Il avait toujours aimé les spectacles. Les divertissements toujours plus grandioses, plus extatiques. Et Chance, dont il s'enorgueillait déjà tant, était destiné depuis le commencement à incarner le clou du spectacle. Chance était, à ses yeux, autant sa mascotte, son bien, que son attraction vedette. Tout comme Louis XIV entendait émerveiller et ainsi soumettre son peuple en l'éblouissant de feux d'artifices et de ballets somptueux, Peter tenait sa société en soumission autant par la peur que par l'émerveillement constant. Et Peter leur réservait, aujourd'hui, une Comète. Une vraie Comète.

Peter n'était pas monstrueux. Peter n'avait aucune conscience du stress qu'il infligeait à sa toute nouvelle obsession. Il ne lui voulait aucun mal et, s'il avait été capable de ressentir l'ombre d'un sentiment d'aliénation de la part de l'animal, il lui aurait rendu sa liberté aussitôt. C'était là la tragédie de Peter Pan. Il n'en était pas capable.


Les enfants présents étaient surexcités, bruyants et agités. Peter trônait au sommet des gradins sur son immense trône, placé au sein d'une sorte de loge de fortune réserve à lui et ses ministres. Bow se tenait comme si souvent à son côté, insensible à la frénésie ambiante.

Puis, il y eut un couac. Un dysfonctionnement dans le manège mécanique si bien huilé de Peter Pan. L'attraction phare reculait. Le manège se grippait. La joie allait retomber, et rien, rien au monde n'angoissait davantage l'Enfant Roi.
Bow l'avait aussitôt senti et son regard noir, luisant, se fixa aussitôt sur son souverain, inquiet et nerveux. Bow connaissait si bien Peter et redoutait tout autant ses réactions.

— Qu'est-ce qu'elle fait ? interrogea Peter.

Mais il n'attendit pas la réponse de son Chambellan.
Il laissa tomber sa cape d'hermine et sa couronne et, tandis que les enfants se mettaient à huer – Bow et son talent d'orateur aurait tôt fait de les calmer – il s'envola et s'engouffra derrière le rideau qui bordait la piste.

Peter chercha un moment des yeux la petite Comète afin d'apercevoir sa queue rouge derrière un tonneau. Il fit une petite moue et fila doucement en direction du tonneau afin de s'y poser en tailleur. Il pencha légèrement la tête sur le côté en contemplant la créature tremblotante.

— Chance, tout le monde t'attend. Pourquoi tu te caches ? Il n'y a pas de méchants ici. Ils n'oseraient pas venir quand je suis là !

La peur d'une foule déchaînée d'adoration, ça lui passait au-dessus, à l'empereur miniature.

Peter Pan ne pouvait envisager l'idée même de trac. Certains y auraient vu une forme d'habitude, mais à la vérité, l'Enfant Roi n'avait probablement jamais expérimenté ce sentiment. Dès ses premiers instants aux Jardins de Kensington, alors qu'il n'était encore que Peter et ne maîtrisait totalement pas la capacité de voler, sa hardiesse n'avait d'égal que sa vantardise. Il s'était fort épanoui au sein des fées séduites par son allure de petit coq. Ainsi ne comprenait-il d'aucune façon l'angoisse qui étreignait la pauvre Chance.

— Penses-tu que tu vas rater ton numéro ? Nous pouvons le répéter, toi et moi. Nous pouvons dire à Bow que le spectacle est reporté à demain ou bien l'année prochaine. (Cela constituait pour lui une nuance très légère) Nous pouvons le répéter, toi et moi. Qu'en penses-tu ? Je vole depuis que j'ai sept jours et je volais, comme tous les enfants, bien avant cela !

Comme si c'eût été nécessaire, il illustra son propos en effectuant une gracieuse envolée, avant de se replacer dans sa position initiale.

— Si ça te fait si peur, je peux ordonner aux enfants de t'applaudir et couper la tête de ceux qui refuseront !

Il avait dit cela avec tant d'entrain et d'insouciance que c'était un peu effrayant.

Puis, une pensée sembla le traverser et, considérant gravement le Dragonnard, il retourna le problème dans tous les sens.

— Peut-être qu'un médicament serait utile... Je peux t'en trouver un, si tu le souhaites.

Il se laissa tomber sur le sol, surplombant de sa hauteur relative la Créature avec l'air sévère des papas exigeants.

— Quoiqu'il en soit, il est hors de question que tu ne présentes pas ton spectacle.

Le problème, dans le Pays de Jamais, c'est que l'expression "vos désirs sont des ordres", appliquée à Peter, prenait tout autant réalité que ses multiples chimères.

L'ethousiasme de Chance se communiquait à Peter de façon étonnante. Dans un premier temps, oui, il s'était montré tout à fait perturbé par la mesure – à ses yeux incongrue – dont faisait preuve, de surcroît, un être si jeune ! Couper des têtes n'était, à ses yeux, rien d'autre qu'un geste fort, symbolique, presque beau, et il s'étonnait que le Dragonnard en fît toute une histoire.

— Bien sûr que cela existe, j'en suis sûr. Il existe des médicaments pour tout. On pourra demander à Soul, ou même aux Delaware. Après tout, ils soignent les cauchemars. Il rougit, comme s'il venait de trahir un secret. Même si moi je n'en utilise jamais ! Je ne fais jamais de cauchemar, évidemment ! D'ailleurs je ne dors jamais.

Il adressa un regard intense à la Comète, comme pour s'assurer qu'elle entendait bien son propos. Mais l'esprit de Chance avait dérivé vers d'autres préoccupations.

— ... Et Peter vient aussi !

Une graine d'excitation éclot dans le coeur de l'Enfant Roi.

— Montre l'exemple à Chance, vol avec Chance !

La graine explosa en arbrisseau aux multiples tiges !
Les yeux de Peter brillèrent et leur éclat était multicolore, lui aussi. Il va de soit que, pas un instant, l'idée de partager la vedette avec Chance ne l'embarrassa.

Toutefois, il semblait hésiter.

— C'est entendu, Chance. Mais il nous faut préparer un numéro. Je pourrais faire Hook, et toi tu ferais moi.

L'éclat ne faiblissait pas, tout au contraire.
Il se posa de nouveau sur le sol et s'accroupit, approchant son visage du Dragonnard, l'expression envahie d'une malice sourde, inquiétante.

— Par hasard, sais-tu cracher le feu ?

Quitte à ce qu'il participe au spectacle, autant que ce dernier soit à la hauteur de sa personne. Grandiose.