Croque la pomme

with Croque-Monsieur

Elle ne veut plus de lui mais se bat quand même avec un acharnement qui lui arrache des cris étranglés. Eructations sauvages d’animal en détresse, Saline glapit, se tord, se cambre, repousse, mord et griffe encore. Jamais assez pour le tuer. Jamais assez pour monter d’un cran la violence de leur bataille. Car il ne cherche pas à la dépecer malgré ce que ses lèvres bavent. Ses sentiments vacillent entre le meurtre et la possession la plus primitive, à un point où elle sait que ses crocs ne seraient pas suffisants pour la marquer.

Dans sa propre tête de sirène juvénile, c’est le chaos le plus total. Saline rêve de le dépecer. D’enfoncer sa main entre ses côtes qui se dessinent pour mieux lui étrangler le cœur. Et pourtant son corps se plaque contre le sien à en fusionner. Ses cuisses enlacent ses hanches, son souffle se mêle au sien. Elle le veut. Il est à elle. Il est à son jouet. Pourquoi ne veut-il pas le comprendre ?

C’est bon – c’est trop – ce n’est pas assez – comment cela peut-il être tout à la fois ?

« Meurs donc, insalubre. » Chuchote sa voix presque en chantant, enchantée. Et dans un rayon de pleine lune le découvre sirène instable, reflet tremblant, miroir piqueté. Les cheveux plus courts, le regard plus rouge, mais frère, dans cette poussée malsaine qui voudrait les mélanger.

Egal, persiste-t-elle à croire, prise par surprise. Egale, et son égale, dans une volonté clairement inégalée.

Oh Lame, gémit-t-elle silencieusement, je n’ai jamais voulu autant dévorer quelqu’un que lui. Et pourtant il faudrait que ça soit lent, que ça soit doux. Qu’il ne m’oblige pas à en finir.

Mais il l’oblige à en finir, justement. D’une faiblesse, à la pointe de ce couteau dont il la menace. Elle louche sur la lame (Lame, Lame, douce et vertueuse Lame, parfaite Lame qui n’aurait jamais cédé, jamais offensé le père Océan de ces volontés abjectes, que se passe-t-il – hé ?) puis sur le visage du penseur.

Il souffre, l’ensanglanté. Comme elle transpire de chacune de ses morsures.

Maintenant elle le renverse. Maintenant sa main se lève pour le coup fatal.

Et ce qu’il voit avant les pas, avant la peur, avant le plongeon, ce sont deux yeux verts d'eau hésitants, troublés, affamés, apeurés.

Mais les enfants arrivent – fichue bande de perdus. Elle hume l’odeur des victimes – mais non, les proies forme une bande trop nombreuse.

Vivement, Transistor s’est dégagé. Et dans une dernière poussée lui échappe, plonge dans l’onde au sein de son Père. Lui file entre les nageoires et commet la bêtise d’y survivre.

« ... Traitre » chuchote Saline, relevée sur ses jambes. La peau rouge, les cheveux tirés, le visage perplexe elle écoute le ressac des vagues qui se fracassent contre la falaise et ses pierres escarpées. Il n’y a pas d’autres sons que les voix qui se mêlent et son propre souffle trop rapide.

Elle doit partir.

Déjà les lapins ont fui dans la forêt.

Alors elle rabat son masque sur son visage. Laisse la course reprendre sa prise sur son corps dénudé. A mal de chaque mouvement qu’elle s’oblige à faire pour échapper à cette falaise plus qu’à ses poursuivants.

Et dans ventre palpite le soupir d’un désir nouveau-né, sombre marmot de viscères et de pulsions qui geint un mot, un nom.

Transistor.

Rythme sa course. Rythme son cœur.

Transistor.

Carne.
Carnage à venir. Carnage à fuir.

Ogive en son corps.

Ce n’est qu’une première fin.

Transistor.

Ce n’est qu’une autre Faim.