Dans une tente du campement, au milieu de l'agitation, Oural s'active elle aussi. Non pas pour cuisiner, faire des travaux manuel, ou ce genre de tâches inhérantes à la vie en commun. Oural, non, elle reste dans son coin. Elle fait ses affaires, pour déjà repartir dans ses vagabondages. Plus que jamais, elle le sait, ils sont nécessaires. Pour sauver les gens qui pourraient être perdus, blessés, épuisés. Isolés. Pour aider ceux qui, ne vivant pas au campement, pourraient être plus vulnérable. La guérisseure sait que des Garçons perdus ont pris cette décision aussi, et elle respecte leur courages. Jeunes mais pas moins braves. Cela fait bien longtemps que les enfants de cette île n'ont plus besoin de faire leurs preuves à ce sujet.

Son seul regret est de ne pouvoir emmener Héron au Volcan, qui était supposé être son prochain voyage. Mais les temps sont durs, et d'autres gens ont besoin d'elle. Après ces retrouvailles si douces et joyeuses, tout s'était précipité. Le froid mordant avait redoublé, il avait fallu emballer ses affaires, ranger boutique, voyger. Certes, à plusieurs on est plus forts. Et Oural est admirative du courage et des ressources que chacun met en place en réponse à cet Hiver sans précédent. Mais le calme lui manque, le calme des jours simples aussi. Ce voyage, elle tient à le faire un jour. Mais la jeune femme redoute d'annoncer la nouvelle de son report à son ami.

Baumes, herbes, soins. Des provisions, de l'eau, ses pierres de guérison.. Oural, sans un mot, sans un son, fait ses affaires avec l'efficacité de l'habitude. C'est presque mécanique, tant elle a l'habitude. Ne s'ajoutent que les épaisses couches d'habits pour se protéger du froid et du vent glacial. Tout le monde n'est pas orbleu, à pouvoir rire face à ce Givre si blanc et mortel.

Son coeur se serre un peu, et Oural se demande ce que fait Ibijau en cet instant. Elle le revoit encore, dos tourné, s'éloignant avec cette faux si grande, si sombre. Pourquoi une faux ? Pourquoi une arme ? Pourquoi la violence ? Le ciel bleu d'Oural, depuis quelques temps, est terni de quelques nuages porteurs de neige. Des nuages d'hiver, qui viennent avec la bise et le calme trop blanc de ce manteau d'ivoir si beau mais si dangereux. On peut dormir sous son emprise, jamais ne s'en éveiller. Le danger n'est pas toujours tonitruant, et ses actions peuvent être aussi rapides que lentes, silencieuses comme bruyantes.

Ses affaires paquetées, la Consciente reste quelques instants immobile, à penser à son cher apprenti. Elle prie les esprits pour qu'il ne fasse rien d'inconsidéré (peine perdu, elle le sait bien) ni de dangereux (même combat). Oural prie aussi pour qu'il trouve ce qu'il cherche, que sa quête lui procure la sérénité qui semble lui faire défaut. Sans savoir comment le reste du clan réagirait, elle espère aussi un peu son retour. Sans en être totalement convaincue : Ibijau n'en fait bien souvent qu'à sa tête.

C'est en plein dans ses réflexions qu'elle entend le lourd tissu de l'entrée se froisser discrètement. Brave fille, elle se retourne avec un sourire pour faire face à la personne qui lui rend visite. Rangeons donc ces pensées douloureuses, elles n'aideront personne.

Sur l'île, on est jamais serein bien longtemps. Héron l'a appris à ses dépends, lorsque son propre deuil et l'arrivée du Givre se sont enchaînés, ne lui procurant aucune forme de répit. Et en un sens, c'était positif : trop occupé à s'habituer à sa nouvelle vie au camp, sa douleur résiduelle s'était comme endormie, apaisée par l'urgence.

Si certains n'aimaient pas la vie au Canyon Rouge, l'Anxieux devait admettre qu'il en appréciait plusieurs aspects : la solidarité et l'entraide qui régnait entre les Réfugiés lui réchauffaient le coeur, même s'il ne pouvait s'empêcher de s'inquiéter des Orbleus et ceux qui les avaient rejoint.

C'est en y pensant que l'Anxieux traverse le camp, se dirigeant vers la tente d'Oural. Il est habillé chaudement, et porte sur lui une besace remplie de choses utiles au voyage. Lorsqu'il finit par arriver au tipi, il y rentre doucement, et son coeur s'emballe un peu lorsqu'il voit l'expression de la Consciente. C'est bien elle, de garder le sourire en de telles circonstances. Il fait de même, la salue d'un petit geste avant de se lancer :

- Aurais-tu besoin de compagnie durant ton expédition ?

Héron est direct : il n'a pas l'intelligence de ceux qui savent se montrer subtils. A la place, Héron désigne son accoutrement d'un geste quelque peu préoccupé, et se justifie quelque peu :

- J'ai besoin de sortir d'ici.

D'être seul, avec ou sans elle.
Sans doute Oural pourra-t-elle comprendre ? Dans tous les cas, il l'espère.

Toi. Héron Placide. Son sourire se réchauffe un peu à ta vue, et plus encore en voyant celui que tu lui offres en retour. Il est des gens qui sont précieux par leur présence seule. Les mots ne leurs sont pas nécessaire pour apporter réconfort et sérénité. Toi, tu lui fais un peu cet effet, là, tout de suite, ici. Ta vue l'apaise, et Oural pousse un soupire en relâchant ses épaules, qui se détendent. La jeune femme n'avait même pas réalisé à quel point celles-ci s'étaient crispées, à force de penser et s'inquiéter pour Ibijau, pour le camp. Pour l'île.

Ta question, directe et sans fard, la fait pétiller un peu plus. Son regard est doux, quand elle récupère d'un geste fluide sa lourde besace et la cale sur son épaule. Il se fait de velours pour toi, avec la tranquille sincérité de ceux qui ne se cachent pas derrière une fausse pudeur qui entacherait la simplicité des choses.

- Besoin, peut-être. Envie de ta compagnie, toujours. Je t'avais promis un voyage, non ?

Dommage que ce soit en ces circonstances. Vous l'aviez prévu autrement, oui. Mais le camp avait déménagé avant que vous ne puissiez partir à l'aventure, et il vous avait fallu suivre. Oural en avait été déçue, mais n'avait pas voulue s'en plaindre. Il y a plus grave, plus important qu'une échappée de loisir.

Ce voyage, même s'il sera loin d'être ressourçant, sera un peu votre aventure nomade malgré tout.

Oural s'approche, et caresse ta joue doucement de sa main. Elle te sent nerveux, tendu. Rester au camp, effectivement, ne te réussit pas. Un sourire plein de chaleur, ses yeux bruns qui t'observent paisiblement. Tu es si grand, elle si petite. Il lui faut redresser le visage, lever la tête pour te voir. Vos différences de gabarit l'ont souvent amusé. Aujourd'hui encore, ce constat ne manque pas de la faire sourire. En réponse à ta nervosité, à ton besoin d'évasion, la Consciente répond doucemet avec sa tranquille assurance habituelle.

- Alors allons-y.

C'est aussi simple que ça. Sa main quitte ton visage, et Oural ouvre le tipi, retenant la peau pour que tu puisse ressortir à ton tour.

Dehors, l'air est frais, froids même. Mais sec. Le camp est animé, comme toujours.
Il tarde à Oural de retrouver le calme des immensités de nacres. Et avec toi à ses côtés, c'est encore mieux.

Oural est directe, et Héron lui en est reconnaissant : il ne comprend pas toujours les interactions subtiles et autres non-dits.

- Besoin, peut-être. Envie de ta compagnie, toujours. Je t'avais promis un voyage, non ?

Il lui sourit, se rendant compte de la coïncidence : c'est vrai qu'ils en avaient parlé, mais il ne fait le lien que maintenant. Certes, le voyage qu'ils s'apprêtent à faire semblera bien différent de ce qu'ils avaient prévu, mais les temps changent sur l'Île et puis - tant qu'il sont ensemble, tout ira bien. Il tente de s'en persuader.

- Alors allons-y.

Toujours cette assurance tranquille, toujours ce sourire chaleureux, même au coeur de l'hiver. Héron sort du tipi, se retrouve à nouveau dans l'agitation du campement. Ses affaires sont prêtes, celles de la Consciente aussi - il a pu le remarquer en arrivant. Il ne réfléchit pas lorsqu'il lui tend la main, comme s'il savait où ils se rendaient.

- Tu viens ?

Impatient, l'oiseau. D'une fébrilité toujours un peu timide, toujours un peu contenue. Mais il ne veut pas s'imposer : c'est à Oural de dire quel chemin ils prendront.
Peu importe où, d'ailleurs. Tant que c'est hors d'ici.

Et tant que c'est ensemble.

Elle attrape cette main que tu lui tends simplement. Sans qu'Oural ne puisse mettre le doigt dessus, il lui semble que tu as changé. Et ce n'est pas qu'à propos de ce deuil qui plombe tes ailes mais semble enfin être devenu tolérable. Non, il y a autre chose. La Consciente ne s'échine pas à trouver ce dont il s'agit : chaque chose en son temps, et elle se dit que si elle doit comprendre et percevoir ce changement cela arrivera en temps et en heure.

Vous vous éloignez ainsi du camp, saluant parfois ça et là une personne que vous connaissez. Oural se surprend à être étrangement sereine, malgré les dangers de votre expédition. Oural n'a pas lâché ta main si tu ne l'as pas fait non plus. Elle a toujours aimé le contact et n'est pas du genre à le fuire ou s'en embarrasser.

La jeune femme n'a pas réellement de destination en tête, si ce n'est l'immensité glacée et traitresse. Un bref coup d'oeil vers toi, préocuppée de te savoir si nerveux. Est-ce le camp qui te fait cet effet, ou y a-t-il autre chose ? Malgré tout. son coeur s'échauffe un peu avec bonheur de savoir que cette épopée sera commune. C'est à la fois un plaisir d'avoir ta compagnie, et un atout pour ce qui vous attend. Vous ne serez pas trop de deux, après tout, pour affronter le royaume du Givre.

- Une idée ou une envie par où commencer ?

Un bref silence.

- Je ne sais pas si on pourra aller au Volcan cette fois-ci. Je suis désolée.

C'est qu'elle a un peu l'impression de faillir à sa promesse, quand même. Et elle avait vu tes yeux s'illuminer quand vous aviez parlé de ce projet. Ton enthousiasme avait été sincère et merveilleux. Oural espère que tu n'es pas trop déçu, du coup.

Elle adorerait partager le Volcan et le monde qu'elle voit avec toi, sans oser mentionner un autre voyage ultérieur pour cela ni promettre que vous verrez la montagne de Feu cette fois-ci.

Ils traversent le camp, laissent derrière eux son agitation et la foule d'âmes qu'il contient. Héron a salué ceux qui l'ont hélé, feint une sérénité qu'il cherche sans pour autant l'atteindre : l'Hiver l'inquiète, l'Île l'inquiète. Il ne craint pas pour sa vie, non, mais celle des autres.
Il n'est pas seul.
Il doit se le rappeler, se le répéter.
Se concentrer sur la présence d'Oural, sa main dans la sienne.
Il aimerait que son optimisme revienne.

- Une idée ou une envie par où commencer ?

Héron tourne la tête vers elle et lui sourit doucement.

- Je ne sais pas si on pourra aller au Volcan cette fois-ci. Je suis désolée.

L'Anxieux réagit immédiatement, saisissant les deux mains de la Consciente et arrêtant leur marche un court instant.

- Ne t'inquiète pas. Nous nous y rendrons quand l'Île se sera réveillée.

Il a parlé un peu vite, le Héron, sans pour autant cesser de sourire.
Si son optimisme ne revient pas naturellement, il fera semblant.

La question d'Oural lui revient, et il met un moment à réfléchir à une destination. Même envahi par le Givre, le Pays reste vaste. Il soupire, énumère :

- Certains lieux sont épargnés, encore. La Vallée, le Désert, le Sommet enneigé...

Il y a d'autres endroits, moins sûrs. Mais pourquoi iraient-ils se rendre près de la Lagune ou dans la Lande ? Ils ne sont que deux, et Héron ne veut pas se battre.
Il adresse un regard à Oural.

- As-tu une préférence ?

A son inquiétude, tu réponds aussitôt en saisissant ses deux mains. Oural peut sentir ton mal-être, mais pas cet enthousiasme que tu feins. La nuance est trop subtile alors qu'elle-même est troublée. Ton geste, pourtant, la touche. Ta présence lui fait plaisir, ça n'a jamais été un secret. Alors en retour, la jeune femme sert tes mains. Ses yeux brillent d'enthousiasme, à défaut de pouvoir ressentir cette assurance tranquille qui aujiurd'hui lui fait défaut. La jeune femme se force à te sourire em retour, à faire preuve d'un peu plus d'assurance. La perspective de ce nouveau voyage, avant même que celui-ci ne soit entamé, la comble de joie et d'espoir. Doucement, elle hoche de la tête et prie intérieurement pour que le dégel soit pour bientôt.

Tu énumères des lieux et son sourire se terni, à peine. Ces endroits que tu mentionnes sont-ils réellement épargnés, ou bien ont'ils suelement un impact moins visible ? Elle se souvient du voyage dans le Désert avec Ibijau, lorsque le froid commençait à consumer l'île. Et des changements, elle en avait senti.

- Je ne veux pas aller au Désert. Il y fait encore plus froid la nuit, désormais. Et..

Et. Un grand Et.

- C'était notre dernier voyage avec Ibijau Assoupi, avant qu'il ne parte.  

Elle ne veut pas affronter les souvenirs maintenant. La vérité, c'est qu'Ibijau lui manque. Mais elle ne se sent pas en droit de trop en parler. D'une part parce que ce n'est pas elle, de dévoiler ainsi ses peines et ses blessures. D'autres part, parce qu'il est simplement parti, mais est bel et bien vivant quelque part. Tout le monde ne peut pas en dire autant, tu peux en témoigner. Ses yeux se redressent, honteux. Pardon de prendre toute cette place. Oural se sent comme une farce, une imposture.

- La Vallée pourrait être une bonne idée. Je voudrais voir si je peux toruver des gens perdus. Mais d'autres sont partis avant, et je pense pas qu'ils aient vérifier ce coin là. .. Si cela te convient ?

Oural est un peu embarrassée. Tu sembles parler d'un voyage pour le simple besoin et plaisir de bouger ensemble. Elle, te parle d'une mission. Oural était si heureuse quand tu avais proposé cette épopée tous les deux.

- Mais je me réjouis de ce boyage avec toi, Héron. Même si ce n'est pas ainsi qu'on l'avait prévu. Pardonne moi.

Si tu lui en laisses la chance, elle se rattrapera.

- Je ne veux pas aller au Désert. Il y fait encore plus froid la nuit, désormais. Et..

Et quoi ? Héron retient son souffle, pendu aux lèvres de la Consciente.

- C'était notre dernier voyage avec Ibijau Assoupi, avant qu'il ne parte.

Oh.
Héron comprend mieux, tout à coup.
Oural détourne les yeux, et le sourire de l’Anxieux se fane. Quel idiotie d’avoir proposé une destination aussi douloureuse. Voir Oural ainsi retenir sa peine lui fait mal, il s’apprête à parler...

- La Vallée pourrait être une bonne idée. Je voudrais voir si je peux toruver des gens perdus. Mais d'autres sont partis avant, et je pense pas qu'ils aient vérifier ce coin là. .. Si cela te convient ?

La Sentinelle referme la bouche. La Vallée... oui, pourquoi pas. Quant au fait de rechercher leurs disparus, cela ne le dérange pas. Au contraire, Héron a toujours aimé se rendre utile, même lorsque son coeur ne s’y prêtait pas.

Un léger sourire fleurit à nouveau sur ses lèvres.

- Mais je me réjouis de ce voyage avec toi, Héron. Même si ce n'est pas ainsi qu'on l'avait prévu. Pardonne moi.

Son sourire s’agrandit.

- Tout me va, tant que c’est avec toi.

Un instant de flottement, le temps de se remémorer l’avancée de leurs discussions. De repenser au poids qu’Oural porte, seule - l’Anxieux sait très bien à quel point cela peut faire mal. Et Héron ne se pose pas de questions, laisse son coeur parler.
S’avançant, il étreint Oural avec force.

- Je suis désolé, pour le Désert.

Il a parlé doucement.
Une infime hésitation, puis :

- Ibijau me manque aussi.

Il n’aime pas se confier ainsi, mais cette fois, parler de sa propre peine ne lui semble pas vain.
Il veut rappeler à Oural qu’elle n’est pas seule.
Comme elle l’a fait pour lui tant de fois.

Elle s'en veut, de t'imposer sa peine. De mettre déjà des restrictions qui peut-être te déplairont alors que tu n'as rien demandé, à compter sur ton grand coeur pour lui pardonner. Toi, tu balayes tout d'un sourire. Ca lui donne chaud au coeur, à la jeune femme. Tu rayonnes, le savais-tu ? Tu rayonnes à ta façon, d'un éclat qui n'échappe pas à la Delaware. La force des grands coeur, la volonté de la bienveillance. Ton sourire est contagieux, et elle commence à te le rendre quand tu prends la parole. Tes mots la touchent, oh ! Tellement. Ses yeux te sourient à leur tour, Oural t'es reconnaissante de.. De quoi ? Elle ne sait pas trop. D'être toi, d'être si gentil.

L'étreinte la prend de court un bref instant, mais évidemment qu'elle ne la refuse pas. Evidemment qu'elle te la rend, avec un peu plus d'intensité qu'elle ne le ferait d'ordinaire quand elle entend tes excuses. Oh, mais tu n'as pas à être désolé, comment pouvais-tu savoir ? Comment deviner ? Jamais elle ne t'en as voulu de cette suggestion.  Tes mots, Héron. Pourquoi ont-ils autant d'impact, quand ils viennent de toi ? Son coeur se serre, et un bref moment elle se demande si elle va vraiment pleurer, là, contre toi. Son étreinte te serre un peu plus contre elle alors qu'elle se musse contre toi. Ibijau, Ibijau, pourquoi être ainsi parti ?

- Peut-être que nous le croiserons, même de loin. Et de toute façon il est un peu là avec nous, puisque nous pensons à lui. C'est Balbuzard Pur qui me l'a rappelé.

Elle serait bien restée blottie ainsi, mais ce serait abuser. Doucement, Oural desserre son emprise sans pour autant vraiment te chasser. Elle est indécise entre son envie de rester ainsi et son sens du devoir qui lui dit qu'il faudrait se mettre en route.. Mais c'est finalement le devoir qui l'emporte, comme bien souvent.

Se détachant délicatement, Oural s'efforce de t'offrir un sourir. Ses mains sont encore sur toi, ses yeux brillent un peu sans que ce soit clair s'il s'agit d'émotion ou du froid mordant autour de vous.

- Merci.

C'est tout ce qu'elle peut dire, et c'est déjà beaucoup pour elle. Son regard se détourne pour effleurer le paysage de nacre qui vous entoure. Le rappel du devoir, comme toujours. Pour mieux fuir en avant, pour ne pas s'étaler d'une douleur trop pudiquement endossée. Déjà, Oural réfléchit à quel chemin emprunter, elle puise dans la force que tu viens de lui transmettre.

Ce voyage sera dans tous les cas un moment qu'elle sera contente de passer avec toi.

Oural lui rend son étreinte, avec une force qui lui couple un peu le souffle, mais qu’il accueille sereinement. Le contact lui manque, souvent - il ignore pourquoi certain-es se sont éloigné-es de lui après la Perte, comme s’il pouvait les contaminer. Mais Oural ne l’a jamais fait, Oural a toujours été là, ou du moins c’est ce qu’il lui semble. Alors qu’il y repense, Héron se fait rempart encore plus, la laisse se blottir contre lui.

La voix de la Consciente résonne :

- Peut-être que nous le croiserons, même de loin. Et de toute façon il est un peu là avec nous, puisque nous pensons à lui. C'est Balbuzard Pur qui me l'a rappelé.

Un sourire : Balbuzard est si sage, et la pensée qu’il livre est réconfortante. Était-ce lui ou un autre qui avait dit la même chose après la disparition de Paon Chamarré ? En pensant à son père, le cœur de Héron se serre mais il ne vacille plus comme avant.

Avec douceur, Oural brise son étreinte et l’Anxieux se surprend à penser qu’il aurait bien passé quelques minutes de plus ainsi.

- Merci.

Reconnaissance douce et qui vaut tant, surtout de sa part. Héron hoche la tête légèrement et, la voyant scruter l’horizon, fait de même. Ils ont plusieurs possibilités, plusieurs itinéraires jusqu’à la Vallée. Choisir, puis marcher. Cela ne doit pas être si compliqué.

Sans guère plus de timidité, il lui tend la main.

- J’ai une idée du chemin à prendre.

Lui fera-t-elle confiance ?

Une fois qu'ils auront choisi, il leur faudra marcher.
Et peut-être trouver quelqu’un à sauver.

Tu es si doux, si reposant. Si bienveillant et patient, aussi. Du baume pour le coeur, un chocolat chaud de l'âme. Le froid se fait sentir dès lors qu'elle n'est plus contre toi, mais Oural n'en tient pas compte et se contente de réfléchir à votre route.

Enfin, elle réfléchissait.

Ta main tendue, ta proposition la fond sourire. Evidemment, qu'elle y répond positivement. Evidemment, qu'elle accepte ce nouveau contact avec toi. C'est votre voyage, tu peux mener le chemin tout autant qu'elle. De toute manière, le simple fait d'être avec toi est déjà une récompense en soi. Vous en aviez parlé il y a quelques semaines, et c'est avec ravissement que la Delaware réalise que oui, vous allez vraiment voyager ensemble. La mission est toute aussi vitale, les paysages tout aussi blancs. Mais les jours à venir, eux, semblent soudainement moins tristes.

Son regard pétille alors que son visage s'illumine d'un sourire doux. Elle a confiance, Oural. Confiance en toi, confiance en vos capacités à vous débrouiller s'il devait se passer quelque chose. Tout ira bien, en fin de compte.

- Je te suis.

Sa main serre un peu plus la tienne alors que vous vous mettez en marche. Tout va bien, tout ira bien. La journée ne fait que commencer, et vous avez toutes l'île devant vous. Qui sait, peut-être pourrez-vous aller vers le volcan malgré tout.

- Il me tarde de redécouvrir l'île avec toi.

Une grande inspiration, pour se gorger de l'air frais et sec, et la jeune femme ne peut pas s'empêcher de sourire. C'est que le voyage, ça a toujours été chez elle. Certains ont l'amour du grand large, Oural ressent une infinie tendresse pour les reliefs changeants de l'île du Pays de Jamais.

Bienvenue dans son monde, Héron Placide.