Il marchait. Pas très vite, mais pas vraiment tranquillement. A moitié pressé, surtout très stressé. Tendu, une de ses mains toujours plaquée contre sa plaie qui s'arrêtait pas de saigner, et l'autre qui enserrait le manche de son épée comme si sa vie en dépendait.
Comme si ?
Ouais...
On allait dire ça.

Est ce qu'elle le suivait ?
Il avait envie de savoir, et en même temps, hors de question de se retourner. Et pourtant... Elle l'appela.

"Apache ?"

Par pur reflexe et donc sans aucun calcul, le punk abimé s'arrêta, se retournant pour mieux voir la vampire qui était restée sur place. Elle le regardait, de loin. Immobile.
Sa voix, dans le silence de la forêt enneigée sonnait clair.

"Je vais compter jusqu’à 30, et après... je vais courir." Clair... Et menaçante.
L'Hérissé ravala sa salive, un tremblement le secouant tout entier alors que ses yeux s'agrandissaient d'horreur.

"Je te conseille d’accélérer le pas." Belladone avait lancé ça avec un air affreusement léger, un peu comme si c'était un jeu qui se profilait.
Un jeu qui allait très mal se terminer pour l'un des deux participants.
Celui la, d'ailleurs, ne répondit rien du tout. Se contentant, de reprendre sa route, accélérant le pas dans un premier temps, puis poussant un peu plus fort sur ses jambes pour au moins trottiner. Une grimace de douleur et d'horreur sur la bouille, il sentait les larmes lui monter au yeux.

Bordel de merde !

Cours, le punk ! Allez !
Il parvint à prendre de la vitesse ! Mais c'était dur.

L'effort lui faisait tourner la tête et son cœur pulsait fort, lui donnant l'impression que sa blessure pissait plus encore le sang.
Derrière lui, c'était comme un chemin de gouttelettes rouge tracé pour un petit poucet bien singulier.

Elle allait compter jusqu'à 30...

Apache courrait comme il pouvait, quittant la clairière pour mieux s'enfoncer dans la forêt.
Il ne savait même pas vraiment ou il allait ! Cavalant au hasard, déjà trop essoufflé. Il se sentait totalement inefficace. Elle allait le rattraper en deux secondes !

Il courrait oui, mais de manière complètement désordonnée, et fini par se prendre les pieds dans une racine planquée sous la neige, s'étalant lourdement et de tous son long dans une chute douloureuse.

Putain...
de MERDE !

Il frappa du poing sur le sol, les dents serrées.
La RAGE !

Il avait pas le choix.
Il pouvait pas la semer.
Même si elle était blessée...

Il fallait se planquer.

Alors il se planqua.

Par chance, non loin de lui, il tomba sur une souche d'arbre creuse et renversée, toute recouverte de feuillage et de neige.
Ok.
C'était la meilleure solution qui s'offrait à lui, et elle était merdique. Il en avait conscience.
Il s'enfonça pourtant dans sa cachette, son épée toujours bien en main, retenant sa respiration et tachant d'être le plus silencieux possible.

Il était la.
Recroquevillé accroupi. Assez petit pour pouvoir tenir dans cette position, la lame prête à transpercer tout ce qui pointerait le bout de son nez.
S'il était prêt à découper la Veine ?
Alors qu'elle l'avait aider, elle ?


Peut être.

Peut être pas.


Il verrait.

Il avait pas très envie de se faire bouffer, après tout.

Un. Deux. Trois. Quatre...

Elle se concentre, Belladone. Yeux ouverts mais immobile comme un cadavre, elle le voit s’éloigner, faire ce qu’elle lui a si aimablement conseillé. Au bout de quelques secondes, elle ne l'aperçoit plus mais ne se fait pas d’illusions. Tout est mort dans ces bois et encore plus depuis l’Hiver, elle sent encore sa pulsation.

Elle ne s’impatiente pas, Belladone. Elle peut se montrer patiente comme une dame, compter avec toute la lenteur du monde. C’est un jeu entre lui et elle mais également d’elle à elle-même, une attente comme pour se prouver qu’elle n’est pas un monstre. Pourtant, lorsque son esprit saute de vingt-neuf à trente, elle refuse de perdre plus de temps. Ses jambes s’élancent en une marche rapide mais sans réelle grâce, saturée par une envie qui étreint et lui fait tourner la tête. C’est qu’elle a un chemin à suivre, la Veine, des gouttelettes sur la neige.

Et l’odeur du sang, qui se rapproche toujours.

Temps mort, la Vampire s’arrête. Devant elle, un tableau immobile. Le chemin de sang s’est tari, les arbres sont nombreux. Il n’est pas loin, il se cache et sa tête à elle tourne.
Plus le temps de jouer.

- Apache ?

Elle l’appelle d’une voix gracieuse, scanne les lieux de ses yeux avides. Finit par aviser une cachette potentielle, des battements infimes.
Le souffle peut se taire, mais le cœur ne ment jamais.

S’approchant de la souche, la Veine reprend :

- Je ne veux pas avoir à utiliser la force, tu as vu ce dont je suis capable. La voilà patiente à nouveau, malgré ses instincts qui s’agitent.
Soif.
Soif !

- Et si tu sortais de ta cachette ? Ce serait plus facile pour nous deux.

Oh, Belladone se trouve sainte à jouer sur la raison comme ça.
Mais plus les secondes s’écoulent, plus elle doit attendre et moins elle se sent magnanime.

Il faisait froid. Tellement froid. Et tout recroquevillé dans sa cachette, les mains crispées sur son arme, le punk tremblait comme une feuille.
Il faisait froid, ouais, mais surtout, il crevait de trouille.
Il le savait, qu'il était mort.
Bien sur qu'elle allait le retrouver en moins de deux, et d'ailleurs, dans le silence lourd de la foret, un son lui parvint, glaçant son sang qui ne fit qu'un tour et gelant même ses frissons.
L'adolescent retint sa respiration.

Des pas.
Qui faisaient craquer la neige.
Ils n'étaient pas pressés.
Elle ne courrait pas.

"Apache ?"

L'interpellé ferma les yeux, se mordant la lèvre inferieure.
Elle avait vraiment fait vite.

Putain...

Sa prise se resserra plus fort encore sur son épée.

Les pas reprirent, se rapprochant, et l'iroquois rouvrit les yeux, les braquant vers la sortie de la souche dans laquelle il s'était judicieusement planqué. Seule source de lumière.

"Je ne veux pas avoir à utiliser la force, tu as vu ce dont je suis capable."

La voix était plus claire, autant que le sens de ses mots. Elle était juste à coté. Elle attendait.

"Et si tu sortais de ta cachette ? Ce serait plus facile pour nous deux."
Elle l'attendait.

En d'autres termes, elle l'invitait à ne pas faire l'enfant. A ne pas la forcer à plonger le bras dans sa cachette pour le choper par la cheville et lui briser trois côtes avant de le bouffer.
Elle l'invitait à se rendre.
A agir comme un grand garçon.
A faire face à ses responsabilités.
A ne pas rendre les choses plus difficiles, longues et douloureuses qu'elles ne le seraient déjà.
Apache n'était pas habitué à la capitulation. Ce n'était pas son genre d'obéir à ce genre d'injonction à la reddition.
Pourtant, il hésitait.
Fort. Très fort.
Par ce qu'il était coincé.
Fait comme un rat !

Une inspiration tremblante, et une pensée pour son pote; Just.
Combien de fois est ce qu'il lui avait demandé d'arrêter de jouer au con ?
Tant de fois.
Trop de fois.
Et lui, il n'avait jamais écouté.
En cet instant funeste et fugace, le punk aurait aimé pouvoir lui dire "T'avais raison."
Et ça faisait chier.

Arrête de te planquer. Ca sert à rien. Abrège l'affaire.

Grandis, un peu.

Et pourtant, il ne bougeait pas de sa cachette. Comme pétrifié.

Sois un homme ! Agis comme un adulte pour une fois ! Assume !

Ca sonnait tentant. Mais visiblement, la moustache, ce serait pas pour demain.
Par ce que le petit indien des villes restait prostré la ou il était.

Il allait falloir venir le chercher.

Les secondes s’écoulent comme des gouttes de sang, une attente qui pulse entre eux, lourde et mortifère. Et Belladone fait de son mieux, je vous l’assure, pour ne pas perdre patience malgré cette vitalité qui lui manque et qui se terre, terriblement appétissante.

Lorsque l’absence de réponse dure trop longtemps, elle attend encore quelques secondes puis se met en mouvement. Examine la souche, réprime l’envie d’y glisser son bras. C’est qu’il est armé, le garçon, elle s’en souvient malgré la faim qui sature ses sens et tourmente sa raison.

Un soupir. Belladone plie les genoux, saisit une extrémité de la souche tout en maintenant l’autre au sol. Oh, ce qu’elle s’apprête à faire risque de prendre une bonne partie de ses forces restantes, mais aux grands maux, les grands remèdes.

Un grognement, ses muscles se tendent alors qu’elle pousse vers le ciel, fait craquer le bois fragilisé par l’hiver. Puis la rupture se fait, violente dans le silence qui entoure la scène : déchirée entre deux forces contraires, la souche se fend, s’ouvre comme un cercueil.

Et Belladone se redresse, jette d’un geste un peu trop imprécis - un peu trop impatient - le bois arraché. Son regard se plante dans celui d’Apache.

- Regarde ce que tu m’as fait faire...

Ce qu’elle est lasse, tout à coup ! Elle n’a pas envie de se délecter de sa peur, elle veut juste en finir.

Ses gestes ont perdu leur grâce, leur contenance. Avec une rapidité poussée par l’urgence, la Veine se penche, tente d’attraper le bras du punk, enlever cette lame maudite, dernier obstacle avant le repas.
Fini les demandes, les minauderies.
Elle n’ira pas s’abaisser à la hauteur du bétail, pas cette fois.

Le silence.
Rien que le silence.
Apache tendait l'oreille comme jamais, et lorsque la vampire se mit à se déplacer autour de sa cachette, ses mains tremblantes se resserrèrent plus fort sur son arme, à s'en faire blanchir les phalanges.
Il voulait pas crever.
Non.
Pas comme ça !
Pas tout seul dans le froid !!!

Les craquements neigeux qui parvenaient à l'iroquois indiquaient qu'elle rodait autour de lui, cherchant sans aucun doute le moyen de l'extirper de sa planque.

Meeerde... Il grinça des dents, l'insulte dessinée sur ses lèvres mais sans qu'un son ne s'en échappe.
La respiration courte.
Il sentait le sang poisseux qui lui coulait le long du cou, glissant sur sa clavicule et descendant jusque sur ses côtes, s'imprégnant dans ses vêtements.
Douloureux et inconfortable.
La plaie le tiraillait et il sentait par intermittence sa tête lui tourner. Mais pas vraiment le temps ni le moment de s'y attarder, car soudain, un bruit différent des autres, et l'impression que la Veine venait de se saisir de la souche !

Qu'est ce qu'elle foutait ??
La panique monta crecendo à toute vitesse alors que déjà les craquements sinistres du bois se faisaient entendre, la souche en souffrance se tordant sous la pression !

Du coté du punk, c'était à n'y rien comprendre ! Il était dans la totale incapacité de saisir ce qui était en train de se passer, et alors que son cœur semblait s'être arrêté pour de bon, il fut soudainement ébloui, la lumière l'arrosant alors que le bois capitulait sous la prise de la vampire.
Les yeux écarquillés, tétanisé devant la vision infernale qui s'imposait à lui, le garçon ne bougeait pas.
Face à lui, la silhouette sombre de la jeune fille se découpait dans le contre jour, seul le détail doré de ses yeux brillant se révélant alors que son regard acéré et affamé se posait sur lui.

"Regarde ce que tu m’as fait faire..."
Un frisson secoua le jeune punk tout entier, et avant même qu'il n'ai la présence d'esprit de réagir, la Veine le devança, se penchant et lui saisissant rapidement et fermement le bras !
"Att.. Ah !!!" La prise était ferme comme un étau, lui broyant les os, pas prête à relâcher sa proie, et bien évidemment, c'était du bras qui tenait l'épée dont elle s'était saisi, l'empêchant ainsi d'utiliser son arme pour se défendre !

"LACHE MOI !!!!!" Il hurla tout en se débattant, s'agitant comme un diable ! Pas capable d'utiliser sa lame, ok, mais ne se privant pas pour gigoter dans tout les sens ! Pesant de tout son poids, certes léger, pour empêcher Bella de le ramener à elle !
Elle avait l'intention de le bouffer ?
Très bien !
Mais il ne se laisserait pas faire !
Et tout rageux qu'il était, s'accrochant à la vie autant que Bella le faisait, il se mit à lui foutre autant de coups de pieds désordonnés qu'il pouvait, un peu à la manière d'un chat sauvage prit dans un collet !

- Att.. Ah !!!

Elle l’entend à peine, concentrée à ne surtout pas gaspiller plus de forces que nécessaire. C’est qu’elle est exsangue, la Veine. Vide de son énergie, à tenir sur ses réserves. Et forcément, le garçon s’agite, se débat avec une férocité amoindrie mais qui a quelque chose d’admirable.
De grotesque, aussi.
Elle lui avait pourtant donné l’occasion de se rendre avec dignité, c’était de sa faute s’il ne l’avait pas saisie.

- LACHE MOI !!!!!

Elle ne répond pas, esquive comme elle peut les coups de pied d’Apache. Difficile de rester concentrée avec ce sang qui se déverse le long de sa peau, l’appel de l’hémoglobine qui pulse, sature le moindre de ses sens. Elle-même sent que les forces lui manquent, qu’ils ne tiendront pas longtemps à se battre ainsi.

Autant mettre fin aux formalités.

Un pas de côté, sans le lâcher. Avec une rapidité inhumaine, sa main libre fuse en direction de l’épaule du punk. Direction la jointure, la peau recouverte par le tissu. Elle a les ongles pointus, Belladone, comme des griffes quand elle le veut. Et ses griffes transpercent le vêtement, l’épiderme, plaquant dans son mouvement l’adolescent au sol.
Une humidité écarlate, qui s’infiltre sous ses ongles. Elle ne cherche pas à faire mal par pur sadisme, la Veine.
Elle a juste besoin d'une pause.

Il y a un flottement infime, un instant de surprise (ou de peur ?). Abandonnant l’espoir de redresser sa proie, Belladone s’abaisse à son niveau. Elle peine à réfléchir, fond sur cette plaie qui l’appelle et l’entoure de ses lèvres pâles comme celle d’une morte. Le goût ferreux avive ses papilles, fait briller ses pupilles avec sauvagerie.

Elle est terrible, l’envie de planter les crocs. Mais Belladone sait ce qui arrivera si elle cède.

Usant de ses dernières forces pour garder le contrôle, la Veine commence à aspirer, transférer en elle cette énergie écarlate.

À moi.
À moi.

Il se débattait comme un diable, mais il semblait bien que rien n'y faisait. La prise de la vampire restait toujours mortellement ferme, ne lâchant pas sa proie. Il ne s'échapperait pas. Elle ne cillait même pas. Les efforts étaient vains ! Et pourtant, le garçon n'abandonnait pas. On avait beau lui coller l'étiquette de celui qui courrait après la mort, à tout les coups, lorsqu'elle finissait par s'intéresser à lui, il faisait tout pour l'esquiver !
Mais cette fois, il semblait bien qu'elle n'était pas prête à laisser fuir son gibier.

Un coup brutal coupa soudainement la respiration et la vigueur de l'adolescent, et il se sentit projeté violemment contre le sol, le froid de la neige l'envahissant tout entier.
Sonné par le choc.
Le froid de la neige.
Oui.
Mais pas que.
L'instant de juste après, il eu comme la sensation d'un linceul glacé qui le recouvrait tout entier.
Les cheveux de Belladone glissaient contre sa peau.
Elle le maintenait toujours immobile de sa force surhumaine, et Apache ne parvenait plus à bouger. A moitié assommé, une douleur lancinante et vaporeuse qui pulsait de son épaule lacérée.
Le monde virait flou.
La tête qui tournait.
Et soudain.
Ca picotait dans son cou.
Ca chauffait même.
Ca brulait.
A peine la force de lâcher un gémissement plaintif, même pas si fort.
Pathétique.
La sensation qu'on lui aspirait la vie.
Ca tirait.
Ca faisait mal !
Stop !
Mais même plus l'énergie de protester.
A peine de remuer les lèvres sans qu'aucun son ne s'en échappe.
Le peu de force qui lui restait semblait s'envoler ailleurs.
Aspirée.
Volée.
Un soupire et tout le corps du chasseur se détendit.
Ses muscles se relâchèrent, les uns après les autres.
Ses forces s'amenuisaient, le quittaient.
Terminé.
Tout le monde descend.
Et pourtant il restait à demi conscient.
Il pouvait sentir.
Sentir sa vie se barrer.
Siphonnée.
Son sang qui accélérait dans ses veines à un rythme imposé. Pas naturel. Pas le bon sens.
Sa vie qui s'échappait.
Et avec; la douleur.
Il n'avait plus mal.
Et avec; la peur.
Il se sentait comme serein.
L'angoisse n'existait plus. Et lentement, venu de nul part, une autre sensation avait prit sa place.

Le calme.

C'était étrange.
L'impression que plus rien ne comptait.
Il se sentait...

Rassuré. Entouré. Soutenu. Sauvé.

Doucement. Sans doute avec les dernières forces qui lui restait, les bras d'Apache entourèrent Belladone. Pas de quoi la serrer contre lui. Mais l'intention y était. Juste ses mains glacées dont les doigts viraient gris bleutés qui reposaient sur elle.
Elle était la.
Il n'était plus tout seul.
Et sans pour autant bouger. Sans un sanglot. Pas même une respiration plus haute qu'une autre, il s'était mis à pleurer. Les larmes coulant silencieusement.

Et sa vie qui s'échappait.

Une pensée pour les révoltés.

Désolé

Oh, elle peut sentir sa douleur. Chaque frémissement, chaque spasme se transmet à elle alors qu’elle continue d’absorber ce Sang qui la sauvera, rouge à l’arrière-goût de cendres et pourtant si vital, si important.
Cette Vie qu’elle lui prend, avide, alors qu’elle le tient fermement.

Ne mords pas.

C’est tellement tentant, il suffirait d’un croc pour qu’il soit sien entièrement, qu’elle réduise son avenir à néant. Mais Belladone est magnanime, Belladone est presque sainte en cet instant : malgré son esprit qui se bat contre la Soif, elle n’oublie pas sa promesse.

Apache ne se débat plus, se livre à elle sans plus aucun éclat : une vague de tendresse envahit la Vampire alors que sa main lâche l’épaule de l’Hérissé, glisse derrière sa nuque pour mieux le soutenir. Toi qui as tant souffert, repose-toi sur mon épaule, tu n’as rien à craindre de pire que moi et dans mes bras, plus rien ne peut t’atteindre.

Sait-il seulement le privilège qu’il possède ? De ceux qu’elle purge, personne ne peut se vanter d’en être ressorti en vie.

Mais Apache est spécial.
Il lui fait tellement de peine, en cet instant.




Elle doit se faire violence pour s’arracher à lui, poser sa paume contre cette plaie fraîche et encore tentante. Les couleurs qui ont quitté le punk se sont transmises à elle, font rougir ses joues et frémir sa peau. Dans le Bois, il n’y a plus aucun bruit, plus rien que la respiration si lente de l’humain, signe d’un sommeil comateux. Elle-même halèterait, chercherait son souffle si elle respirait encore.
À la place, elle s’autorise un sourire :

- Repose-toi. Je m’occupe de tout.

D’un geste, elle s’assure que ses paupières sont fermées. Puis, usant de ses nouvelles forces, Belladone se relève et emmène Apache avec elle, le portant comme un enfant.

À la sortie du Domaine, il y a un chemin de ronde que les Enfants ont l’habitude d’emprunter. La Veine se hâte et y dépose l’adolescent, adossé à un tronc comme s’il faisait une sieste bienheureuse. Et quelque part, il en a sans doute besoin, avec cette fille morte dans sa tête et l’épreuve qu’il vient de vivre.

À quelques mètres, pâle dans l’ombre des arbres, Belladone guette. Le ciel n’est pas clair, elle peut se permettre de veiller quelques minutes encore. Et lorsque des bruits de pas se font entendre, lorsqu’elle reconnaît un autre Enfant, la Vampire détale. Sur ses lèvres perlent encore quelques gouttes de ce sang abîmé, signe de cette nature profonde avec laquelle elle se débat.

Ah, qu’on ne vienne pas lui dire qu’elle n’a pas de parole.
Même pour du Bétail.