Même si le temps n'était qu'une notion abstraite sur l'île aux rêves, il était parfois trop simple de s'ennuyer. Ce n'était pas le travail qui manquait pourtant, et le sort paraissait s'acharner contre les livreurs. D'abord la canicule les avait presque privé de leur précieuse eau, et maintenant la pluie salée débordait partout. Ce n'était pas une situation favorable, qu'importe sous quel angle on l'observait. Et puis, le pire dans tout ça avait sans le moindre doute été sa discussion avec Freckles quelques jours plus tôt.

Cet aveu qui lui avait échappé sans crier gare, comme s'il n'était pas capable de se la fermer pour une fois. Comment est-ce que son jeu parfait pourrait-il continuer à exister si Samurai ne faisait aucun effort ? Agacé contre sa propre personne, le jeune guerrier qui n'en était pas un se sentait d'une humeur morose. Le bleu de sa veste risquait de déteindre à cause de l'eau salée, ou tout du moins d'être abîmée. Et ce n'était pas acceptable.

Il ne possédait que deux trésors, tous deux matériels. Et rien ne serait jamais plus précieux que ça, pas même la vie d'un compagnon.

De toute manière, Samurai n'avait rien à faire, outre se morfondre dans son coin. Sa tâche quotidienne avait été expédiée rapidement, et embêter Freckles pour en obtenir une seconde risquait de se retourner contre lui. Un chef protège toujours ceux qui le suivent, ou quelque chose dans ce style là.

Pour le coup, la noblesse de son ami, ou bien sa crainte de perdre encore des gens qui n'avaient pas d'importance, lui tapait sur le système. Et ce n'était pas juste, d'être en colère parce qu'il ne parvenait plus à se concentrer aussi bien que d'habitude. Les batailles devenaient plausibles dans son esprit, se transformant en jeux d'enfants au lieu de mise à mort adulte. Alors, pour tenter se rester concentrer, Samurai détacha ses longs cheveux, tentant de faire une tresse au sein de la masse sauvage sur sa tête. Sans doute que les brosser ne serait pas une mauvaise idée, il y avait des nœuds partout.

Ses doigts abandonnèrent cette tâche impossible lorsque Samurai remarqua l'adorable sangsue accrochée à lui. Peu se comportaient ainsi avec lui, et il n'eut aucun mal à reconnaître l'être royal derrière lui. « Oh, Pretty. » Non, ce n'était pas ça, il ne pouvait pas tout simplement s'adresser au second livreur ainsi. Alors, le garçon lui offrit un sourire, prenant la main de son vis-à-vis dans la sienne sans se retourner.

« Vous savez que j'apprécie grandement votre présence. » Quel bel effort d'Anglais. Il semblait faire beaucoup de progrès à l'oral depuis quelques temps. Même s'il continuait de parler lentement pour bien articuler chaque mot.

Une mission ? Quelque chose d'intrigant et amusant à la fois, ceci était parfait. Enfin, ce n'était sans doute qu'une tâche quotidienne. Son esprit était vif dès qu'il s'agissait de changer la vérité en quelque chose qui l'arrangeait.

« Ma princesse, vous me faites un tel honneur… Je ne peux refuser ! » Excité, Samurai chassa sa mauvaise humeur aussi loin que possible. Au vu de la tenue de Pretty, sans doute aurait-il besoin d'une tenue plus appropriée. Et de chaussures.

Hrp:

Rien de mal ne pourrait résulter de la présence de la fausse demoiselle. Après tout, Pretty se plaisait dans le jeu qui représentait la réalité de Samurai. Et jamais son ami ne se semblait se lasser de l'attention qui lui était offerte. Ce fut pour cela que le second garçon tenta d'améliorer sa posture, et d'effacer totalement l'air austère qui était apparu sur ses traits avant le début de leur conversation. Quel chevalier aurait osé se montrer impoli devant sa princesse ? Certainement pas un aussi doué que Samurai.

Surtout qu'ils allaient sans doute vivre une grande aventure ensemble. Une qui serait merveilleuse, et qui n'allait pas inclure une quelconque noyade. Son sourire se fit un peu plus grand, plus sincère également. Même s'il se retrouva un peu perdu face aux propos qui suivirent. Parfois, Pretty utilisait des termes au dessus de son niveau de vocabulaire dans la langue Anglaise.

Avant de pouvoir poser la moindre question à ce sujet, une main décida de jaillir et d'attraper la sienne. Oh, peut-être était-ce sa tenue qui posait souci cette fois. Ce qui sous-entendait des chaussures, et Samurai grimaça. Le Japonais n'était définitivement pas intéressé par ces horribles crocodiles mangeurs de pieds qui les empêchaient de respirer. « Mais, Pretty– » Aucune chance pour que la fausseté ne prête attention à ses paroles. Le plus jeune était bien trop captivé par l'idée de l'habiller.

La Citerne était un lieu familier, et il aurait été en mesure de s'y asseoir un moment pour observer la frimousse de Pretty pendant qu'il travaillait. Malheureusement, déjà on lui balançait des habits dans les bras, et Samurai réalisa qu'il ne pourrait pas profiter de son habituelle participation sélective. Les bras chargés d'habits en tout genre, le Japonais se retrouva à cloué sur place, ayant peur de chuter en tentant de s'enfuir ou de s'avancer. Sa maladresse légendaire ne pouvait que s'accroître si son champ de vision était limité après tout.

Enfin, malgré les anoraks dans ses bras, qui étaient d'ailleurs des habits bien étranges à ses yeux, Samurai accrocha le regard de Pretty un moment. Juste assez pour voir un éclair de génie dans ses pupilles.

Ainsi, le problème fut résolu et il lâcha purement et simplement tout ce qu'il avait dans les bras pour accepter ce qui semblait être un présent.

« Le bleu est la couleur des combattants de mon clan, le Shinsengumi. »Ajouta-il avec une pointe de fierté dans sa voix. Uniquement pour réaliser que ça n'allait pas fonctionner avec sa veste longue. Cependant, Samurai n'hésita pas à la retirer, ainsi que son épée. Ses trésors n'étaient pas fait pour affronter la pluie, même si s'en séparer était douloureux. Comme s'il risquait de ne jamais les revoir. Et s'il devenait un rtraître à son clan ? Après avoir enfilé l'anorak, le garçon décida de reprendre sa précieuse lame, encore dans son fourreau.

Autant la veste pouvait être mise de côté, autant Sekai no Owari ne méritait pas d'être touchée par des mains impures. « Une fois de plus, vous êtes très douée, princesse. » Le genre de Pretty était un point qui ne serait jamais fixe à ses yeux, et Samurai ne s'intéressait pas assez à son ami pour réaliser qu'il était idiot de ne pas faire plus attention.

Urg, chaussures. Une moue ennuyée apparue sur ses traits alors qu'il commença à fouiller dans une des boîtes qui traînait dans un coin. Sans doute pour aller avec les manteaux chauds. Après un long silence, Samurai tira une paire de tongs du tas, et il les agita en direction de Pretty.

C'était sans doute de la mauvaise foi de la part du plus âgé. Mais ses orteils méritaient de respirer, et également de geler et de tomber d'eux-mêmes quelques jours plus tard. « Est-ce que ça ira ? » Visiblement, puisqu'il osa poser la question, peut-être était-il tout simplement naïf. D'ailleurs, Samurai ignorait où ils allaient se rendre.

Sa main libre glissa dans sa chevelure, et il tenta péniblement de les brosser avec ses doigts. Rien à voir avec la longue masse soyeuse de la fausseté. « Je crois que je ne les ai pas brossé depuis… Le début de la pluie ? » Au moins, il les lavait avec soin. « Mais ce n'est pas important, ne ? »

Traditions. L'adolescent appréciait le terme, la valeur qui lui incombait. Cela signifiait qu'il était membre d'un grand tout, de quelque chose de crucial devant se transmettre d'une génération à la suivante. Pas que ça soit possible sur l'île, mais il aimait le principe. Qui sait, peut-être aurait-il même un apprenti, un jour. C'est pour ça que son expression se transforma en un franc sourire à cet instant. Bien que cela ne dura guère après qu'il se soit changé. Guère difficile au niveau de ses tenues, le garçon n'était pourtant pas intéressé par celles trop couvrantes. Enfin, peut-être que cela était nécessaire.

Pretty savait généralement ce qu'il faisait, en tant que Livreur respectable. Tout du moins selon son compagnon de sommeil, qui lui accordait tout sa confiance. Une un peu limitée par son manque d'intérêt envers la vérité et les détails, mais c'était déjà ça. Dans le fond, il ne le connaissait pas outre mesure.

« Je n'en suis pas certaine, mais soit. Que je ne vous entende pas vous plaindre de vos pieds sur le trajet, très cher. »

La remarque lui fit hausser les épaules, d'une façon un peu puérile. L'Injuste préférait cent fois subir un voyage drainant et devoir se bander les pieds au retour au lieu de subir des chaussures fermées qui seraient forcément inconfortables. Enfin, ce n'était pas comme s'ils devaient se rendre dans un lieu trop froid, n'est-ce pas ? L'anorak paraissait pourtant faire pencher la balance vers une aventure montagneuse.

Un détail que Samurai ignora d'abord.

« En tant que mon chevalier servant, vous vous devez d'être soigné. Votre image représente la mienne. »

Se faire chouchouter par Pretty était un immense honneur, dans la majorité des cas. Pour le coup, le garçon aurait préféré échapper à cette séance de coiffure express. Il alla jusqu'à fermer même les yeux pour ne pas faire attention à leur soudaine proximité. Plus parce qu'il n'était pas habitué à ce type d'attention. Ce n'était pas comme si cette femme qui se faisait appeler sa mère, dans un passé lointain, avait un jour été aussi douce que son ami.

« Je les aime bien en bataille, moi. » Samurai marqua une courte pause, accompagnée d'un soupir. « Mais ne pas vous faire honneur serait terrible, ne ? »

Au moins, la question de leur mission redevint leur principal centre d'intérêt. Une aventure lui changerait les idées. Mieux que de se morfondre seul dans son coin. La récupération de l'eau était une tâche sacrée pour leur groupe. Tout comme le fait de servir Peter et ses intérêts. Alors, le garçon se montra enthousiaste face aux paroles de son ami.

« Il nous faudra braver... Le Sommet Enneigé. »

Jusqu'à ce moment là. Son regard dévia vers ses chaussures totalement ouvertes, puis de nouveau vers la Fausseté. Bon, ce n'était pas comme si ça incluait de nager non plus, donc aucune raison de s'inquiéter. Sa main attrapa vivement celle de Pretty, la serrant avec conviction.

« Bien sûr, tu peux compter sur ma présence. Jamais je ne laisserais un être royal affronter une telle tâche en solitaire. »

L'Injuste relâcha sa prise rapidement pour retourner fouiller dans la pile de chaussures. Il trouva une paire toute simple qui lui éviterait de se geler totalement les pieds. Néanmoins, au lieu de les enfiler, l'adolescent offrit une moue dégoûtée à Pretty d'abord.

« C'est nécessaire, hein ? »

Il y avait tant d'histoires oubliées de braves enfants qui s'étaient aventurés sur ce territoire dangereux uniquement pour périr à cause d'une tenue peu adaptée. Par conséquent, malgré l'inconfort qu'il allait obligatoirement devoir endurer, Samurai n'avait guère le choix. Personne ne serait en mesure de narrer leur formidable aventure s'ils ne revenaient pas. Et un chevalier n'avait guère le droit de mourir et d'abandonner la princesse à une fin tragique. Qu'il était complexe d'être un brave guerrier parfois. Trop de responsabilités.

Assis sur le sol, l'Injuste entama un combat maladroit face aux lacets. Il était une chose de voir les autres les nouer, et une autre d'effectuer la tâche par lui-même. Avec maladresse, l'adolescent tenta de les attacher de plusieurs manières, jusqu'à ce souvenir qu'il pouvait simplement faire deux nœuds simples l'un sur l'autre. Bon, ça traînait un peu par terre. Néanmoins, c'était déjà bien mieux que de risquer d'en perdre une en plein milieu du chemin. Ses orteils s'agitèrent un moment, quémandant d'être tirés de cette prison cruelle. Il préféra ne pas trop s'y attarder, même si son expression trahissait encore ses émotions au sujet de tout ça.

Guidé par les doigts gracieux de la royale demoiselle, Samurai parvint à oublier cette déconvenue pour se focaliser sur ce qui allait à présent se produire. La barque ne fut pas une surprise des plus agréables, bien qu'il s'était douté qu'un tel moyen de transport serait le plus approprié. Qu'importe qu'il ne puisse pas nager, du moment qu'il ne tombait pas durant le voyage.

« M'aiderez-vous à mettre pied dans notre embarcation, mon cher Samurai ? »

La question le ramena à la réalité et le garçon s'enquit de cette tâche avec application. Ceci après avoir grimpé dans la barque d'abord. Heureusement que sa main avait lâché celle de Pretty, sans quoi il aurait risqué de faire chuter son ami. La barque n'était pas des plus stables, et Samurai manqua de partir en arrière dès les premières secondes. Oh, il espérait ne pas se sentir mal à cause du courant. Cela aurait été peu agréable pour leur maigre équipage.

Une fois son équilibre retrouvé, Samurai se retourna, paumes tendues vers Pretty. S'il en avait possédé la force nécessaire, nul doute qu'il l'aurait soulevé dans ses bras pour lui éviter un effort inutile. Malheureusement, l'Injuste n'était pas capable d'une telle prouesse.

« Ce modeste navire est le vôtre, vous en êtes l'unique commandante. J'espère que la traversée vous sera agréable. » Sa dernière phrase lui demanda un certain effort d'Anglais qui lui fit répéter quelques mots à deux reprises. Après tout ce temps, avoir encore du mal était un peu pénible.

« J'avoue ne guère connaître l'art de la navigation, par conséquent je suis à tes ordres, comme toujours. » Incapable de décider entre un ton formel ou un plus personnel, Samurai ne réalisa même pas son erreur. Il y avait quelque chose de rassurant à jouer avec la Fausseté ainsi. A se prendre pour les sauveurs de l'Arbre alors que la mission risquait bien d'échouer. Enfin, le plus important restait de réussir à ne pas passer par dessus le bord trop rapidement.

Quelles prouesses auraient-ils à raconter à leur retour ? Rapporter de l'eau était une tâche que peu considéraient importante, jusqu'à ce que la situation ne soit devenue critique. Alors, en soutenant Pretty, pourrait-il obtenir un peu de gloire et racheter son honneur ? Autant ne pas trop s'attarder sur la question, sans quoi son esprit suivrait le courant, se perdant de plus en plus jusqu'à être dans un monde n'existant que pour sa propre personne.

L'embarcation était peu confortable pour le garçon qui préférait la terre à cette masse sombre dont on ne voyait le fond. Son regard s'attarda sur la berge un moment, se trouvant à espérer que l'on vienne les arrêter pour qu'il puisse sentir le poids familier sous son corps. Ce qui aurait été cruel pour Pretty. Son ami avait visiblement mis toute son énergie dans la réalisation de son plan. Et l'avenir des enfants perdus reposait sur leurs épaules à présent. Et également sur la météo. Si la barque se retournait, Samurai ne donnait pas cher de leur peau. Surtout avec ce qui se tramait sous la surface.

Oh, la pensée d'une sirène venant le tirer par le fond déclencha sur son visage un air effaré qui ne dura heureusement pas. Pretty était la pour le ramener sur le droit chemin après tout.

« Il va donc n-… Vous falloir ramer, mon cher Samurai. Jusqu’à la Montagne Enneigée. Vous en sentez-vous capable ?  »

Bien sûr, l'Injuste était en mesure de suivre les ordres de la princesse. Il s'en persuada immédiatement, guidé par le ton décidé de son ami. En pratique, néanmoins, l'adolescent ignorait totalement si son dos pourrait supporter la cadence bien longtemps. Avec précaution, il attrapa les rames, effectuant des gestes un peu trop lents sans encore toucher l'eau. Un petit entraînement pour ne pas se faire mal ensuite.

« Pour vous, je pourrais combattre une armée. »

L'effort demandé, la façon dont ses muscles étaient sollicités rendait l'action complexe. Le garçon se garda bien de le formuler à voix-haute, s'habituant à la sensation de tiraillement au niveau de ses épaules. Oh, il lui faudrait certainement un jour de repos ou deux pour s'en remettre. Le plus important était de ne pas être inutile.

« En avant ! »

L'embarcation avança finalement, quoi que sans doute pas suffisamment vite pour qu'ils atteignent leur destination dans les temps. Un détail que le garçon s'autorisa à ignorer. La présence de Pretty lui faisait toujours du bien, surtout la nuit, lorsqu'il sentait son poids contre lui. C'était réconfortant.

« Je suis content que l'on puisse passer du temps ensemble. Je vais faire de mon mieux pour me montrer à la hauteur. »

Certes, la blessure morale de son altercation avec Freckles restait un peu trop présente. Mais il lui faudrait bien faire avec.

A eux deux, il y avait tant de possibilités de vivre la plus merveilleuse des aventures. Au moins, auprès du cadet, l'Injuste ne craignait aucun châtiment. Leur imagination, le jeu où ils se donnaient la réplique, tout cela lui faisait toujours du bien. Balayant sa mauvaise humeur du revers de la main, qu'importe si quelques résidus restaient incrustés à son cœur. Les livreurs représentaient une famille, un groupe soudé, et il ne souhaitait plus se dire qu'il avait tout gâché. Si ça avait été véritablement le cas, Freckles n'aurait pas été clément. Bien que Samurai n'appréciait pas outre mesure de réfléchir à ses actions, maintenant qu'il était occupé à ramer, son esprit parvenait un peu mieux à rationaliser la situation. Sur le long terme, ça ne fonctionnerait pas, mais c'était déjà une consolation pour le voyage à venir.

« Et même que tu vas plus haut et plus loin que toutes les étoiles ! »

La Fausseté, qu'importe qu'il ne s'agisse que d'un spectacle permanent entre eux, possédait un don pour s'exprimer. Le jeune japonais était toujours impressionné, surtout lorsqu'un compliment lui était offert. Par ces temps difficiles, pourquoi s'en plaindre ? Et puis les étoiles, le ciel… Rien ne plaisait plus à l'adolescent que ce qui se situait au-dessus d'eux.

Son amour pour les nuages et les astres était bien connu, surtout avant de s'endormir contre son ami, alors que son regard cherchait les cieux une dernière fois. Ses yeux se mirent à briller à la remarque, tandis que ses mains tentèrent de tirer un peu plus fort sur les rames. Le convaincre restait d'une facilité déconcertante, avec les paroles adéquates.

« J'aimerais te rapporter une étoile, si un jour je vais dans le ciel. » Ses connaissances scientifiques étaient certainement un gouffre, ce qui n'enlevait rien à la sincérité de ses mots.

La présence de Pretty, plus proche qu'auparavant, fut accueillie par un hochement de tête. Ainsi, la princesse souhaitait inspecter son travail acharné ? Ou bien s'était-elle rapprochée pour une raison tout à fait différente ?

« Je suis tout à fait ravie que l’on puisse passer du temps ensemble. » Contrairement à ce qu'on aurait pu croire, Samurai prêta attention à la maladresse précédente. Il s'appliqua cependant à l'ignorer à l'aide d'un hochement de tête assez doux, pour ne pas brusquer son dos. Même si l'eau n'était pas sa tasse de thé, le garçon n'avait pas à trop bouger, ce qui lui autorisa une meilleure concentration envers son corps.

« M’apprendrez-vous à ramer ? »

Un être d'un tel rang, manipulant des objets aussi lourds ? L'invitation à peine dissimulée laissa l'aîné silencieux un moment et ses mains finirent par maintenir les rames en position de repos. En un sens, Samurai se doutait bien que son ami s'était souvenu de son léger souci de santé. Le clin d’œil en était la preuve. Un peu gêné, l'Injuste lui tendit les bouts de bois, refusant le moindre contact visuel.

« Je vous fais confiance avec cette tâche. » Sans crier gare, il se redressa, manquant de perdre l'équilibre. L'eau n'était décidément pas son point fort. « Ah non pas de bain ! » S'écria t-il en parvenant à maintenir ses pieds dans l'embarcation. Fier de sa prouesse, et sans réaliser qu'un peu d'eau avait certainement aspergé Pretty, l'adolescent leva les yeux vers le ciel.

« Je ne suis pas très doué avec tout ce qui concerne… Les voyages en bâteau. » Avoua t-il, se demandant si le climat d'intimité du voyage méritait que l'on y révèle d'autres détails. « Freckles et moi nous nous sommes disputés. Ce n'est pas de ma faute. » Samurai n'avait pas prévu d'être franc, et encore moins d'avoir un ton sévère, loin du fan boy au cœur brisé par son idole qu'il était généralement. C'est que ce n'était pas juste, cette histoire.

« Avec vous, ça n'est jamais arrivé. »

Nul doute qu'il n'était pas si proche de Pretty, pas assez pour connaître ses secrets.

Ne jamais se lier outre mesure, toujours garder cette distance envers la réalité, ça devait le protéger. L'empêcher de se faire happer par des vérités que l'adolescent avait du mal à comprendre. Pour le coup, le gouffre qui le séparait de son chef, et que ce dernier oublierait sans doute avant lui, lui paraissait insurmontable. Cesserait t-il d'avoir le cœur qui battait si rapidement en sa présence, de souhaiter redevenir son meilleur livreur alors qu'il ne l'avait jamais été ? Pourtant, il était l'un des plus anciens, ça aurait dû être suffisant en gage de valeur. Et plus Samurai repoussait ces pensées, plus elles paraissaient revenir à la charge, similaire à des vagues.

Rien de tout cela ne concernait la princesse pourtant. Pretty, même la nuit, lovés l'un contre l'autre, brillait telle une étoile. Ils le faisaient tous. Chaque livreur, à sa façon, étincelait. Les autres ne le remarqueraient peut-être jamais. Ce qui n'était pas grave, parce que l'Injuste se souviendrait toujours de ça, qu'ils formaient une constellation tous ensemble. Quelque chose de chaud et réconfortant, le guidant toujours chez lui. Le souci, c'est qu'à force de lever la tête pour les regarder, Samurai n'était plus convaincu d'avoir sa place à leur côté.

S'accroupir sur le bois qui tanguait ne lui faisait guère envie, alors l'adolescent resta debout, un brin en équilibre. Autant ne pas chuter et finir perdu dans les eaux sombres pour l'éternité. Cela aurait une bien pathétique fin pour n'importe qui.

« Nous, nous sommes princesse et chevalier. Les princesses et les chevaliers ne se disputent pas. »

La réponse le laissa silencieux un moment, le temps de l'assimiler. Dans le fond, Samurai doutait d'avoir envie de construire quoi que ce soit d'autre. Ensemble, leur jeu permanent continuait sans jamais s'interrompre, les entraînant dans un univers bien plus fascinant que la dure réalité qui les entourait. A quoi bon en sortir et admettre ses fautes ? Pour le prouver, l'Injuste croisa ses mains derrière son dos. Si les mots ne s'échappaient pas aussi stupidement de ses lèvres, tout serait bien plus simple.

« Que s’est-il passé, si cela n’est pas indiscret ? »

Le sourire l'encouragea à se confier, à ne pas conserver ce poids sur sa poitrine. L'avantage d'avouer un tel secret au second livreur était que Pretty n'irait pas lui causer de tracas. Ils reviendraient bien vite à leur pièce de théâtre sans fin, au lieu de s'acharner sur de maigres détails.

« J'ai été forcé de lui dire que je ne pouvais pas nager. » Le reste, l'épée qui s'était révélée dénuée d'utilité, son incapacité de réagir en face d'un véritable danger, l'aîné décida de l'omettre. A quoi bon trop s'ouvrir, si c'était pour qu'on le pense faible.

A aucun moment Samurai ne chercha à se souvenir s'il avait également partagé cette information avec Pretty par le passé. Plus personne ne lui accordait la moindre confiance, dans le pire des cas.

Qu'importe. L'Injuste se battrait quand même.

« J'aurais préféré que tout reste pour moi. Ce n'est pas grave, je peux continuer à vivre avec. » Son ton ne monta guère, empli de défaite. Doucement, le garçon opta finalement pour revenir dans sa position initiale, assis en face de la Fausseté. Ses doigts glissèrent dans sa chevelure, imitant le geste de son vis-à-vis sans y prêter attention.

« Je ne veux décevoir personne. Ni lui, ni toi. » La politesse s'est envolée, juste pour quelques minutes.
Honnêtement, Samurai espère de tout son cœur que Pretty balayera ses paroles du revers de la main pour se focaliser sur leur aventure.