Il n’y a pas grand monde dans la bibliothèque royale, en ce jour de Givre. Sans doute à cause de la situation actuelle ? Dans tous les cas, cela ne dérangeait pas le moins du monde Écorce : au contraire, il lui était plus agréable de déambuler à travers les étalages de livres presque infinis sans avoir à croiser une fée. Aujourd’hui, Écorce comptait bien étudier : prise dans son élan, elle était d’ailleurs en train de découvrir des ouvrages dont elle n’aurait soupçonné l’existence au sein de la bibliothèque du Palais Royal. A sa plus grande joie, il y avait beaucoup de lectures sur la Mésopotamie antique, et elle voulait absolument approfondir ses connaissances en la matière.

La fée partit déposer soigneusement sa pile de livres sur l’une des tables mises à disposition, avant de faire demi-tour et de repartir en quête d’ouvrages. En passant devant ce qui semblait être le rayonnage de géographie humaine, la fée marque un arrêt en voyant le titre d’ouvrages généraux sur l’Inde. Une petite moue se dessine sur son visage, tandis qu’elle repense à Vijendra. Elle en avait honte, mais il faut dire qu’elle avait totalement oublié leur rendez-vous : sans doute parce qu’elle avait encore passé une nuit blanche à déchiffrer un ancien texte piqué à un humain du Monde Ordinaire, ou parce qu’elle avait été prise par son travail de fée des forêts à la fin du Vent Frais. Sans doute un peu des deux, et étonnement, le fait d’avoir manqué ce rendez-vous navrait encore Écorce : même si elle voulait revoir Vijendra, elle ne savait pas comment faire. Elle ne comptait pas se rendre à l’aveugle sur le Port, lieu qui lui était totalement inconnu et par ailleurs dangereux, et elle ne connaissait personne pour lui indiquer ou l’aiguiller vers la librairie où travaille le Pirate. Et avec le Givre qui s’était installé il y a peu... Les choses avaient empiré. Si Écorce n’était pas à l’Archeforêt, elle se trouvait à la Citadelle. Elle ne se rendait plus ni dans le Monde Ordinaire ni sur le Rivage, à la recherche d’objets perdus. Hélas, il fallait attendre... si elle ne l’aurait avoué à personne ni à elle-même, au fond, elle espérait qu’il se porte bien.

Après une longue hésitation, Écorce finit par saisir un ouvrage général sur la géographie de l’Inde. Il faut dire que pour l’instant, c’est l’histoire de ce pays qui l’intéresse plus qu’autre chose. Elle le feuillette, hausse les sourcils en voyant les paysages du pays d’où est originaire Vijendra. Ça l’intrigue d’autant plus qu’elle se décide à chercher d’autres ouvrages sur le sujet, en espérant qu’il y en ait dans la bibliothèque : avec un peu de chance, les fées ont conservé quelque chose sur l’histoire de l’Inde depuis ses origines...

Écorce rajoute deux ouvrages à sa pile de livres à lire, puis en saisit un autre et le feuillette. Prise dans sa lecture, elle ne remarque pas tout de suite que quelqu’un d’autre se trouve dans la pièce, et s’approche doucement.
Ce n’est qu’en remarquant la lumière d’une fée, douce mais éclatante, qu’elle finit par lever le nez de son ouvrage, et par tourner la tête vers la fée en question. Ce n’est pas n’importe quelle fée : c’est la Reine. L’information met du temps à monter : Écorce cligne d’abord des yeux, puis sursaute, comme si elle venait d’être prise en flagrant délit d’on ne sait quoi.

- M-Majesté !

Dans sa tête, c’est la panique totale alors qu’il n’y a vraiment pas de quoi : il faut dire que la reine des Fées a un effet intimidant sur Écorce qui, d’aussi loin qu’elle s’en souvienne, a toujours été impressionnée par la prestance et le charisme de Mab. A tel point qu’elle ne sait même plus faire une révérence sur l’instant. Comme la plupart des Fées, elle ne voit que très rarement la Reine, et converse encore moins - pour ainsi dire jamais - avec elle. Au final, Écorce finit par faire un mouvement de tête inexpliqué vers la gauche. Elle se cogne contre le rayonnage de la bibliothèque, laisse échapper un aïe ! aiguë, puis finit par baisser la tête dans le bon sens afin de saluer Mab. Par l’esprit, elle se trouve vraiment stupide sur l’instant : ce n’est pas la première fois qu’elle croise Mab, pourtant ! ... Et ce n’est pas la première fois qu’elle se fait emporter par sa maladresse face à elle.

Les joues d’Écorce se colorent d’un rouge qui trahit sa timidité et sa honte. Après un court silence qui lui parait une éternité, celle-ci redresse la tête. Doit-elle dire quelque chose ? Engager la conversation ? Ne pas déranger Mab qui a peut-être mieux à faire ?

- Vous... vous allez bien ?

Écorce manque de rouler les yeux à l’entente de sa propre question, qui lui parait d’une banalité affligeante.

Écorce met un peu de temps à se remettre de son émotion. Si elle a du mal à croire que Mab soit face à elle et lui adresse la parole, sa question lui permet de reprendre un peu de contenance. La fée s’ose même à adresser un sourire à l’Étincelante, tout en passant une main distraite dans ses cheveux. Il faut dire qu’elle est contente de parler à sa Reine... comme le serait n’importe quelle fée.

- Oh vous savez, je me cogne tout le temps... Je suis habituée, à force.

Elle n’a pas bégayé : c’est une première ! Mais ce n’est pas encore au point où l’Archéologue ose regarder Mab dans les yeux sans finir par se détourner. Heureusement, elle n’a pas le temps de se prendre la tête sur sa façon de se tenir, son parler, ou ses gestes. Plus naturelle qu’avant, Écorce montre à Mab la couverture de l’ouvrage qu’elle tenait en main.

-  Je me renseigne sur un pays humain. Vous êtes déjà allée en Inde, Majesté ? J’essaie de trouver des ouvrages historiques sur ce pays. Mais je n’ai trouvé que des ouvrages de géographie générale pour l’instant.

La fée ne lui dira pas que la raison de cette curiosité vient d’un humain, principalement parce qu’à quelque part, elle n’assume pas d’apprécier un humain autre que Mahalia. Ah, si elle savait...
Prise dans son élan, Écorce désigne la pile d’ouvrages déposés sur l’une des nombreuses tables de la bibliothèque. Il faut dire que parler de ça la détend : se concentrer sur un sujet précis lui évite de faire n’importe quoi, de s’emmêler les pieds ou de se cogner une nouvelle fois contre la malheureuse étagère de livres qui n’a rien demandé.

-  Je continue aussi mes lectures sur la Mésopotamie antique. J’essaie de lire tous les ouvrages qui sont à disposition sur le sujet. Je profite... d’un peu de répit.

C’est que la pluie avait donné beaucoup de travail au peuple féérique, et si le givre n’était qu’à ses débuts, Écorce savait à force que le pire pouvait être à venir. Ça avait également été le cas de la canicule.
En ce qui concerne ses lectures, la fée des forêts ne plaisantait pas : elle allait tout lire, même si ça devait lui prendre quatre saisons. Elle avait beau lire vite, certains ouvrages lui plaisaient plus que d’autres, et elle s’y attardait parfois en appréciant le toucher des pages, les images ou les iconographies...

Maintenant qu’elle a fini de parler, sa gêne s’installe à nouveau.

- J’espère ne pas vous déranger. Vous avez sûrement beaucoup de travail...

Ah, sa gêne s’installait à nouveau. Pas encore ! Sa timidité maladive lui faisait perdre tous ses moyens, et la seule façon qu’elle avait trouvé pour la contourner était de trouver un nouveau sujet de conversation. Si en général, cela lui demandait un effort colossal, son regard émeraude finit par s’accrocher alors au livre que tient Mab entre ses mains. Elle a de la chance, aujourd’hui.

-  C’est pour votre lecture personnelle, ou pour une autre fée ?

Écorce boit les paroles de sa Reine, tique un peu lorsqu'elle lui dit que toute l'humanité n'est pas forcément à jeter. A vrai dire, la fée des forêts pense souvent ça, notamment lorsqu'elle se plonge dans ses nombreuses études et lectures portant sur des civilisations antiques.

- Oh ! Vous vous souvenez de quelle œuvre il s'agissait ?

Si elle a bien une petite idée derrière la tête, elle n'ose pas la formuler à haute voix. Dire des bêtises devant les autres fées passe encore, mais devant Mab... Elle risque d'en rêver toutes les nuits tant ça la gênerait.

- Vous devriez orienter votre recherche : ce vaste pays contient beaucoup d'ethnies différentes, chacune avec leur histoire particulière. Si vous vous concentrez sur l'une d'entre elles, trouver un ouvrage à propos sera certainement plus simple.
- Je vous remercie pour ces conseils, Majesté.

Écorce adresse à l’Étincelante un grand sourire. Sa tourne à plein régime : c'est un si bon conseil, et elle se trouverait presque bête de ne pas y avoir pensé plus tôt. La bibliothèque royale déborde de livres, et peut-être même qu'elle trouvera quelque chose dans sa collection personnelle. A l'occasion, elle écumera les rayonnages afin de trouver quelque chose sur ces fameuses ethnies indiennes. Toujours est-il qu'il lui est étonnement plus agréable de converser avec Mab que de s'en retourner à ses ouvrages : les Fées n'ont pas tous les jours l'occasion de parler avec leur Reine qui est d'ailleurs - et comme tout le monde le sait - très cultivée. Un trait qui plaît beaucoup à Écorce, même lorsqu'elle le trouve chez les humains.

Elle adresse à l’Étincelante un petit sourire gêné lorsqu'elle lui assure qu'elle ne la dérange pas le moins du monde. Puis sa Reine poursuit, et Écorce se contente de hocher poliment la tête. C'est qu'elle est curieuse, tout à coup : quel genre de livre ce fameux patient peut-il bien lire ? Ah, mais elle n'a pas envie de déranger... avant même qu'elle ne formule sa crainte à voix haute, sa Reine coupe tout malentendu, comme si elle s'y attendait. Un peu rassurée, Écorce lui adresse un sourire... mais affiche bien vite un air surpris à sa question.

- Eh bien... Oui, je m'y rends très régulièrement. Je récupère souvent des livres ou des artefacts qui viennent de l'Ordinaire pour les étudier. C'est... c'est un problème ? Je ne dois plus y aller ?

La fée des forêts a tout de même le temps de noter cette drôle de malice qu'elle lit dans le regard de la Reine. Elle en aurait presque oublié qu'après tout, elle est une fée comme une autre. Si elle craignait de prime abord se faire réprimander, peut-être que Mab voulait lui dire tout autre chose ?

Ou... vous voulez peut-être quelque chose qui provient du Rivage ?