La chute était terrifiante !
Entre le vent et leurs hurlements qui sifflaient assourdissants et froids, les ténèbres qui semblaient étendre leurs bras pour mieux les enlacer dans le sombre, et la créature immonde qui se précipitait avec eux dans son étreinte funeste et éternelle, tout n'avait que le goût cendreux d'un cauchemar dont la conclusion ne se solderait non pas par un réveil, mais plutôt par un sommeil sans fin.

Et pourtant, les appels répétés et désespérés de la petite fée finirent par être entendu dans cette cacophonie infernal.

Tout s’arrêta brutalement, comme si soudain, le temps qui n'existait pas s'était stoppé.
Tout, ou presque.
Seul témoin autour des deux protagonistes que le monde entier ne s'était pas figé, la chute du monstre terrifiant qu'était l'arbraignée qui continua, inexorablement, s'enfonçant dans le noir, accompagné de ses gémissements d'outre tombe, jusqu'au silence final.
Le calme.

Pétrole qui n'avait pas raté une miette du spectacle, penché en avant, ses mirettes noires ne quittant plus un point invisible dans les fins fonds de cette crevasse qui apparaissait sans fond, lâcha un soupire profond.

"... Ça va ?"
La petite tête de l'Or Noir se releva, donnant toute son attention au Baron. Sur son visage encore quelque peu pétrifié de peur, un sourire se dessinait, à peine perceptible sous tout le liquide poisseux et sombre qui le recouvrait.

"... Tu... c’est toi qui as fait ça?..."
Le rire de la fée tinta dans l'atmosphère de nuit.
"Non !" Il secoua la tête à la négative. "C'est toi ! Tu l'as fait !"
Ils étaient sauvés.
"Tu sais voler, Baron !"
C'était dit comme une évidence. Mais en même temps, comment ne pas constater l'effet !
Pétrole se mit à battre des ailes, quittant les mains du centaure pour mieux voleter à hauteur de son visage, tournoyant sur lui même comme pour exprimer son soulagement.

"Tu l'as toujours su ! Et ça ne s'oublie pas !" Parole de fée des marais ! Alors certes, comme l'Or Noir l'avait fait remarquer pas plus tard qu'un peu plus tôt, c'était aussi grâce à lui, à sa poussière magique ! Mais pour une fois, il ne se sentait pas d'humeur grincheuse, bien au contraire ! A croire que les pensées agréables de Sindri avaient été contagieuses.
Pétrole se sentait ravi !

Tout rempli de joie !

"Tu sais voler, Baron !"

Un grand sourire ravi s’afficha sur le visage grisâtre du centaure, tellement soulagé et heureux qu’il ne songea même pas à remettre en cause le raccourci fait par la fée. Alors que la petite créature oléagineuse s’envolait pour s’élever à la hauteur du Baron Forêt, ce dernier se mit à pédaler dans le vide. Contre toute attente, et bien plus sous l’effet de sa volonté que de sa caracolade, Sindri commença à remonter vers le bord du gouffre.

"Tu l'as toujours su ! Et ça ne s'oublie pas !"

"C’est vrai ! C’est vrai, JE VOLE !"

Est-ce que cela lui était déjà arrivé ? Probablement, vu le temps qu’il passait avec les fées. Mais contrairement à ce qu’affirmait son compagnon, oui, cela pouvait s’oublier - surtout sur l’Île.

Peu importait, au fond : la seule conséquence de cette absence de souvenir, c’était que Sindri vivait ce vol comme une expérience aussi inédite que fantastique. Ce qui était une excellente chose, vu que son émerveillement était sans doute la seule chose qui l’empêchait de dégringoler à la suite de l’arbraignée dans les ténèbres de la Sylve.

"C’est incroyable ! Génial ! FABULEUX !"

Le centaure, qui reprenait des couleurs à vue d’œil - littéralement, vu qu’il revenait rapidement au camaïeu de bleu qui constituait sa robe de base en ces temps pluvieux - adressa à la fée un sourire digne des meilleures pubs pour dentifrice. Visiblement, tout grief antérieur qu'il pouvait avoir envers la minuscule créature était balayé.

"Tu m'as sauvé, Petit Sombre ! Ton huile magique m'a sauvé !"

Il lâcha un grand éclat de rire, qui lui fit gagner plusieurs mètres d'un coup. Encouragé, le Baron Forêt transforma son étrange trot aérien en petit galop, et bientôt il franchissait le niveau du sol de la forêt maudite pour continuer son ascension avec une application perceptible.

"Essayons de dépasser le sommet de ces affreux arbres noirs pour distinguer le Bois Joli : il est grand temps de rentrer chez nous."

Il eut un autre sourire pour la fée qui volait à ses côtés.

"Quel est ton nom, mon bel ami ? Assurément, tu es un être noble et courageux ! Je parlerai de tes exploits à la Reine !"

Pause opportune, avant de faire un petit geste négligent de la main et d'ajouter avec la plus somptueuse des fausses modesties :

"Oh oui, j'ai pu omettre de préciser que je faisais partie de la Cour de Sa Majesté la Reine Mab. Mais je t'en prie, restons simples, tu peux m'appeler Sindri."

"C’est vrai ! C’est vrai, JE VOLE !
- Tu VOLE ! Je VOLE ! Nous VOLOOONS !!"
Les deux s'élevaient dans les airs, laissant derrière eux l'horreur monstrueuse, sourires aux lèvres, les yeux brillants d'excitation et de joie !
Sauvés par la magie ! Elle triompherait toujours face aux malédictions, n'est ce pas ?
La lumière des rêves chassaient les cauchemars, aussi sombres puissent-ils être.

"C’est incroyable ! Génial ! FABULEUX !
- Sidérant ! Superbe ! FANTASTIQUE !

Le Baron reprenait de ses couleurs, tranchant d'avec le gris de la sylve. Le contraste n'en était que plus beau !

"Tu m'as sauvé, Petit Sombre ! Ton huile magique m'a sauvé !
- La magie des fées triomphe TOUJOURS !"
Ils riaient ensemble, s'envolaient ensemble. Pétrole virevoltait dans tout les sens, éclaboussant le légendaire par intermittence, lui assurant de la poudre de fée comme carburant à foison.

"Essayons de dépasser le sommet de ces affreux arbres noirs pour distinguer le Bois Joli : il est grand temps de rentrer chez nous."
Nouvel échange de sourires en plus d'un regard entendu agrémenté d'une approbation de la minuscule tête noire, tandis qu'ils s'élançaient de ce fait plus haut encore, dépassant la cimes de la forêt morte vivante.

Vu de haut, elle paraissait à la fois moins dangereuse et pourtant plus encore menaçante.
Comme une traînée morbide de cendres noires à l'odeur de brûlé et de mort, tachant le paysage chatoyant et féerique de l’île imaginaire.
Assourdissante d'angoisse.
Foret dévoreuse d'espoir.

"Quel est ton nom, mon bel ami ?" La question tira la petite fée de sa contemplation et de ses réflexions.
"Mon nom est Pétrole ! Fée des marais et de l'Or noir." Qu'il répondit tout pétri de fierté.
"Assurément, tu es un être noble et courageux !" Le compliment fit battre un peu plus fort les ailes de la petite créature, sourire solidement arrimé à ses lèvres.
"On ne le fait pas savoir assez souvent !
- Je parlerai de tes exploits à la Reine !
- Oh, fais donc ce plaisir ! Il sera partagé !
- Oh oui, j'ai pu omettre de préciser que je faisais partie de la Cour de Sa Majesté la Reine Mab.
- Vraiment !
- Mais je t'en prie, restons simples, tu peux m'appeler Sindri.
- Et bien sache Sindri qu'il m'est rare de rencontrer une personne de genre masculin aussi courtoise que toi. C'est un délice." Et l'Or noir n'avait pas toujours pensé cela ! "De la même manière, tu peux m'appeler Pétrole ! Soyons amis !"
La petite fée était absolument sincère, les premières prises de bec déjà bien loin dans l'histoire !
Mais combien de temps cela durera t-il ?

Pour l'instant, Pétrole était ravi de la compagnie, encore tout guilleret et ragaillardi par leur victoire contre les ténèbres !
En route vers une forêt habitée d'arbres bien plus tendres et accueillants.