« Et pour les paroles ? », reprend Apache. « Tu veux qu’il cause de quoi ce morceau ?
— Euh… »

« Merci » ? Juste « merci » ? Ça parait un peu court pour une chanson. « Merci pour la guitare ». A peine moins pire.

Just fronce les sourcils, l’air songeur. Que chaque question le mettent dans un tel état de confusion le fait se sentir très con. Mais ce qui le dérange, c’est plutôt le sentiment d’abattement qui commence à l’envahir et qui tire lentement, sûrement vers le défaitisme.

« Putain, Apache… », il commence, lève un regard vers lui qui trahit un genre de détresse. « Dans quoi je me suis embarqué ? »

La difficulté et l'abattement suintaient de ses mots et sur sa mine embarrassée, ce qui fit légèrement sourire l'Hérissé.

« Allez, t'en fais pas ! » fait Apache en lui pressant l’épaule. « C'est nouveau pour toi de faire ça, c'est normal que tu galère. Mais j'trouve ça trop chouette comme idée ! Laisse pas tomber !
— Ouais ouais, je sais…, marmonne Just, les yeux baissés sur sa guitare.
— Le plus chiant c'est de démarrer, mais après tu vas voir, ça coule tout seul. Jvais t'aider, t'inquiète pas. »

Le sentinelle se contente d’un haussement d’épaule, l’air d’accepter piteusement son sort. On dirait bien qu’il va devoir se reposer sur Apache, pour cette fois.

« Tu veux le remercier qu'il t'ai offert une guitare. », reprend l’Hérissé. « En quel honneur il te l'a donné ? Tu le sais ? En remerciement de quoi ?
— Je lui ai appris à siffler. »

Ces mots réveillent des souvenirs agréables. Le regard perdu dans le vague, il laisse échapper un léger sourire, hésitant, nostalgique.

« C’était pas glorieux. Au début. », il laisse échapper un gloussement sans se départir de cet air pensif. « Mais il s’est amélioré. »

Pendant un instant, il dissocie. Dans sa tête, la journée se rejoue et les émotions défilent sur son visage, d’infimes nuances sur sa face de pierre.

Ils s’étaient battus, ce jour-là. Dans une clairière, loin des regards indiscrets. Freckles avait pris le dessus. Après une prise hasardeuse, le sentinelle s’était retrouvé à terre. Le rouquin était au-dessus, lui tenait les poignets, le retenait par une pression du genou sur le ventre. Incapable de se dégager, il avait sérieusement envisagé de se rendre. Mais quelque chose de vorace en lui avait voulu pousser le jeu plus loin. Faisant mine d’abandonner, il l’avait invité à baisser sa garde avant de lui décocher un coup de boule en plein visage. Ça n’avait pas raté : aveuglé, désorienté, Freckles avait relâché sa prise, lui laissant le temps de se libérer. Enfin non. A l’aveuglette, le Lionceau l’avait agrippé par les cheveux avant de lui rendre la politesse. Ils pissaient le sang et ils riaient.
Maintenant qu’il y pense. Quand il frappe Freckles au visage, ça finit toujours mal pour lui. Il a ce petit côté revanchard assez mignon.

Soudain, le sentinelle fronce les sourcils tandis qu’il refait surface. C’est peut-être qu’il vient de se heurter à quelque chose ou qu’il vient de se rappeler de la présence d’Apache à ses côtés.

« Il avait une guitare. Elle trainait, faut croire. », il reprend d’un ton dégagé.

« Ouais faut croire. C'est cool n'empêche de sa part. »

Just opine. Il n’est pas sûr que Freckles se rend compte de la valeur du geste. Un instrument de musique en aussi bon état, c’est presque impossible à trouver ici. Et pourtant, il s’en est séparé sans hésiter. Comme ça.

« Vous vous connaissez bien ? Vous être proches, j'veux dire ? », relance Apache.

Just le dévisage. Il a retrouvé son air impassible et son regard perçant. Il aime pas cette curiosité soudaine qu’il ressent presque… moqueuse ?

« Pas plus que ça., il balaye. On traine ensemble, c’est tout. »

Dans un mouvement de mauvaise humeur, il est tenté de lui dire qu’ils ont passé plus de temps ensemble quand Apache était trop occupé à chercher Trouble. Mais ça lui parait inutilement cruel. Et un peu mesquin. Et la meilleure manière de faire durer la discussion.

Elle est louche cette question. Dire qu’on est proche de quelqu’un c’est une affirmation bizarre. C’est du bon sentiment qu’il vaut mieux pas distribuer bêtement.

Il reporte son attention sur sa guitare.

« Du coup pour la musique. Tu me conseilles quoi ? »

Apache sourit de plus en plus et ça lui donne un air crétin. Et cette manière qu’il a de lui parler, soutenante, légèrement paternaliste.

« Tu sais... C'est ok d'être proche de gens. Bon, c'est sûr qu'un chef c'est pas l'idéal. Mais Freckles est un chouette gars. Je l'aime bien moi aussi.
— Apache… », son ton se situe quelque part entre la supplique et l’avertissement.

Heureusement pour eux, le punk enchaîne aussitôt :

« Mmmh, bein de ce que tu me dis, cet échange est déjà grave musical ! Ça siffle et ça gratte. Ça me parait une bonne base pour une chanson, t'en dis quoi ?
— J’en dis que je te crois sur parole.

Son pote n’arrête pas d’oublier qu’il n’y connait rien.