Il semblait faire de plus en plus froid chaque jour. Ce n'était guère rassurant pour Heaven, qui se disait que si le Tyran miniature avait décidé que ce serait l'hiver, dans ce cas les Récolteurs auraient des problèmes pour aller chercher de la nourriture. Ce serait aussi le cas avec les Chasseurs car les animaux seraient en train d'hiberner ou d'hiverner, rendant la chasse plus difficile, et les Grimpeurs seraient aussi affectés.
Les Grimpeurs... Sérieusement, pourquoi ce groupe existe-t-il ? Il est rempli de guignols acrobates, leur Cheffe n'est quasiment jamais là, et le groupe est simplement une "branche annexe" des Récolteurs. Après tout, c'est eux qui vont chercher la nourriture en grande majorité, ils peuvent tout aussi bien grimper aux arbres si on leur apprenait, non ?

- Tu imagines s'il y a une pénurie de carottes, Patchouli ?

Demanda soudain la jeune fille à son Lapelote, qu'elle avait emmitouflé avec elle dans ce plaid qui lui couvrait les épaules et le dos. Le voilà qui avait officiellement une autre utilité que celle de bête couverture sur le tas de coussins qui lui servait de lit.
C'était un cadeau d'un Soigneur qui avait mystérieusement disparu il y a maintenant quelques années de cela... Enfin, années, c'est vite dit, c'est juste impossible à calculer sur l'Île. Cela faisait déja longtemps qu'il n'était plus là, ce Soigneur. Approximativement.

Oui, il était bien sympathique, Slumber. Il ne s'embêtait pas trop dans la vie, faisait son travail avec beaucoup d'application, et aimait aider les autres. Et puis, lui non plus ne pouvait pas encadrer les Pirates. C'est qu'ils avaient beaucoup de points communs !
Et puis, du jour au lendemain, plus de Slumber. Il s'était évanoui dans la nature suite à une histoire que la Mésange n'avait pas bien compris. C'est qu'elle n'avait pas pu avoir tant d'informations que cela... Mais une chose est sûre, c'est qu'elle ne l'oublierait pas tant qu'elle aurait cette couverture.

- Tu as vu, on est allées loin ! Hein, Patchy ?

S'était exclamée Heaven, que ses pas avaient conduit près du Lac Scintillant, qui était maintenant recouvert d'une belle couche de glace. Elle n'avait pas l'habitude de se rendre dans les coins de la Brousse aride.
Elle n'aimait pas trop ce lieu, en fait. Mais elle ne savait pas exactement que le Lac s'y trouvait, donc peut être s'y rendrait-elle plus souvent à l'avenir.

Patchouli, qui ne comprenait pas grand chose de ce que disait sa maîtresse à part les ordres simples, en français, qu'elle lui donnait, semblait écouter ce qu'elle disait, sans trop savoir quel était le sujet.
Fatiguée d'être perchée aussi haut depuis si longtemps, le Lapelote se débattit, voulant visiblement être posé à terre pour ee dégourdir les pattes.
Heaven la laissa donc faire le temps de jeter un œil aux environs, admirant ce paysage qu'elle n'avait pas connu jusque là. L'Île est plus vaste que ce qu'elle croyait.

Soudain, un bruit dans les fourrés lui fit tourner la tête, si bien que ses cheveux roses redevenus longs se plaquèrent sur sa figure. D'un geste de la main, elle les renvoya derrière ses épaules, fixant les sans un mot la direction de l'origine du bruit.

S'éloigner du camp à cause du bruit est devenue l'obsession de cette journée. Généralement, sa nouvelle demeure ne lui pose pas un tel souci, mais là il a passé une mauvaise nuit et autant ne pas infliger son humeur massacrante aux autres. Surtout qu'Ibijau ne se fait pas spécialement confiance pour garder son calme pour une fois. La tension qui courre dans ses membres est insupportable. Assez pour qu'il ne s'embête pas à attacher ses cheveux, les autorisant à retomber sur ses épaules. C'est tout aussi pénible ainsi, mais il n'a pas envie de se battre avec un ruban ou un quelconque morceau de tissu jusqu'à obtenir le résultat voulu. Il ne prend pas son bâton pour la même raison, ne souhaitant guère frapper quelque chose sur son chemin. Tant de violence ne lui apporterait que de nouvelles blessures.

Le tissu noir autour de son poignet et de sa main est trop serré, le forçant à s'arrêter avant même de quitter le camp. Une fois que ses doigts peuvent se plier de nouveau, il repart, sans s'embêter à énoncer la raison de son départ. Ce n'est pas comme s'il comptait traîner dehors jusqu'à la nuit tombée. Ce n'est pas son genre, de trop s'enfuir. Il aurait peur qu'on ne l'autorise pas à revenir. S'il revient apaisé, peut-être qu'il autorisera les autres adolescents à lui peindre le visage de nouveau. Quoique ça demande une énorme patience de sa part, chose que le Rescapé a du mal à offrir. Autant ne pas y penser pour l'instant, pas tant que ses jambes peuvent le porter. Plus loin, encore et toujours. Jusqu'à des terres qui ne lui paraissent pas le moins du monde familières. Ah, c'est qu'Ibijau ne sortait pas énormément, tout du moins il restait dans la même zone. Slumber était un gamin ennuyeux, voilà tout. Inutile, pas apprécié. Il lui est simple de se considérer comme oublié au lieu d'affronter ce qui s'est produit.

Le Lac est beau, c'est sa première pensée. La glace qui le recouvre donne envie de s'y élancer, bien que son poignet ne supporterait pas une chute. Les os en reconstruction termineraient broyés à tout jamais ce qui l'encourage à contourner la glace autant que possible. Jusqu'à ce qu'une voix ne vienne interrompre son moment de paix. Ah, pourquoi s'arrêter là ? Ibijau n'a qu'à continuer sans se faire voir. Ainsi, personne ne passera un mauvais moment.

Son but est clair, jusqu'à ce que ses yeux sombres ne captent un tissu familier. C'est étrange, parce qu'il ne parvient pas à se souvenir exactement de son importance, surtout qu'il n'en distingue qu'un morceau de sa position. Pourtant, Ibijau a l'impression que la fille ne devrait pas avoir ça sur les épaules. L'Oubli est puissant, lorsqu'on souhaite balayer le passé du revers de la main, c'est pour ça qu'il ne la reconnaît pas encore.

Finalement, après avoir repoussé la végétation, maigre mais haute, d'une main, Ibijau se dévoile, offrant un regard noir à sa vis-à-vis. C'est une impulsion, quelque chose qui vient de son ventre et qui le pousse à avancer pour attraper un pan de la couverture de sa main gauche. Et il tire, sans s'embêter à se présenter.

Ah oui, c'est la couverture qui—

« C'est à moi. »

C'est un Peau-Rouge, vu son style. C'est juste un Peau-Rouge qui s'élance vers elle et choppe son plaid d'une main, en tirant dessus, sans manière, ni présentation, ni rien. Juste un "c'est à moi" qui fit faire les yeux ronds à Heaven qui tirait elle aussi sur la couverture de son côté.
La jeune fille réplique juste par un simple "non" sur un ton ferme et un brin vexé, l'air de dire "tu te fous de moi ?", tout en tirant de petits coups secs sur son bien. Pour qui il se prend, lui ? Et c'est qui, d'ailleurs ?

- Bonjour, déja. Ou aowh si tu préfères.

Lui fit-elle sans changer de ton, cela lui donnant même un petit air supérieur, alors qu'elle observait l'inconnu pour savoir à qui elle avait affaire. Style global de d'Indien avec les peintures en moins, ruban noir étrange à la main droite, cheveux tombant sur les épaules, tête de Peau Rouge "importé".
Par "importé", comprenez qu'il n'avait pas la tête d'un Peau-Rouge de sang, et qu'il s'agissait sûrement d'un Perdu ou Pirate reconverti. Un péruvien ? Non, il n'a pas la bonne couleur. Un asiatique lambda, alors. Ça colle.

- Ensuite, ça, c'est un cadeau d'un Soigneur disparu il y a longtemps. C'est pas à toi, c'est à moi.

Répliqua ensuite l'adolescente en désignant le plaid sur ses épaules de l'autre main, tout en oubliant, elle-même, de se présenter. Cet échange promettait déja de faire des étincelles... Si ce type ne l'avait pas abordée si brusquement, ils auraient pu discuter calmement.
Vu la façon dont ils se regardaient actuellement, c'était vraiment mal parti. Même Patchouli qui sentait la tension monter en était partie un peu plus loin. Et alors que les deux se regardaient en chien de faïence, la Récolteuse fit le lien avec ce qui venait de se passer.

Ce plaid lui avait été donné par Slumber, dit le Bélier, un Soigneur, il y a quelques temps. Suite à cela, il disparut mystérieusement durant la Canicule, mais son corps ne fut jamais retrouvé.
Là, un type asiastique l'aborde en lui disant que la couverture était à lui. Slumber était asiatique, un japonais même. Et comme son corps ne fut jamais retrouvé, c'est qu'il fut soit désintégré d'une quelconque façon, soit qu'il ait disparu dans l'Océan...
Ou alors il était aussi possible que le Soigneur ne fut pas mort, qu'il ait grandi et atterri chez les Peaux-Rouges, et qu'il se tenait devant elle en ce moment même.
Il fallait en être sûr.

- Attends.

Rajouta Heaven tout en se plantant bien droite face au nouveau venu sans lâcher la couverture sur son dis, plantant le fuschia de ses iris dans les yeux de son interlocuteur.

- Su-lum-ba ?

Elle ne prononça clairement que trois syllabes, en japonais. C'était la façon dont le Soigneur, incapable de prononcer son nom avec un accent anglais décent, se désignait. C'était toujours drôle de l'entendre.
S'il s'agissait bien de lui, la coïncidence était vraiment trop belle.

Se perdre avec la parole n'a aucun sens. A quoi bon s'obstiner à utiliser une voix qui ne résonnera pas correctement ? Ibijau n'a que faire du besoin qu'on les autres de lui imposer leur langage qu'il ne supporte pas, et toutes les règles qui vont avec. La politesse ? Est-ce que ça apporte quoi que ce soit, outre de la confusion ? Ne parle pas sans y avoir été invité, change tes paroles selon la personne en face de toi. Inutile, autant se débarrasser de tout ça pour n'offrir que l'essentiel. Ses doigts tirent en retour, sans déchirer le précieux plaid, bien que l'apprenti guérisseur soit loin d'abandonner la partie. Pas son genre, d'être de nouveau passif et de subir.

Un présent, hein ? La chevelure rose ne devrait-elle pas lui donner une impression de déjà-vu ? Ibijau tente, en vain, de repousser le malaise qui commence à se propager, au fur et à mesure qu'elle continue de vomir des paroles qui lui donnent envie de hurler. Non, ce n'est pas lui, Slumber n'est plus de ce monde, abandonné et misérable. L'idée que l'on puisse se rappeler qu'il était vivant à un moment donné va à l'encontre de sa haine face aux perdus, ce qui est loin d'être appréciable. Ses doigts se resserrent, refusant de lui répondre pour l'instant. Ce ne sont que des phrases sans valeur, ça ne veut pas dire qu'il devrait se souvenir de son nom à elle.

Heaven.

Trop tard.
Plus jeune, du haut de ses treize ans, offrir la couverture n'avait pas été une décision facile. Céder ainsi ce qui lui permettait de dormir n'importe où n'était pas chose facile. Ne souffrait-elle pas de terribles cauchemars ? Il n'en est plus très sûr. Son confort en échange d'un peu de protection pour elle. Les yeux qui se plantent dans les siens lui font détourner le regard immédiatement. Trop de contact, de gestes que le Bélier ne comprenait déjà guère à l'époque. Pourquoi ne peut-elle pas simplement se la fermer et lui rendre ce qui lui appartient ?

« Su-lum-ba ? »

Ibijau effectue un pas brutal sur le côté, frappant la glace de tout son poids. Elle est trop solide, vers le bord. Aucun risque de briser quoi que ce soit. Ce n'est pas le problème ! Pas le moins du monde. Les mots jaillissent, contre sa volonté, se fracassant contre celui qu'il a cessé d'être quand ils l'ont tous laissé crever.

« Non !  Pas Slumber ! » Malgré les années et la pratique, sa prononciation n'est guère différente de la sienne, à peine mieux. La rage qui habite son cœur n'aide pas. Brutalement, l'adolescent relâche la couverture, espérant que Heaven parte en arrière pour s'écraser avec elle.

Bien fait, si ça arrive.

« Slumber est mort, » sa voix monte un peu plus que nécessaire, en une menace. Qu'elle reste aussi loin que possible, ça ne la concerne pas. La couverture lui appartient malgré tout, et à présent la ramener paraît être une priorité.

À l'entente du nom, le Peau-Rouge eut une réaction étrange, frappant la glace de son pied. Pensait-il qu'elle allait céder ? Pourquoi vouloir faire ça, aussi ? Quel énergumène bizarre. Cela fit fuir Patchouli un peu plus loin encore, qui se retrouva maintenant patinant sur le Lac gelé.
Mais au moins, cela prouvait qu'Heaven avait fait mouche, et au fond d'elle, bien qu'elle fut étonnée par une telle réaction, elle était satisfaite d'avoir pu percer si facilement à jour l'inconnu qui n'en était pas vraiment un, mais plutôt un fantôme du passé.

- Non !  Pas Slumber !

S'écrie soudain l'ex-Soigneur, en panique, lâchant sa prise sur le plaid, déséquilibrant alors la jeune fille. Celle-ci se retrouva donc brutalement sur les fesses, sur le sol froid.
Laissant échapper un "ow !" plus de protestation que de réelle douleur, elle ne cessait de fixer l'adolescent en face d'elle d'un air complètement perdu. Comment réagir ? Et s'il devenait violent ? Elle devrait se servir de sa dague...

- Slumber est mort.

Étant donné le ton qu'il a employé, il s'agit d'une menace. Alors, Heaven ne pipa mot sur le coup, restant ainsi, assise sur le sol froid, à remettre son plaid en place sur ses épaules dans le plus grand des silences.
Ensuite, une fois que cela fut fait, elle baissa la tête, soupira, puis la releva, faisant de petits gestes avec ses mains en signe d'apaisement, répétant sur un ton doux "calme, calme" deux ou trois fois.

- Fais comme si je n'avais rien dit, je ne poserai pas de questions.

Fit la Mésange après un temps. Si l'ex-Soigneur réagissait déja aussi négativement simplement alors qu'elle avait prononcé son nom, qu'en serait-il si elle se mettait à lui demander ce qui lui était arrivé ! Il avait déja l'air bien violent -il n'avait pas été surnommé "le Bélier" pour rien- et la Récolteuse n'avait aucunement envie d'envenimer les choses.
Si jamais ils se montrait un peu plus coopératif, peut être pourraient-ils parler un peu. Peut être. Cela semblait en tour cas largement compromis pour le moment.

- Et comment on t'appelle ?

Rajouta la jeune fille, simplement pour connaître son nouveau nom histoire de ne pas l'apostropher d'un "eh toi" (mieux valait ne pas utiliser son nom de Perdu) si elle devait attirer son attention.
Elle jugea bon, de son côté, de ne pas se présenter une nouvelle fois. Il ne devait pas avoir oublié son nom, hein ? Vu qu'il semblait se souvenir encore de sa vie d'avant.

Une simple mention de son ancienne identité ne devrait pas être vue telle une attaque. Ibijau s'en veut un peu, contre son gré, lorsqu'elle part en arrière et chute. Certes, là était le but de la manœuvre. Est-ce une raison pour imposer son humeur exécrable aux autres ? Disons que oui. Trop tard pour reculer, et hors de question de tendre une main vers elle. Une telle marque de respect pour quelqu'un, dont la vision ne lui apporte rien de positif, serait une perte de temps. Néanmoins, il se recule d'un pas, pour signaler qu'il n'a pas l'intention de se venger outre mesure sur une innocente.

Pas que les perdus le soient. Son aventure avec les deux drogués la fois précédente, c'était différent. En majorité parce que c'est devenu, disons, flou à présent. Alors que là, il vit tout de façon plus intense que nécessaire, ressentant toujours l'envie de hurler et de taper contre la glace. Ce qui serait une terrible idée. Pour se calmer, il joint ses mains au-dessus de son cœur, essayant d'en ralentir les battements.

« Fais comme si je n'avais rien dit, je ne poserai pas de questions. »

Tant mieux. Ibijau souhaiterait éviter une crise parce qu'il est incapable de gérer un simple mot. Bien qu'il ne compte pas s'excuser, une mauvaise habitude prise depuis son grandissement, ou bien au contact de Bright, l'adolescent opte pour s'accroupir sur la glace. Ils sont au même niveau, ainsi. N'est-ce pas plus adapté ?

« Ibijau. Tu es Heaven, » sa voix est malmenée plus que nécessaire sur son nom à elle. Son corps a du mal à se calmer, et sa respiration le prouve. La couverture sur les épaules de la jeune fille est un trésor qu'il doit récupérer, au risque de ne jamais revoir cette partie de son passé. C'est étrange, à quel point il se sent attaché à un vulgaire bout de tissu alors qu'il a tant de mal avec son ancienne vie.

« A moi, » il répète ses paroles précédentes, tendant sa main valide vers elle. Au moins, la distance lui évite d'imposer un véritable contact. Si elle refuse, l'option de se redresser pour courir sur la glace et lui arracher reste fiable. Problématique mais fiable. Pour l'instant, autant attendre une réponse.

Son regard dévie un peu, incapable de rester sur elle. Ce genre d'exercice a toujours été complexe pour Ibijau. Tout autant que de contrôler son défaut de prononciation. Après quelques secondes, la position devenant inconfortable, il baisse sa main pour la poser sur la glace histoire de garder l'équilibre. Mettre son poids sur la seconde serait une erreur, comme le prouve le bandage.

Honnêtement, après ce qui venait de se passer, Heaven ne s'attendait pas trop à ce que l'ex-Soigneur ne l'aide à se relever. Il fallait croire qu'il avait perdu sa politesse en grandissant. Mais, de toute façon, il semblait à la jeune fille qu'il avait toujours été malhabile avec le contact d'autrui et les façons de se comporter, pour ce qu'elle s'en souvenait.
Il paraissait même être en proie à la panique ou quelque chose d'autre, cela se voyait à son regard fuyant, ses gestes saccadés. Mais qu'est-ce qui lui prenait ?

L'adolescent faisait tout de même preuve d'un peu de maîtrise, vu la façon dont il se recula, puis s'accroupit devant la jeune fille. Ils étaient à égalité. Et limite, la Mésange voulait le féliciter d'un tel geste.
Puis, il se présenta, seulement en donnant le nom de l'animal sans l'adjectif qui suivait. Ibijau ? Ça ressemblait à un nom d'oiseau -mais comment était-il ?- ce qui faisait de lui un Delaware, par supposition.

Décidément, il fallait croire que la Récolteuse était abonnée à eux. Cela la fit sourire, un peu. Et quelle ne fut pas sa joie en l'entendant prononcer son nom -toujours avec tant de mal malgré tout ! Son sourire s'en agrandit. Il se souvenait bien d'elle, donc ! Quel plaisir, quel soulagement de ne pas être oublié ! Qui le voudrait, d'ailleurs ?

- A moi.

Le sourire de l'adolescente se transforma en une moue vexée lorsqu'Ibijau tendit la main vers elle. C'est qu'il était coriace, le bougre ! Il la voulait absolument, sa couverture, visiblement.
Même si "donner c'est donner, reprendre c'est voler", Heaven hésitait à la lui rendre malgré tout. Elle n'en avait plus besoin, maintenant, et supportait ses cauchemars et ses insomnies sans ennui qui étaient devenus variables et constituaient sa routine.
Soupirant alors brièvement, elle releva les yeux vers lui, puis dit :

- D'accord, je vais te-

Coupée en plein milieu de sa phrase par un fort couinement long, plaintif et plein de peur, la jeune fille s'arrêta net. Elle ne mit pas longtemps à découvrir la source du bruit, et eut une exclamation de surprise en voyant Patchouli, plus loin sur la glace, et qui n'arrivait plus à se relever.
La Lapelote était bien trop loin pour que sa maîtresse puisse la récupérer simplement en étendant le bras. Il lui faudrait s'aventurer plus loin sur la surface du lac gelé, et qui sait si la couche de glace qui le recouvrait était solide ?

- Je vais te la rendre, mais il faudra que tu m'aides avant, s'il-te-plaît.

Lança soudainement la Mésange au Peau-Rouge à ses côtés. Certes, c'était du chantage, mais s'il était là, autant qu'il puisse servir à quelque chose ! Elle ne le laisserait pas repartir si facilement avec son plaid. Et puis, il pouvait bien lui rendre un petit service, non ?

- Patchouli n'arrive plus à revenir, je vais aller la récupérer. Je tiendrai un morceau du plaid et toi l'autre morceau, comme ça, tu pourras me tirer s'il y a un problème. On fait ça ? Je t'en serai reconnaissante si tu acceptais.

Expliqua vivement la Récolteuse, une stratégie de sauvetage ayant d'office germé dans sa tête. Elle ne voulait en aucun cas tomber à l'eau, et le fait d'être reliée à quelqu'un par un objet la rassurait, même si ce n'était pas le moyen le plus sécurisant.
Avec le temps, qui sait à quelle température l'eau du lac était ? Peut être était-ce dans le négatif, si l'on comptait en degrés.

C'était un bon plan. Si Ibijau restait là et qu'elle, de son côté, se risquait sur la glace, elle pourrait toujours avoir un contact avec la terre ferme grâce à la couverture servant de lien !
Encore fallait-il que le Peau-rouge rapporté ne se sauve pas tel un sauvage avec. Il l'avait tant aidée par le passé... Accepterait-il seulement recommencer ?

Les souvenirs ne sont pas figés dans son esprit, uniquement écartés le plus possible s'ils sont positifs, pour lui éviter de ressentir le moindre attachement face au passé. Honnêtement, Ibijau a plus de soucis avec les soigneurs qu'avec les autres groupes. Ils sont ses véritables rivaux, ceux qui auraient dû se battre un peu plus pour lui. L'identité d'Heaven est secondaire, un détail qui n'a pas besoin de revenir. Son groupe n'apporterait rien à Ibijau. Se rappeler de son nom est bien suffisant pour l'instant.

La victoire est si proche, l'espace d'un instant, alors que l'adolescent semble prête à lui rendre son bien (qu'est-ce qu'il en fera une fois de retour chez lui ?), le destin en décide autrement. Si l'agacement est clairement visible dans le regard fuyant du garçon, ça ne dure pas longtemps une fois qu'il comprend la source du problème. Son dédain pour les humains est certainement égal à l'affection qu'il porte au reste des créatures de l'île.

« Je vais te la rendre, mais il faudra que tu m'aides avant, s'il-te-plaît. »

Pour une fois, la demande est compréhensible. Ibijau répond par un 'ah.' qui signifie qu'il accepte sans l'ombre d'un doute. Se redresser est un peu complexe en ne s'aidant que d'une main. Toute son énergie se presse dans ses jambes pour les relever. La glace est supposée être moins solide au milieu du lac, non ? Si le moindre craquement se produit, la réaction en chaîne sera inévitable et tragique. Après avoir passé une éternité à se remettre de ses blessures précédentes, autant dire que le Rescapé n'est pas motivé à l'idée de retrouver sa bien-aimée Mort.

« Patchouli n'arrive plus à revenir, je vais aller la récupérer. Je tiendrai un morceau du plaid et toi l'autre morceau, comme ça, tu pourras me tirer s'il y a un problème. On fait ça ? Je t'en serai reconnaissante si tu acceptais. »

Patchouli. Quel nom compliqué. Pa-tu-chou-li.

Le plan l'est beaucoup moins, bien qu'Ibijau ne soit pas certain qu'il garantisse une fin heureuse. Si la couverture cède, ou que l'un d'eux perd sa prise—

La petite créature abandonnée à son sort est une vision qui le dégoûte profondément lorsqu'il l'observe un moment. Autant se dépêcher de la secourir. Ses doigts attrapent son côté de la couverture tandis qu'il hoche la tête. Juste pour cette fois, l'adolescent accepte de la soutenir. Ensuite, il ne veut plus jamais rien à voir avec les perdus. C'est raisonnable, n'est-ce pas ? Autant s'avancer un peu plus sur la glace, pour permettre à Heaven de faire les quelques pas nécessaires tout en tenant la couverture. Ibijau fait en sorte d'être assez près du bord pour courir se mettre à l'abri si cela est nécessaire.

Qui sait, peut-être que cette mission sera rapidement réglée. Ou alors que quelqu'un passera au travers de la glace.

« Essaye— Ton poids. De l'équilibrer. » Le conseil est maladroit, pas aidé par sa difficulté à s'exprimer. Heaven doit faire attention à bien se tenir sur la glace, sans quoi elle imposera trop de pression à la couche fragile sous ses pieds.

Ah, Ibijau a l'impression de trop s'investir d'un coup, d'aller contre ses propres règles. Celles qui préconisent de rester loin de ses ennemis. Nul doute qu'il a toujours possédé une forme de bonté au sein de son cœur. Assez pour ne pas laisser quelqu'un d'autre disparaître sans en avoir le choix.

« Doucement. Doucement. »

Sa main libre se redresse et il presse les bandages contre ses lèvres, en un encouragement silencieux pour lui-même. Aucune raison de paniquer ou de fuir. Tout va bien se passer.

Pourtant, lorsque son regard se baisse et qu'il réalise qu'il distingue plutôt bien l'eau sous la glace, l'adolescent comprend bien que la glace n'est pas si épaisse.

Excellent, Ibijau a accepté. Du moins, c'est ce qu'Heaven s'était dit lorsque le Peau Rouge eut un genre d'exclamation démontrant, peut être, son approbation. Ce n'est que lorsqu'il prit lui-même un morceau de la couverture que la Mésange se décida à s'aventurer sur la glace, avec un sourire. Ça, c'étt le signe qu'il approuvait et qu'il voulait bien lui donner son aide.
Finalement, il n'avait pas tant changé, le petit Slumber...

- Essaye— Ton poids. De l'équilibrer.

- T'inquiètes.

C'était plus pour se rassurer elle-même que la Récolteuse disait cela, attrapant au passage l'autre morceau de la couverture. Ce n'est pas qu'elle n'aime pas l'eau, au contraire, mais lorsqu'elle est glacée, c'est beaucoup moins tentant...
Et puis, la dernière fois qu'elle avait décidé de piquer une tête, elle avait failli se noyer... Heureusement que la Sirène était là pour l'aider. Mais pourquoi avait-elle fait cela déja ?

Ah, oui, Pit. Comment avait-elle pu le détester ? Quelle erreur... Et dire qu'ils ne s'étaient pas réellement parlé depuis leur petite conversation dans le Nautilus.
Mine de rien, le Chef des Raccommodeurs manquait un peu à la jeune fille, et elle se délectait de sa vue lorsqu'elle le pouvait. Comme cela faisait à la fois bien et mal lorsque son cœur battait plus fort dans sa poitrine, qu'elle se sentait rougir !

Ces doux souvenirs l'avaient aidé à progresser jusqu'à son Lapelote toujours gémissant sur la glace. Heaven avait ainsi avancé jusqu'à la Chimère, prudemment bien que son esprit s'égarait ailleurs, en quête de pensées plus agréables.

- Me voilà, Patchouli !

S'était exclamé l'adolescente alors qu'elle tendait la main le plus loin possible pour réussir, finalement, à attraper une des pattes antérieures de son animal en se penchant. Lorsque Patchouli fut assez prêt, la Mésange la poussa un peu pour qu'elle puisse faire le chemin inverse en courant sur la couverture. Ainsi, elle ne glisserait pas.
Une fois que cette dernière fut assez loin, c'est sa maîtresse qui rebroussa chemin, tentant de progresser aussi précautionneusement qu'à l'allée. Elle ne glissa qu'une seule fois, mais retrouva bien vite son équilibre.

Alors qu'elle se remettait en marche, la glace émit un craquement peu rassurant qui fit presser le pas à la Récolteuse. Et, alors qu'elle approchait du but, se félicitant d'être revenue sans encombres, la fine pellicule de glace qui avait résisté jusque là en décida autrement, cédant sous son poids.
La jeune fille eut à peine le temps de lancer un "eh merde !" à la fois de surprise et d'agacement, avant de disparaître dans l'eau gelée, lerdant en même temps sa peise sur la couverture. "T'inquiètes", hein ? Quelle sottise. Il ne faut jamais relâcher sa vigilence...

Contrairement à la dernière fois, le choc thermique ne tarda pas à se faire ressentir. Heureusement que la Mésange n'était pas trop loin du bord de son trou ! Elle réussit tant bien que mal à s'y accrocher, battant des pieds pour remonter le plus vite possible.
Elle sentait déja ses muscles s'engourdir alors qu'elle essayait de progresser, s'accrochant tant bien que mal à la glace glissante. Décidément, ça n'allait pas être son jour... Il n'y avait qu'à elle que ce genre de chose arrivait !

Il estime avoir le droit de douter de ses capacités. Après tout, affronter une telle épreuve sans être préparé risque de leur coûter à tous les deux. Si Ibijau pourra toujours reculer en lâchant la couverture en cas de danger, ce n'est pas le cas de l'adolescente. Hors de question d'autoriser une fin aussi tragique. Cela serait une défaite de plus, et le Rescapé en a marre de ne vivre que des drames dans lesquels il se retrouve entraîné contre son gré. Pas cette fois. Ses dents mordillent un peu les bandages, surtout ceux au niveau des doigts, pour s'assurer que le sang circule toujours correctement. Des fois, il lui arrive de trop les serrer et de devoir recommencer ce qui est la couche inférieure.

Pour le coup, ça va. Ibijau parvient même à maintenir son attention sur la mission de sauvetage. C'est difficile, parce que les reflets du soleil sur le le lac gelé l'éblouissent par moment, le forçant à se protéger le visage avec sa main libre. Il n'a même pas remarqué lorsque ce dernier a décidé de quitter les nuages qui l'entouraient. Techniquement, au vu de la météo sombre qui recouvre l'île ces derniers temps, ça ne devrait pas durer. Quoique ça fait un bail que l'adolescent ne s'attend plus à rien de la part des caprices du roi terrible.

« Me voilà, Patchouli ! »

Attraper l'animal ainsi lui semble cruel, bien que ça soit un mal nécessaire pour lui permettre de le rejoindre. Son regard quitte Heaven pour encourager, silencieusement, la chimère jusqu'à ce qu'elle soit assez proche pour être en dehors de danger. Tout autant qu'ils sont en mesure de l'être au milieu de la glace. Le craquement, qui provoque un long frisson le long de son dos, en est la preuve. Ibijau n'a pas le temps d'intervenir. Un instant, tout va bien, et le suivant il est le seul à tenir la couverture, ce qui lui fait perdre son équilibre.

Sa vie défile, en un spectacle particulièrement répétitif et ennuyeux jusqu'à ce qu'il parvienne à se rattraper. Dans le liquide glacé, la jeune fille risque de mourir. Pas la pire façon de disparaître, puisque son amie à fourrure est sauvée. Et qu'Ibijau peut récupérer son bien. Pourtant, il ne pourrait jamais se le pardonner s'il la laissait là. Une fois, c'était bien assez.

Au vu de la température, si elle se débat, ça réduira ses chances de survie de moitié. Ou quelque chose de similaire. Ah, le Rescapé ne connaît rien d'autre. Elle va avoir froid, et ça porte un nom, un qu'il n'a jamais appris dans sa langue maternelle et encore moins dans les autres. Ce qui ne l'empêche pas de s'avancer, après avoir fait un signe à Patchouli de rester sur le bord avec la couverture. C'est son bien, il faudra bien qu'il le récupère. Le Delaware n'ira pas courir, au risque de se mettre également en danger. A la place, il essaye de suivre son conseil précédent, avançant petit à petit, jusqu'à être assez proche. En se mettant à genoux sur la glace fragilisée, son corps risque de subir un sort similaire. Mais s'il se contente de lui tendre la main en gardant ses distances, il doute qu'elle soit en mesure de se hisser seule.

Qu'importe la logique, le plus important c'est de la sortir de là. Et, si son corps fait céder la glace, peut-être que ça pourrait les aider, en un sens. En faisant contrepoids. En tirant de toutes ses forces, il pourrait parvenir à la tirer hors du lac et à l'envoyer derrière lui, quitte à risquer d'être celui qui finira dans l'eau glacée à la place. Déjà des fissures se forment entre ses pieds, alors autant essayer ça.

C'est tellement stupide, il n'a pas envie de mourir une seconde fois.

Ses mains attrapent celles d'Heaven, et il tente de la hisser, trop fort. Au point que sa main bandée atteint un niveau de douleur qui le force à fermer un œil.

Heaven a toujours eu du mal à ouvrir les yeux lorsqu'elle se retrouvait immergée dans l'eau. Dans le Monde Ordinaire, lorsqu'elle avait fait de la natation, elle détestait perdre ses lunettes de piscine, le chlore lui agressant assez férocement ses yeux bleus.
Autant dire que là, elle dut se résigner à les ouvrir malgré tout, tentant tant bien que mal de maîtriser sa panique. Que fallait-il faire déja lorsque l'on devait sortir de l'eau à "moins quelquechose" degrés ? Économiser ses forces, c'est ça ?

Mieux vallait le faire si elle ne voulait pas mourir ici. C'est que la Récolteuse avait encore tant de choses à accomplir, dans sa vie éternelle -à condition qu'on n'y mette pas fin prématurément- !
Elle venait de retrouver Patchouli maintenant saine et sauve -qui observait les deux adolescents d'un regard inquiet-, s'était promise de prendre soin de Cheshire tout fraîchement rapporté du Monde Ordinaire, et enfin... elle avait un cœur à prendre.
Elle l'avait décidé ainsi.

Alors, la Mésange attend. Elle tente de se hisser le plus possible sur la glace, ses membres commençant sérieusement à s'engourdir, soulagée de voir qu'Ibijau progresse vers elle. C'est toujours un gentil garçon malgré les changements apparents; il vient la sauver.
La jeune fille lui tend volontiers l'une de ses mains, s'accrochant si fort sur la glace avec l'autre pour ne pas glisser lamentablement dans l'eau, que ses phalanges en bleuissent. À moins que ce ne soit déja le froid qui la gagne ?

Le Peau-Rouge rapporté tire, et elle, de son côté, pousse sur ses membres, râclant la glace de sa main libre. On dirait presque un phoque qui n'arriverait plus à remonter sur son morceau de banquise. C'est laborieux.
Mais n'est-ce pas un peu dangereux de se retrouver si près l'un de l'autre, alors que la glace vient de craquer juste à côté d'eux et que la Perdue n'est toujours pas sortie d'affaire ? Ne risquent-ils pas de sombrer tous les deux dans l'eau glacée ?

"Crac", dit soudain la glace sous les pieds de l'Indien qui n'en est pas réellement un.
Ah, lorsqu'elle se manifeste, c'est mauvais signe.

Jusqu'à quand est-ce que sa main va lui faire défaut ? A ce stade, le Rescapé peut admettre que la guérison est terminée, que son corps n'ira pas plus loin. Et ça le rend furieux, de ne pas parvenir à passer outre, à ne pas simplement avoir le droit de s'opérer lui-même pour retirer tout ce qui est en morceaux à l'intérieur. C'est un tout, un qui tire sur les marques qui décorent son dos et son torse, puis qui s'étire jusqu'à cet amas affreux qui lui sert à la tirer aussi fort possible. Malgré l'autre main, en soutien, il a tendu la mauvaise en premier. Habitude du corps allant à l'encontre de son esprit.

Ses pieds glissent sur la glace, petit à petit. Le bord glacé se rapproche et avec lui la promesse d'un choc thermique et d'une mort probable. Est-ce que le destin ne devrait pas se lasser à force ? S'il était plus fort, en mesure de se battre et d'affronter ces simulacres d'épreuves, tout serait moins douloureux. Le Bélier a toujours été incroyablement borné, un trait impossible à égarer, malgré le voyage interminable.

Son corps proteste, hurle même, de l'intérieur.

Insuffisant pour un abandon. Au dernier moment, parfaitement conscient que la glace est brisée et qu'il va passer au travers, Ibijau tente de tirer Heaven une dernière fois, pour l'envoyer sur une partie encore intacte. Il doit lâcher prise à cet instant, lorsque le craquement s'étend à tout ce qui se trouve sous ses pieds. Est-ce qu'elle va réussir à sortir ou bien rester prisonnière ? C'est une réponse que le Rescapé n'obtient pas, se retrouvant sous l'eau à la place.

Ne pas paniquer, l'ordre est clair, évident également. Ce qui ne l'empêche pas de vouloir lutter. Instinctivement, ses membres se débattent, jusqu'à ce que sa tête sorte du liquide gelé. Il tousse, recrachant de l'eau, ayant pris une inspiration sous la panique. A quoi bon savoir comment agir si l'on est incapable de suivre les consignes ? Sa main parvient à accrocher un morceau de glace quelques secondes, avant de glisser. A chaque fois que sa tête repasse sous l'eau, Ibijau a l'impression de vivre le drame de Sushi, et c'est terrifiant.

Ses jambes poussent, juste assez pour qu'il parvienne à se maintenir dans une position équilibrée. Au moins il a cessé de couler, bien que se hisser risque d'être complexe. Où est Heaven, hein ? Ses yeux, fermés depuis un moment, se rouvrent, la cherchant du regard.

Elle ne peut pas mourir, pas encore.
N'est-il pas en train de mélanger un souvenir et l'instant présent ?

Un peu trop de choses se sont passées en même temps, sur le coup. Déja, Heaven se sentit presque projetée sur la glace, surprise de cette force (et détermination ?) dont venait de faire preuve l'ex-Soigneur. Puis, dans la seconde d'après, ce fut justement ce dernier qui fut immergé dans l'étendue d'eau gelée !
Encore un peu sonnée par ce qui venait de se passer, la Mésange reprenait ses esprits. Elle était vivante, sortie de l'eau ! Elle n'y croyait presque plus.

Se relevant un peu, elle avisa Ibijau qui essayait tant bien que mal de remonter, disparaissant à nouveau, presque aussitôt, dans le Lac. Et elle, était hors de danger. Si elle se risquait à aller le sauver comme il l'avait fait, elle se retrouverait une nouvelle fois en danger...
Jetant un coup d'œil derrière elle, la Récolteuse remarqua Patchouli qui commençait à paniquer, installée sur la couverture. Elle avait récupéré son animal de compagnie, et la couverture lui tendait les bras, sur la rive...

Elle ne pouvait pas se risquer à mourir ici alors qu'elle n'avait pas accompli tout ce qu'elle voulait ! La jeune fille voulait encore profiter de sa vie de Perdue même si ce n'était pas la meilleure et que ce n'était pas toujours facile, elle voulait profiter de ses animaux, et de lui surtout...
Cette dernière pensée la motive plus que toutes les autres pour rester en vie. À quatre pattes sur la glace, l'adolescente s'apprête à faire demi-tour, déja en position, dos à l'étendue gelée où le Peau-Rouge rapporté est sans doute en train de se noyer, en hypothermie.
Elle fait quelques pas pour se rapprocher du bord du Lac, sans penser à autre chose que sa propre survie...

Et tu laisserais ton sauveur se noyer sans rien tenter pour lui en retour ?

Stop.
Heaven connaissait pourtant Slumber depuis un petit bout de temps maintenant, et même s'il semblait rejeter avec violence le passé, qu'il était maintenant plus froid en apparence, et beaucoup moins avenant, elle avait noué quelques liens avec lui... Elle devait s'attacher décidément bien trop vite aux autres.
Un regard vers la couverture suffit à Patchouli pour comprendre que sa maîtresse en a besoin. Alors, la Chimère s'avance prudemment sur la glace, l'objet désiré en main, et s'arrête net lorsque la Mésange lui fait signe. Cette dernière tend bien le bras, avec du mal, pour ramener à elle le précieux objet, et en pose un pan près de l'Ex-Soigneur afin qu'il puisse l'attraper.

La Récolteuse, de son côté, étend le plus possible la couverture en se rapprochant du bord le plus possible, la glace se faisant de plus en plus solide à cet endroit.

- Essaye de t'aider de ça pour te hisser sur la glace !

Lance-t-elle au Peau Rouge rapporté. Peut être qu'avec leurs efforts cumulés, elle arriverait à le tirer en s'appuyant un peu plus sur la glace, afin qu'il puisse sortir de l'eau...
Si elle était restée trop près de lui, à ce rythme, elle était bonne pour repiquer une tête.

Les risques calculés ne sont pas spécialement le fort d'Ibijau. Autant tenter le tout pour le tout, qu'importe les conséquences. Quoique mourir est hors de question. S'il le faut, il enfoncera ses ongles dans la glace jusqu'à parvenir à se hisser sur le bord. Une tentative qui sera certainement vaine. Est-ce une punition pour s'être une fois encore raccroché au passé ? La couverture ne lui servira guère, si le Rescapé termine au fond de l'eau, oublié tels que beaucoup d'autres l'ont certainement été avant lui.

Ses paumes pressent contre le bord, les bandages s'accrochant à la couche gelée. Et ça parvient à l'empêcher d'être happé par le liquide qui tente de l'étrangler depuis un moment déjà. Plus son corps s'attardera dans l'eau, moins il s'en sortira. Au lieu de se débattre inutilement, le Delaware est au moins parvenu à trouver un équilibre précaire et temporaire.

En vérité, Ibijau est furieux que la nature s'acharne ainsi.
Est-ce une leçon de la part des esprits pour le punir d'avoir été aussi possessif envers un bout de tissu ? Si c'est le cas, ils apprendront bien assez tôt qu'ils ont eu tort.

« Essaye de t'aider de ça pour te hisser sur la glace ! »

Heaven. Visiblement entière. Et trempée également. Son regard ne s'attarde guère sur la forme dégoulinante, lui préférant la couverture. Cette fois, l'adolescent tend la bonne main, celle qui ne risque pas de craquer sous la pression. Parfait, au moins sa prise est solide, enfin du moment qu'il ignore les frissons qui ne cessent de le traverser.

Les premières fois, au tout début de sa convalescence, ses membres ne répondaient presque pas. Se redresser en position assise était une torture qui lui arrachait des gémissements de douleur. Pourtant, la méthode ne diffère pas ce celle qu'il emploie à présent. Son coude se plante dans la glace en premier, celui qui ne tient pas la couverture. En prenant appui trop fort, il risque de faire chuter Heaven. L'impatience n'est pas la bienvenue, lorsqu'une autre vie est en jeu. Autrefois, n'étaient-ils pas— amis n'est pas un terme approprié, n'est-ce pas ?

Slumber rendait facilement service, sans véritablement demander quoi que ce soit en échange. Pas assez égoïste. Ou bien beaucoup trop, furieux envers son meilleur ami pour les mauvaises raisons. Apte à pardonner les pires horreurs au nom de l'amitié. Peut-être que ce n'est pas une mauvaise chose, qu'il n'est pas été très doué avec ses pairs. Sans quoi il aurait vendu son âme.

Le Rescapé doit se faire violence, prendre son temps. Son pied dérape contre le bord, lors de la première tentative. L'eau le brûle à présent, ankylosant ses muscles au point qu'il ne parvienne plus à différencier la température en dehors du liquide et à l'intérieur. La seconde, Ibijau se hisse en dehors de l'eau, courant immédiatement sur la glace meurtrie pour se mettre à l'abri aux côtés d'Heaven. Sous ses pieds, ça craque un peu au début. Il aurait mieux fait de rouler, au lieu de prendre un tel risque. Il n'y a rien d'agréable dans un tel rapprochement avec la mort. Surtout lorsqu'il est familier. L'adolescent pourrait entourer la couverture autour de ses propres épaules, et la laisser se geler. Ne vient-elle pas de lui sauver la vie ? C'est bien plus que les Soigneurs ne lui ont jamais offert. Alors, partager n'est pas si terrible. Ibijau en enroule un pan autour de son corps, autorisant Heaven à maintenir sa prise l'autre moitié.

« Je déteste les perdus, » les mots sortent avec difficulté. « Mais pas toi. » Plus de dette entre eux à présent. Ils se sont mutuellement sauvés la vie.

Lorsqu'Ibijau finit, tant bien que mal, par sortir de l'eau, ce fut comme si un poids disparut complètement en la Récolteuse. Était-elle en train de culpabiliser d'avoir failli le laisser en plan, purement et simplement, égoïste comme elle était ?
Quoiqu'il en soit, il était maintenant sorti de l'eau, et se dirigeait vers elle avec empressement, lui laissant un pan de couverture pour s'en couvrir. Cependant, ils n'étaient pas saufs pour autant et ils devraient se réchauffer avant de se séparer et de reprendre la route chacun de leur côté.

Pourtant, sur le coup, l'heure semblait propice aux confidences. Après tout, quoi de mieux que de parler pour passer le temps, enroulés l'un contre l'autre dans une couverture, avec Patchouli faisant le pied de grue à côté sans savoir où se mettre ?
Ce fut justement le Peau-Rouge rapporté, qui, étrangement, commença la conversation. Lui qui paraissait ne pas aimer tant parler, il ne se fit pourtant pas prier pour faire une remarque :

- Je déteste les perdus. Mais pas toi.

Cela équivalait à un "merci" non ? Enfin une marque de reconnaissance... C'était incroyable, Heaven n'en revenait pas ses oreilles et resta un petit moment bouche bée. Savait-il seulement qu'elle avait failli le laisser en plan, l'offrir à la Mort, et s'en aller sans aucun regret -ou du moins, pas encore ?
Cette pensée disparut bien vite de l'esprit de la Récolteuse, car après tout, elle afait fait machine arrière pour revenir lui prêter assistance. Un grand sourire vint illuminer son visage, sourire qui disparut pourtant tout aussi vite lorsqu'elle se mit à donner à son tour son ressenti à propos des Perdus en général :

- Je peux te comprendre, certains sont très égoïstes... En général on ne me remercie même pas quand je risque ma vie pour les autres, du genre quand je me battais contre des Pirates pour sauver des gamins.

Une chose était sûre, c'est que même si la Mésange sentait que tous ses membres, que son corps entier était gelé, sa langue quant à elle fonctionnait encore parfaitement.
Elle continua même à se justifier ensuite, autant vider son sac face à quelqu'un qui paraissait aussi franc qu'Ibijau :

- Maintenant je me soucie de moi et de mon bien être en premier lieu. J'aurai pu te laisser ici mais... nan, ça aurait été dégueulasse. Tu m'avais sauvé, et puis, je t'aime bien aussi, tu sais.

Avoua donc la jeune fille. Le fait de se confier finissait par effacer ce poids dans sa poitrine. Ça faisait presque autant de bien que lorsqu'elle avait parlé à ce Pirate, Psy, il y a un bout de temps maintenant.
Les conséquences de cette petite entrevue s'étaient pourtant avérées désastreuses sur la santé mentale de l'adolescente par la suite. Elle avait même réussi à effacer totalement Silver de sa mémoire, à présent.
Et elle s'en sentait terriblement bien.

- Tu n'es pas obligé de me répondre si ça te dérange mais... Que s'est il passé piur que tu arrives chez les Peaux-Rouges ?

Osa-t-elle après un moment de silence. Elle n'aurait pas posé cette question à n'importe qui, car il était facile de savoir pourquoi certains se feraient bannir ou fuieraient dans le futur...
Mais dans ce cas actuel, celui qui fut par le passé Slumber n'avait rien à se reprocher, non ? Il n'avait aucun problème -à moins qu'il ne sache les cacher- et semblait motivé, fidèle à la communauté du Grand Arbre.
Alors, que pouvait-il bien s'être passé ?