[HRP : Ce sujet se déroule pendant la Pluie Salée, peu avant le départ de la mission dans l'Ordinaire]

Les crues ont fait bien des dommages. Sur le paysage, la faune, la flore et les populations. Les fées elles-mêmes ont été rapatriées à la Citadelle, pour celles dont l'habitat n'était plus disponible faute à la Pluie. Le Bleu fatigue. Mais surtout...

... des sirènes ont disparues. Emportées dans l'Ordinaire, par un tourbillon trop fort que même leur Père n'a pu éviter. C'est pour cela qu'une mission est mise sur pieds. Et qui de mieux pour guider les habitants dans l'Ordinaire que celles qui s'y rendent régulièrement, prenant en charge les saisons ?

La Reine, cependant, choisit volontairement de ne pas rejoindre l'équipage. Peter s'y rend déjà. Et bien que l'île est au ralenti lorsqu'il n'est pas présent, Mab préfère ne pas risquer de l'abandonner. L'idée la dérange, comme si elle sait d'avance qu'ici aussi, quelque chose se prépare.

Depuis l'entrée de la Citadelle, on ne voit pas les dégâts provoqués par la Pluie. C'est comme vivre dans une île dans l'Île, que rien n'atteind. D'ici, on peut aisément ignorer les problèmes qui bouleversent le Pays de Jamais. C'est pour cela qu'il est important pour Mab d'être à l'écoute. Des Esprits, de la Nature, et de son peuple.

Il lui est de toute façon impossible de ne pas ressentir, quand bien même elle le voudrait.

Alors, quand elle voit non loin une autre fée regarder par-delà le pont-levis, comme elle, la Reine s'approche. C'est quand elle s'arrête non loin d'elle qu'elle la reconnaît. Mirage. Une fée des étoiles. Ce n'est pas la première, ni même la deuxième fois qu'elles se rencontrent. Elles ont même bataillé ensemble, si ses souvenirs sont bons.

Et bien qu'elle s'amuse à en jouer, prétendant le contraire, la Reine a bonne mémoire.

Tournant la tête vers sa comparse, Mab prend doucement la parole.

"Tout va bien ?"

La Reine n'essaie même pas de faire semblant de croire le mensonge que le Somnifère vient de lui servir. Son sourire doux ne flanche pas mais son regard noisette se teinte de cet éclat d'indulgence qui montre qu'elle sait (ou se doute, du moins) de ce qu'on ne lui dit pas.

Mais l’Étincelante peut comprendre ce besoin de ne pas trop en dire. C'est un schéma qu'elle suit elle-même, et si Mirage ne souhaite pas se confier, Mab n'est pas celle qui va la forcer. Pourtant, la souveraine est si ouverte qu'on pourrait penser qu'il est en théorie aisé de lui faire part de ses doutes et angoisses... Cependant, bien souvent, il n'en est rien.

"Ils vont sauver les sirènes, oui." Ce qu'elle dit n'est pas aussi fort que ce qu'elle passe sous silence : cela ne signifie pas que l'Île sera sauvée. "Cette aventure aura probablement de quoi redonner au Coeur un peu de sa gaieté."

Car, pour la Reine, c'est bien de cela dont il est question. L'expédition dans l'Ordinaire ne sauvera pas le Pays de Jamais. Pas directement, du moins. Mais il est possible qu'elle sorte Peter de cette tristesse qui lui est si peu coutumière, et l'amène à cesser de faire tomber cette Pluie destructrice. C'est ce que Mab espère, toujours.

Ce n'est évidemment pas la seule possibilité. Cette mission peut également être un échec total, en plus de mener de nombreuses fées sur un terrain périlleux. Mais face à ses sujets -quand bien même il n'y a là qu'une seule d'entre eux- son Altesse refuse de se montrer plus pessimiste que nécessaire. Elle préfère de loin inciter la joie de vivre et les facéties chez ses fées plutôt que les tracas. Même si, dans le contexte actuel, cela devient de plus en plus difficile.

Mab note le mouvement de la fée des étoiles sur son coude noirci et pince les lèvres.

"C'est toujours aussi douloureux ? Voudrais-tu que je tente quelque chose ?"

L’Étincelante a participé à la bataille qui a valu cette trace sur le corps de Mirage. Comme un amer souvenir de ce que leur Île avait enduré. Un mauvais présage, s'il en est. La Reine peut probablement soulager la douleur de sa comparse, grâce aux pouvoirs de lumière dont sont investies les fées aristocrates. Ce ne serait que passager -même Elle ne peut pas grand chose contre les Démons- mais peut-être bon à prendre, si elle le souhaite.

La main de la Reine, vaguement tendue en direction de sa camarade, retrouve sa place sur son autre bras dans un geste si délicat et ininterrompu qu'il est aisé pour chacun de penser que c'est là sa destination première. Pourtant, il n'en est rien, et Mab ressent une certaine réticence dans l'attitude du Somnifère. Réticence qu'elle ne comprend pas vraiment mais sur laquelle elle ne demande pas de détails. Certains fées ne sot prêtes à recevoir de l'aide (même minime) de personne. Pas même de leur Reine.

L’Étincelante hoche gravement la tête et fait un mouvement pour mieux enrouler autour de son corps la cape arc-en-ciel (grâce à divers pétales de fleurs plus sublimes les unes que les autres) qu'elle porte aujourd'hui. Puisque l'on parle de fraîcheur, cela paraît naturel. La raison est pourtant toute autre, et si inconsciente que Mab elle-même l'ignore : C'est son malaise qui se transcrit ainsi.

"Il est vrai qu'en ce moment, froid et pluie n'épargnent personne."

La conversation mondaine est le lot des aristocrates, capables de tenir salon des heures durant sur le comportement du plus minuscule rayon de soleil. Il est vrai qu'au Pays de Jamais, ces derniers peuvent créer bien des choses, mais tout de même.

C'est donc Mirage qui relance la discussion, lui faisant prendre un tournant bien plus dramatique. La Reine la fixe en silence une seconde, puis deux (une petite éternité pour les fées qu'elles sont), et enfin soupire, reportant son regard sur le lointain qu'elles observent toutes deux.

"Nous ne savons pas encore avec exactitude ce qui provoque cette amère transformation chez les nôtres. Mais de mémoire de fée... la Pluie Salée est effectivement le seul dénominateur commun."

Elle ne commente pas la peur que la fée des étoiles mentionne. Pour elle, les fées transformées par la pluie ne sont pas effrayantes... elles sont tristes. Désespérément et douloureusement tristes et solitaires. Et comme toute tristesse alliée à la solitude, effrayantes de danger peut-être. C'est au tour de la Reine de regarder Mirage en coin avant de continuer.

"...Ce n'est pas volontaire, de la part de Peter. Si le Cœur savait comment gérer ses différents émois ou était conscient de ce qu'ils provoquent... Nul doute qu'il veillerait à s'en empêcher." On entend une sorte de douceur résignée dans le ton de l’Étincelante, comme elle parlerait d'un état de faits, de l'existence de l'Esprit Nuit. "C'est un enfant. Fée, certes, mais nos semblables à son âge ont tout aussi peu de maîtrise sur les éléments qui les possèdent." Et une profonde affection, également. Cette même affection qui la transporte lorsqu'elle mentionne son peuple, dont il est évident pour elle que Pan fait partie.

La réplique sèche de Mirage, alliée à son regard sévère, amène Mab à hausser très légèrement un sourcil délicat. Elle ne voit pas l'intérêt d'expliquer à la fée que ce qu'elle demande est impossible : Peter Pan, s'il grandissait, ne serait plus lui. Et avec lui, toutes les merveilles de son âme d'enfant s'éteindraient, y compris leur Île et eux-mêmes, petit à petit. Car qui mieux que Peter fait exister les fées dans les cœurs des enfants, qu'ils soient perdus ou non ? Trop grand nombre d'entre eux ne croient pas en eux alors qu'elles se trouvent sous leur nez. Peter, enfant, L'Enfant-Roi, assure leur survie. D'une façon que Mirage ne voit peut-être plus, mais qui est pourtant aussi claire et limpide que la Rivière Mystérieuse.

C'est une amertume créée par le poids des saisons, une colère augmentée par la Pluie qui s'abat jour après jour qui fait parler la fée des étoiles ainsi. Nul doute que, lorsque le temps sera de nouveau au bleu, la petite blonde changera de discours.

L'intemporelle Étincelante oublie parfois que certains de ses sujets ont trop peur de ne pas vivre plus d'une saison pour songer à un avenir meilleur.

"Son insouciance fait parti de ses responsabilités, Mirage. C'est à cet esprit enfantin, libre et sans complexe qu'appartient le Pays de Jamais. Modifier cet état... Modifier le Cœur... Cela pourrait apporter bien plus de désagréments que d'avantages."

La psychologie des fées n'est pas simple, bien qu'elles soient faciles à cerner, avec cette unique capacité de n'éprouver qu'un seul sentiment à la fois. Mais celle de Pan est probablement pire encore. La Reine est pourtant certainement l'une des plus à-même de comprendre le Cœur, pas pour l'avoir longuement étudié (bien que ce soit également le cas), mais pour l'accepter dans son entier, tel qu'il est, sans chercher à le modifier. Cherche-t-on à modifier l'Esprit Jungle, l'Esprit Vent ou l'Esprit Nuit ? Peter est, comme eux, un élément avec lequel il faut composer. Le plus important, celui dont on subit les plus importantes conséquences. Mais le façonner à son idée ou le mettre en cage est -aux yeux de Mab- une bien mauvaise idée.

La colère de la fée des étoiles devient plus vibrante encore, et la Reine recule d'un pas à peine perceptible. Ce qu'elle sent dans les mots de sa consœur, ses accusations, elle ne les prend pas bien. Pas parce qu'il est peu convenable de parler ainsi à sa Majesté, non, mais parce que s'il y a bien quelque chose qui peut blesser son Altesse, c'est qu'on pense qu'elle ne fait pas assez pour son peuple.

Cela, et les larmes qu'elle voit couler sur les joues du Somnifère. Des larmes qu'elle pourrait vouloir verser parfois, elle aussi. Des larmes d'inquiétude, de frustration, de peur. Mais elle est leur Reine, et la Reine ne pleure pas. Elle étincelle, en gardant ses couleurs et en y cachant la douleur qui lentement mais sûrement s'accumule et un jour, peut-être, finira par déborder.

Mais pas aujourd'hui. Aujourd'hui, le regard de l'Étincelante est sec, mais plein de compassion alors qu'elle répond à sa cadette.

"Une annonce de but en blanc ne servirait à rien avec Peter. Voire faire plus de Mal que de Bien. Mais, avec les bons mots, il est parfois possible de le faire glisser sur une pente moins savonneuse."

Mab ne prend pas non plus la peine de se justifier. Evidemment, qu'elle a déjà parlé à Peter. Mais cet enfant, tout à sa gaieté, sa joie exaltante et -à présent- sa tristesse, ne prend jamais les autres en compte très longtemps.

Peter est bien souvent comme toutes les autres fées : incapable d'éprouver plus d'un sentiment à la fois.

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