La chaleur, la joie, l'enthousiasme et l'effervescence de l'Île - de Peter Pan - font bouillonner mes veines alors que je regarde s'élever des ruines d'un combat un lieu aussi nouveau qu'enchanteur : le Port.
Et comme si l'univers avait décidé de réaliser tous mes vœux - ou presque - une merveilleuse fleur s'est mise à pousser sur au Pays de l'Imaginaire : l'hilaris.
Don du ciel permettant aux fées de prendre taille humaine pendant un certain temps. La rumeur veut que j'en sois le découvreur et je me garde bien d'y redire quelque chose. Il est vrai, toutefois, que j'ai été l'un des premiers à l'utiliser et désormais sont plus fervent consommateur - malgré la souffrance occasionnée lors de l'elvicere. Ne parlons même pas du temps qu'il m'a fallu pour m'habituer à cet immense corps encombrant et à maintenir ma taille humaine - avoir une tête de fée sur un torse d'homme est une expérience que je ne recommande pas.
Ainsi paré de mon apparence humaine, j'ai fait mon entrée dans le monde des humains... J'ai dû rapidement trouver une explication pour la présence - j'en suis infiniment reconnaissant - de mes ailes : désormais je suis Hermès, un ange. Mes oreilles presque rondes et mon absence quasi totale de poussière de fée parfont à merveille ma couverture.
J'ai passé le plus clair de mon temps au Port, revenant à la Citadelle à regret pour accomplir mes tâches qui -pour la première fois de ma vie - me paraissaient ennuyantes voire agaçantes.
Et même lorsque la chaleur devient insupportable, je continue de courtiser toutes ces femmes, établir ma réputation, vivre. Vivre comme un humain, même mieux qu'un humain : un ange ! Il ne manque qu'une chose à mon bonheur, pour assouvir ma curiosité de cette espèce en laquelle je veux me transformer...
Mais pour l'heure, les Expéditions pour faire pleurer le Cœur ont été lancées - je n'y ai évidemment pas pris part - et une rumeur fort préoccupante est arrivée jusqu'à mes oreilles rondes d'humain : une petite fée accompagné d'un chenard a rejoint les Tunnels du Lapin aux côtés des autres.
Ciel. Le fragile et mélancolique Petit Prince est parti à l'aventure !
Bien que je m'inquiète pour mon petit protégé, mes pensées vont surtout à Mab : la connaissant, son émoi doit être infini.
Alors je quitte mon Port adoré pour m'envoler au secours de ma Reine et mon amie - de plus, la plupart des humains sont partis ou se cachent du soleil sans pitié, leur Port est donc un peu moins intéressant.

Les plumes presque littéralement en feu d'avoir volé sous cette canicule, je m'abrite avec joie dans la douceur de la Citadelle et rejoins le Palais en un coup d'ailes, ou presque.
Thé m'accueille, avec son air pincé habituel, mais toujours plus pincé en ma présence.

« Mes plus sincères salutations à vous très cher, j'agrémente mon salut d'une révérence parfaitement insolente et bien trop grandiloquente, le sourire au coin des lèvres. Je viens m'entretenir avec notre Reine. »

Thé sait pertinemment qu'il doit m'annoncer sans poser de question, et cela l'agace au plus au point. Je jubile alors qu'il me répond d'un reniflement dédaigneux et s'en va. Je le suis de près tout en battant des ailes alors que je sais cela interdit dans l'enceinte du Palais. Il déteste que je fasse ça : voler et le coller. Alors je le fais avec joie.
Une fois devant les appartements de Mab je double le majordome et fais irruption, le sourire aux lèvres, prêt à lancer un trait d'esprit à... Personne. La pièce est vide. Je vole entre les différentes pièces sans trouver la Reine. Un petit raclement de gorge aussi méprisant que satisfait s'échappe de l'entrée où Thé m'attend, un sourire narquois aux lèvres.

« La Reine n'est pas ici. »

Je reste impassible, tentant de garder contenance. Merci bien, j'avais remarqué qu'elle n'était pas là.
Je regarde le majordome se diriger vers les appartements de Ciel, juste à côté : bien sûr que Mab est ici. J'ai envie de me frapper le front et en même temps, l'inquiétude pour mon amie se fait plus vive. Son émoi doit réellement être infini.
J'attends le retour de la fée de service qui revient très rapidement.

« La Reine Mab vous attend à l'intérieur. »

Et alors que je m'avance dans les appartements, sans voler, je suis pris de doute : entrer avec gravité ou légèreté ?
La voir assise à la fenêtre, presque éteinte, elle l'Etincellante, me fend le cœur et une pointe de culpabilité vient me ronger, juste un instant.

« Je suis rentré dès que j'ai entendu la nouvelle, je m'approche doucement d'elle et pose une main tendre sur son épaule. Comment vas-tu ? »

Douceur et gravité : voilà mon choix d'approche et la réalité de ce que je ressens en cet instant. Sans phare ni boni-mensonges. Jamais avec Mab.

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Aucune réaction lorsque je parle, m'approche ni même lorsque je pose ma main sur son épaule. L'inquiétude enfonce ses racines plus profond encore...

« ...Je suis terrifiée. »

Ce n'est qu'un souffle étranglé qui me répond, mais au moins elle me répond, c'était le but premier de ma question. Le fait que Mab se livre ainsi devant moi, vulnérable... Je serre doucement son épaule.
Finalement, elle esquisse un geste et lève la main vers la mienne, mais, au lieu de la repousser comme elle en a l'habitude, elle la serre, aussi désespérément que faiblement, me donnant l'impression d'être son phare dans la nuit. Ma gorge se serre.

« Merci d'être venu, Éther. Tu n'étais pas obligé. »

C'est son regard noisette qu'elle plante dans le mien qui me fait perdre mes moyens et passer une main dans mes cheveux en bataille en bégayant presque.

« Rr... Pfff... Qu'est-ce que tu dis ? C'est normal. »

J'excelle dans le domaine social mais dans celui de l'empathie et du réconfort... Je dois avouer avoir quelque mal. Et pourtant, j'espère de tout cœur pouvoir soutenir Mab comme elle en a tant l'air d'avoir besoin.
Un léger frémissement du coin de ses lèvres me donne espoir, l'espoir que mes pitreries vont suffire, comme toujours, mais ses yeux n'étincellent pas et son esquisse de sourire disparaît presque immédiatement avant qu'elle ne détourne de nouveau le regard.

« Qu'as-tu entendu exactement ? »

Pour la première fois de ma vie, je suis déchiré entre le devoir de dire la vérité et l'envie de mentir pour protéger autrui. Mais Mab n'est pas n'importe qui : elle est ma Reine et, plus important encore, mon amie. Et Ciel est son fils...
Je serre sa main qu'elle n'a toujours pas lâché, comme pour la préparer à ce qui va venir, où lui montrer que je suis là, qu'elle n'est pas seule et que je la rattraperais.
J'inspire un grand coup et lâche :

« Une fée accompagnée d'un chenard a été vue s'enfoncer dans les Tunnels du Lapin. Toutes les rumeurs portent à croire qu'il s'agit de Ciel... »

Elle le sait déjà, où du moins s'en doute, j'en suis sûr. Et pour une fois, je déteste être le Messager des mauvaises nouvelles...

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Le temps d'un battement d'ailes j'ai l'impression de la voir basculer dans le vide. Cela ne devrait pas tendre mon corps de peur comme c'est le cas : une fée vole, c'est dans notre nature. Mais le soupir de Mab laisse penser qu'elle n'aurait peut-être pas l'envie de voler cette fois...
Ma main qui tient la sienne se serre instinctivement, comme pour la retenir. Enfin, ma Reine revient, le dos droit et le regard moins brillant d'émotion. Ce n'est qu'un fragile vernis, un souffle et cette force apparente volerait en éclat. Alors je ne réponds pas lorsqu'elle tente de se rassurer. Elle n'est pas en état d'entendre la vérité : les Mythes ne sont pas la menace dans cette expédition… Je me contente de ne pas lâcher sa main et la laisser colmater les brèches crées par la peur.
Mais c'est sans compter sur le regret et la culpabilité qui viennent balayer tous les efforts de mon amie. Elle est toujours ainsi, à prendre toute la faute du monde sur ses épaules.
J'inspire un petit coup avant de lui répondre, toujours indécis sur l'emploi du mensonge pour son propre bien :

« Il m'a toujours questionné sur l'extérieur. Et ces derniers temps... j'inspire de nouveau, peu enthousiaste pour ce qui va suivre. Il a posé des questions plus spécifiques et m'a semblé plus amer sur sa condition, plus déterminé aussi… Oui, c'est cela, de la détermination brillait dans ses yeux. Alors je te mentirais si je te disais que je suis surpris de son départ. »

Je saisis l'Etincelante par les deux épaules et la tourne doucement, bien que fermement, vers moi. Que nos regards s'accrochent et qu'elle comprenne que tout ceci n'est pas de sa faute.

« Mais Mab, tu as fait cela pour le protéger, tu ne peux te blâmer d'avoir voulu son bien. En revanche, il était certains que Ciel ne resterait pas enfermé ainsi toute sa vie. Tu le connais : il est têtu, comme sa mère, sourire tendre. »

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Je cueille le fragile rire qui parvient à s'échapper des lèvres de mon amie avec un doux sourire en coin. Mais c'est l'éclat de ses yeux magnifiques qui me rassure plus sûrement. Je connais l'égo de ma Reine et sais en titiller la corde avec finesse et élégance. La manifestation de sa fierté maternelle montre que mes paroles ont un effet bénéfique sur sa détresse et j'en suis moi même assez fier. Et soulagé.
Je sens les nuages noirs s'éloigner quelque peu et laisser passer un léger rayon de lumière à travers le trait d'esprit que l'Etincelante me lance.
Je laisse échapper un léger rire contenu et lâche ses épaules maintenant que je sens son corps plus stable.
Je reprends mon rôle si connu et confortable et passe une main grâcieuse dans ma crinière ébouriffée, le sourire en coin éclatant et le regard sur le côté :

« Ne t'en déplaises, mais il m'a supplié pour que je pose pour ses œuvres. »

Mes yeux émeraude reviennent sur Mab, plus profonds et sérieux.

« Mais mon favoris reste celui qu'il cache sous son oreiller, mon sourire devient mutin et je murmure sur le ton de la conspiration. Je te le montre ? »

Je sais qu'elle ne l'a jamais vu : Ciel ne me l'a montré qu'après un accident qui m'en a fait voir un morceau dépassant et après une éternité de taquineries à ce sujet.

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Mon sourire devient  plus tendre et doux le temps du rire un peu moins ténu. Voir Mab regagner ne serait-ce qu'un peu de son éclat fait naître une douce chaleur au creux de ma poitrine. Et sans surprise, mais avec plaisir, je retrouve l'étincelle de curiosité s'animer dans ses yeux. Je la tiens.
Devant sa honteuse et totalement avérée accusation je mime un choque outré, la bouche en O avant de sourire, malicieux et mettre les mains derrière la tête en une attitude nonchalamment innocente.

« Je ne vois absolument pas de quoi tu parles. Ciel m'aime tellement qu'il me dit tous ses secrets sans même que je les lui demande. Tu es simplement jalouse. »

Et je lui tire la langue avant de lui lancer un clin d'œil.
La Reine ordonne et j'obéis, en essayant de ne pas trop montrer mon immense excitation mêlée à beaucoup de satisfaction à l'idée de partager un secret qui n'est pas le miens - vraiment une de mes activités favorites.
D'un léger coup d'ailes je suis devant grand lit du Petit Prince. Un regard vers Mab m'apprend qu'elle n'a pas bougé de cette fenêtre désespérante de mélancolie. Je ravale une moue désappointée : j'aurais espéré que la curiosité l'aurait faite se lever, mais à dire vrai le lit n'est pas si loin et je peux parfaitement lui amener directement le trésor caché. Et c'est ce que je fais, après avoir fait mine d'inspecter les alentours comme un de ces espions humains avant de glisser ma main sous l'oreiller et d'en sortir la jolie feuille toute griffonnée.
Un coup d'ailes plus tard me voilà de retour aux côtés de ma reine et amie, l'air tranquille mais les yeux brillant d'excitation.
Je prends alors un air solennel, cachant le dessin derrière mon dos, le menton levé et la voix empruntée :

« Ma Reine, êtes-vous prête à contempler une œuvre d'art dépassant les talents des plus grands artistes humains ? Êtes-vous prête à poser vos yeux sur une pièce inestimable digne d'apparaître dans votre prestigieuse galerie ? »

Et au mot "inestimable", une réelle puissance se glissa dans ma voix, juste le temps d'un battement d'ailes.

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L'éclat dans ses yeux noisettes, son regard cherchant à percer mon corps et mes ailes pour voir le dessin que je cache derrière, son cou qui se tend légèrement pour tenter de contourner l'obstacle que je représente. Tout ceci me rempli de joie et de satisfaction. Celle de tenir entre mes mains un secret connu seulement de moi mais aussi celle de pouvoir insuffler un peu de vie dans l'âme en peine de mon amie. Je réponds à ça pique joueuse sur le même ton avec un air faussement froissé :

« Ma présence sur ce dessin en fait effectivement un chef d'œuvre mais je dois avouer que je ne suis pas seul dessus. »

Ma Reine est prête à admirer le joli dessin, alors je le sors doucement de derrière mes ailes et le brandis bien face à elle.
C'est un dessin d'enfant, cela ne fait aucun doute, avec ces choix de couleurs parfois étranges, la simplicité des traits et l'absence d'échelle. Mais il est magnifique car il rayonne de tendresse.
C'est une scène statique, presque un portrait de groupe. On y reconnait Ciel, au centre, avec sa chevelure blonde et ses yeux bleus. Il tient la main de Mab, on la reconnait parfaitement avec ses cheveux verts et il a même dessiné des traits jaunes autour, symbolisant ce surnom qui lui va si bien, l'Etincelante. A droite de Mab, un peu plus loin, on identifie Obéron avec sa peau marron sur laquelle Ciel a tenté de superposer du jaune pour traduire l'éclat doré du Sigisbée. Il est dessiné plus petit, comme si il se tenait en retrait. Le Prince a si bien saisi la relation entre sa mère et son bras droit. Il m'a dessiné dans ce qui doit être le ciel, en plein vol et les bras grand ouverts - je pense que ça représente mon côté boutentrain. Mes ailes blanches sont parfaitement identifiables, tout comme les deux points verts clairs au milieu de mon visage. A la gauche de Ciel mais pas aussi proche qu'est Mab, se tient Soleil, son chenard adoré. Et enfin, minuscule, tout au fond du dessin, je crois reconnaitre Crépuscule avec ses cheveux marrons, les deux points gris surplombés par des sourcils froncés et un sourire clairement pas content. Je devine même son armure et son épée.
En bref, c'est un joli portrait de famille et les deux éléments centraux sont Ciel tenant la main de sa mère rayonnante.

Je ne dis rien. Laissant Mab se gorger des bonnes ondes émanant du dessin.

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Les yeux noisettes se mettent à briller, presque littéralement, de curiosité et d'émerveillement. Mab est sans voix et admire méthodiquement chaque élément du dessin. Elle finit même par se lever pour caresser les détails du chef d'œuvre. Je tiens ce dernier bien droit et immobile afin qu'elle puisse en profiter sans gêne. Je laisse échapper un petit rire contenté et fier à son commentaire sur ma représentation.
Certes, Ciel n'a pas encore le talent de retranscrire ma beauté, mais il a très bien saisi mon aura.
Une question échappe aux lèvres de la Reine dans un murmure. Je réfléchis un moment afin de repérer un détails de temporalité dans mon souvenir de la découverte du dessin.

« C'était aux premières chaleurs. »

La nouvelle interrogation a des échos de peine : pourquoi le Petit Prince a-t-il dissimulé ce dessin à sa Reine Mère ? Une moue contrite se peint sur mon visage avant que je ne lui réponde avec douceur :

« Il voulait le finir avant de te le montrer et puis vous avez eu une dispute au moment où il l'eut fini et la colère, d'abord, l'a empêcher de te l'offrir, puis l'embarras, je crois, a gardé le dessin caché. Ensuite ses pensées ont été dirigées vers autre chose, peut-être son plan de fuite… »

Je suis sincèrement désolée de cette réponse, mais je ne mentirais jamais à mon amie.

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