l’acte précédent. La souffrance absente, un peu en retard. Il ne parvient pas à réagir, son cerveau bloqué sur la lame qui se redresse. Un instant, ses lèvres s’écartent, prêtes à offrir—n’importe quoi, une question, une insulte, une prière—rien ne parvient à lui échapper. Peut-être que c’est tout simplement parce qu’il a l’impression de ne plus voir ni d'entendre, que tout a cessé d’exister en une fraction de seconde. Est-ce que Reaper—ce n’est pas elle—devrait regarder un tel spectacle ? Il n’est pas parvenu à la sauver, encore moins à faire de même pour sa personne. Le vide s’étend, rouge qui goutte trop rapidement sur le Givre, qui a déjà formé une flaque dans laquelle il se tient. Au lieu de tanguer, de chavirer au milieu de nulle part lentement, tout s’arrête d’un seul coup.

Lorsque Reaper est morte, Samurai est resté avec elle.
Maintenant que c’est son tour, qu’il s’écroule et termine dans la neige glacée, inconscient, elle ne lui offre qu’un sourire.

Ce n’est pas très juste.