Parmi les visions sur la surface des eaux stagnantes, en se servant d'autres Hurons... il y avait parfois une silhouette aux cheveux de miel. Une jolie dame que le soleil semblait avoir voulu coiffer. Réunissant les observations, il avait pu s'idéaliser la belle âme que la foudre avait choisi. Lundi devait la rencontrer. Déclarer ses sentiments foudroyants. Il avait déjà fait part de sa nouvelle convoitise à Mardi, les émotions prenant la place de bien des sujets pour le Céleste. Ses épouses avaient trouvé la Reine très belle, ce nouveau coup de foudre leur plaisait.

Le Baron Lundi avait donc quitté le Bayou pour se diriger vers le clan des Hurons. Il miserait sur le hasard, et quelques grigris qui accrochaient la chance pour tomber sur la belle Abeille. Il voulait la connaître, voir de ses propres yeux plutôt que ceux des cieux. Trainant donc parfum d'encens et d'orage, ses cheveux parfaitement coiffés, il a choisi une espèce de kimono de jaune pâle sur les épaules. Vêtement ouvert bien entendu, pourquoi se cacherait-il ? Surtout qu'il aimait montrer son orage à même la chair. Il n'accordait pas autant d'intérêt au choix des pantalons, non. Tant qu'il y avait des poches où glisser des objets ou des mèches de cheveux. Un flacon aussi.

Ses bijoux claquaient lorsqu'il ne lévitait pas, la chance fit son travail. Il tombait déjà sur la personne recherchée. Lundi se laissait guider par les émotions et les sentiments, au point d'évincer la raison. Réfléchir un peu plus ? Se demander comment approcher de la meilleure des manières ? La meilleure solution, c'était toujours d'être simplement là.

De faire un lien.

Comme la foudre traçant son chemin.

Le Céleste n'arrêta pas sa progression, calme, esquivant tranquillement les troncs sur le passage. Le visage s'éclairait déjà d'un sourire. Klere se disait que la Reine était bien plus lumineuse qu'il ne l'avait imaginée depuis le ciel.

Elle était sûrement douce au toucher, les cheveux aussi.

Une certitude.

Lundi ralentit un peu plus, cherchant à capter le regard de la native. Loin de cacher les dents du bonheur, il finit par faire entendre sa propre voix. Il ne fallait pas arriver comme pour surprendre un ennemi après tout. Il fallait faire un peu plus de manière.

- Bèl solèy, qu'est-ce que tu fais ailleurs que dans le ciel ?

Il ne pouvait tout de même pas lui dire qu'il savait qu'elle s'appelait Abeille, l'une de ses épouses avait eu un peu peur avec ce genre d'approche. De toute manière, Lundi n'avait pas besoin de tant réfléchir. Il allait falloir passer par des présentations. Un minimum tout de même. Certaines riaient au miel, d'autres rougissaient, d'autres s'outrageaient, c'était aussi ainsi que Lundi faisait pour connaître.

Abeille fait un tour.
Elle l’a déclaré au camp avant de partir mais il n’y a pas encore grand monde pour se soucier d’où elle va. A part Termite, ou Élan peut-être. Depuis quelques temps, Abeille a les pensées qui grondent dans sa tête. Elles tournent en rond inlassablement entraînées les unes par les autres comme les vagues du tourbillon qui a emporté le Jolly Roger dans son cœur. La pluie s’est arrêtée mais Abeille n’est pas sereine. Elle a toujours l'impression que quelque chose plane au dessus de leurs têtes.
En attendant pour éviter de tourner en rond, elle va voir ailleurs.

Et d’un coup elle s’arrête. Elle a senti la présence. Ses pieds sont nus pour mieux sentir l’herbe – froide mais enfin sèche – sur sa peau. L’inconnu s’approche d’elle. Elle sait que c’est un inconnu. Elle entend ses bijoux s'entrechoquer dans un étrange carillon. Elle sent que l’air lui paraît plus lourd, qu’il a la même odeur qu’après qu’un arbre ait été frappé par la foudre.
Et immédiatement Abeille sent qu’il ne s’agit pas de n’importe qui. Elle ne comprend pas bien encore pourquoi.

- Bèl solèy, qu'est-ce que tu fais ailleurs que dans le ciel ?

L’absurdité de la situation la fait presque rire. Elle a du mal à s’en empêcher. C’est l’accent qui lui offre la réponse. Bayou. Plus dangereux encore qu’un pirate. Mais potentiellement moins hostile, aussi. Face au danger Abeille connaît d’abord la diplomatie.
Elle offre à l’inconnu un sourire qu’on pourrait -elle imagine- qualifier de solaire.

« C’est le jour de ma visite sur terre. »

Puis elle croise les bras, et plus doucement :

« Je vous connais ? »

Oh le sourire lumineux en réponse plaisait au Baron Lundi. La foudre l'avait mené donc à un véritable soleil sous le temps enfin sec. "Enfin". Lundi préférait la pluie. La voix de la squaw résonnait agréablement aux oreilles, le Céleste pourrait citer tant de beautés concernant ses coups d'amour foudroyants. Arrêté, il écoutait. S'installant doucement en tailleur, lévitant. Pour rester à la hauteur de celle qui croisait les bras. Souriant à la réponse, puis penchant la tête à la question. Absorbé dans la contemplation de la Reine, commençait à se demander pourquoi l'or ne brillait pas dans les yeux de la belle. Mais assez, il fallait à son tour aligner les mots teintés d'accent.

- Bèl solèy est pleine de bonté on dirait... Mais non, tu ne me connais pas. À moins que tu ai déjà observer les orages.

Les images, c'étaient de si jolies choses. Cependant, Lundi détestait tourner en rond. Faire des détours inutiles, les seuls qu'il tolérait étaient justement ceux qui servaient à entrer doucement dans une conversation. Pour créer un lien, malgré l'envie de tout de suite partager une électricité statique.

Bref, il fallait être un peu plus clair, Klere. Tout sourire, la curiosité illuminant les lunes des yeux du Céleste, les mots s'envolèrent à nouveau.

- Manman Brigitte m'a nommé Lundi. Et toi, je peux entendre le nom qui te désigne ?

Il tendrait la main plus tard, pour ponctuer d'un "enchanté". Mais surtout, pour vite toucher ce nouvel amour. Lundi n'allait tout de même pas tout de suite faire sursauter la native avec une rapide passage d'électricité.

Mais décidément, il ne pouvait pas s'empêcher de la regarder et... il commençait à avoir l'impression qu'elle l'ignorait sans vraiment le faire. Doucement, Klere serait patient, il n'y avait que ses coups de foudre qui en bénéficiaient. Apprendre à connaître, lentement tisser les liens. Si elle répondait, il tendrait une main vers elle. Histoire de se présenter dans les règles.

Les éclairs sur la peau du Baron brillaient déjà un peu, sous le coup de la joie à l'idée de connaître le nom de la Reine.

Si elle a pu observer les orages ? Il y a longtemps, oui. Ceux de la nature comme ceux forgés de la colère du petit roi. Depuis qu'elle ne voit plus, elle ne fait que les sentir, de leur lourdeur dans l’air aux crépitements, et la façon dont le sol tremble sous le roulement du tonnère.

- Manman Brigitte m'a nommé Lundi. Et toi, je peux entendre le nom qui te désigne ?

Bayou, non seulement, mais fils de Brigitte, en plus. Abeille sent la tension monter doucement.

« Enchantée », dit-elle d’une voix qu’elle veut posée.

Elle pourrait s’en tenir là, comme elle l’a fait avec le pirate à l’odeur de sel. Comme ça l’avait amusée qu’il finisse par l’appeler comme ça. Mais l’orage dans l’air lui rappelle qu’il n’y a pas de faux-pas à faire devant un baron du bayou. Pas de mauvaise blague, quand on ne connaît pas le sens de l’humour de celui qui est en face.

« Abeille Vigilante », répond-elle donc avec un sourire courtois, et un geste de la main pour se désigner.

Elle ne sait pas si elle doit continuer, alors. Faire la conversation, être charmante -mais pas trop. Se prêter au jeu. Par esprit de préservation surtout, mais après tout, pourquoi pas ?
Et avant qu’elle ait pu décider, un bruit derrière elle. Des pas dans l’herbe. Du soulagement, d’abord, jusqu’à ce que la voix s’élève.

- Et que veux-tu à ma Fille de si important, pour que ca te fasse sortir de ton domaine, Baron Lundi ?

C’est au Baron Lundi pour une fois d’observer un orage : la mine d’Abeille qui s’assombrit d’un coup, les sourcils qui se froncent et une émotion si rare chez elle de courroux immature. On a plus devant soi une femme à la contenance sereine, mais une gamine qui a le rouge aux joues quand son père l’embarrasse devant toutes ses copines.
C’est la honte.
C’est le mot.

« Ah, tu étais là, papa » dit-elle entre ses dents – ce n’est pas une coincidence, bien entendu, il l’a suivi, il fait le coup tout le temps. « Vous vous connaissez déjà ? »

Cette fois, un nom pouvait se coller à l'âme qui se tenait devant le baron. Abeille, ça sonnait si bien avec ses cheveux de miel. Et il ne devait clairement pas être le premier à se le dire. Le sourire présent, il comptait lui demander de lui tendre la main. Juste une manière "polie" de ne pas entrer tout de suite dans le cercle, mais voilà, le troisième des fils mourrait toujours d'une grande impatience de toucher les gens. Ceux qu'il appréciait bien plus encore.

Il n'eut pas le temps.

Une présence, une voix s'ajouta dans le paysage.

Presqu'aussitôt, le visage du guédé devint plus sérieux. Ponctuant l'acte d'un claquage de langue un peu agacé, mais Klere comptait encore serrer les dents. Juste foudroyer du regard, ce fut rapide car s'en suivit directement un tonnerre qui ne venait pas du fils de Brigitte. Abeille semblait être habitée par un orage bien particulier... un sentiment qui rongeait si désagréablement.

Bras croisés, Lundi resta spectateur. Un sourire en coin, entre l'amusement et la curiosité. Le père venait protéger sa fille, rien de bien surprenant, mais celle-ci aurait tout voulu sauf l'intervention du paternel apparemment. La question de la Reine fit rire le Céleste, elle relevait d'une logique bien ancrée, et définitivement il comprenait qu'elle n'y voyait strictement rien.

D'abord, il s'adressa à la native.

- Je suis sûrement très reconnaissable, lui me connaît mais ce n'est pas réciproque. Je ne crois pas l'avoir déjà accueilli à Gwo Kay Won.

Le regard sur l'Austère, la tête un peu penchée sur le côté, comme si cela allait apporter des réponses. Le guédé se redressa une fois qu'il eut suffisamment observé ce qui bouillonnait, de la peur ou du courage. Quelque chose assez grand pour faire des orages.

- T'en fais pas, le papa. Je peux comprendre qu'un père n'aime pas qu'un homme tourne autour de sa fille.

Haussement d'épaules.

- Mwen gen pitit fi tou. Et ça tombe bien, je ne suis pas tout à fait un Homme.

Grand sourire, c'était qu'il se trouvait malin le baron. Et si peu imbu de lui-même le Céleste. Les yeux se tournèrent sur Abeille Vigilante, pour profiter encore des rayons de ce coup de foudre du moment.

- Laisse briller le solèy... ça réchauffe les kè.

Le Céleste s'était avancé d'un pas afin de parler au père, et maintenant qu'il avait le regard sur la Reine la question de la suite commençait à s'imposer. Il n'aurait sûrement pas son tête à tête avec la belle pour le moment. Devrait-il lui demander sa main ? Vu les émotions présentes, Lundi doutait que ce soit encore le bon terrain. Pour le moment, le baron était à peine moqueur, à peine charmeur. Probablement de bonne humeur de part son état de fleur bleue, il était encore un peu patient.

- Ce que je veux à ta fille... disons que la foudre à ses raisons~

Taquin, sur un ton autant de miel que les cheveux de la Reine.

Il ne toucherait pas à la fille face au père, il aurait éclaté le visage de celui qui se le serait permis devant lui avec l'une des siennes. Klere observait à nouveau le vieil homme, se demandant qui était avec qui. Les natifs contre lui, lui et la fille contre le père, chacun dans son camp ? L'orage était encore lointain, mais il bouillonnait déjà.