On a Snowy Day.

I

ls étaient partis.
En route vers une (probable) nouvelle vie. Suivre sans condition un jeune homme à la concentration légère et son ursidé de chien, après quelques semaines dans un environnement hostile, blanc et glacial, c'était du Saalki tout craché. Son existence pourrait-elle seulement devenir stable un jour ? Rien n'était moins sûr. Parce que l'esprit de Saalki n'était que cabriole, parce que ça tourbillonnait sans cesse dans sa caboche, parce qu'il ne s'agissait pas que de l'extérieur ; et l'essence-même de Saalki était versatilité.

En cet instant, son cerveau traversait un grand passage de turbulences. Le déséquilibre était prégnant, la confiance en ses actions, précaire. Pourtant, il avançait, d'un pas imperturbable, le visage le plus neutre possible. Son regard, bloqué sur le sol défilant, observait le givre - fines gravures - tandis que ses coussinets réclamaient un droit de retrait, un nid douillet, ou ne serait-ce qu'un peu de respect.
Ce n'était pas l'heure pour ça. Saalki avait tout un nouveau monde à appréhender, des humains à rencontrer et d'autres créatures (puisqu'il venait d'apprendre qu'il était un drôle de mélange, mais rien de fixé) à côtoyer. Sale affaire pour la boîte à émotions qu'était son corps entier.
En effet, malgré son application sérieuse, son rythme parfait, ses pas comptés, ses yeux minutieusement attachés à détailler le sol, Saalki se laissa noyer. Comme toujours, à jamais. Les émotions débordèrent. Il fut engloutit.

Ses pattes grelottaient de façon agaçante, son bec libérait par sursaut de petits claquements discrets et il ne pouvait s'empêcher de guetter toute potentielle réaction de son nouvel ami humain. Il songea à faire demi-tour, là, maintenant, sur le moment, vif et rapide, il disparaîtrait. Mais il n'en fit rien. Le paysage continuait de changer et au loin, déjà, on apercevait de la fumée.

L'appréhension, la peur, terribles, grimpaient le long de son intestin grêle jusqu'à l'estomac. Et si, là-bas, ils le refusaient ? Trop bizarre, trop bancal, et bien insupportable. Ce serait sans doute une bonne chose. Oui, sans doute était-il trop étrange pour vivre avec eux, ils le renverraient dans les bois ; en partant, Saalki leur volerait des morceaux de fruits séchés, quelques rats laineux (il y en aurait forcément) et il partirait dans un grand ricanement qui ferait frissonner tout le monde, mais pas de froid. Voilà, c'est sans doute comme ça que cela se déroulerait.


Puis la marche s'arrêta soudainement, si soudainement que Saalki se cogna contre les jambes d'Aeshna. Il tomba sur son derrière et regretta aussitôt cette petite mésaventure car celui-ci, malgré la fourrure et les plumes, lui fit bien des reproches sur cette fraîcheur imposée avec brutalité. Le volatile se releva immédiatement, rappelé à l'ordre par la voix de son fluet repère humain.

« Je connais quelqu'un qui va pouvoir t'aider, Saalki. Elle ne fait jamais mal à personne tu vas voir, et elle connaît plein de choses. »

Saalki avait déjà oublié à quel point la voix de l'adolescent était douce. Son appréhension retourna se cacher dans son intestin tandis qu'il redressait ses oreilles de velours vers l'avant.
S'il ne dit mot, Aeshna sembla comprendre sa communication non-verbale car, après un rapide coup d’œil au renard, le jeune indigène reprit sa marche.
Mais elle fut de courte durée. Sept pas plus tard à peine, Saalki dut de nouveau freiner en catastrophe, cependant il évita cette fois de toucher le sol avec son postérieur.

« Aowh, Salamandre. J’ai rencontré une créature en allant chercher du bois et son nom est Saalki. Il peut rester au camp, n’est-ce pas ? Il y a de la place avec Diego et moi, on pourra veiller sur lui. »

Diego était déjà très occupé à lécher copieusement les mains de la personne qui reçut les soyeuses paroles d'Aeshna. Il n'entendit pas. Ce ne fut pas le cas de Saalki, touché en plein cœur. La Libellule Etourdie avait vraiment l'intention de le garder auprès de lui encore un peu, alors ?
Curieux, l'animal se permit un bref coup d’œil vers cette nouvelle arrivante dans son existence. C'était une enfant, bien plus jeune qu'Aeshna. Ses yeux étaient vifs et brillants, emplis d'une résolution et d'une détermination certaines.

Lorsque la longue main blanche d'Aeshna caressa avec lenteur et précaution ses ailes, Saalki perdit légèrement l'équilibre. Le Rêveur lui offrit un beau sourire. Une chaleur engourdit les paupières de l'oiseau canin qui n'eut plus qu'à laisser échapper un sourire timide mais très sincère en retour.

« Salamandre Bleue et moi on va vous soigner toi et l’oreille de Diego aussi. »

Saalki détourna alors son regard vers la fillette. Salamandre Bleue. Tout en elle lui semblait mystérieux. Sans vraiment se l'avouer, il avait hâte de découvrir sa voix.

« Tu veux bien m'aider, Salamandre ? », ajouta une dernière fois Aeshna.

Saalki l'espérait aussi.