Je serrais pour la énième fois, tant bien que mal, le tissu qui faisait le tour de mes hanches et de mon bassin et qui me permettait de couvrir ma nudité. Heureusement que celui qui cachait ma poitrine tenait mieux. Mais à défaut d’avoir mieux je faisais avec. C’était déjà un heureux hasard que je collectionne les bouts de tissus depuis des années et que je n’avais pu m’en séparer en quittant la lagune. Depuis que le givre s’était étendu sur l’île, se promener en toute impunité, nue qui plus est, la nuit n’était plus possible ni recommandable. Me voila donc couverte sommairement de quelques tissus accrochés tant bien que mal, à marcher sur terre pour essayer de retourner dans les eaux proches du Canyon assez rapidement. Je revenais du Bayou. L’inquiétude pour mes proches avait pris le dessus sur la peur et j’avais bravé une première fois l’île et le froid il y a quelques jours en la traversant. Aujourd’hui je m’étais engagée sur le chemin de retour non sans avoir promis à ma sœur que je reviendrais bientôt la revoir. Je ne savais que cette promesse était compromise mais je l’avais faite et je comptais bien la tenir. Mais tout ne s’était pas aussi bien passé qu’à l’aller.

Des humains avaient élu campement non loin d’une rivière que j’avais empruntée et avaient spontanément décidés de me prendre en chasse. Les sirènes mangent des hommes depuis la nuit des temps, pourquoi ne pas inverser les rôles : ils meurent de froid et de faim. Ça ne serait que justice… Filets, barques, harpons… j’avais quitté la rivière quelque instants plus tard, après un tournant de sorte qu’ils ne me voient pas, et m’était enfuit à pied, sous le clair de lune. Moi qui détestait marcher, moi qui boudait la terre ferme… Voilà que c’était une échappatoire. Le froid était plus supportable dans l’eau : je pouvais bouger, je pouvais nager à travers les algues, je pouvais suivre des courants plus chauds ou m’enterrer dans le sable. Mais ici sur terre ? Je savais faire du feu bien sûr, mais ce serait de la folie avec les dangers qui rodent. De plus il faudrait le matériel nécessaire et non givré ! Au moins je savais me repérer à l’aide des étoiles et je savais que j’avançais dans la bonne direction. Un pas après l’autre, encore et toujours, jusqu’à ce que je trébuche, encore une fois ! je me relevais et frottais mes genoux quand j’entendis un bruit dans les bois aux alentours. Immédiatement je m’immobilisais et tendis l’oreille alors que mon cœur s’emballait. J’étais proches des ruines abandonnées, je savais que des singes y vivaient. J’avais décidé de m’en approcher justement pour éviter des humains. Le fait que le bruit ne provenait donc pas d’un bipède n’était cependant pas plus rassurant que ça.

M’emparant d’une branche morte à proximité, je m’approchais d’un arbre silencieusement. De ce fait j’étais dissimulée de la vue de la chose approchant. Je n’avais jamais été forte, mais j’étais rusée. La raisonnance de la jungle pourrait me servir pour imiter le cri d’un animal ou autre, je pouvais essayer de m’en sortir par une distraction aussi… Mais je savais que je n’étais pas en état de courir. Je marchais depuis deux heures et mes pieds me faisaient mal, tout comme mes mollets. Je n’aimais pas avoir des jambes. Une queue de sirène était tellement plus gracile, plus élégante dans ses mouvements… Plus fluide ! je ravalais les larmes qui étaient sur le point d’apparaitre, montrer une faiblesse ici et maintenant serait mortel ! Je n’étais donc pas persuadée que ma dernière heure avait sonné, cependant, et de manière réaliste, je savais que mes options étaient minces. Le bruit était de plus en plus proche et je priais pour que les battements de mon cœur ne soient audibles que par moi. La peur au ventre j'essayais de trouver des plans d’échappatoires, des idées pour m'en sortir. Mais hélas rien de plus que ce à quoi je n'avais déjà pensé me vint à l'esprit et je me résignais à attendre, cachée. Bientôt je pus cependant reconnaître le bruit de sabot et il me sembla entendre marmonner, sans pour autant en être certaine. C’est quand je risquais un coup d’œil depuis ma cachette que j’eu l’immense joie de reconnaître d’un, la créature, et de deux, la personne. Lâchant ma branche je fit un pas à découvert et m’exclamais :

« Sindri ! »

L’oreille de la Sirène ne l’avait pas trompée : les discrets frémissements et craquements qui trahissaient l’approche d’un grand quadrupède dans la jungle gelée étaient bien accompagnés d’une voix, qui dans son exaltation oubliait un peu qu'elle essayait de murmurer.

"Non mais tu te rends compte ? Oser dire que c’était ma faute ? Et attends la suite : alors que j’essaie de rester calme et poli, histoire de montrer l’exemple à ce petit rustre, voilà qu’on entend un craquement dans le sous-bois. Puis un autre. Puis un autre. Et soudain, qu’est-ce qui sort de l’ombre ? Une énorme – "

"Sindri !"

Le centaure hurla comme si c’était Runaan en personne qui venait de jaillir entre deux arbres et d’un bond il se volatilisa dans les fougères, en ne laissant qu’un nuage de givre derrière-lui. Sa position resta néanmoins assez évidente, pour peu d’avoir l’œil assez aiguisé pour déceler ce subtil indice qu’étaient deux bois qui dépassaient des frondes couvertes de glace.

Il fallut une bonne poignée de secondes au Baron Forêt pour réaliser qu’aucun monstre ne venait le déloger de sa magnifique cachette, et encore une bonne brassée avant qu’il osât risquer un œil au-dessus de la végétation – un œil bleu intense, qui aurait presque pu passer pour celui d’un Orbleu s’il n’avait pas été aussi expressif et profondément doux. Son regard s’arrêta finalement sur la petite silhouette bipède qui se tenait près d’un arbre, si blanche dans l’obscurité du sous-bois. Sindri fronça les sourcils, cherchant à déterminer malgré le manque de lumière si l’inconnue pouvait être un soldat du Givre. Puis, décidant qu’elle avait l’air un peu trop vivante pour cela, il laissa enfin sa tête émerger des fougères :

"Oh, c’est vous qui avez crié, gente damoiselle ? Toutes mes excuses, vous m’avez fait... vous m’avez surpris."

Le centaure se releva de l’air guindé de quelqu’un qui vient de prendre un vilain coup dans sa dignité. Sans aucune surprise, son apparence avait suivi les tristes humeurs de Peter Pan, et Sindri était devenu blanc. Complètement blanc : peau, cheveux, barbe, robe. Les seules pointes de couleur qui rompaient ce monochrome se retrouvaient comme souvent dans ses yeux, d’une fantastique teinte de glacier, et le long de son échine, sous la forme d’une raie de fourrure bleu ciel jalonnée de motifs de flocons de neige – de vrais flocons de neige, comme ceux que les enfants dessinent à l’école ou découpent dans du papier à l’approche de l’hiver; simples taches près des hanches humaines du centaure, ils s’élargissaient progressivement sur son dos de daim, jusqu’à sa croupe où ils se faisaient aussi grands que la paume.

Oui et bon, question couleur, il y avait aussi la doudoune sans manches rouge vif qui habillait son torse nu et le bonnet en crochet de la même couleur qu’il avait réussi à caler sur son crâne malgré ses bois.

Pas chercher.

"Que faites-vous si près de la zone gelée ? Ce n’est pas très prudent... Êtes-vous seule ?"

Il regarda autour de lui, comme s’il s’attendait à voir une horde de jeunes femmes peu vêtues émerger brutalement du sous-bois. Puis, avec un regrettable temps de retard :

"Oh par les saints bois de l’Esprit Nuit mais quel goujat je fais ! Vous devez être frigorifiée dans cette tenue !"

De quelques gestes empressés, il retira bonnet et doudoune pour les tendre à la jeune femme.

"Tenez. Ce n’est pas grand chose, mais cela devrait aider."

Ses oreilles s’agitèrent et il jeta un coup d’œil vers le tas de fougères qui lui avait servi de refuge, comme s’il y avait laissé quelque chose. Puis, après un autre temps de réflexion bien trop long :

"Mais d’ailleurs... Vous m’avez appelé par mon nom, n’est-ce pas ? Nous connaissons-nous ?"

Il plissa les yeux, comme si cela allait miraculeusement éclaircir assez la nuit pour qu’il puisse distinguer les traits de la jeune inconnue.

Alors que j’étais contente d’entendre et de voir une silhouette familière, mon ami poussa un hurlement strident au son de ma voix, me faisant hurler à mon tour. La frayeur me fit reculer de quelques pas, prête à me cacher derrière l’arbre à nouveau. Le cœur battant la chamade et à court de souffle je ne fis aucun bruit, regardant l’endroit désert à présent. Pourquoi avait-il crié de la sorte ? Et pourquoi était-il parti ? La peur s’infiltra alors en moi doucement. Y avait-il quelque chose d’autre ? Quelqu’un d’autre ? Je regardais autour de moi, inquiète, ne voyant cependant que l’emplacement vide où s’était tenu Sindri. Finalement je ressortis de ma cachette au bout de quelques secondes, le voyant faire de même peut de temps après. Mon pouls se calmait doucement et la peur commençait à s’évaporer.

La peur s’évapora tellement que je rigolais doucement à sa phrase. Ah la fierté du centaure. Il était un bon ami, quelqu’un de doux et à l’écoute. Je l’affectionnais vraiment. Mais c’était aussi quelqu’un de fier. Avouer qu’il avait eu peur, de moi apparemment, n’était pas dans ses cornes. Un coup de vent plus tard me ramena à la réalité et je me retrouvais à serrer mes tissus un peu plus autour de moi, frottant mes bras pour me réchauffer un peu. Avant que je n’aie pu répondre à ses questions il s’exclama déjà sur ma nudité. Je baissais les yeux et rougis. Sindri était bien la seule créature qui pouvait rendre une sirène embarrassée de sa nudité. Et la politesse aurait voulu que je refuse ses vêtements, il aura froid lui aussi, mais le soulagement de porter quelque chose de plus épais que du satin et du tulle semblait une magnifique idée ! Je tendis la main et lui servis un sourire en guise de remerciement avant de passer le gilet rouge.

« Merci infiniment Sindri ! »

J’étais en train de fermer mon nouvel habit quand il posa une question étrange. Relevant le regard sur lui, je fronçais les sourcils en suspendant mon geste.

« Tu ne me reconnais pas ? C’est moi Marée… La sirène avec ses bouts de tissus colorés ? »

Nous avions fait connaissance autour d’un ruisseau. Il m’avait impressionné avec sa magnifique robe et encore plus quand je m’étais rendue compte qu’elle changeait de couleur. Oh j’avais été tellement jalouse que je l’avais d’abord boudé sur un rocher, mais après ce cher Baron Foret avait été si gentil et polis. Comment lui en vouloir longtemps. Et puis il portait les poils mieux que moi ! Du coup on se retrouvais quelques fois pour papoter, rire un bon coup, parader l’un comme l’autre. J’aimais bien lui montrer mes trouvailles aussi. Là c’était à moi de pavaner avec mes tissus colorés. Mais du coup il y avait plus que la parade. De l’amitié aussi, quelques rires complices. Et puis il était si poli que c’était un plaisir d’être en sa compagnie. Un plaisir dont je ne me privais pas. Et j’espérais bien le lui rendre. Je penchais la tête sur le côté, le scrutant pour le coup. Ne me reconnaitra-il vraiment pas ? Est-ce que c’était du au givre ? J’aurais peut-être dû être plus prudente mais… J’avais si froid et l’idée d’un ami pour me réchauffer et me tenir compagnie était trop tentante. Du coup c’est plus tôt hésitante que je posais ma question suivante :

« Tu… Tu vas bien ? »

"Tu ne me reconnais pas ? C’est moi Marée… La sirène avec ses bouts de tissus colorés ?"

Les yeux de Sindri s’écarquillèrent sensiblement :

"Marée ?"

Puis il sursauta et émit un grognement agacé, comme s’il venait soudain de se rappeler de quelque chose qui aurait dû être évident. Il tendit le bras pour récolter un peu de neige sur une branche basse et ramena sa main à sa bouche, paume vers le haut. Doucement, il souffla. Les flocons se mirent à luire d’un discret éclat bleu, comme si Sindri attisait d’étrange petites braises froides. Une, deux, trois expirations et la neige brillait assez vivement pour illuminer les fougères les plus proches. Le centaure abaissa alors la main jusqu’à ce que la lumière éclaboussât de reflets de glace le visage de la jeune femme, et un immense sourire s’afficha sur le visage du Baron Forêt tandis que sa main libre allait chercher celle de la Sirène pour la serrer de ses longs doigts frais :

"Oh Marée, ma chère, toutes mes excuses ! Je ne m’attendais pas à te trouver si loin de la mer. Et sur tes jambes, qui plus est: j'ai plus l'habitude de te voir avec des jolies nageoires qu'emballée dans du tulle."

"Tu… Tu vas bien ?"

"Eh bien j’ignore si quelqu’un peut aller bien sur cette pauvre Île, en ce moment, mais je ne me plains pas. Je n’ai pas froid. J’aide comme je peux, je… Oh j’allais oublier !"

D’un geste négligent, Sindri jeta sa poignée de neige en l'air ; les flocons se séparèrent avec une légèreté qui n’avait rien de naturel et restèrent suspendus là, flottant dans le vide, diffusant toujours leur lueur bleue au-dessus de Marée. Puis il relâcha la Sirène et fit demi-tour pour retourner jusqu’au buisson dans lequel il avait plongé, tout en reprenant d’une voix roucoulante :

"Luciole ? Luciooole ? Tu es là ? Tout va bien ma puce, c’est une amie, regarde…"

Il se pencha en avant d’une manière qui donnait presque le vertige, inclinant les deux mètres de son torse humain si bas que ses mains touchaient presque terre. Il écarta un pan du buisson, laissant apparaitre une petite lueur orange qui raviva son sourire :

"Ah, te voilà !"

Il s’empara de quelque chose entre deux fougères gelées, l’attira dans ses bras, et se releva pour se tourner vers la Sirène d’un air satisfait :

"Je l’ai trouvée dans un bras mort de la rivière. Elle était toute seule, je pense qu’elle est un peu perdue. Elle n’ose pas trop parler pour l’instant, alors je lui ai proposé de l’appeler Luciole, parce que, eh bien…"

Il fit un geste éloquent vers l’animal qui se pelotonnait au creux de son coude, un petit quadrupède court sur pattes et couvert de fourrure sombre qui était de toute évidence une jeune loutre. Seule particularité, difficile à rater : entre les deux pointes noires de ses yeux, sa truffe brillait comme un petit tison. Sindri se mit à la caresser doucement, avant de revenir vers la Sirène :

"C’est une véritable petite bouillote, mais avec ce froid, ça n’aurait pas suffi à la protéger je crois… Je la ramène au Château des Singes, elle y sera plus en sécurité."

Son sourire vacilla à la mention du Givre, avant de se diluer dans une expression plus soucieuse quand son regard clair se reporta sur Marée :

"Loin de moi l’idée d’être indiscret, mais en parlant de cela… Tu es effectivement très loin de ton Père, ma chère. Et tu as l’air frigorifiée. Qu’est-ce qu’il t’est arrivé ? Tu t’es perdue toi aussi ?"

Je ne savais pas comment mon ami allait réagir et du coup le regardait avait méfiance. Enfin pas vraiment de la méfiance, mais avec une certaine attente quant à ses gestes futurs. Je ne reculais cependant pas quand d’un coup il attrapa une poignée de neige sur une branche. Je le regardais faire avec attention et poussais un « ohhh » d’admiration alors qu’il faisait lui les flocons. C’était si beau ! Je serrais sa main, relevant mon regard vers le sien quand il parla. Je fis un léger sourire gêné. Merci aux circonstances. Haussant les épaules je ne répondis rien, demandant plutôt comment il allait. Mon sourire s’élargit. Sindri était fidèle à lui-même et cela me mettait du baume au cœur. C’était si agréable de rencontrer encore des personnes chaleureuses. Cela réchauffait littéralement de l’intérieur. Mes yeux émerveillés s’accrochèrent aux flocons de neiges qui volaient autour de nous, alors que le Baron allait chercher quelque chose dans les fourrées. La neige, comme la chose inconnue m’intriguaient mais la neige était présente devant moi et accaparait toute mon attention. Doucement je tendis une main, mais me ravisa de toucher au dernier moment. Et si jamais j’éteignais cette source de lumière ? Cependant bien vite je baissais la tête et regardais le centaure en fronçant les sourcils. Luciole ?

Mes yeux s’écarquillèrent quand il se retourna vers moi, avant que je ne mène mes mains à ma bouche pour couvrir un petit cri de surprise. Une petite loutre ! Oh la pauvre, elle devait être morte de froid. Surtout si elle avait été trouvée dans un bras mort d’une rivière. Le peu d’eau devait prendre beaucoup plus vite froid. Oh pauvre petite chose. Je m’avançais doucement et contemplais la petite chose dans les bras du centaure.

« Ohh elle est adorable ! Mais oui elle doit être morte de froid… bonjour ma petite... »

Je parlais d’une voix douce tendant doucement la main à la petite créature. Le petit museau s’activa après mais elle ne bougea pas plus, poussant un petit couinement. Du coup je pris la liberté de la caresser doucement. Le froid et mes jambes faisaient que j’avais un peu plus de mal à capter l’esprit de l’animal marin, mais je sentais son froid et sa solitude. Pauvre petite. Je la caressais doucement essayant de la réconforter, ayant un sourire attendrit face à cette image. Je relevais mon regard vers Sindri quand il posa sa question. Je secoue la tête doucement, perdant mon sourire.

« Non je ne suis pas perdue. J’étais rendre visite à un ami au Bayou, là je rejoins les eaux du Canyon, mais en chemin … Disons que les hommes sont plus à cran et j’ai dus prendre la fuite à pied. Ce n’est pas ce qu’il y a de plus confortable pour moi mais je me suis dit que c’était mieux ainsi. Et me voilà… Et toi alors ? Tu vas bien par ce froid ? Tu te rends quelque part ? »

Je souris doucement à Sindri, essayant de ne pas faire passer ma situation pour terrible. Ce n’était pas si horrible. J’avais froid certes mais depuis que j’avais son pull ça allait déjà mieux. Et puis avoir des hommes furieux qui me pourchassent n’était pas une situation inconnue non plus. Juste : ce froid et être sur mes jambes rendait la situation plus compliquée et me mettait à cran, me rendait méfiante. En tout cas j’espérais que mon ami avait eu un périple moins périlleux et qu’il n’était qu’en balade en quelque sorte, pour amener ce petit être en sécurité. Mais du coup je me permis de poser une autre question avant qu'il ne me réponde:

"Est ce que je peux faire le trajet avec vous deux? Un peu de compagnie ne serait pas refus! Surtout que je suis vraiment contente de te voir!"

La loutre ne semblait pas effrayée par la Sirène, ce qui poussa Sindri à se faire une petite réflexion à peine grincheuse sur la connivence entre carnivores – à peine grincheuse parce que soyons honnêtes, que ce fût une jolie fille de l’Océan complètement obsédée par le beau tissu et le bricolage ou une petite créature mi-fourrure mi-braise, il était le premier à craquer pour les gentils monstres avec des crocs.

Baissant un peu les bras pour permettre à Marée de caresser l’animal, le centaure écouta attentivement les explications de la Sirène, avant de finir par murmurer :

"Au Bayou ? Mais… mais c’est à l’autre bout de l’Île, et il y a le Givre, et…"

Le Baron Forêt finit par se mettre doucement à genoux, pour se mettre au niveau de Marée et pouvoir la regarder dans les yeux. Il essayait visiblement de rester sobre et digne, mais il n’était pas très doué pour dissimuler la surprise effarée qui agrandissait son regard :

"Marée, il… Loin de moi l’idée de te donner des ordres ma chère, mais je t’en conjure, n’essaie plus d’aller là-bas. Tu ne te rends pas compte, je… j’ai essayé d’aller vers le ponant moi aussi, et j’ai vu des choses…"

Il baissa les yeux vers Luciole avant de se mettre à murmurer, comme pour être sûr que le petit animal ne l’entendrait pas:

"Le Blanc avance très vite, et il n’y a pratiquement plus aucun passage libre vers l’ouest. Tu as sûrement dû prendre l’un des derniers qui étaient ouverts. Et les hommes que tu as vu… Je ne sais pas trop comment te dire cela, mais es-tu bien certaine que c’étaient encore des hommes?..."

Le centaure jeta un regard par-dessus son épaule, comme si le simple fait d’évoquer les Orbleus pouvait les faire apparaitre. Puis il se racla la gorge, avant de reprendre d’un air qui se voulait normal et léger (et qui était donc beaucoup trop enthousiaste et complètement faux):

"Quoiqu’il en soit, je suis d’accord, faisons le trajet ensemble ! Le Canyon n’est pas loin du Château des Singes après tout. Tiens, tu veux la tenir ?"

Il lui tendit Luciole, qui renifla curieusement le visage de la Sirène de son museau lumineux.

"Prends-la, quand tu la tiens contre toi elle devient toute chaude. Je me demande si ce n’est pas une sorte de… braisoutre ? Feuloutre ?"

Sindri grimaça, visiblement peu satisfait de ses mots-valises, avant de hausser les épaules :

"Bref. Elle tient chaud."