L'animal avait toujours eu son indépendance, et pourtant il revenait toujours autour de la fumerie d'opium. Il s'agissait de son point de départ et d'arrivée. Il s'en allait vagabonder, pleurer à côté des morts qui ne voulaient plus le laisser entendre leur coeur. Puis, dévorer les chairs et les garder en lui. Le Nécrophage nettoyait la nature, vivait de ceux qui trépassaient. Sans le savoir, car la chimère pensait que son coeur ne battait pas, et qu'il lui fallait écouter ceux des autres pour survivre. Il le fallait. Mais le gel rendait les échos étranges, et créait des chemins qui inquiétait la créature. Elle n'aimait pas l'eau, elle pourrait se noyer dans une flaque.

Kâduin, malgré tout, s'aventurait toujours plus loin. Testant ses limites au givre, son pelage étant assez épais, à condition de veiller aux bonnes voies. Ainsi que celles qui ne se briseraient pas sous son poids. Et puis, l'animal devait retourner au Ranch, pour entendre le coeur de Moriko, elle voulait bien le partager avec lui.

La chimère s'éloignait, essayant d'éviter les points d'eau, s'aiguillant à l'ouïe. L'odorat se trouvait moins efficace, peut-être un rhume qui gênait la truffe.

Kâduin se retourna, sans avoir conscience du temps passé. Les oreilles dressées, au milieu de rochers. Il écoutait, il entendait beaucoup de bruits différents. Il était curieux, il voulait savoir, il pensait même entendre des coeurs. Mais un sentiment d'effroi lui dressa le pelage noir en observant ses traces de pattes. Il peinait à voir, ses yeux étant faibles d'origine, ils ne voyaient plus leur chemin de retour.

La chimère de fer avait été portée par les sons, par les coeurs, tant elle ressentait de la joie d'en trouver. Qu'avait-elle pensé ? Simplement qu'elle terminait une boucle, et que le ranch revenait à elle. Tout le raisonnement avait été biaisé par l'inattention, et surtout l'absence de repères visuels. Kâduin n'observait jamais réellement. Trop concentré sur l'eau à fuir.

Et les battements de coeurs qui l'attiraient comme les papillons de nuit amoureux des lumières.

Les oreilles tombèrent, avec un glapissement plaintif. Le Nécrophage était perdu, et les conditions actuelles le forçaient à ne pas s'en retourner à l'aveugle alors que le vent soulevait la poudre froide.

L'animal s'approcha un peu de la zone, il distinguait quelques lueurs floues, rasant une paroi rocheuses irrégulière, il avançait prudemment. L'endroit lui rappelait des souvenirs, ceux de sa naissance. Dans le désert, au pied d'une mère étrange portant la même odeur.

Des voix encombraient l'écoute des battements.

Etait-il proche ? Kâduin ne le savait pas, il observait les lumières. Il estimait les sons tantôt proches, tantôt lointains. La multitude de sources sonores le dépassait, ce n'était pas le ranch.

Des coeurs qui battaient, des voix qui parlaient. Kâduin avançait lentement, un peu inquiet, peu sûr de lui. Il ne savait pas bien où il se trouvait. Il ne connaissait pas ce territoire. Bien que les roches soient ce douloureux rappel d'une famille étrange. On ne naît pas d'un rocher pourtant.

Mais parmi les voix, l'animal entendit une qui semblait raconter quelque chose. Une voix qui semblait gentille. En se cachant dans les ombres, en frôlant les contours, le Nécrophage se reprochait du récit. Jusqu'à voir la source. Enfin, du flou à cette distance, mais il savait que cela venait de ce qu'il voyait. Les battements de coeurs étaient calmes. Du moins, emportés dans les mots. Kâduin pourrait peut-être profiter des battants ici ? Tête baissée, pour essayer de se faire petit et craintif. Plutôt qu'une ombre menaçante. Il avançait lentement. Couché au sol, il avançait petit à petit. Comme un 1-2-3 soleil.

Il était à la limite, les lueurs des feux dévoilaient l'animal porteur des yeux brillants bleus.

Cependant, à cette distance, l'odeur de la chimère était à portée. Et le vent soufflait dans la direction des humains, mais Kâduin écoutait l'histoire. Laissant les mots vibrer dans les os de métaux.

L'animal était proche, mais pas trop, juste assez. Il pouvait entendre l'histoire. Il aimait les mots si bien mêlés entre eux, et maintenant il avait envie d'écouter les chants dans la forêt. Peut-être qu'il pourrait entendre ! Peut-être que les coeurs aussi voudront écouter les chants dans les bois. Puis, un petit ordre se fit un chemin dans les airs, celui d'aller se coucher. Mais la chimère de fer n'était pas concernée, elle vivait à son rythme. Autre chose attirait l'attention de Kâduin. Il monta les oreilles bien droites en direction de la native qui approchait.

Les battements étaient plus proches, et bientôt le Nécrophage pourrait préciser les traits de la conteuse dans ses yeux. Elle était toute claire comme les paysages de givres. Soudain, il tourna la tête vers l'horizon derrière. Il s'était vraiment aventuré loin du Ranch.

La question ramena la truffe du côté de la Volontaire, les prunelles pouvaient assez bien voir le visage de celle qui parlait.

Le museau s'approchait de la main, sentant les odeurs du campement. Et celle bien précise et unique à chacun. Puis Kâduin s'assit, il écouta un peu les battements du coeur en face de lui. La Delaware voulait bien partager un peu ?

- Kâduin va bien ! Et toi ?

Il avait l'impression que les gens se répondaient ça parfois au port, entre ceux qui s'aimaient bien. Et Kâduin avait décidé qu'il aimait bien la native.