The Sealed Kingdom

Le vent glacial mais qui ne portait pas le mal du froid dans le Domaine enveloppait le Manoir Funèbre. Il y avait toujours ces sons, comme la respiration sans vie des morts. Ce sifflement, qui restait dans les oreilles du Ténébreux même loin de son habitation, était inquiétant pour beaucoup mais il était tout le contraire pour le vampire des vampires. Il savourait même ce calme, Dracula, en tendant les doigts griffus il avait l'impression de parfois sentir la paume d'un être précieux se poser sur eux. Ô misérables souvenirs qui demeuraient indigestes pour l'Oubli de l'Île.

Le bleu de la lueur lunaire se mêlait à quelques bougies aux halos de feux, comme cette rencontre perpétuelle entre les morts et le sang. Des êtres sans âmes mais avide à jamais pour combler la perte d'une chose sacrée. Le Comte Dracula était installé dans un fauteuil de riche tissu vermeil, à sa droite une élégante petite table de bois sculpté supportait une coupe d'apparence argentée. Il s'agissait d'or blanc, mais il inspirait l'argent aux autres vampires. Rien qu'un symbole de plus pour désespérer les malheureux Hommes qui auraient pensé à l'argent. Rien qu'un rappel aux créatures de la nuit qu'il était leur maître pour l'éternité. L'enfer éternel se ferait en suivant l'ombre du vampire des vampires, et aucun être n'y trouverait à redire.

Le Ténébreux porta la coupe à ses lèvres pour en savourer le contenu, la gorgée se voulait courte à l'origine. Mais d'une traite tout fut emporté. Dracula observa le fond du récipient avant de le replacer sur le plateau qui permettait aux serviteurs vampires de ne pas craindre le métal. Ils ne savaient pas qu'il s'agissait d'or blanc.

La soif du Comte était impossible à combler. Lors de banquet, il buvait avec manières et élégance. Mais en dehors, il vidait les coupes les unes après les autres.

C'était donc dans cette pièce, un salon où Dracula aimait être seul ou accompagné de quelques serviteurs, qu'il attendait Belladone. Rien de bien grave, loin de là. Il ne s'agissait que d'une mission plus ou moins importante. Pas autant que de revenir avec le sang de Peter Pan, cela il le réservait pour les créatures qui l'avaient profondément déçu. Car oui, il en fallait énormément pour remonter dans son estime.

Cela valait bien d'étancher une fois pour toute la soif éternelle du Comte Dracula. Apaiser l'enfer de son maître était La seule solution pour revenir de l'exil. Mais voilà bien une chose qui ne concernait pas la chère Veine, elle ne décevait pas le Ténébreux. C'est pour cela qu'il décidait en cette nuit de lui faire un cadeau.

Dans la cheminée qui faisait face aux vitres décorées de lourds rideaux, un amas de cire et de fils de bougies brûlait. Créant un feu silencieux, d'une esthétique étrange que seul l'environnement du Manoir justifiait. Les rivières blanches s'écoulaient et se figeaient presqu'instantanément. Ce fut en suivant du regard l'un de ces chemins échoués que le regard du Ténébreux se releva sur la porte qui s'ouvrait dans une plainte lente.

Un serviteur s'inclina en invitant Belladone à entrer.

Une entrée qui ne fit aucune fausse note, aucun écart grinçant aux oreilles du Ténébreux. La question posée avait tout lieu d'être, et la réponse qui s'apprêtait à résonner se vit accompagnée d'un léger rictus en coin. Dracula mit soin de choisir ses mots, le temps n'avait rien d'une denrée rare pour lui. Encore moins sur cette Île.

- Belladone, la Veine resplendissante sous les lumières de notre bienfaitrice lune. Sans doute sais-tu déjà que je récompense les vampires dont les comportements sont dignes de leur rang.

Une gorgée du précieux liquide fut emmenée dans la gorge de la créature de la nuit, le temps n'avait aucune sorte d'existence en cette Île après tout... et si peu pour un vampire. Le sang qui altérait la soif éternelle était particulier, il concernait directement ce que le Ténébreux allait aborder comme sujet. Un cas spécifique, juste un caprice, comme la recherche d'un vin rare. Ou l'acquisition du Graal qui permettrait peut-être au vampire des vampires de ne plus jamais ressentir la cendre assécher sa bouche.

Un geste à l'un des serviteurs, et celui-ci se tourna vers un petit meuble afin de remplir le fond d'une coupe de cristal. Objet qui fut ensuite présenté à Belladone.

Le maître du Manoir reprit ensuite, en ignorant les battements de coeurs qu'il pensait entendre résonner dans les os de la bâtisse.

- Prends-en une gorgée, assèche donc ce verre. Cette "cuvée" est d'un ton particulier, dis-moi ce que tu en penses.

Ce sang était celui d'une mère ou d'une apprentie, peu importait, dont la magie avait grandement agit sur la composition de l'humaine en question. Cela apportait un petit plus, quelque chose de sucré, un peu comme un dessert. Dracula appréciait cette récolte régulière, mais il devait avouer qu'il préférait plus encore permettre aux méritants de s'amuser. De s'emplir de vie, alors que celle-ci s'était évanouie avec leurs coeurs dégoulinants. Voler cette source de vitale demeurait la seule chose qui semblait les garder dans une grandeur extrême. Voilà un goût emplie de féérie qui pourrait motiver encore plus à atteindre le sang de Peter Pan.

Le breuvage semblait plaire, et la petite analyse de Belladone fit sourire le Ténébreux. Il devinait déjà la question qui allait habiller les airs avant même que la jeune vampire ne la prononce. Dracula tourna les yeux en direction des fenêtres aux lourds rideaux, imaginant le sang de fées. Cela lui semblait particulièrement ridicule de s'en abreuver, le contenu ne pouvait probablement pas remplir assez du plus petit récipient.

- La chasse aux fées ne reflète pas notre Nature.

Dracula reposa son regard sur la Veine, un sourire acéré se traçant sur le visage de mort-vivant.

- Il s'agit-là d'un sang gorgée de magie. La malice des créatures de lumière est un ingrédient qui peut nous profiter, lorsque l'on trouve un humain qui la subit.

La soif revenait, griffant, déchirant, asséchant la gorge du Ténébreux qui fit exigence que l'on remplisse à nouveau sa coupe qui se vidait doucement. Le Comte observait le sang se déverser dans son verre particulier, et dans son esprit les mots venaient s'assembler afin de répondre à Belladone.

- Ce sang, gorgée de féérie, vient d'une mère du fief de Peter Pan.

Rien que de dire le nom de l'enfant tyran renforçait l'impatience du Vampire des vampires à l'encontre de l'odeur d'hémoglobine. Coupe remplie, la main froide se resserra sur le métal argenté et la gorge fut enfin apaisée après une longue gorgée. Avec un peu de délicatesse, l'horreur déposa l'objet et prit le temps d'essuyer d'une serviette distinguée le rouge qui habillait les lèvres sans couleur.

- Il s'agit d'une certaine Redeemed, elle s'était présentée au Manoir de son propre chef. Nous avons fini par l'obliger à régulièrement nous fournir de son sang si particulier. Et maintenant, je t'offre tout le loisir de t'en occuper.

Pourquoi donc offrir ce genre de chose ? Le Ténébreux avait simplement déjà perdu l'attrait de la nouveauté à l'encontre du sang teinté de magie, que la productrice soit encore ou soit trépassée... il n'en avait plus cure. Alors autant faire présent d'un jouet à l'une de ses protégées. Dracula était un homme de parole, un mort de parole, mais jamais il n'avait dit à la Macho qu'elle serait en paix. Dès le moment où le sang était récolté, il ne s'agissait plus que de bétail.

Même avant.

- J'ai eu connaissance que tu appréciais disparaître de nos terres pour te mêler au bétail, je te présente l'occasion de te distraire et de ramener un "dessert" à tes pairs. Exclusivité dont tu pourras aussi profiter.

Le Comte était généreux. Ou avait-il juste envie de lancer une ombre aux talons d'une enfant, qui avait pris pour un jeu de venir dans le Domaine sans craindre la réputation d'un lieu plus dangereux qu'ailleurs ? Peut-être bien que les malédictions faisaient aussi parties du monde des horreurs.

La vie mortelle qui s'éveillait apparemment dans la voix de Belladone était plaisante aux oreilles du Ténébreux. La mission avait des airs de présent, une petite attention que le maître des vampires prenait grand soin d'offrir de temps à autre. Féliciter, dorer le blason sanglant des créatures parfaites ne faisait que les rendre encore plus élégantes.

De plus, la quête paraissait posséder l'essence d'un jeu d'enfant pour la Veine qui parlait déjà d'avoir les moyens de retrouver la mère en question.

Le Vampire des vampires élargissait un rictus élégant, bien que cruellement emprunt d'une forme de fierté envers les êtres de sa trempe. La coupe aux semblants d'argent fut délaissée au même instant que le Comte se décidait à quitter son fauteuil, le sol chantait sous les pas du mort-vivant dans un tempo d'une promenade lunaire. Un calme de façade noyant la soif et la mélancolie éternelles.

Arrivé à la hauteur de Belladone, le Comte se pencha à peine.

- Je n'ai cure de l'état dans lequel Redeemed sera, j'ai déjà étanché ma soif de curiosité envers son hémoglobine. Tant que nous en ramène un peu, ma personne en sera satisfaite.

Puis il continua de marcher, en direction des lourds rideaux. Le soleil encore banni des cieux ne l'empêchera pas de contempler l'argenté de la nuit.

- Cependant, je dois avouer que ta mention de "contacts" éveille mon attention. Est-ce le résultat de tes jeux ?

Quel mauvais seigneur ferait-il de ne pas s'intéresser aux actes et réussites de ses protégés. Quel mauvais saigneur ferait-il de ne pas se soucier des faux-pas de ses êtres parfaits.

Une griffe rencontra le verre des carreaux, la froideur était normale. Mais le seigneur du Manoir ne cherchait pas à trouver de quoi rafraichir, sa propre mort le gardait d'être avide de températures basses. Il préférait tant la chaleur du sang.

Bref intérêt pour l'environnement où il évoluait, il tourna l'attention sur l'absence de reflet sur la vitre. Mais écoutait Belladone répondre, il savait où elle était sans avoir besoin de voir une image inversée sur les surfaces lisses. C'en était parfois désolant. Bien que rapidement oublié. Les mots de la Veine tissaient leur récit. Le petit jeu de la demoiselle avait quelque chose de malin, il se tourna pour poser le regard sur l'Horreur. Un genre de douce manipulation semblait se créer dans la toile de la Vampire.

Cela plaisait au Comte, ce genre d'art était une chasse plus évoluée. Parfois, la soif rendait fou, et privait de prendre le temps de jouer un peu. De créer plus d'horreur dans le regard des êtres. Peut-être même que leur sang pouvaient créer des goûts différents selon le lien ficelé ?

Ses amantes humaines avaient en effet un sang incroyablement délicieux. Avant qu'il ne les laisse à ses protégés. Il valait mieux ne jamais s'attacher.

- Je crois deviner les esquisses d'un jeu qui, ma foi, est bien digne de la nature vampirique. La douce manipulation, est-ce bien cela l'art auquel tu te perfectionne ?

La gorge devenait sèche, sans attendre plus longtemps, le Vampire des vampires s'octroya une nouvelle gorgée de sang. Dans sa très chère coupe aux apparences d'argent.

- Dis-moi, Belladone, lorsque tu dévores ceux avec qui tu t'es liée... leur sang te paraît-il meilleur ? Plus, satisfaisant ?

Le Comte cherchait parfois à trouver des raisons à sa soif éternelle.

Les yeux rouges s'étaient figés sur la vampire pâle. Sous la lueur de la lune froide, comme en une tirade sur une scène d'opéra, les mots tombaient sous le poids de ce que la Veine semblait y mettre. Malgré l'envie de sang permanente, le Comte déposa sa coupe sur un plateau attendant l'objet non loin. Les mains se joignirent sur le pommeau de la canne, quelque chose en lui se trouvait quelque peu en déplaisir d'entendre ces répliques affectants visiblement Belladone.

Oh ce n'était pas étranger au Ténébreux, cette dualité profonde concernant les humains. Leur chaleur vivante avait un quelque chose de charmant, et les pauvres créatures de la Nuit se trouvaient parfois attirés par la lumière.

Quel mal aussi laid que celui de la soif éternelle...

- La lune qui nous éclaire ne pourra jamais nous réchauffer comme le sang de nos proies.

Un temps, alors que le Vampire entendait au loin le coeur battre dans les vieux os du Manoir.

- Ma pauvre Veine, il semble que l'amer ne te sied guère.

Quelques pas lents, et Vlad Dracula tendit le dos de phalanges glacées à la joue de l'Horreur. Caresse affective destinées aux siens, la perfection destinée à l'ombre et à la soif... Le Comte passa outre la fâcheuse manie de la créature, il était bon seigneur.

Puis les doigts portèrent la mâchoire légèrement.

- Ne sois pas si chagrinée, ils ne te méritent simplement pas. En revanche, nous, nous sommes là. Moi-même, je préfère vous offrir mes protégées plutôt que de les achever de mes mains. Une compassion envers elles, afin qu'elles n'aient pas à me voir en bourreau.

Sourire léger sur le visage du mort-vivant, le seigneur se voulait bienveillant pour ses protégés. Ces derniers comprenaient l'importance du sang, l'importance de la parfaite image vampirique. Leur supériorité à ces chiens d'humains. S'il fallait prendre le temps de réconforter un peu la Veine, il pouvait le prendre. Il avait l'éternité devant lui.

Le geste s'acheva en glissant une mèche blanche derrière l'oreille, puis à nouveau les mains retrouvèrent la canne.

Le coeur battait. Ce satané coeur, voilà la seule chose que le Comte ne divulguait pas aux siens. Il pouvait laisser voir la tragédie qui se changeait en chasse offerte, mais pas le reste. Alors, mieux valait parler de beauté de geste, de compassion, plutôt que de peine à tuer.

Voilà qu'il préférait la Veine ainsi. Une mine satisfaite prenait place sur les traits millénaires du Vampire des Vampires alors qu'il écoutait, ravi, l'assurance retrouvée de Belladone.

La perfection reprenait ses droits divins.

- Je n'en doute guère, Belladone.

Souriant à l'Horreur fantomatique, Dracula s'éloignait doucement afin de retourner s'intéresser à sa coupe de faux argent. Il ne voulait pas le montrer, mais à cet instant... sa gorge était atrocement asséchée. Peu importait la quantité, les océans de sang ne savaient jamais calmer cette soif éternelle.

Les doigts glissèrent autour du métal aussi froid qu'eux, ils portèrent le liquide vital aux lèvres du Ténébreux et celui-ci savoura la longue gorgée. Ponctuant d'un sourire peut-être un peu cruel, il lui faudrait avoir quelque chose dans ce goût plus souvent. En dessert.

- Bien, tu sauras mener ma demande à la perfection.

Les lueurs rouges se tournèrent sur l'Horreur, jurant avec les rayons d'argent des cieux.

- Ne te méprend-pas, quoi qu'il puisse arriver dans le cadre de cette "mission"-

Le Comte Dracula ne termina pas tout de suite sa phrase, occupé à essuyé du pouce une goutte sanguinolente qui glissait de sa bouche.

- ... je ne t'en voudrais pas.

Sourire en coin, élégant toujours, avant de reprendre une petite gorgée.

- Vois-y un cadeau. C'est un jouet pour toi.

Belladone en fera ce qu'elle voudra, le seigneur du Manoir ne souhaitait que quelques bouteilles de sang enchanté. Et si la porteuse mourrait... ce n'était pas grave. Loin de là si cela avait amusé l'un de ses vampires.