La situation est tendue à l'extrême. Si Madison n'en comprend pas tous les enjeux, Mad Dog se doit de ne rien en laisser paraitre. A ses yeux, il n'existe qu'un seul Capitaine et il ne porte pas de crochet en prothèse. Pour la jeune femme, Hook n'est nul autre que le chefaillon abominable des Orbleus, le responsable de la perte de nombre de ses camarade de la Zora. L'équipage du navire de Zeb Skelton représente davantage une famille que ce ramassis de gueules cassées bêlant pour l'apparition de leur leader.
On dirait une secte.
Une véritable secte, dont le prédicateur pâle aux tatouages de sirènes agite les désirs crasses.

Maddie a déjà fait face à Carne Salt.
L'homme aux yeux dépareillés et à la toison d'algues l'avait approchée, un soir de promenade solitaire sur la falaise aux abords du ranch. Comme aujourd'hui, il humait fort les embruns, le sel et l'encre. Et le sang, en note lointaine mais soutenue. Il l'avait touchée, osé la caresser, et pétrifiée d'une terreur indicible et inexplicable, elle en était restée incapable de s'en défendre.

"Tu m'appartiens, petite bermudine.
Tout ce que recrache le Tourbillon est mien.
Amuse-toi donc à jouer les pirates revêche,
avec tes chiots et tes compadres,
leurre ce bon vieux Zeb qui en a bien besoin,
mais souviens-toi, mi querida,
qui est ton véritable époux..."

Elle en avait fait des cauchemars des nuits durant sans en confier le moindre mot à quiconque.

Carne Salt est un prêcheur de chaos et il baigne dans ce beau bordel avec une joie manifeste. Tout ce que constate Maddie c'est que Zeb ne le vit pas bien. Pas bien du tout. Les jointures de son poing blanchissent sur le pommeau de son épée. Elle a tout de suite saisi à son empressement de rejoindre le pont du Jolly Roger, que ce Dogfish comptait pour lui. A l'instar de son apprentie, cependant, il abhorrait Carne Salt et se méfiait de Smee. Discrètement, à l'abri des regards accaparés par le duel mené entre le Harponneur et le Second du capitaine, à l'abri de la vindicte populaire exigeant l'apparition du Crochet, elle pose sa main sur celle de la Rouille. Sa pauvre Rouille qui n'en finit pas de s'effriter de l'intérieur.
Elle ne le regarde pas, elle fait mine de demeurer concentrée sur la scène, mais elle est là. Juste là. Béquille muette, présence inconditionnelle, alliée pour l'éternité.

Et mue par une affection
qui ne lui sera sans doute jamais rendue
au même degré.

Mais qu'importe que la Mariée soit avant tout une Veuve : elle protège ce qui mérite d'être protégé et Zeb est l'incarnation de son foyer.

Résumé :

Coup de tonnerre, tempête, typhon !
Les implorations de l'équipage aveuglé de dévotion font sortir le diable de sa boite. Une poignée de secondes à peine et déjà un coup part. Madison se trahit en faisant un pas vers l'avant, prête à faire rempart entre la balle et Zeb. Le reste n'est que sidération.
Ainsi donc, le Capitaine paie la fidélité de ses hommes d'une balle en pleine tête. L'apprentie de la Rouille n'ose pas se questionner sur le sort des infidèles. Le regard de la jeune femme se porte vers Smee, inconsciemment.  Elle lit dans ses yeux cachés derrière le verre de ses lunettes une vérité qui la harponne de plein fouet. Elle y contemple le propre reflet, tordu, corrompu, de sa propre loyauté. Elle en reste bouche bée, perdue quelque part entre empathie et déni.

Pour elle le message est clair.
La véritable cible était son capitaine.
Ceci était un avertissement qu'elle ne compte pas oublier de si tôt.

Carne, lui, toise Zeb Skelton, tranquillement campé dans le dos du capitaine, non loin de cette chère Mouche. Il accompagne la menace de son plus beau sourire carnassier et cette oeillade pourrait presque ce traduire par "Et c'est de moi que tu as peur, Gadjo ? Vraiment, mon gars, tu passes à côté..."
Le Harponneur se joint avec le plus grand des naturels à l'hilarité général. Nager en eaux profondes et troubles est l'une des prérogatives du Dormeur de R'lyeh.

L’arrivée de l’ancien mousse fut à peine remarquée. Celui-ci n’eut droit qu’à quelques regards brefs et distraits. Certains se contentaient de constater sa présence avant de se détourner. D’autres – beaucoup d’autres – ne se donnaient pas autant de peine.

Pour une fois, Jim fut soulagé d’être snobé. Il régnait une telle tension qu’il en ressentait tout le poids sur ses membres engourdis. L’air lui semblait étouffant et poisseux, suintant d’hostilité et de suspicion.
Les pirates qui se tenaient devant lui – même les plus sympathiques – étaient des tueurs aguerris. S’ils en venaient aux mains, Jim n’avait aucune envie de se retrouver au milieu de la mêlée.

Le Second toisait Tijl comme s’il pouvait le disséquer armé de son seul regard glacial mais son avertissement s’adressait à chacun d’entre eux :

« Le Capitaine a toujours été présent. Il est toujours présent. Jamais il n'a abandonné le Jolly Roger, jamais il n'a abandonné l'équipage. »

Aussi désireux qu’il fût de retrouver les bonnes grâces du Second, Jim contenait péniblement sa consternation. C’était du délire. Le Second, dont il avait toujours admiré l’intelligence, débitait connerie sur connerie avec conviction. S’il n’était pas gradé, armé et instable, l’ancien mousse lui aurait ri au nez.

Jim jeta un œil par-dessus son épaule. A la façon dont certains réagissaient à l’échange, la direction des regards, et les murmures, on devinait des loyautés et des oppositions dans le public. C’était ce que les pirates avaient de plus proche de la politique.

Pour Jim, la question ne se posait pas. Toute le monde se contrefoutait de ce qu’il pensait ou pour qui il réservait sa loyauté. Zeb n’avait pas besoin de lui et Smee ne voulait pas de lui. Il n’était qu’un gosse. C’était pas lui qui ferait une différence dans ce conflit.
Non, la seule question pertinente pour Jim c’était plutôt comment ne pas se laisser entraîner là-dedans. Si quelqu’un ouvrait les hostilités, il serait dans les premiers à tomber. La survie serait son unique priorité.

La porte s’ouvrit avec fracas. Dogfish s’écroula comme frappé par la foudre. Tous les regards se tournèrent vers la silhouette noire qui se découpait dans l’embrasure obscure.

« QUI Ose... » Jim baissa la tête, craintivement. « M’importuner de la sorte. »

Jusqu’ici, durant chaque apparition du Capitaine, l’ancien mousse s’était toujours trouvé un semblant de sécurité dans l’anonymat de la foule. Sa petite stature lui avait permis de se faire oublier. Mais là, il était près – beaucoup trop près – et surtout beaucoup trop visible.
Le Capitaine Crochet n’avait toujours été qu’une menace lointaine et abstraite qui ne l’empêchait pas de dormir la nuit. A présent, Jim ressentait une terreur plus réelle que tout ce qu’il avait pu jamais ressentir jusqu’ici. La seule idée que cet homme se rappelle de son existence le liquéfiait d’effroi.

Un jour sur le quai,
un serpent piqua Crochet
et savez vous ce qui arriva
ce fut le serpent qui creva.

Cette comptine lui avait toujours semblée si ridicule… Alors pourquoi c’est elle qui lui revenait quand il entendit l’explosion ?

On n’entendit que le bruit sourd d’un corps qui tombe.

L’oreille encore sifflante, Jim jeta un regard à Tijl qui n’avait pas bougé, à Zeb qui était encore debout, puis à Dogfish à terre mais bien vivant. Alors sa tête se tourna lentement sur sa droite. A trois pas de lui, il y avait un matelot raide. Son regard remonta en oblique et se posa sur l’arme encore fumante que tenait le Capitaine.

« MES CHERS CHIENS GALEUX ! Chair à canon… Comme vous ne m'avez pas manqué ! », laisse éclater Crochet.

Un rire sauvage jaillit de sa gorge, reprit par une partie de l’assistance.

Sans réfléchir, Jim fit un pas en arrière mais fut arrêté par un véritable mur : derrière lui, les rangs s’étaient resserrés et ne permettaient aucune fuite.
Il jeta un nouvelle fois un regard vers Tijl espérant capter dans le sien des instructions. Le prêtre était bien trop loin pour qu’il se range derrière lui sans attirer l’attention. Quant à Zeb, il se trouvait dans l’œil du cyclone. Il ne pourrait rien pour lui.

Comment se faire oublier quand tout en lui ne demande qu'à déguerpir comme un lapin.

Résumé: