Croque la pomme

with Croque-Monsieur

Courir la rend presque inhumaine. Elle fonce, saute et bondit comme un faon, gracieuse, s’échappe de quelques foulées, en mythologie maintes et maintes fois répétées. Elle rit du satyre qui lui colle au train, l’effleure de son haleine, et le dépasse encore. Les lapins n’ont pas le temps de les rattraper. Et elle grimpe, grimpe sur les hauteurs qui surplombent sa vie, son merveilleux papa. Saline se tourne, le vent fouettant et séchant sa chevelure. Son regard pétille.

« Traaan-siiii-stoooor… » Un appel d’enfant, d’une voix trop aigue. Et cela cascade de pierres en pierres jusqu’aux contrebats. Cela se même au ressac et la nuit répète en écho (transiiistoooor – transiiiistooor) infiniment.

Et il est là, son tout nu, son humain. Il est là, avec l’agacement au bord des lèvres, son sang qui coule et ses oreilles presque semblables maintenant qu’elle les a ratiboisé. Son regard vert-d’eau détaille la silhouette musculeuse, sèche, rapiécée. Et accroche le couteau qu’il tient à sa main.

Aussitôt, elle fronce les sourcils.

Et commence à tourner autour de lui, tapotant son ventre du bout des doigts, un peu danseuse.

« Non non non » Moue boudeuse. « Tu lâches ça, c’est pas très bien. T’as pas assez de tes canines pour me ronger ? »

Petit rire. Finit par basculer sur ses mains, fait la roue, la saltimbanque, gardant toujours un regard alerte sur son ennemi-presque-ami. Son chasseur. Son semblable.

Croque la pomme

with Croque-Monsieur

Elle tombe encore – houf – et ce n’est pas un plongeon comme dans l’océan, c’est un fratras de aïe et de ouille parce qu’elle chute sur son épaule malmenée et se fait mal à la hanche sur une pierre un peu trop pointue. Etrange soudain de constater à quel point son corps proteste de cette mésaventure quand il gardait sagement le silence sous les crocs de son Appétit.

Appétit, Transistor, Pêcheur, tant de noms qui sonnent si bien sous sa langue vermeille. Elle accepte de s’allonger dans la poussière, même s’il s’assoie sur elle et – oh, l’air semble si petit à avaler cette fois.

Saline pose ses mains sur ses hanches de pirate, essaye de le faire reculer au moins sur sa taille, échoue, constate la folie de son regard et siffle entre ses dents.

« Vilain vilain vilain Maidinetaillouane ! »

Puis ravie de cette trouvaille, de ce mot dont elle a finalement trouvé une utilisation toute particulière, elle le répète encore à mi voix, cognant des poings sur ce torse sec, ses jambes battant dans le vide. Ses talons écorchent la poussière et y dessinent des rigoles. Mais elle ne se donne pas la force de le repousser. Ca l’amuse au fond, d’être dessous celui qui se croit toujours au-dessus. Quand il ne voit pas le lien d’argent que ses yeux vert-d’eau accrochent à son cou.

Joli humain, intéressant chasseur. Cours cours donc après moi. Ne me perds pas de vue.

Quelle chance a-t-elle d’avoir attrapé dans ses écailles une proie si spéciale. Nul doute que ses sœurs en seront très jalouses – et colériques aussi, de voir les marques laissées sur le corps de leur petite dernière mais Saline rira, comme elle rit encore maintenant. Elle leur dira que ce n’est pas grave, que c’est comme tendre la main aux méchants dinosaures, qu’il faut parfois prendre le risque de se faire mordre pour attraper une bête sauvage.

Après. Après elle leur parlera du goût de son cœur. Car il faudra bien le tuer, cet intriguant.

Mais l’idée ne lui plait pas tant que ça. Elle veut prendre son temps, la Saline. L’assaisonner, le tourmenter. Car si la manger trop vite est une perte pour ce pêcheur, que serait son absence à lui aux yeux de la livide ?

Un petit trou dans l’Île comme un papier déchiré. Un truc un peu nul.

« Maiiidiiiinetaaaillouane » chantonne-t-elle sans pouvoir le faire, car la Lune musèle sa Voix. Elle le cherche, l’animal et il sort le croc d’argent de sa bouche, le tient levé haut, prêt à frapper la main qu’il a attrapé et souhaite poignarder au sol. Au sol ?

A la terre ?

Une vague d’inquiétude déferle sur la sirène. Le sifflement de la lame (LAAAME) suffit à lui faire fermer les yeux.

Mais il y a rien que ce « TCHAK » au dessus de ses doigts.
Quand elle relève la tête, elle constate que le couteau a daigné l’épargner.

Et sourit d’autant plus.

« T’as raté. » De sa petite voix de crécelle se moque. « Mon transistor sait pas viser. Tu vois que t’as pas besoin de lui. T’es moins nul avec ta bouche.
- Bordel de...
- Hihihi ! »

Sa pince au menton la fait rire d’autant plus fort, et chaque ricanement monte la voix de son agresseur.

« Qu’est-ce que tu es.... QU'EST-CE QUE TU ES ??!!!!¡HIJA DE PUTA!
- Hija de puta ? »

Disparue la taquine. Ne reste que le monstre, aux aguets. La créature au visage neutre, attentif, aux yeux luisants de curiosité. Sa voix même est soudain un peu plus grave. Et son corps s’immobilise sous cette étreinte de boa constrictor. Elle relève un peu la tête.

« Hija de puta, ça veut dire que je suis parfaite ? » chuchote-t-elle difficilement. « Dis le moi, Transistor… Montre-moi… »

Ce sont ses mains qui montent vers sa crinière. C’est le même geste que pour son baiser, leur baiser, mais Saline attire cette bouche ailleurs qu’à ses propres lèvres – pas cette fois.

Elle l’amène aux bagouts rebondis qu’il a guetté, et guette encore. Qu’il empoigne entre ses canines, et mord. Son visage, pleure-t-elle en silence. Son beau visage part en lambeau sous les éructations gloutonnes du pirate.

Quand il la mâchonne trop fort, elle lui cogne sur la tête. Doucement.

Mais c’est bon aussi, de sentir sa salive se mêler à son sang, d’être dévorée parce qu’il la trouve belle.

Unique. C’est le courant d’eau chaude dans le fil de ses pensées que l’empathie lui ramène, en ressac à son rivage mental. Unique. Elle est unique. Et lui pour elle l’est encore plus.

« La la la… » Susurre-t-elle.

C’est alors qu’elle le renverse. Sans plus fuir. Revenant épouser son corps. Poitrine contre torse. Bassin contre bassin. Cuisses contre cuisses. Et ses jambes se relèvent, se balancent. En haut, en bas, en haut en bas, au rythme d’une respiration anarchique qu’elle peine à retrouver. Elle laisse sa joue à sa bouche, relève finalement son visage et lui laisse mordre l’autre. Avant de reculer encore un peu. Et sourire. Sourire par trois fois à ses marques de dents.

« A – mon – tour… »

Et Saline se penche. Lorgne son nez, lorgne ses lèvres, lorgne son cou. Laisse ses doigts former deux jambes, remonter le long de son torse. Jusqu’à son visage. Jusqu’à son oreille.

Le tuer. Oh non finalement, pas bonne idée, vraiment trop nul.
Mais le manger par petits bouts, oh oui oh oui oh oui…

« Par quoi je vais commencer… ? »

Croque la pomme

with Croque-Monsieur

Oh c’est drôle hihihi quand il soupire et se cabre un peu sous elle. Saline sent le truc lui coller à la peau, tout chaud et humide, et gigote un peu, le sourire aux lèvres, s’amusant du gémissement qu’elle parvient à lui arracher bon gré mal gré. Il est un peu comme tous les autres alors, même si cette réaction là n'est pas seulement née de la joliesse de son corps, de ces deux seins qui tremblotent sous sa respiration et la rougeur douce de ses lèvres fines. Non, cette faim terrible lui pousse le sang tout en bas, et en haut aussi, à ses joues osseuses mais enflammées. Cette faim lui donne envie de la posséder toute entière – mais se laisserait-elle faire ?

Elle ne sait pas, Saline. Elle ne connait pas tant que ça finalement. C’est quand même aussi drôle que de voir ses lapins copuler. Aussi drôle que d’entendre les histoires de marins crûment avalés dans l’étreinte charnelle de ses sœurs – et comme elle les comprends, ces pauvres bouts de viande qui ont eu la joie, pendant une heure, pendant un temps, de se mourir en elles avant de mourir par elles.

Lame a-t-elle cédé à l’un de ses peintres, à l’un de ses flatteurs ? Lame a-t-elle permis à l’un d’entre eux de poser sa bouche contre la sienne ?

La petite sirène n’en est pas sûre, mais voudrait bien avoir quelque chose à raconter.
Et, plus secret. Quelque chose d’autre à vivre.

« Transistor, je vais commencer par tes seins à toi. Ils sont tout plats, ils sont pas pleins de gras, et de ganglions, hihihi ganglions je vais le garder aussi. Joli mot, joli mot… » Elle se penche. Et picore le téton aussi rose que le sien. Le grignote. L’écorche. Le mord.

Il s’engouffre dans sa bouffe, et c'est plus intime que n’importe quel acte en ce monde. Elle a les crocs pointus, la femelle, les yeux fendus qui se ferment sous la viande qu’elle se met à mâchonner, déguster. Avant de lécher la peau toute abimée, et le sang qui y coule comme du bon vin. Que c’est salé, que c’est ferme et fondant à la fois.

Et elle croque, elle croque le monsieur à son pectoral qu’elle délaisse, pour descendre plus bas, humer chaque sillon qui se profile entre ses côtes. Non. Pas assez de chair là dedans. Elle dévie encore.

« Oh mon transistor…
- Je m'appelle Carne »

Saline relève la tête.

« Carne ? »

Contre son ventre ça pulse et chauffe et tremble. En elle aussi.

« Joli mot rien que pour moi ? Carne ? Carne… » Elle le mordille à son tour ce mot-prénom, cette nomination. De sa langue en fait le tour, de sa gorge le ronronne. « Caaaarne… »

Et l’accepte. Fondant sur le gras de son bras à en arracher un morceau. Le lambeau de peau vite lapé. Vite avalé. Et ses mains griffent les flancs, ouvrent de nouvelle plaie, en déverse la liqueur dont elle vient s’abreuver. Le corps qui tressaille – ou mieux qui se frotte. Sur son corps à lui. Sur sa turgescence à lui. Et en elle comme un vide, une bouche qui s’ouvre et gueule le nouveau mot à son tour.

Carne. Carne. Carne.
Mange moi mange moi mange moi.

Mais un craquement de branches à leur droite fige bien vite leur étreinte à peine nouée.

Croque la pomme

with Croque-Monsieur

Saline se redresse, la bête redevenue froidement elle-même. Cesse de jouer avec sa nourriture même si ses hanches bougent à peine, dansent sur lui. Le long de son corps échauffé et de ce truc qui la colle, oh la colle à lui arracher des soupirs affamés.

Ses yeux fendus se voilent, redeviennent humains. Sa truffe hume l'air à la recherche d'une fragrance expliquant le son, qui se répète, près, tout près hihihi. Elle rentre les dents, sagement, clap, ferme la bouche et essuie du dos de sa main le sang qui s'y écoule encore.

« Hé ? » murmure la jolie. Les mains posées sur le torse ensanglanté de Carne. Elle bascule soudain sur le côté avec une dernière lampée de sang. Saute sur ses deux jambes et se dirige vers la chose qui se cache - se cache-t-elle ? Peut-être, peut-être pas, mais la curieuse trépigne de découvrir le trésor dissimulé derrière les arbres.

« Hé hé hé ? » Bruit de lèvres, comme un baiser, le son qu'un humain ferait pour appâter un chat trop prudent. « Qui es-tu hihihi viens ici... Oh. »

La lune passe dans les grands yeux effrayés de Pee. Ce que l'enfant voit arriver sur elle, c'est une jeune fille, le visage mordu, l'épaule déchirée et toute nue. Toute. Nue. Et couverte de sang.

Elle en bégaye de silence. Oublie de remonter son pantalon qui lui tombe sur les cuisses. Et Saline fronce les sourcils car ça sent la pisse sèche comme la fraiche. La sueur aussi. Beurk.

La peur. Zut.

Aussitôt la sirène se penche, s'accroupit, sourire amical aux lèvres et main tendue, la voix calme alors qu'elle la sent reculer mentalement, prête à s'enfuir.

« Oh mais t'es une petite fille. Une petite perdue ! Coucou, coucou, n'aie pas peur. Je suis gentille. Tu veux voir mon masque de lapin ? »

Les paroles noient l'enfant, qui jette un regard par-dessus l'épaule de Saline. Qui sait exactement ce qu'elle est entrain d'observer prudement. La présence de son comparse lui arrache un frisson excité. Accroupie, elle sautille un peu comme une grenouille agile. Rit un peu plus.

« Tu as vu tu as vu, on est tout plein de sang oh la la et toi t'es venue faire pipi tu pensais pas tomber sur nous. On s'est battu avec un monstre. Mais il est parti, ou il est mort, en tout cas il ne nous dérangera plus. Que tu es joliiie. »

Mensonge. Elle a des cheveux bruns qui sont ternes, même dans la nuit. Cependant elle est tendre, et boulotte, et toute prête à être cueillie sur son arbre d'enfance.

Miam.

Son sourire dévoile ses canines. Sa voix enjôleuse se fait encore plus douce, toute caressante. Son empathie lui envoie l'image de ses émotions hérissées de crainte. Mais la petite n'est pas le Looser que son Transistor lui a fait échapper. Non non non.

Celle ci, elle va la ferrer. Et avec l'aide de son ami requin. Butin partagé pour chasse fusionnée.

Saline se relève. Se tourne à demi vers Carne. Elle n'a pas besoin de parler pour qu'il comprenne l'air qu'arbore sa délicieuse frimousse.

Il est temps que les deux monstres jouent à papa et maman.

Croque la pomme

with Croque-Monsieur

Il est beau, son homme. Il est beau et foudroyant comme une créature inhumaine, portant la peau de sa dernière victime. Excité par elle, pour elle, et le souffle court, comme celui d'un taureau, d'un monstre ancien. Il n'a plus rien d'un pirate, mise à part cette odeur de sel qui pourrait bien être son empreinte, à la salée. Et la sirène a un petit rire hystérique de le voir s'approcher, tout tendu partout, les muscles tressaillants.

« Ma belle bête mon transistor, oh ogive... » chuchote-t-elle, échauffée. Oubliant un instant la fillette qui hoquette de terreur de voir le comparse arriver sur elle, la main tendue mais pourtant inamical. Dans ses yeux, Pee ne voit que les pupilles dilatées et la bave qui lui coule aux commissures des lèvres. Si la jeune fille fait petite, ils n'en paraissent pas moins adultes.

Deux adultes qui exhalent la violence et le danger.

Pee a de la chance de s'être vidée - deux fois. Elle se serait encore pissée dessus sinon.

La mioche gémit un non inarticulé quand Saline l'invite encore à s'approcher.

« Mais n'aie pas peur allons, tu écoutes ce que je te dis ? Nous nous sommes les gentils ! » Mais la Sirène a du mal à reprendre son masque. Pour cause, son empathie s'émoustille des rafales qui lui proviennent de son transistor, grillent ses pensées, son théâtre comme des ondes radio parasite.

Saline bondit de nouveau sur ses pieds. S'approche de Carne, glisse sur son flanc, passant une main sur son torse abimé. L'obligeant à se pencher d'une main sur la nuque pour lécher sa joue, langoureusement. Il est bon. Il est même meilleur que l'enfant à venir.

Ca la fait sourire, ronronner.

« Tu vois comme il est mignon ? Il ne ferait pas de mal à une mouche, dis nous ton nom ? Tu t'es égarée ? Tu veux que j'appelle Peter Pan ? Tu sais je le connais très bien, c'est un ami. Il vient voir les sirènes avec les nouvelles Mères, souvent et nous adorons chanter - »

La calvacade l'interrompt. Profitant de ces attentions détournées, Pee a mesuré sa chance, comme Looser. Et a préféré ne plus perdre de temps en dénégation. Pour juste s'enfuir.

Elle court, la petiote. Mais son pantalon est sur ses genoux et les racines sont trop nombreuses. La gosse trébuche sur l'une d'elle, le pied enfoncé dans un noeud qui la retient. Crak, que ça fait à sa cheville.

Et elle hurle dans la nuit. Hurle comme un lapereau emporté par la buse.

Saline tressaille. Tape du pied au sol.

« Oh la bête la bête l'idiote la vilaine la moche. »

Sa main relâche la nuque de Carne qu'elle maintenait comme une pince. Et sa voix goulue ordonne, fermement.

« Va me la chercher. »

Croque la pomme

with Croque-Monsieur

Saline  trépigne comme une enfant arrachant les ailes d'une mouche. Bien qu'inhumaine, elle a aimé ce baiser mordeur et possessif que Carne lui a offert avant de lui obéir. Sa soumission, mêlée à cette possession affamée qui titille l'Autre Faim en lui, tout cela l'émoustille, lui dresse les seins, lui chauffe le ventre et la fait répondre avec sa langue. Pourtant les baisers ne veulent rien dire, et les sentiments non plus, de simples cadeaux qu'elle distribue à ses proies.

Alors pourquoi ses lèvres la brûlent ? Serait-ce de fierté ?

Plus penser, non non non. Plus réfléchir, juste vivre l'instant.
Le reste, doit laisser tomber. Pas utile. Pas probant.

Son joli transistor en chasse... son joli humain.

Quand elle le voit revenir avec la mioche qui geigne et supplie pour la vie sauve, elle ne peut s'empêcher de rire en battant des mains. De 17 ans, elle en a soudain 7, papa vient de ramener le jouet favori de sa princesse préférée et elle va pouvoir s'amuser et s'amuser encore, jusqu'au bout de la nuit.

Et quand elle aura fini de l'éplucher, son doudou, alors il sera temps de le dévorer, avant d'en changer. Tant d'autres chasses qui se profilent dans les yeux vides de son transistor. Saline soupèse cette laisse, observe son oeuvre et lui offre son sourire le plus vrai.

Pleins de dents pointues comme des aiguilles.

« Tu es un brave transistor... un brave et gentil ogive... »

Sa main se tend. Effleure son truc - aime-t-il ça ? aime-t-elle ça ?

Peu importe. Lui y réagit et cette flatterie malhonnête mais pure, elle veut bien la lui concéder. Le tenter encore. Rester la seule chose importante dans sa tête. Dans son coeur. Hiro de puta. Parfaite. Unique.

Toujours.

Irremplaçable.

C'est tellement mieux de l'envahir ainsi que de le digérer. Même si bon. Il est aussi très agréable en bouche, il ne faut pas se leurrer. Peut-être le meilleur plat du monde, correctement préparé.

Saline commence à apprendre les préceptes des préliminaires. Des recettes à suivre pour mieux manger. Ca lui plait, oui oui oui !

La petite pleure - mais qu'est ce qu'elle s'en fiche. Elle baragouine des mots dans sa morve et crie un peu à chaque fois que sa cheville heurte accidentellement le corps de son porteur.

Saline la renifle encore. Se demande si elle doit la noyer, pour la laver, épurer ces parfums âcre qui pourrait gâter la viande. Et décide de s'en foutre, pinçant le gras du bras pour apprécier la tendresse de la viande. Oh oui. Elle n'est pas trop bouboule celle-ci. Y'a du muscle - peut-être une grimpeuse, ou bien une éclaireuse. Elle est arrivée si loin de l'Arbre pour finir par mourir. Comme emportée par l'Île elle-même en guise de plat de résistance. Même si elle n'en fera plus jamais, Pee.

Sous ses yeux effrayés, la sirène relève la tête. Et scelle son destin.

« On va jouer à un jeu. Tu vas la poser au sol. Et tu vas prendre son bras. Moi j'aurais l'autre hihihi. Le premier à le lui arracher.... gagne ! »

Gagne quoi ? A voir, à choisir. Mot joli. Baiser volé. Friction intense. Course éperdue.
Jeu éternel.

Croque la pomme

with Croque-Monsieur

Saline rit de la voir tomber, rit de l’entendre crier, cette sale mioche, cette détestable gamine sans aucuns attraits. Elle exhale la peur comme une mauvaise haleine, mais qu’importe au fond, qu’importe que la viande se salisse puisqu’il y a Carne, son Transistor à la crinière si pâle, son compagnon – de jeu – qui lui obéit, se penche, attrape le bras et tire. Aussitôt la sirène empoigne l’autre, s’arqueboute pour tirer tirer encore. Tirer sans grognement d’effort alors que cette chair ferme se distend, se tord, craque de l’os qu’elle déboite et du muscle qui s’étire. Les tendons sont solides mais si Saline a perdu de sa force en faveur de la nuit, il n’en demeure pas moins que sa haine, son envie de manger – MANGER – la shoote d’adrénaline à en soulever un tronc d’arbre. Alors arracher un bras à une gamine n’est pas si difficile.

Sauf si.

Sauf si le jeu s’arrête. Sauf si Transistor abandonne la partie, la lâche. La fait tomber sur elle. Par terre. Bêtement. Et Saline de se retrouver avec cette morveuse qui lui pleure sur les cuisses, qui essaye de ramper, de fuir, la cheville pétée comme ses deux bras. Et la nuque soudain qui craque, sous la torsion des mains assassines de son pirate bien-aimé.

Brutal.

Saline regarde le cou tordu dans une position plus qu’étrange, les grands yeux vides. Et maintenant Pee pue la mort, oh oui.

La mort à plein nez.

Tandis que les yeux bleu-vert de la sirène s’emplissent d’incrédulité.

Si brutal.

« … Pourquoi t’as fait ça ?
- Bouffe. On a assez joué.
- Tu te fiches de moi ? »

Mais non, il se penche, il s’accroupit pour la mordre comme un vulgaire charognard. S’emplit la bouche d’une morsure au goût de macchabée. Un sang chaud, certes, mais figé. La pompe ne fonctionne plus. Et Saline grimace de dégoût.

« Je vais pas la bouffer ! »

Repousse le pantin désarticulé qui était une fois une petite fille. Se frappe les cuisses pour en faire partir le poids de ce corps, la trace laissée par ses cheveux humides de sueur, l’odeur.

Elle voudrait le frapper. Elle voudrait tempêter et crier. Elle se contente de le regarder avec horreur, oui, horreur.

« Le jeu ne se termine que quand je l’ai décidé ! » Et plus aigu cette fois. « T’avais pas le droit de faire ça ! Je m'amusais ! On s’amusait ! »

La sirène recule. Dépitée.

« Garde-la pour toi tout seul. Je vais me trouver quelque chose de mieux à me mettre sous la dent. … Vilain Maindinetaillouane. »

Croque la pomme

with Croque-Monsieur

Il rugit, elle tressaille. Il bondit, elle recule.

Saline ne s'attendait pas à cette attaque. Habituée à contrôler ses scènes, ses jeux, elle était à milles vagues de penser que Carne oserait répliquer. Oserait montrer les dents contre elle, pas seulement pour la marquer mais pour la briser, la réduire à ses pieds. Comme si c'était elle, soudain, l'animal à éduquer, et non pas lui, avec ses dents pointues, son regard rouge tout fou, sa crinière asséchée et son corps d'homme.

Elle couine, la sirène, de surprise, de douleur. Mais pas de crainte - non non non. Pourquoi les craindre, ces bipèdes ? La sâlée est au sommet du règne animal, seule l'inconscience de ses soeurs leur coûte habituellement la vie. Même les jambes écartées, même souillées, même brisées, elles sont les filles du Père Océan, et le Père Océan recouvre tout, donne vie, la reprend. Les humains ont craché sur leur Père depuis des millénaires et sont devenus faibles, des victimes, des quartiers de viande à dépecer, à savourer, à charmer aussi pour s'amuser.

Des jeux. Et ce jouet ose, oui il ose lever la main sur elle. Ose la gifler. Ose lui dire qu'elle ne décide rien, RIEN RIEN RIEN ?

La tête de Saline a vrillé sur ses épaules, soufflée par la beigne, la joue rougie et ravivant les morsures de Carne. Quand elle le fixe de nouveau, ses pupilles sont fendues, ses dents sont des aiguilles, ses ongles sont des griffes.

« Je suis TOUT » Clame-t-elle sans hurler. Sans plus jouer. Sans ces gamineries inutiles, ses masques. Elle est belle, effroyablement belle et furieuse.

Terriblement furieuse.

Sa propre main vole en réponse. Et déchire en quatre longues estafilades cette peau pale qui lui ressemble. Égratigne une sirène qui effleurait son torse, à l'endroit de son coeur. La blessure est profonde, coupante, tranche ce lien à peine créé - qu'elle croit.

Carne la mort la mord de nouveau. La fait crier de douleur. Elle enfonce ses mains dans son dos et ses griffes se plantent dans sa chair, au plus profondément. Elle grogne, râle, souffre. Et frappe, lève le genou pour heurter son ventre. Accueille son entrejambe, de sa petite taille. Oups.

« Petit monstre, sale égoïste, sale ingrat. Je t'offre ma compagnie et tout ce que tu m'offres c'est une petite fille pisseuse que tu brises en un claquement de doigts ? Tu crois que c'est ce que je veux ? La facilité ? »

Elle crache, la demoiselle. Elle peste sous les rayons lunaires et respire fort, les mains couvertes de sang. En plaquant une sur sa gorge où la morsure palpite sous ses propres battements de coeur. Aie.

Et se sent vivante. Ressent, avec force. Elle la victime d'une empathie qui n'est que l'écho de ses propres sentiments. Et ces derniers lui font peur.

« Saline ne sera plus gentille. Saline ne veut plus de toi. ... Tu ne mérites même pas d'être mangé. .... Et tu ne mérites pas de me manger. »

La pire des condamnations. La pire des injures.
Et pourtant, Carne n'est désormais plus un animal. Ni une proie. Ni un bipède.

Il a toute l'attention de son regard trahi. Il a toute sa conscience d'égale à égal.