Heureuse que son si précieux ami ait approuvé l'idée, Absinthe laisse entrevoir un sourire mélangé de candeur et de piquant. Ce côté joueur des fées, si violent est hardent entre les mains de ce duo qui en serait presque mortel.

Arrivés, la porte ouverte par le cocher laisse le froid se glisser jusqu'aux chevilles de la Fée Verte qui observe l'horizon déjà visible. Elle laisse le Narcisse fouler le sol comme un conquérant sur un nouveau territoire, avant qu'elle ne se glisse dans son ombre et que sa main ne vienne offrir un appui. Geste qui rappelait instantanément la grande valeur d'Opium aux yeux d'Absinthe, celle-ci offrit un sourire de gratitude. Mais à nouveau, une gratitude qui n'était offerte qu'à son partenaire seul.

Un souffle habillé de nuage naquit des lèvres rougies de l'aristocrate en contemplant le camp.

Elle entendait et écoutait les mots de son aîné, le regard perdu dans les silhouettes. Et au fil des sons qui se glissaient à ses oreilles, le sourire s'aiguisait. Et à la question, les lèvres se pincèrent en tournant les prunelles brillantes vers l'auteur de tragédies exquises.

- Absolument ! Quelle idée divine tu as eue là, Opium.

Elle quitta le visage de son comparse pour chercher les âmes malheureuses.

Il leur fallait de jeunes humains.

- Pourquoi pas cette demoiselle au loin ? Celle qui porte une longue natte de châtain ?

Cette cible paraissait un peu réservée, occupée à ramasser du bois.

- Glissons-nous parmi eux, pour voir si un coeur correspondrait pour notre pièce tragique.

La proposition s'envolait avec une mélodie taquine, qui allait si bien à ces aristocrates aux jeux acérés.

En experte, Absinthe sait brosser Opium dans le sens du poil, sachant tour à tour nourrir son égo et le bousculer pour mieux le manœuvrer. Celui-ci n’ignore pas ses manœuvres et estime pouvoir en dire autant.

« Absolument ! Quelle idée divine tu as eue là, Opium.
— Je t’en prie… »

Les deux aristocrates promènent un regard avide sur les pauvres âmes du Canyon. Nombre d’entre eux ont des aspirations toutes simples mais tout à fait légitime en cette période de crise : manger, dormir, survivre, retrouver leurs proches.
Plongé dans ce triste décor, le Narcisse se sent terriblement compatissant et particulièrement généreux d’assouvir une soif trop longtemps négligée : les histoires ! le drame ! De quoi tenir éveiller les commères en manque de potins.

« Pourquoi pas cette demoiselle au loin ? Celle qui porte une longue natte de châtain ? », suggère Absinthe.

Opium plisse les yeux, l’air d’estimer la valeur d’un millésime plutôt qu’une véritable personne.

« … Banale. Fade, ennuyeuse. », il énonce sans pitié. « C’est le genre de fille qui se refuse d’agir, même le couteau à la gorge. »

Mince alors. Lui qui croyait que son amie chère avait du nez. Le voilà bien déçu. Peut-être s’est-elle enrhumée.
A moins que. Son visage s’éclaire.

« Voilà qui est parfait. Sa vie doit être bien ennuyeuse mais nous allons y remédier. »

Désormais il trépigne.

« Glissons-nous parmi eux, pour voir si un cœur correspondrait pour notre pièce tragique.
— Hâtons-nous, la seule vue de cette petite sotte suffit à me faire bailler d’ennui. »

Sur ces mots, Opium ouvre ses ailes. Par ce temps, le vol lui est un peu pénible mais rester au sol lui parait autrement plus périlleux.
Planant au-dessus des têtes, il cherche du regard quelqu’un parmi les peaux-rouges qui lui paraisse suffisamment jeune et surtout intéressant. C’est finalement un tableau touchant qui attire son regard.

Il se pose sur le toit d’une tente de manière à observer discrètement les deux jeunes individus qui viennent de capter son attention.
Il s’agit de deux jeunes gens, tous deux Piccaninny. Une jeune fille et un jeune homme, pas plus âgés que la gamine qu’ils ont déjà sélectionnée. Tous deux sont assis devant un feu, aiguisant leurs flèches en vue d’une chasse prochaine. Ils discutent tout bas, échangent des regards tendres. Un jeune couple.

Adorable.

« Elle. », déclare Opium. « Nous allons les faire rompre. Cela devrait être drôle. »

L’idée que la gamine à la natte puisse se retrouver mêler à un tel scandale, imaginer son air éberlué et paniqué. Cela devrait lui donner de quoi rire pour quelques jours.