Un vent puissant agite sa chevelure de jais. Puis une brise légère, fait papillonner ses longs cils. Deux grands yeux noirs embrassent le paysage qui leur font face. Un sourire ravi fend ses lèvres pulpeuses. Sa poitrine généreuse se gonfle d’émerveillement. Une envie impérieuse fait trembler ses jambes fuselées. La belle Huron se sent appelée. Appelée par ce monde si vaste qu’elle connaît par cœur. Appelée par une vie intrépide qu’elle n’aura jamais. Cette avidité d’aventures et de péripéties en tout genre qui lui fait observer les Garçons Perdus depuis son buisson touffu ; qui la fait nager silencieusement jusqu’au Jolly Roger pour écouter les chants pirates ; qui la fait sonder le tréfonds de l’Océan afin d’en percer les mystères ; qui l’amène à danser avec les fées lors de leurs nombreuses fêtes. Une curiosité si dévorante qu’elle la mène à la plus grande des imprudences, pareille à un nouveau-né. Enfantine elle l’est, dans ses jeux facétieux et ce petit sourire espiègle joliment accroché à ses lèvres. Une passionnée, une enflammée : c’est irraisonnable ! Mais elle porte si bien ses idées et ses convictions, avec une telle détermination ; on s’incline ou elle s’obstine. La vie, belle maîtresse, lui apprend à s’adapter. Elle coule le long des obstacles, se fond et se glisse, aussi souple qu’un cours d’eau. Et comme celui-ci, elle s’agite au gré de ses passions, vive et indomptable. Puis se pose, doucement, sur le sable blanc, calme et immobile, observant la vie qui foisonne. Cette vie qu’elle chérit, comme son peuple la chérit aussi. Ce peuple qui l’a formée, l’a façonnée à son image, l’image de la tolérance et de la générosité. Un peuple qui ne punit pas les différences, les élans d’indépendance. Cette indépendance qui crie dans son Être, celle qui la mène parfois si loin de chez elle. Mais ce peuple l’a laissée dans l’ignorance, l’ignorance de l’Homme et de ses vices. Douce et naïve créature, qui offre sans compter et sans attente. Un jour, elle fera face à la méchanceté de l’Homme, à sa cruauté, sa cupidité.
La tribu l’admire et l’estime : la princesse des Hurons, la sage fille du chef, celle qui règle les conflits avec diplomatie, justice et paix. Mais l'idée de mariage a vite été oubliée, personne ne marie l'Harmonie.
Loutre Sage est pleine et entière. Loutre Sage est un Être complet.

Touchée par le vent. Touchée par la rivière. Loutre Sage incarne ces deux esprits au sein de sa tribu. Son nom n’est pas un hasard : fille de l’eau  comme la loutre et disciple de l’air par sa sagesse. Elle  sait les entendre et les écoute de tout son être. Elle est là où souffle le vent, conversant silencieusement avec lui et le parant de couleurs chatoyantes. Là où  l’eau  murmure gaiement, elle tourbillonne et éclabousse. L’Esprit Vent lui susurre de tendres mots. Les Esprits Fleuves tournoient autour d’elle, ils dansent tous ensemble dans un cercle, une ronde à l’infini.  La loutre et le héron sont ses amis. Elle court dans les forêts d’or et de lumière, s’émerveillant des trésors et des mystères de la terre. Tout vibre autour d’elle, de la plus petite pierre ou plus majestueux des arbres en passant par la fleur gracieuse. Loutre Sage est complète est fait partie d’un tout, celui de la vie.

Un monde merveilleusement frustrant. Ce si petit monde où le temps est figé, où rien ne change et pourtant où tout se passe. Les plus belles aventures se passent dans le Jamais. Elle connaît l'Île dans ses moindres recoins, chaque terrier, chaque liane, chaque nid, mais s'émerveille encore de tout cela. La capacité d'émerveillement est la capacité à vivre...

Pourtant, une envie, impérieuse et indomptable la fait vibrer : qu'y a-t-il ailleurs ? Pas une idée d'abandon, juste une envie de découvertes.
Même les Pierres Sacrées ne peuvent étancher cette soif de nouveautés.

Le Garçon Qui Vit. Le Garçon Figé. Il est un paradoxe à lui seul. Celui qui sait voir et proposer de nouvelles choses dans un monde où rien n'évolue.
Leurs courses dans les bois, leurs jeux aquatiques : Loutre Sage les chérit comme un trésor d'aventures douces et espiègles, comme le rire de cet enfant.
Il est le seul qu'elle accepterait en mari, car il est le Vent, il est la Vie. Mais il est aussi figé dans un présent sans nuances, un présent qui ne changera jamais.
Alors elle se contente de rire avec lui, échangeant leur joie en un regard.
Peter Pan restera Peter Pan : l'Enfant Qui Vit Figé.

Le chaman attendait. Les yeux scrutant ses élèves assis autour de lui. Ils attendaient tous. Il savait qu'il ne devrait pas l'attendre, mais il attendait quand même, au cas où elle viendrait cette fois-ci.
Elle ne vint pas.

Un corps tombe de la plus haute falaise de l'Île. Loutre Sage a écouté les douces folies du Vent, maintenant l'eau l'accueille tendrement. Des ondes gracieuses entourent son corps nimbé de couleurs éclatantes. La rivière est claire et froide, elle se jette quelques mètres plus loin dans l'Océan.
C'est le Vent qui l'a mené ici, comme il le fait à chaque fois ; leur lieu de rendez-vous favoris, il peut ainsi lui chuchoter des mots doux pendant la chute longue et pourtant si brève. Soleil s'est levé depuis peu, il nimbe l'Île d'or pur. La huron contemple toute cette beauté, la buvant passionnément ; les jambes s'agitant doucement et chatouillées par Fleuve. Puis lorsqu'elle n'a plus de forces, s'échoue sur la rive et sèche sous les rayons de son ami flamboyant. Quelques fées volettent, elles sont ici chez elles après tout. Leur tintement cristallin la berce et l'apaise.
Cette chute était magnifique, mais Loutre Sage en veut plus, elle veut jouer avec Vent et Fleuve bien plus intensément. Les Pierres le peuvent.... Elle se redresse d'un bond : le cours du vieux chaman ! Elle l'a totalement oublié, encore une fois.
Son corps file entre les arbres sans frôler une seule branche, ses pieds foulant à peine les feuilles mortes au sol. Aucun bruit n'émane de sa course effrénée.
La voilà sur le site de méditation, le vieux chaman dispense son savoir à ses quelques élèves assis autour de lui. Ils se sont déjà élevés. L'Harmonie s'assoit discrètement entre les hurons. Elle devrait les rejoindre dans leur méditation mais elle a d'autres projets. Il ne lui reste plus qu'à inspirer et...

La voilà au delà du temps et de la matière. Le premier n'est guère intéressant dans le Pays du Jamais, mais le second... Elle a désormais accès à tout ce qui est refusé aux mortels.
Bien qu'élève rarement présente, le vieux chaman a vite vu que la maîtrise des Pierres ne resterait pas un mystère très longtemps à l'âme de Loutre Sage.
Elle rie, elle court, elle vit comme personne ne vit dans le monde matériel. Elle évite le groupe d'apprentis mené par le vieux chaman et s'en va rejoindre ses amis.
Vent et Fleuve l'attendent. Pendant longtemps ils s'amusent ; des heures ? Des jours ? Des siècles ? Elle n'est qu'une humaine, elle ne peut le mesurer, seulement le vivre. Le cri du coq se fait entendre dans les tréfonds de l'Île, Peter n'est jamais loin des jeux et des esprits.

A son retour Nuit a enveloppé l'Île. Le vieux chaman est assis en face d'elle, il n'a pas bougé ; ils sont seuls. Loutre Sage veut s'excuser mais il l'interrompt d'un mouvement de tête. Il se lève et rejoint le village endormi.
Il admirait seulement son visage rayonnant d'une harmonie pleine et entière.

Loutre Sage vit. Elle vit plus intensément que n'importe qui. Sauf peut-être Peter Pan.