Reaper marchait. Elle ne fatiguait pas.
Elle ne fatiguait plus, ses jambes étaient toujours en forme.

L’influence du Givre, lorsqu’elle montait à son apogée, était grisante. Elle se savait elle, et en même temps, se sentait autre. Un peu comme cet ancien elle qu’elle a abandonné dans le Monde ordinaire, se disait-elle. Ce n’est que recommencer. Abandonner l’usée pour profiter du neuf. Un peu une sorte de consommation sur l’île - pas comme si la mort y était autant présente que la magie, après tout.
Reaper s’aimait telle quelle. Elle en était folle.

Et pourtant, le Givre n’avait pas encore totalement prit possession. Il prenait son temps. Elle se promenait, flânait, revisitait l’île sans se perdre grâce à l’instinct glacé, et analysait à nouveau chaque sentier sous un oeil différent. Toujours est-il que l’influence était bel et bien là : la Garçonne Orbleu restait un danger pour autrui.
Qui risquerait quoi en la croisant ? D’ailleurs, l’attaquerait-on ? Elle ?

Qui se sentirait capable de retourner sa veste au dernier moment pour affronter un des leurs ?

Reaper se promenait afin de chercher, trouver, tomber par hasard. L’île était en proie à des changements brusques auxquels même le Givre se sentait quelque peu menacé. Peter Pan, encore une fois, faisait vriller l’île selon son humeur. C’était toujours, toujours Peter. Depuis le début de cette ère glacière, Reaper savait de toutes évidences que le Roi était un danger non pas seulement pour les siens, mais aussi pour tout le monde. Oh, elle ne le disait pas autant à voix haute, préférait même éviter de le penser trop fort, mais maintenant… Maintenant ! Peter est un traître, Peter est un mal ! Peter aurait dû mourir !
Oh, oui, s’il était mort… S’il était mort, l’île s’en porterait sûrement mieux. Certains diraient qu’au contraire, l’île mourrait avec lui, mais comment parier sur un fait aussi incroyable que : l’île est Peter et Peter est l’île ?

Elle marchait et voulait croiser du monde. Elle ne pouvait toutefois pas aller plus loin que la Brousse Aride. La lumière là-bas après était forte. Le Givre craignait. Il craignait alors qu’elle avait rejoint la fête il y a peu, quel dommage.
Puis, là, un joli minois fit son apparition.
Reaper sourit. Oh. En voilà un. Et un des meilleurs, sûrement.

- Holà, Pastel.

Le silence est mortel. Dans la neige, on n’entend que les pas furieux du Fragile. Il ne sait plus depuis combien de temps il marche - si l’on peut vraiment parler de temps sur Never Never Land -, ni jusqu’où ses pas l’ont mené. Tout ce qui compte, c’est de s’éloigner du camp de réfugiés. D’accord, tout le monde est un peu tendu, ce qui se comprend vu la situation de l’Île, mais ce n’est pas une raison pour virer sec avec lui. En ce moment, les gens sont brusques et ça joue sur les nerfs de Pastel. Sa mâchoire a failli se bloquer deux fois aujourd’hui. Il n’a pas trouvé d’autre solution que celle de s’éloigner du groupe un moment.

Grisonnant, le ciel n’indique rien, à part qu’il fait encore jour. Tant mieux. Pastel rentrera quand la luminosité diminuera. Ses émotions ont tendance à lui faire prendre des risques inutiles. Il en a conscience, mais c’est plus fort que lui. À quoi bon se battre. Là, au moins, personne ne lui fait de reproche, personne ne le crispe. Il essuie ses dernières larmes, puis continue sa route indéterminée.

- Holà, Pastel.

Ses pas s’arrêtent nets. Il lui semble reconnaître cette voix. Cet accent. Mais ce visage…

Le regard de Pastel se fige sur cette silhouette si familière et pourtant inaccessible ; il sait qu’il la connaît, mais ses traits semblent différents. Soudain, la cicatrice le rappelle à l’ordre. La Fêlée. C’est bien elle, mais changée. Son cœur bondit à cette évocation. D’une voix hébétée, il finit enfin par répondre.  

- Reaper… c’est toi ?

Cette rencontre inattendue désoriente le Fragile. Jamais il n’aurait imaginé se heurter à elle ici, dans cet état. Au milieu de nulle part. Ses pensées sont brouillées ; il ignore s’il doit être heureux de revoir Reaper, ou effrayé de croiser ce qui ressemble fortement à un Orbleu. Ce qu’il doit faire reste un mystère, mais ce qu’il ressent constitue de la réjouissance.  

Un large sourire se dessine sur le visage de Pastel. Il n’est pas dupe, quelque chose cloche, mais il ne parvient pas à contenir sa joie. Quand il a appris que Reaper préférait rester au Grand Arbre plutôt que de rejoindre le camp, cela l’a beaucoup préoccupé. Alors la voir en vie, ici, le rassure.

Une envie soudaine de la prendre dans ses bras envahit Pastel. Il s’approche de la Fêlée, puis s'immobilise juste à temps. D’étranges mutations modifient l'apparence de la jeune fille : des yeux anormalement bleus, une matière incohérente sur le visage - de la glace ? un Orbleu. Non, ça ne peut pas être ça. Peut-être qu’elle s’est maquillée, on ne sait jamais. Elle en avait marre du violet et a voulu s’essayer à la tendance du moment - effet givré.

- Qu’est-ce qui t’es arrivé ?

Pastel. Si pur, si clair. Si Reaper avait une tendance à arborer des couleurs sombres, il était son exact opposé. De peau, comme de cheveux, comme de vêtements (même le violet qu'elle portait était plus foncé qu'autre chose)... Et ils s'entendaient.
Assez étrange, surtout quand on sait que Reaper a un mal général certain avec la sociabilité, et la moquerie facile avec les plus trouillards. Mais pas avec Pastel. Avec lui, c'était différent, grâce à une série de causes à effets. Puis... certains s'en sont retrouver étonnés, mais voilà : ils étaient amis (en tout cas, Reaper était une proche de Pastel, et Reaper n'osait pas dire à voix haute que c'était réciproque).

« Reaper… c’est toi ? »

Il était la première personne qu'elle croisait dans cet état. Certes, Samurai était là avant, mais il avait connu l'Orbleu à sa naissance dans une position beaucoup plus délicate ; ainsi son esprit était brouillé de mauvaises informations.
Lesquelles ?
Les Orbleus sont le bon camp, évidemment.

Reaper répondit à son sourire, son regard ne suivant toutefois pas la joie signée de retrouvailles entre amis. Ils restaient dans cette perspective de faire le mal (mais un « bien du mal », m'voyez ?), de n'avoir que de la malice et rien de bienveillant à côté. Malgré cela, l'attachement de Reaper pour le Garçon, pas encore englouti par la possession du Givre, l'empêchait de lui sauter dessus pour le contaminer.

« Qu’est-ce qui t’es arrivé ? »

- La meilleure des choses, amigo.

Elle usait à tort et à travers, comme de la ponctuation, le mot-là. Le plus souvent, c'était pour se moquer, montrer de l'ironie. Mais assez ironiquement – justement – elle l'utilisait presque pour sa véritable signification. Non, elle n'avait pas d'intentions mauvaises envers le Fragile. En tout cas, pour elle, elles n'étaient pas moins que bénéfiques.
Reaper fit un petit pas en avant afin de réduire à son tour la distance, mais n'avisa pas de lever les bras ou la moindre main pour le toucher. Ses yeux bleus déchiffrèrent le corps de haut en bas.

- T'es loin des autres, constate-t-elle, un sourire naquit par une supposition. T'as quitté le Canyon ?

Et ainsi Pastel serait seul. Sans personne. Heureusement que c'est sur elle qu'il venait de tomber.
Il n'était non pas une proie : un allié.

Quand il a rencontré la Fêlée pour la première fois, Pastel se méfiait d’elle. Elle avait cet air intimidant et cette attitude sans cœur. Elle faisait partie des forts, lui des faibles. Elle était téméraire, lui frêle. En une gifle, elle aurait pu l’expulser jusqu’au fin fond de l’Île. En un seul mot, elle aurait pu l’humilier jusqu’à la moelle. Or, certains événements ont fini par rapprocher ces deux âmes opposées et par la suite, les sentiments de Pastel à l’égard de Reaper ont drastiquement changé. À partir de là, il ne l’a plus vue plus comme une menace. Elle est devenue la figure qu’il admirait, le modèle qu’il n’atteindrait jamais. Une drôle d’amitié a finalement éclos entre eux.

Pendant un instant, des souvenirs de cette ancienne relation brouillent le Fragile. Il les chasse rapidement. Reaper -ou ce qu’il en reste- est toujours devant lui ; il doit rester sur ses gardes.  Du regard de la jeune fille se dévoile une ferveur inquiétante, inhabituelle.

- La meilleure des choses, amigo.

La meilleure des choses ? Reaper semble si sincère en prononçant ces mots. Pourtant, en la voyant, Pastel aurait dit le contraire. Il la fixe, tandis que son sourire disparaît peu à peu. Ce n’est pas dans cet état qu’il imaginait revoir la Fêlée, alors ce face à face soudain suivi de cette réponse troublante l’empêchent de ménager ses idées. Non, ce n’est pas la meilleure des choses. Sûrement pas. La prise de conscience, déchirante, que Reaper soit désormais contaminée crispe le Fragile.

Reaper s’approche d’un pas. Pastel se retient tout juste de reculer. Il aimerait pouvoir lui faire confiance, comme avant. Il aimerait ressentir à nouveau cette chaleur agréable en l’écoutant prononcer “amigo”.

- T'es loin des autres. T'as quitté le Canyon ?  

Le sourire qu’elle arbore ne dégage rien de bon. Pastel réalise son erreur : il s’est beaucoup trop distancé du camp et surtout, il est seul. Devant lui, celle qu’il considérait comme une amie n’est pas dans son état normal.

Nerveux, il jette un regard bref aux alentours, comme pour confirmer l’absence d’autrui.

- J’ai dû beaucoup marcher. J’me suis pas rendu compte, explique-t-il, en haussant les épaules afin de masquer -du moins, il l’espère- sa fébrilité. Je les ai pas vraiment quittés. Je voulais juste m’éloigner… quelques heures.

Malgré lui, Pastel ressent encore de la familiarité pour Reaper. Quelque chose le pousse à se confier à elle, comme si tout allait bien, comme s’ils étaient encore dans le Grand Arbre, sains et saufs.

- J’ai l’impression que tout le monde s’énerve contre moi en ce moment. Y a tout le temps des reproches à faire. Ou alors on me demande de faire quelque chose, sauf que je vais pas assez vite pour eux. Ça me stresse.

Le garçon laisse échapper un soupir.

- Et toi… t’es plus au Grand Arbre, constate-t-il d’une voix hésitante. Ça fait longtemps ?

Il n’ose pas prononcer ce mot. Plus les minutes passent et moins le doute se fait. Elle a été contaminée. C’est une Orbleu, mais il n’a pas la force de le mentionner.

Quelques heures.

Le temps suffisant qu'il faut pour parler. Débattre. Convaincre. Ranger de son côté. Pastel a beau être fragile physiquement comme psychologiquement, Reaper se voit déjà faire de lui un bon soldat glacé. Elle le transformera telle qu'elle le lui souhaite ; comme le Givre le veut, mais en meilleur. Avant tout, elle ne voulait pas l'effrayer. Il fallait rester sage, calme, imposer une zenitude dans laquelle le Perdu pourrait plaindre ses récentes mésaventures avec les autres. Car s'il voulait s'éloigner d'eux quelques heures, c'est bien parce que quelque chose est arrivé, non ?

« J’ai l’impression que tout le monde s’énerve contre moi en ce moment. Y a tout le temps des reproches à faire. Ou alors on me demande de faire quelque chose, sauf que je vais pas assez vite pour eux. Ça me stresse. »

Oui, c'est ça. Raconte tes déboires, ai la haine contre eux, si c'est ce qu'ils méritent. L'essentiel, Pastel, c'est que tu te sentes bien dans le camp qui t'accueillera à bras ouverts. Faisant abstraction de tous tes défauts. Même des petits faibles incertains comme toi.

- Mon pauvre, ils t'ont mené la vie dure, hein ? En cas d'crise, c'est toujours ça : ou t'es costaud, ou tu vaux rien.

Il soupire. Les yeux bleus de la Mexicaine se plissent dans la complaisance de son plan.

« Et toi… t’es plus au Grand Arbre. Ça fait longtemps ? »

- Pas vraiment, répondit-elle posément. C'est récent, en fait.

Quelle tournure de phrase devait-elle employer en premier pour expliquer toutefois son ressenti vis-à-vis de cette liberté ? Comment le traduire au Garçon sans qu'il ne prenne peur à cause de cette excitation qui la prend depuis quelques temps aux tripes ? Comment le présenter au Givre et à son royaume fabuleux tout en le lavant de tout ce qu'on a dit à son sujet ?

Reaper avance à nouveau, d'un plus petit pas simplement. Avant qu'elle ne puisse constater la réaction de Pastel, elle lance calmement :

- Aie pas peur de moi. J'vais pas t'toucher.

N'est-elle pas une bonne alliée en le prévenant ainsi ? Il suffit qu'elle le touche pour qu'il rejoigne les rangs, et pourtant, elle ne lui a pas encore sauté dessus. C'est un indice, une aide, une façon de dire qu'on n'est pas si loin de l'autre, au bout du compte. Et à ça, justement, elle ajoute :

- J'veux t'aider, Pastel. J'vais t'aider.

Les épaules et le dos droits, mais les mains bien immobiles, près des cuisses. Et sûre d'elle, beaucoup trop sûre d'elle.

Depuis qu’il l’a rencontrée, et surtout depuis qu’ils se sont rapprochés, Pastel a toujours été enivré par la force des mots de Reaper. Elle exprime avec aisance une honnêteté, certes souvent vulgaire, qui le touche. Ses paroles sont directes et sans filtre, mais aujourd’hui, ça sonne faux.

La réponse de l’armurière n’étonne pas vraiment ; effectivement, ça a l’air récent. Il se trompe peut-être, mais elle a l’air d’avoir encore un peu de sa tête. Du moins, il imagine les Orbleus un peu plus rustres et agressifs une fois la maladie bien installée.

Elle s’approche un peu plus encore. Quand elle lui dit de ne pas avoir peur, il veut la croire. Par conséquent, il reste immobile et la laisse diminuer encore un peu plus la distance qui les sépare. Il choisit de lui faire confiance, mais il sent que ce n’est pas une bonne idée. Il le sait. Le problème, c’est que l’Orbleu se tenant devant lui n’est pas n’importe qui ; c’est Reaper, une amie, et Pastel ne peut s’empêcher de maintenir une certaine naïveté face à elle.

- J'veux t'aider, Pastel. J'vais t'aider.

- Reaper…

La voix de Pastel dénote une inquiétude qu’il peine à cacher. Pourquoi dit-elle cela ? C’est elle qui est malade. C’est elle qu’il faudrait sauver.

- Comment tu vas m’aider, interroge-t-il, perplexe. Le prend pas mal, mais je pense que c’est toi qui as besoin d’aide.

L’agitation se lit sur le visage du raccommodeur. Crispé, il ignore à quoi s’attendre venant de son amie. Cependant, il refuse de fuir maintenant ; peut-être qu’il y a encore un espoir, une lueur permettant d’éviter à Reaper de sombrer complètement dans la folie du Givre.

Son nom prononcé, Reaper le sent comme un appel à vouloir se rapprocher, lui faire confiance. Elle prendra le temps qu’il faut pour ranger Pastel du côté où il vaut mieux se ranger. On s’en fout de savoir si les autres Orbleus penseront au premier abord qu’il est faible, inutile, ou quelconque qualificatif qui le ferait passer pour le pire des sous-fifres de leur clan… Reaper l’accepte tel qu’il est.

Curieux combien l’attachement originel de l’Armurière n’a pas été entièrement troublé par l’influence du Givre.

Mais elle fronça les sourcils à sa nouvelle remarque :

« Comment tu vas m’aider ? Le prend pas mal, mais je pense que c’est toi qui as besoin d’aide. »

Là se trouvait le vrai mur qui rendait leur échange difficile. Ce mur, imaginé par la distance que conservait la Mexicaine afin de ne pas lui faire prendre peur, de ne pas risquer à l’attaquer trop vite en gardant les mains près de ses poches… Le plus dur n’était pas de réussir à le toucher, non. Non non. Bien sûr, le plus dur et le plus important, surtout, c’était de le convaincre. Si elle devait faire rejoindre à Pastel le clan des givrés, ce serait de sa bonne volonté. Ce serait après l’avoir convaincu. Certes, Reaper avait été forcée, embrigadée dans un piège causé par la nature du Givre et un de ses membres gelés (ce pirate, en l’occurrence), mais n’est-elle pas têtue, à l’origine ? Il avait eu raison de lui avoir forcé la main…

Et le Garçon, lui, comprendra cela à son tour bien assez tôt.

- C’est là qu’tu trompes, amigo. J’ai plus d’problèmes depuis que j’suis avec eux, elle écarta alors légèrement les bras, ouverts vers une image qu’elle-même se met à adorer un peu plus. J’me suis jamais senti aussi relax et forte. Et vraiment, j’ai envie qu’tu ressentes ça.

Parce qu’on dit toujours de toi que tu es faible, Pastel. Parce qu’avec ça, au moins, tu ne seras plus aussi mal jugé que tu viens de l’avouer. Reaper rabaissa les bras.

- J’veux pas t’faire mal. J’veux que ton bien. Crois-mon mon p’tit, ils te disent que des trucs pour te faire flipper, là-bas. Personne peut vraiment dire c’qu’il en est à moins d’en faire partie. Logique, nan ?

On ne peut pas parler pour un autre à moins de savoir réellement ce qu’il vit, n’est-ce pas ? Pourquoi imaginer alors différemment la chose pour les Orbleus ?

Reaper ne bougea pas plus. Elle voulait que Pastel montre un peu plus d’ouverture. Qu’il change progressivement son regard sur la situation avant que Reaper n’ose le raccrocher davantage à sa cause. Son sourire ne s’était ni accentué, ni évaporé. Tout était vrai, et aucun mensonge : le bien de Pastel, c’était la meilleure des choses à concevoir dans l’immédiat. Surtout si le pauvre bonhomme se retrouvait seul et loin de ceux qui prétendent le protéger.

- Chez nous, on est un peu comme une meute. Si tu vas pas bien, j’le saurai. Si t’as besoin d’aide, j’peux être là pour toi. Ils font quoi, les autres, pendant que t’es ici à discuter avec moi ?

Les propos de la Fêlée sont inquiétants, pourtant ils suintent de raison. Plus elle parle, plus la position réfractaire de Pastel se fragilise.

Avec une curiosité grandissante, le raccommodeur écoute son interlocutrice. Elle lui vend sa situation comme salvatrice et semble si convaincue que grandit en lui une germe d’intérêt. Et si rejoindre les Orbleus valait le coup ? En effet, ce serait faux de dire qu’il n’a jamais souhaité partir définitivement, mais quelque chose le retenait toujours. Il expliquait ça tantôt par de la lâcheté, tantôt par de la fidélité.  


Elle a raison. Personne ne sait rien de la condition des Orbleus. Cependant, cela ne signifie pas qu’il soit sage de les rejoindre, malgré la tentation. Pastel se remet les idées en place tant bien que mal. Il ne rejoindra pas les Orbleus, aussi tentant que cela puisse être.

- Chez nous, on est un peu comme une meute. Si tu vas pas bien, j’le saurai. Si t’as besoin d’aide, j’peux être là pour toi. Ils font quoi, les autres, pendant que t’es ici à discuter avec moi ?

Pastel soupire. Ces mots font résonner en lui d’anciens souvenirs, alors qu’elle avance un schéma qui existait déjà entre eux au Grand Arbre. Une boule de frustration nostalgique lui dérange les tripes.

- J’aurais bien aimé que tu sois là pour moi, mais pas comme ça.

Il voudrait la ramener au camp. Quelle amertume de la voir si convaincue ! Pourquoi ne réalise-t-elle pas qu’elle est malade ? Pris d’émotion, il tend sa main pour attraper le bras de Reaper, mais s’arrête avant la catastrophe.

- C’est à mon tour de t’aider, s’exclame-t-il. Pourtant, il n’y a aucune assurance dans sa voix. Y a forcément encore un espoir si tu viens avec moi au camp ! On pourrait trouver un remède !

Les larmes lui montent aux yeux alors qu’il réalise l'irrationalité de son plan. Il est ridicule et il le sait. On n’a pas de remède contre cette infection, et on n’en aura pas de sitôt. Cependant, il ne peut pas la laisser là. Il ne peut pas ne rien faire.

- Tu es vraiment sûre de toi ? Tu penses pas que tu te fais complètement manipulée ?

Le Garçon Perdu ne s’attend pas à un retournement de veste de la part de son amie, mais il espère instaurer un doute, même minime, chez elle. Peut-être que ça n’en vaut pas la peine, mais ça l’énerve de voir son amie dans cet état.