Vous ne passerez pas

Aucun de vous ne survivra

Le Temple Maudit est la zone la plus dangereuse pour les habitants du Canyon et même de l'Ossuaire. Les nombreuses rondes de tes éclaireurs ont vite relevé cette faille, ce gouffre même : une zone frontière avec le Givre qui progresse toujours, une zone séparant les réfugiés de la côte donnant sur le repère Orbleu ; le chemin le plus court reliant les deux.
Cela fait plusieurs jours que tu rodent dans les environs du Temple sans trop te risquer à l'intérieur : ce serait un danger inutile, aucun Orbleu ne se cache dedans, impossible avec tous les pièges qui truffent le lieu. Cependant les abords offrent un point de ralliement intéressant et donc dangereux pour vous.
Mac a bien voulu t'y accompagner, mais tu le vois de moins en moins depuis le début des vrais ennuis ; même lui se cache du Givre mais tu ne lui en veux pas.

Accroupie sur une margelle en hauteur, placée idéalement pour voir sans être vue, tu caches ton souffle brumeux dans ton haut colle noir. L'alliance des Raccommodeurs, des Armuriers, des Artisans et des peaux-rouges fait des merveilles comme en atteste ta tenue : un ensemble complet en laine et peaux diverses teintes en noires et doublées d'une épaisseur de cuir ainsi que de ta côte de maille ; étouffant ainsi  le moindre cliquetis pour un résultat protégeant du froid, des attaques et de la morsure du Givre. Tes gants sont plus fins pour te permettre d'encocher une flèche sans gêne, mais améliorés par la magie des fées des neiges. Une épaisse capuche noire vient compléter le tout en couvrant ta tignasse rousse et tenant tes oreilles et ton crâne au chaud.
Tu attends, aussi discrète que les ombres, ton arc bandé, une flèche pointée dans une direction précise.
Il arrive, tu le sens par le froid qui s'intensifie, tu le sais car tu as capté des mouvements venant de la plage, dans cette direction.
Tu espères qu'il va bien passer par là, sinon ce sera une sentinelle peau-rouge ou un enfant chasseur qui le cueillera.
Tes doigts démangent, ils appellent le sang, le sang bleu.
Il apparaît enfin et un sourire satisfait étire tes lèvres : tu reconnais le Dragon. Tout le monde connait le Dragon. Ses yeux ont toujours eu un bleu particulier, mais ce bleu là ne trompe pas : c'est un esclave de Hook.
Tu n'hésites pas une seconde, ne le provoques pas : tu as déjà trop vu de compagnons se faire tuer par les Orbleus ; bien trop forts et rapides.
Tu inspires, vises de ce nouvel arc que Sharpy t'a fabriqué avec l'aide des fées, alliant la puissance d'un arc courbe et la portée d'un arc long.
Tu laisses l'air s'échapper doucement de tes poumons et relâches la corde qui produit ce son si reconnaissable.
Mais il est trop tard pour qu'il l'évite, la puissance de l'arc confère une vitesse inouïe à ta flèche.
Et puis tu as visé entre les deux yeux.

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Ta flèche se plante entre les deux yeux, tu ne rates jamais ta cible. Mais aucun sourire satisfait ne vient étirer tes lèvres, bien au contraire. Les sourcils d'abord froncés tu regardes le Dragon sourire sans vaciller. Il semble couvert d'une couche brillante qui vole en éclats avec la flèche : aucune plaie n'est visible.
L'horreur se peint sur ton visage et te fait faire une grossière erreur. Une erreur fatale. Son regard d'orbleu croise le tiens, il t'a vu. Tu es sortie de quelques centimètres de ta cachette, quelques centimètres de trop ; son sourire te glace le sang, peut-être même littéralement.
L'évidence éclate dans ton esprit et un long frisson te secoue alors que de la sueur gelée coule dans ton dos : les Orbleus sont invulnérables.
Tu vas mourir.
Et comme pour confirmer cette sentence, le Dragon forme une lame de glace à partir de la neige environnante. Sans arc et sans frémissement, le projectile fond vers toi, entre les deux yeux.
Un cri étouffé jaillit de tes lèvres couvertes et tu n'as que le temps de te laisser tomber en arrière pour ne pas mourir dans l'instant. Le haut de ta capuche est découpée, nette, et tu ne doutes pas du tranchant de l'arme gelée.
Ton arc t'encombre, tout se passe trop vite, tu ne peux pas te rattraper à la poutre sur laquelle tu t'étais positionnée.
La chute est amortie par la neige mais tout l'air de tes poumons sortent d'un coup douloureux.
Ton expérience te sauve et tu te rétablis immédiatement. Une flèche jaillit déjà, ton mouvement rendu flou par la pratique.
Il ne faut pas que tu le laisses s'approcher, ta maîtrise de l'épée n'est pas assez bonne pour te permettre de simplement survivre plus de deux secondes face à un Orbleu.

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Le temps que tu te redresses il s'est déjà rapproché. Il a l'air si tranquille ! Et tu comprends bien pourquoi. Tu comprends horriblement bien. Il lève une main et tu décoches ta flèche plus par réflexe de survie qu'autre chose. Mais une vague de neige s'élève entre toi et ta cible, un vague qui avale la flèche et qui déferle sur toi avec un grondement sauvage laissant deviner la violence de l'impact. Elle est trop large pour que tu l'évites en sautant sur le côté et tu sais qu'elle ne s'arrêtera que lorsqu'elle aura percuté quelque chose. En l'occurrence toi.
Mue un nouvelle fois par la simple et pure survie tu te recroquevilles dans la neige, abritant ton arc sous tes couches de vêtements et les dents serrées dans l'attente de l'impact. Qui est aussi violent que tu l'imaginais. Un cri t'échappe alors que tu sens ton corps craquer sous l'assaut et ton arc s'enfoncer durement dans ton corps.
Mais tu n'as pas le temps de geindre, ni même de grogner de douleur. Ton corps se mue sans que ton cerveau n'arrive à suivre la cadence. Ton corps veut survivre et fait ce qu'il faut pour.
Tu jaillis de la gaine de neige, l'arc toujours en main et tu encoches une nouvelles flèche qui vole déjà vers l'Orbleu, son cœur cette fois. Tu n'attends pas de voir l'effet, une deuxième flèche vole déjà vers son ventre. Tu recules tout en tirant tes flèches, le visage déformé par une grimace de douleur. Tout ton corps te fait souffrir, il gémit et grince de partout et dans ton esprit apparaît le mot "cassé". Mais ton corps s'en souciera plus tard. Lorsque vous aurez survécu. Si vous survivez. Tu continues de décocher des flèches à la chaîne, un peu moins rapidement qu'avant la vague de neige, tout en reculant vers la sortie la plus proche.

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L'espoir, une seconde, quand la flèche se fiche dans le ventre de l'Orbleu. Mais la flamme est immédiatement étouffée par la glace du sourire carnassier ; tu jurerais que la créature aime ça. L'horreur reprend sa place aux côtés de la terreur et si ton corps n'était mue par sa propre volonté d'acier, de survie, un gémissement s'échaperait de ses lèvres gercées.
Les flèches qui suivent sont facilement évités et le Dragon de givre avance, inéluctable. Et dans ses yeux bleus malades, entre ses lèvres blanches, la mort parle.


Et tu cours Stealth. Tu détales comme un vulgaire lapin, lâchant cette fois un gémissement de proie. Tu ne tires plus, tu ne te bats plus, tu fuis, tu boites, tu te tiens les côtes brûlantes de douleur, tes yeux bleus écarquillés par la terreur.
L'Ardente n'a jamais peur, mais en cet instant, l'Ardente n'est qu'une proie terrorisée sentant le souffle de la Mort chatouiller sa nuque. Tu n'oses pas te retourner pour voir si l'Orbleu est vraiment juste derrière toi, prêt à t'abattre. Ou pire, comme ce que ses yeux semblaient te le promettre.
Une lente agonie entre les griffes du Dragon.

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Il te rattrape, évidemment qu'il te rattrape. Et alors qu'il saisit violemment une de tes nombreuses couches de vêtements protecteurs, ton cœur se serre en même temps qu'il n'explose de terreur mêlé de soulagement. Un grognement étouffé alors que tu bascules dans la neige verglacée avec lui, attisant la douleur de tes blessures. Vous roulez jusqu'en bas de la pente et tu ne peux que te recroqueviller pour amortir la chute et ne laisser aucune ouverture vers ta peau à l'Orbleu.
Tes yeux bleus accrochent un rocher, là bas, alors que le ciel et la neige se mêlent en un chaos douloureux. Tu saisis vivement le Dragon et tire de toutes tes forces pour le mettre devant toi, où que soit le devant dans cet imbroglio. Le craquement sourd qui accompagne le choc sans déclencher de vague de douleur dans ton corps t'arrache un sourire satisfait. Qui meurt instantanément devant celui tordu de démence de la créature.
Le mouvement est rendu flou par la vitesse mais tu as le temps de reconnaître l'éclat d'une lame. Un bond en arrière pour esquiver, mais cet enfoiré te tient toujours fermement d'une main, malgré le choc.
Un grognement étouffé alors que tu sens la lame s'enfoncer dans ton ventre. Heureusement, la fourrure, le cuir et la cotte de maille font remparts et tu n'as que la bile qui te monte aux lèvres sont la violence du coup.
Tu tentes de bondir par dessus le bras qui te tient toujours, t'enrouler autour pour t'en défaire tout en tordant le poignet.

Tu ne cherches qu'à te défaire pour fuir.
Tu n'as, de toute façon, aucune chance au corps à corps.

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Tu te débats dans la neige, dans son étreinte mortelle et gelée. Ça n'a rien d'une charmante scène hivernale : ce sont deux adultes je ne suis pas une adulte ! qui combattent : l'une pour sa vie, l'autre pour le plaisir. Aucun doute là dessus, le sourire sadique du Dragon est aussi célèbre que l'état de ses victimes ; alors le Dragon Orbleu... Maudite fierté qui t'a fait croire pouvoir t'en charger. Bien sûr, dès que tu l'avais reconnu, tu avais rapidement imaginé la satisfaction de ramener le corps criblé de flèche du fameux Lòng. C'est avec une parfaite ironie que ton esprit te renvoie ce souvenir d'il y a quelques instants à peine alors que la lame brille de nouveau dans les airs, vers ton genou cette fois. C'est rapide, beaucoup trop, comme tous les mouvements de la créature qui t'emprisonne de ses longs membres : protéger ton genou dans cette situation est impossible et tu ne peux que regarder l'arme transpercer ton pantalon, puis ta cotte de maille trop légère pour enfin se planter dans ton corps. Ton hurlement ne dure qu'un infime instant alors que tu l'étouffes dans un grognement proche du cri de rage - et de peur. Tu es l'Ardente, tu ne pleures pas, tu ne crains pas la douleur, tu....
Tu es effrayée, blessée, gelée, désarmée et désespérée.
Des larmes montent aux coins de tes yeux bleus azurs, seul morceau de ton corps visible au milieu de toutes tes couches : c'est autant de douleur que de rage impuissante et de terreur.
Le Dragon ne te laisse aucun répit - évidemment - et alors que sa lame fouille dans ta chair, son autre main cherche au milieu de toutes tes protections, te cherche, toi. Il te dépiaute, avec une violence jubilatoire qui illumine ses yeux trop bleus. Non, tu ne veux pas qu'il te trouve; qu'il t'atteigne. Tu sens ses longs doigts se rapprocher de ton visage, tu te débats comme une furie, pousses des cris d'effort, de rage, de peur.
Alors qu'il enlève le tissu qui cache tout le bas de ton visage jusque sous les yeux, il y a comme un flottement entre vous, pendant lequel vos yeux différemment bleus se fixent.
Un battement de cils puis un grondement sauvage jaillit de ta gorge alors que tu envoies de toutes tes forces le sommet de ton crâne dans le nez du Dragon. Tes couches de vêtements te permettent d'y mettre toute la puissance possible sans te fendre toi même le crâne.
Tu n'espères qu'une chose : te libérer de son étreinte mortelle et le faire souffrir, mais la partie cruellement réaliste voit le sang couler de ta jambe transpercée et sait que tu n'iras pas loin...

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Un éclair de surprise vient effacer le rictus sadique du Dragon mais il ne bouge pas de sa place, te dominant et t'écrasant. Aucune goutte de sang ne coule de son nez.
Les Orbleus ne saignent pas.
Le sourire revient sur sa face blanche aux reflets bleutés alors que tu deviens livide de terreur. Je vais crever.
Il t'agrippe l'arrière du crâne et ramène ton visage tout près du sien, tellement près que tu sens son souffle glacé qui te brûle le joues, que tu te noies dans le bleu malade de ses yeux et vois ses dents prêtes à te déchiqueter.
Ça s'agite dans ton genou, tu baisses les yeux un instant pour voir la lame du Dragon en sortir dans une gerbe de sang brûlant qui fait presque grésiller la neige ainsi souillée.
Cette fois, tu ne peux retenir un cri de douleur, ni les larmes qui te brûlent les yeux alors que tu les replonges dans ceux de l'Orbleu.
La rage tente de couvrir la peur dans ton regard et tu sers les dents à t'en déchirer l'intérieur des joues, laissant le sang envahir ta bouche.


Et il resserre sa poigne, t'arrachant des cheveux à travers toutes tes couches de vêtements.
Tu lui réponds d'un crachat ensanglanté droit dans l’œil. L'envie de lui arracher le nez avec tes dents est forte mais la peur d'être contaminée par ce contact l'est encore plus.
Ton cerveau tourne à toute allure tout en moulinant dans le blanc de la panique face à la mort certaine : tu n'as pas le choix, c'est ta dernière chance, même si impossible, improbable. Tu ne peux pas renoncer sans avoir tout essayé. Tu es l'Ardente bon sang !
Il faut y parvenir en un seul mouvement rapide et net, tu n'auras pas de seconde chance.
Un, deux...
Un cou violent de la tête, tu sens ton cou craquer douloureusement, mais c'est juste le temps de le distraire, rien qu'une seconde, pour saisir la lame à ton côté. Coincée ainsi entre la créature et la neige, tu ne peux la dégainer entièrement, mais juste assez pour que le morceau de lame sorti tranche dans le bras qui te retient. Si il ne saigne pas, ses muscles et tendons doivent quand même pouvoir être endommagés. Non ?
Il suffit qu'il te lâche un instant...
Pour quoi faire ? Te traîner misérablement sur un mètre avant qu'il ne te rattrape ?
Tu te dois d'essayer.

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Pas un centimètre. Il ne relâche rien, pas même un petit doigt. Il sourit juste, toujours plus sadique. Le désespoir t'envahit et tu sens ta flamme d'Ardente étouffer avant de s'éteindre tout à fait dans ton cri de souffrance mêlé aux os broyés.


Tu réponds d'un cri hystérique en secouant la tête en tout sens pour ne plus voir ses yeux trop bleus et son sourire cruel.


Les larmes se mettent à couler à flot, de douleur et de terreur, mais tu n'es pas une pleurnicheuse et tu te remets à hurler comme une furie en gigotant sous le corps de la créature. Ridicule.


Tu ne peux plus rien faire. C'est fini. Tu n'es plus qu'une proie, la proie du Dragon. Et aucune victime du Dragon ne revient… Sauf une, hurlante de terreur.

Pour la première fois de ta vie, tu renonces.

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