Et l'enfant courait, prenant la porte menant ailleurs. Le vampire relâcha la poignée tandis qu'il prononça des mots à l'intention de ses protégés. Il venait de leur parler d'un jeu. Trouver l'humaine.

Il n'avait pas parlé de tuer. Juste trouver.

Il insistait sur ces mots puis disparu en usant encore de sa vitesse. Traversant pièces et pièces. Et les autres bêtes de la nuits, griffes et crocs encore rouges faisaient de même.

Les poussières valsaient aux passages des habitants du Manoir, mais surtout Dracula s’amusait un peu. Veillant à garder sa tenue parfaite, il marchait et accélérait parfois. Remettant une mèche de cheveux en place du bout de ses ongles tranchants. Les yeux brillants encore leurs lunes de sang.

Les spectres murmuraient aux oreilles du Ténébreux l’avancée de la jeune fille.

La satisfaction se peignit sur son faciès mort. Reaper courait bien, elle faisait grincer les planchers à souhait. La bâtisse vivait par procuration de l’envie de vie de l’humaine. Le comte des vampires aimait voir les êtres vivants protéger leur existence. C’était tout ce qu’il voulait à ce moment. Juste entendre que l’enfant voulait s’enfuir.

Dracula se changea en chauve-souris et suivit les fantômes, même s’il dû faire des détours afin de ne pas se prendre les murs que les morts sans matière pouvaient aisément traverser. La Fêlée en vue, il la dépassa et retrouva sa forme humanoïde devant elle.

- Courir dans une maison au plancher grinçant n’a rien de silencieux. Comment veux-tu fuir des prédateurs plus rapide que toi sans user d’un peu de discrétion ?

Comme s’il parlait d’évidence, comme s’il ne faisait que commenter la fuite de l’humaine. Il était là au beau milieu du passage et constatait. Il ne faisait que regarder de ses prunelles lumineuses.

La horde s’approchait à son tour.

- Tu devrais plutôt te cacher, à moins que leur flaire ne te trahisse.

Un ordre, une rage peut-être ? Ou de l'empressement plutôt. Dracula laissa évidemment Reaper le contourner, il la suivit simplement de son regard inhumain. Observant la suite de la course. Il se mit en marche, de grands pas mais pas de course. Voyons, il détestait courir.

Une vampire arriva à la hauteur de son maître, elle lui saisit le bras marchant à ses côtés. Elle sembla chercher quelque chose dans le visage de Dracula avant qu'un sourire radieux illumine ses lèvres dégoulinantes de sang. Elle venait de suivre le mouvement de la main libre du vampire, geste lui indiquant un chemin qui lui serait amusant. La créature avait la pâleur des fantômes, des cheveux violets, des ceux cernés de noir, elle courait en chemise de nuit à la poursuite de l'humaine. Elle riait, elle chantonnait.

Le Ténébreux continuait de marcher. Cependant, il choisit le chemin menant à l'étage du dessous. Là où la porte se trouvait, ce serait un final plus intéressant.

Les minutes passèrent, et le Manoir semblait retrouver sa respiration calme.

Dracula dessina un sourire satisfait encore, il semblerait que la fillette l'ait écouté. Un frankenstein apporta une canne au maître, celui-ci s'en saisit et l'observa attentivement. Un bel objet sculpté et décoré d'or blanc, à nouveau pour jouer avec l'apparence de l'argent. La poignée ressemblait à une tête de corbeau, tête qui fut enrobée par la main du vampire.

- Enfin, je craignais que le sang n'ait endommagé le bois. Bien... Je crois entendre les rires de mes Horreurs, notre visiteuse les distrait à merveille.

Sur ces mots, il se dirigea en direction des sons. Il constata que les vampires étaient postés un peu partout, la gamine leur donnait un peu de fil à retordre. Quelle nuit délicieuse. Il inspira l'air ancien lentement avant d'expirer avec douceur, il ressentait bel et bien de l'humain. Mais étouffé. Reaper était donc ailleurs. Ni à l'étage, ni au niveau de la sortie. Peut-être simplement enfermée dans une armoire ?

Ce qui était sûr, c'était qu'elle était encore en ces lieux. Les spectres murmuraient qu'ils ne la voyaient pas dans les pièces.

- Hm, on dirait qu'elle s'est changée en souris.

Les yeux du comte des vampires se posèrent sur un trou au pied d'un mur lorsqu'il dit parla entouré par quelques vampires impatients de résoudre cette énigme.

Le temps passa encore, et les vampires cherchaient, sentant l'humain dans une zone spécifique mais ne parvenant pas à mettre la main dessus.

Dracula arriva à son tour dans ce fameux périmètre où les ongles de ses protégés avaient déjà commencé à gratter les murs.

- Vous délabrez mon Manoir, reprenez vos manières et retirez vous.

Et les bêtes de la nuit s'exécutèrent dans une révérence, le jeu semblait terminé. Le Ténébreux ne retint que la vampire aux cheveux violets aussi sombres que la pénombre, il glissa ses longs doigts sur les contours de la porte du monte-charge. Certes, ils se chargeaient de cela afin de passer des plats parfois. L'odeur humaine y était présente à l'origine. Les phalanges cernèrent la poignée et ouvrirent, rien à part le vide ou les cuisines en sous-sol.

- Pourquoi diable laisser cela entre deux étages, hm ?

Un sourire aux lèvres, et cela fit réagir la vampire qui se saisit d'une des cordes et glissa, glissa et glissa. Lentement la "boîte" descendait à eux.

Et lentement, la corde craquelait.

Ils virent apparaître quelque chose d'humain. Dracula attendait, appuyé sur sa canne, et la femme vampire émit un rire doux. Bien différent d'avant, lorsque la chasse permettait l'animosité.

Mais la corde rompait, si elle lâchait... probablement la créature à la belle chevelure se retrouverait les mains sectionnées.

Un bruit des plus déplaisants arriva aux oreilles de Dracula, la chute d'un monte-charge et son contenu. Cela mêlé à la vampire criant la douleur engendrée par une manière aussi brutale de perdre les mains. Le Ténébreux observa rapidement ce qu'il en fut à l'étage inférieur, il n'eut qu'à hausser les sourcils en voyant l'enfant en vie trouvant même la force de lui adresser un geste obscène. Il en déduit que l'humaine avait bien encaissé la chute, contrairement à la bête de la nuit repliée sur elle-même au sol.

- Cesse de perdre ton immonde fluide sur le plancher et va te soigner. Aucun vampire n'est mort de cette manière.

Des mots dits avec une certaine rudesse, sans se détourner du lieu de l'incident. Dracula ne recula que pour se diriger à son tour aux cuisines. Laissant la créature pleurer non pas de douleur mais de peur d'avoir déçu le comte.

Le manteau s'éleva par la force de la marche décidée jusqu'à la porte qui mènerait jusqu'aux sous-sols. Des frankensteins étaient déjà en train de laver le sang, et d'autres venaient s'occuper des plats. Tout se préparait pour un banquet qui se déroulerait bientôt, il y avait de tout. Toutes viandes. Ce qui incluait quelques morceaux humains. Même si sans doute certains étaient pendus afin de les saigner pour Dracula.

Le Ténébreux grimaça en ouvrant la porte, descendant les marches grinçantes, ce n'était pas un endroit particulièrement civilisé. Certes une cuisine plus traditionnelle se trouvait à l'étage, mais ici il s'agissaient des grands plats, du sang à collecter en permanence. Le vampire avait tant soif.

Passant la tête par le tournant d'un des murs de briques, l'horreur cherchait où pouvait bien se trouver Reaper à présent.

Il s'arrêta au milieu de la pièce, mains sur la canne, observant de tous les côtés, sans oublier sa tenue aristocratique.

- Jeune fille, ne traine pas trop ici. Tu vas gêner le travail des cuisines, et le spectacle n'est pas pour toi.

Les cuisines, les cuisines... Dracula n'y mettait que très rarement les pieds. Il n'avait pas besoin de se soucier des plats, des récoltes de sang, il se contentait de celle de l'étage parfois. Mais peut importait... ses papilles ne sentaient plus que le goût de l'hémoglobine. Il ne vivait que de cela, le reste ne servait qu'à recréer quelque chose de commun à l'aristocratie ou à nourrir les invités.

Il ouvrait des placards du bout de sa canne, d'autres armoires sans plus d'enthousiasme.

C'était calme, seuls quelques travailleurs pointèrent le bout de leur nez.

Trois frankensteins, nulle besoin de plus.

Dracula se massa la tempe en réfléchissant où regarder pour trouver l'humaine. L'odorat ne servait strictement à rien en ces lieux, le sang des mortels grouillait et laissait son parfum dans tout le sous-sol.

- Comptes-tu jouer à cela toute la nuit ? Nous avons chacun de notre côté bien mieux à faire, tu ne crois pas ?

Il longea un comptoir, glissant le bout de ses ongles. Lorsqu'il s'arrêta, il tapota.

- Ciumă.

Mot grommelé avec tout l'accent d'Europe de l'est qui se faisait très prononcé lorsque la colère ou l'impatience prenait place.
Le Ténébreux entreprit d'ouvrir un à un les meubles, tandis qu'un petit commi passa devant le maître pour ranger des assiettes dans un placard.

La créature grogna en ouvrant les portes.
Dracula frappa le sol avec sa canne, faisant dos à la scène.

- Cesse de geindre, j'essaie d'écouter le coeur battre !

Un genre de bluff, car en réalité... il ne pouvait pas s'empêcher d'entendre le coeur à l'étage. Plus haut. Celui qu'il cachait et que ses oreilles ne cessaient d'écouter malgré elles.

Bref, il avait jeté cette phrase en empoignant la bête remodelée et recousue sans douceur. Et lorsqu'il baissa les yeux, il relâcha la chose. Remit son col en place et se racla la gorge, tendit fermement sa canne au niveau de la gorge de Reaper.

- Je crois qu'il va falloir trouver un terrain d'entente avant que je ne m'emporte.

Spoiler:

Canne repoussée et la furie parla sincèrement. Avec tout ce qui faisait des humains... des humains. L'émotion primant sur la tenue, certes Dracula savait pertinemment que parfois le Ça prenait le dessus. Il était même bien trop présent chez les bêtes de la nuit. Il veillait à contenir ce restant d'humanité. À moins que ce ne soit un Surmoi ?

Il ne savait plus.

Peut lui importait.

Un sourire en coin se dessinait déjà sur son faciès mort, mains appuyées sur la canne. Il toisait de toute sa hauteur la fillette sortant en partie du placard.

- Quelle attention délicate. Nous avons donc trouvé comment rétablir un certain ordre. Cette nuit, normalement, aucun humain n'aurait dû se présenter. Il s'agissait d'un deuil que je faisais. Alors, maintenant, nous allons effacer ce malencontreux moment.

Le vampire se baissa un peu, tendant sa main droite décorées de bagues aux lourdes pierres. Les phalanges s'étirèrent en invitation à les saisir, si l'humaine s'en sentirait le courage.

- La liberté pour des mains tranchées.

Et la voix du Ténébreux changea son miel en un vinaigre appelant le commis, celui-ci s'approcha d'eux en tenant les mains aux poignets broyés. Le maître des lieux se redressa, remettant un pans de son manteau en place.

- Serais-tu capable de coudre en quelques points ce qui a été dérangé ?

Dracula attrapa l'une des mains tranchées, haussa un sourcil en écho à son rictus.

- J'ai conscience que la qualité ne rime jamais avec les Garçons Perdus. Points grossiers, je n'en ai cure. Mais cela t'offrira la liberté, ainsi que ma protection tant que la tâche ne sera pas finie.

Un marché étrange mais qui avait bel et bien un sens pour Dracula. Pour sa logique, sa vision des choses. Et une visiteuse devait bel et bien se plier aux règlements de la maison où ses pieds reposaient. Non ?

Jamais le ton du vampire n'avait pris une face menaçante, toujours le miel, toujours la profondeur.

Bien évidemment, l'humaine ne guérirait pas la vampire. Et penser que Dracula se souciait réellement de cela ne serait une mauvaise route. Il ne s'agissait là que d'un genre de jeu, pur marché ne servant qu'à donner un prix à une demande.

Juste jouer avec les humains.

Juste "effacer" le passage d'un être.

Le Ténébreux dévoila un sourire acéré avant de finalement répondre à la fillette.

- Mentir, cela ne concerne que les humains sans manières.

Juste après ces mots, le maître des créatures de la nuit appela la femme aux mains sectionnées, elle ne se fit pas prier et s'agenouilla au sol à côté de Dracula. Celui-ci saisit l'avant-bras droit sanguinolent et l'observa avant d'ajouter :

- La régénération sera bien lente très chère.

Le frankenstein posa les mains à terre et se retira s'enquérir d'une aiguille et d'un fil particulier. La femme ne disait pas un mot, se contentant de regarder le vampire des vampires. Le comte relâcha négligemment le membre pour reposer les mains à sa canne, surveillant l'horreur recousue tendant le matériel à Reaper.

Est-ce que cela servait à quelque chose ? Définitivement pas.

- La chose va te montrer les premiers points. Tu finiras.

Un air mortellement sérieux sur le faciès. Il surveillait.
La créature immonde entreprit alors de donner l'exemple, et la vampire gémissait de douleur. Ça n'avait rien d'agréable, et sans doute... Dracula se servait de cela comme d'une punition. Punir un vampire qui avait failli à un ordre, recevant pénitence de la source de l'échec.

Elle chuchotait à son maître de lui pardonner à chaque fois que l'aiguille se plantait dans la peau déchirée.

- Vos mains seront à cacher sous des gants, ma belle. Si vous parvenez à les enfiler...

Probablement qu'il serait impossible à bouger le moindre doigts pour la créature de la nuit blessée.

Sourire mauvais, les yeux brillants doucement. Le Ténébreux était en réalité plus agacé par sa comparse que par la Garçonne qu'il avait dû courser.

Laissant les choses se faire, Dracula observa les alentours comme s'il cherchait quelque chose. En fait, il écoutait les murs. Il appréciait le retour de la vie mortuaire dans son Manoir, tout comme les grincements de plaintes endolories, tout comme les battements d'un coeur précieux enfermé dans les planches.

À un moment, son regard se perdit dans le vide.

La peine s'en était allée, il semblerait. Inconsciemment, sa main venait s'accrochée au pli du gilet à sa poitrine. Vers l'organe mort depuis si longtemps. Celui dont il fallait faire taire les pleurs, et étouffer le moindre battement né d'une émotion idiote et humaine.

Sèchement, il releva les pupilles cernées de rouge lumineux sur Reaper. Cette dernière venait de cracher un peu de venin. Certes, mais... c'était intéressant.

Le Ténébreux ne quitta pas l'enfant du regard, se baissant au niveau de tout ce petit monde. Les sourcils étaient froncés, la tête légèrement tournée. Comme s'il entendrait mieux le sens de cette manière. Un air surpris se peignait sur le faciès du comte des vampires. La femme souffla "absurde" en réponse à ce qui se disait.

- Crois-moi, elle deviendra plus forte encore... Lorsque la mort ne guette plus aussi facilement, il faut bien trouver des motivations nouvelles à la fureur. Autre que la faim, je préfère.

L'expression demeurait inchangée, Dracula semblait encore analyser la Fêlée. Observant entre autre la cicatrice qu'il jugea bien voyante.

- Le penses-tu vraiment ? Peter vous a déjà aidé une fois votre ombre dérobée ?

Le vampire se trouvait être le plus sincère possible. Il se demandait si le jeune tyran de l'Île se souciait réellement ou s'il ne s'agissait pas du rêve d'une petite fille admirative.
Il glissa ses doigts blancs entre les mèches de cheveux violets sombres, avant de doucement laisser la chevelure glisser sur les phalanges. Le seul spectacle qui avait détourné le regard de l'horreur.

Puis, ramenant la main vers lui, il la porta au menton. Revêtant ainsi à nouveau l'air pensif.

- Où était-il déjà, lors de la Grande Nuit ?

L'arrogance si connue aux enfants se présentait. Le point sensible étant Peter, c'était réellement le cas, la plupart du temps. Dracula avait compris quelques éléments sur cet enfant qui pourrait peut-être lui offrir une invulnérabilité absolue... c'est qu'il prenait des garçons et des filles qui abandonneraient facilement leurs racines afin de vivre un monde magique. Pour voler, pour jouer et ne jamais plus grandir, c'était cela hein ?

Le Ténébreux afficha un sourire satisfait, et vorace.

Reaper disait qu'ils n'étaient pas là pour parler du tyran, cependant le vampire en doutait. Il était toujours question de l'enfant roi. Toujours. Il faisait littéralement la pluie et le beau temps. Il volait les ombres et les souvenirs de ceux qui le suivaient.

Le maître des lieux caressa la chevelure violette sombre en lui disant de s'en aller, que les frankenstein la rendait belle à nouveau.
Du moins, selon les goûts des horreurs.

Puis il fit un signe de main à la Garçonne, l'invitant à le suivre. Il marchait en direction des escalier. Une musique d'orgue retentit, cliché mais pourtant collant si bien à l'ode à la mort de ce domaine, le comte vampirique leva la tête en direction du son avant de se concentrer à nouveau à mener l'intruse jusqu'à la sortie.

- Il ne faudrait pas que les autres se battent pour ton sang. C'est encore trop tôt. Cette île doit d'abord te porter de la saveur. Ton vécu ici te donnera plus encore de piquant.

Pas d'entourloupe, Dracula n'avait fait que suivre les couloirs, les portraits poussiéreux, les meubles classiques et pourtant semblant laissés à l'abandon.

Face à la porte, il entreprit d'ouvrir mais demeura le poing fermé sur la poignée.

- Tu n'as peut-être pas encore remarqué, mais sache que TOUT sur cette maudite île concerne Peter. J'ai conscience que vous autres avez la mémoire très courte, cependant tentes de te souvenir : ne cesse jamais de t'interroger.

Un grincement couvrit la musique et les rires des créatures qui préparaient une fête, la sortie était libre.

- Si peu de saveur, cela me prend en pitié. Ma curiosité avait pensé pouvoir décerner une audace peut-être capable de penser au-delà du jeune tyran.

Une main sur la canne, l'autre ouvrant le chemin.

- Quoi qu'il en soit, la voie est toute à toi.

Le comte Dracula était satisfait de cette nuit imprévue.