Sewel ressent le besoin d'une pause, loin du Jolly Roger, pour une fois. Éloigné de sa vigie et du soleil qui, en altitude, frappe fort. Les pieds dans l'eau, il savoure la fraîcheur de la mer grâce aux remous des vagues. Cette pause est agréable. Rien ne l'attend sur le bateau ni au port, il a fini toutes ses tâches il y a à peine une heure. Il a prit avec lui un livre et sa canne à pêche, prêt à passer ce moment en solitaire. Ce n'est pas vraiment son domaine de prédilection, Sewel doit bien l'avouer. Il attache l'appât à l'hameçon, tandis que ses yeux scrutent le firmament. Il arme son bras et dans un mouvement rapide, il laisse la ligne s'envoler au loin et s'échouer. Le pirate ignore si quelque chose va mordre, s'il y a même des poissons dans le coin, mais malgré tout, ça l'apaise.

Les vagues chatouillent doucement ses orteils, quelques gouttes de sueur perlent sur sa nuque, et au-dessus de lui, les mouettes braillent. En fermant les yeux, Sewel pourrait presque se transporter ailleurs, loin de cette île. Peut-être dans l'Ordinaire, peut-être avec sa famille, peut-être... Le vent se lève, l'air iodé chasse ses larmes. Rien ne mord, et Sewel se dit qu'il aurait dû opter pour une barque ; il aurait eu plus de chance vers le rivage.

C'est là qu'une légère secousse rompt le calme. Sa prise sur la canne s'affirme, et d'un coup de manivelle, il s'empresse de ramener la ligne. Le poisson piégé est modeste, mais ce n'est qu'un détail. Délicatement, Sewel décroche le poisson et sursaute quand ce dernier se met à frétiller entre ses doigts. Il essaie de le maîtriser, mais l'animal visqueux finit par lui glisser des mains.

— Non, attends !

Et voilà qu'il plonge tête la première dans l'eau, pendant que le poisson, lui, s'échappe à travers les vagues. Sewel bougonne. Il aurait tant aimé l'observer plus longtemps, essayer de le dessiner dans son carnet, mais c'est peine perdue. Il n'a pas eu le temps de le mémoriser !

— Fait chier merd-aaaaaah !

Il jaillit de l'eau comme un diable sort de sa boîte, secouant sa main avec force. Et maintenant, cerise sur le gâteau, un crabe s'acharne sur lui, et pas qu'un peu ! La bestiole, tenace, semble avoir décidé de faire de son petit doigt son repas du jour.

— Hey, doucement sur le doigt, s'il te plaît ! J'ai besoin de toutes mes phalanges !

Cette journée était censée être tranquille, mais apparemment, la faune marine a décidé de lui jouer un mauvais tour. Sewel commence sérieusement à se demander s'il n'aurait pas dû rester paisiblement perché dans sa vigie. Heureusement pour lui, le crabe finit par se lâcher, s'éclipsant dans les tréfonds du sable, tandis que le maniaque s'éloigne en tenant fermement son pauvre petit doigt. Il s'arrête net quand, à quelques mètres, il reconnaît une petite silhouette.

— Wobbly ?

Il faisait beau, aujourd’hui. Après son travail du matin, Wobbly a décidé d’aller jouer avec Goldfinger sur la plage. On lui a expliqué que c’était important pour son super compagnon d’aventure de bouger beaucoup, souvent, et c’était vrai que le labrador n’était pas très libre de ses mouvements quand il raccommodait : Après quelques accidents, on lui avait interdit de sortir de sous la table de Wobbly pendant le travail. Au début, il pleurait beaucoup et c’était très triste, Wobbly avait même essayé de discuter avec Aphrodite, même si elle lui faisait très très peur, pour que Goldfinger puisse bouger quand même, mais ça n’avait pas marché. Alors maintenant, le Passe-Partout faisait tout son possible pour sortir le chien de la pièce -et du Grand Arbre- dès que l’occasion se présentait.

Goldfinger pleurait un peu moins sous la table, à présent. Quelqu’un -il ne savait plus qui, sûrement un plus grand, qui savent ce genre de choses- lui avait dit que c’était parce que le chien s’était « assagi », quoi que ça voulait dire. C’était tant mieux, parce que les autres aimaient pas trop quand il pleurait tout le temps, même si ça se calmait toujours quand il lui faisait des câlins.

Et puis, maintenant, Goldfinger savait qu’il sortait après le travail de son maître. Et ça, c’était drôlement bien ! Wobbly était tout aussi heureux de partir en mission avec son acolyte pour la vie. Il ne se souvenait déjà plus de l’occasion pour laquelle on lui avait offert l’animal, mais il était certain qu’il n’oublierait jamais qu’il s’agissait du meilleur cadeau du monde entier !

« Goldy, va chercher ! »

L’enfant et l’animal avaient couru jusqu’à la plage, puis choisi un beau bâton, que le Raccommodeur lançait maintenant à son chien. (Mal)Heureusement pour Goldfinger, l’objet n’allait jamais très loin, le gamin n’ayant que la force de son âge, mais ni l’un ni l’autre ne se laissaient de ces petits trajets.

Il venait tout juste de relancer le bâton de toutes ses (maigres) forces, quand il entendit son nom. Aussitôt, l’enfant tourna la tête dans tous les sens, vers l’eau d’abord (est-ce qu’il y avait une sirène ? Ou une fée des eaux qui voudrait jouer avec eux ? Ce serait si cool !), avant de tomber sur une grande silhouette sur le sable, pas si loin d’eux. Wobbly baissa la tête sur le côté, intrigué plus qu’apeuré.

« Tu connais mon nom ? T’es grand pour un Grand, t’as pas l’air d’un Perdu... Y’en a des grands comme toi, mais ils ont moins de poils sur le visage ! Comment tu connais mon nom ? »

La logique voudrait qu’il s’éloigne de celui qui était très visiblement un Adulte, et donc probablement un pirate, un méchant. ...Mais ça le perturbait un peu, un méchant qui l’appelait par son nom... Ça ne pouvait pas être un vrai méchant, si ?

Et puis, Goldfinger allait le protéger au besoin, hein ?!