Le ciel est d'un bleu extraordinaire, du moins lui semble-t-il plus azur qu'à l'accoutumée, comme si le soleil s'invitait enfin au bal figé des saisons. Quelques pas d'un menuet persévérant qui fait entorse au mordant de l'Hiver, une chaste rébellion. Obéron perçoit la caresse de cette légère inflexion dans dans chaque fibre de ses ailes. L'Île renoue avec un espoir ténu mais réel. Ce dernier réchauffe l’atmosphère de quelques degrés, à peine. Le plus beau témoignage de ce regain de foi n'est autre que le sourire lumineux de la souveraine des fées.
Mab resplendit d'un je ne sais quoi de radieux, de cette espièglerie qu'ils partageaient autrefois tous deux. Le Sigisbée frissonne en écho, sombre frétillements de lune, bien moins puissants que les rayons de l'astre solaire. Il ignore pleinement leur destination. Confiant tel un aveugle, il suit le sillon pailleté de l’Étincelante. A chaque question posée, Obéron n'a récolté que pirouettes et pas-chassés, aussi a-t-il cessé de l'interroger. L'Obéissance lui sied d'avantage que la Curiosité.

- Nous y voilà.
- Je le constate, déclare le Haut-Conseiller des Flores en toute sérénité. Me diras-tu pourquoi ?
- J'ai demandé à un ami de nous rejoindre. Il nous sera certainement d'une grande aide. De plus, je suis certaine que tu vas l'apprécier.
- Si il est de tes amis, alors il est des miens aussi. Néanmoins, cela ne répond toujours pas à ma question...
- Maestro, êtes-vous là ? Claironne gaiement la Reine.

Les Ruines sont le domaine de Nadie, la Mémoire de l’Île, celle qui peint son histoire sur les pierres qui ne peuvent l'oublier. Obéron s'attendait à une entrevue avec la femme-panthère, point avec une créature telle que ce "Maestro".
Une trille, quelques notes fluettes d'une mélodie de Maître, une musique sincère qui chante sa révérence. Maestro est l’Éloquence pour quiconque sait l'interpréter. C'est d'autant plus vrai pour un Danseur-né. Obéron s'incline avec un respect mêlé d'émerveillement. C'est dans ces instants volés qu'il trahit le mieux sa nature féerique.

- Maestro, je suis ravi de vous rencontrer. Je me nomme Obéron.

Obéron observe, aussi médusé que Mab la soudaine agressivité de Crépuscule envers... un bosquet ? Elle semble prête à dégainer pour tailler des haies.

- N'en faites rien, vous voyez bien qu'elle est complètement effrayée... Retournez auprès d'Obéron, s'il vous plaît.
- Je vous en prie, Crépuscule. Je suis certain que cette inconnue n'est pas une menace. Rejoignez-moi, donc... Appuie-t-il en tendant la main paisiblement. Une fois la fée-chevalier ayant obtempéré, il lui souffle : Laissons notre reine accomplir ce qu'elle sait faire de mieux : lier les êtres de bonne volonté par sa bienveillante magie...

Et comme pour prouver ses dires, leur souveraine extirpe des buissons une créature fascinante faite de tissus, de paille et de fils. Une magnifique création de leur Île.

- Maestro est un génie musical, et mon ami Obéron un génie de la danse.

Le Sigisbée rougit jusqu'à la pointe de ses ailes qui s'empourprent.

- Tu me fais bien trop d'honneur, Ô ma reine.
- Quant à moi... disons que je me débrouille plutôt bien. Je pense qu'en unissant nos pouvoirs, nous pourrons peut-être réussir à dégivrer cette partie de l'Île.
- Voilà donc ton projet ? C'est avec joie que je m'y associe. Le fae effleure le bois de la joue de Maestro avec révérence et ravissement. Ce sera un bonheur d'enjoliver vos mélodies de mes pas.
-...Qu'en pensez-vous ? Cela vous paraît-il envisageable ? Mab le regarde lui, en particulier. Je sais que tu as passé beaucoup de temps à danser dans le Bois Joli, sans succès... Ce n'est pas ton Royaume Fleuri, mais il s'agit peut-être du test qu'il nous faut.
- Rien ne me semble impossible lorsque toi et moi dansons, ma chère Soeur-de-rires, déclare Obéron animé du sentiment le plus tendre. Qu'importe l'endroit, la terre est la même partout sur l'Île et sa fécondité n'attends peut-être que notre appel pour s'éveiller. Tentons cette folle expérience !

Son enthousiasme le fait rayonner comme à l'époque où la corruption ne l'avait pas affligé de ses morsures.

Avec un déférence sincère, le Frère-de-Rire de la reine ploie devant elle. Il s'empare de ses doigts pâles et les gratifie d'un galant baise-main. Puis, redressant le buste, il l'attire à lui pour glisser une chaste sénestre à sa taille. Il plonge ses prunelles d'or dans les siennes, changeant au gré des milles couleurs de l'Île et un sourire délicat fleurit sur son beau visage, marqué de sillons d'argent et de fossettes halées.

Maestro fait naitre la partition et dès lors que les notes s'élèvent, Obéron les tisse à leurs pieds, à pas souples et enlevés. L'amour infini qu'il éprouve pour sa souveraine gonfle ses ailes d'un scintillement lilas  éblouissant qui réchauffe le coeur même lorsque celui-ci n'est que métaphore. Il l'enveloppe, la transporte, épouse sa splendeur comme la lune celle du soleil. Le duo virevolte, parfaitement accordés l'un à l'autre dans cette valse intime, telles deux pièces d'un puzzle qui a toujours été et toujours sera.
La Musique nourrit les Danseurs et les Danseurs alimentent la Musique. Chaque âme compose cette partition universelle à sa mesure. De cette complémentarité funambule, de cette furieuse envie de semer et d'aimer, nait une résonnance qui vibre jusqu'au plus profond de la terre.

Le sol gelé s'écaille.
Petit à petit, il se fendille, se fissure, reflue.

Obéron, éternel incarnation du printemps, brule de cet espoir exubérant de voir enfin naitre un solstice, même pour un court instant.