Par ses maigres moyens, Rachel tâchait de chasser les ténèbres en veillant à apporter un peu de lumière auprès de ses enfants. Les veilleuses brillaient continuellement, telles des lucioles ayant le pouvoir de chasser les enfants du Croquemitaine. La Mère enrobait ses mensonges davantage, transformant ses paroles en sucre pour que ses enfants demeurent près d'elles et ne courent pas l'aventure.

Elle ne savait pas encore que, dans un proche futur, elle perdrait un de ses protégés.

Cette nuit (aujourd'hui était devenu un terme galvaudé), Rachel avait reçu ordre de Peter Pan, par le biais de Clochette, de participer à une expédition. Parmi les tintements de la fée, la Mère avait cru comprendre qu'ils seraient plusieurs et devaient se rendre au village des Delaware. Rachel ne chercha pas à comprendre les desseins qui avaient inspiré Peter à faire appel à une mère. Les désirs de l'Enfant-roi ne doivent pas être discutés, mais exaucés.

La Mère se rendit donc au pied du Grand Arbre, se demandant tout de même qui elle allait accompagner. A défaut de posséder une quelconque arme pour se protéger, elle avait ramené avec elle une lanterne. Un objet des plus vital en ces temps troublés où on ne pouvait pas voir à moins de dix mètres. Rachel la tendait devant elle, éclairant son chemin. Elle manqua de peu de s'heurter à Moony tant le garçon perdu était figé, plongé dans les ténèbres.

« Bonsoir ! » (Se dire bonjour était devenu aussi obsolète) « Je me présente : Rachel, mère des diplomates. Clochette m'a parlé d'une expédition chez les Delaware. Je suppose que tu en fais partie aussi. Tu es artisan, si je ne me trompe pas. »

Rachel posa la lanterne à leurs pieds, laissant la bougie éclairer les environs d'une lueur tamisée.

« Tu en saurais plus sur cette mission ? Clochette n'a pas été très claire, ses paroles sont trop... ponctuées de tintements de cloches. »

La Mère croisa les bras, ramenant ses paumes sous ses aisselles pour les réchauffer. La nuit s'annonçait fraîche.

Les ténèbres avaient envahi le ciel. Ce voile ténébreux semblait étouffer la vie qui se débattait sur la terre, qui se démenait pour vivre, active comme une fourmilière géante. La lumière s'était éteinte mais le quotidien continuait. Tous faisaient ce pourquoi ils étaient là. On taille, on récolte, on construit, on gravit, on récolte, on amasse, on lave, on grimpe, on ordonne, on agit, on marche, on circule, on ne s'arrête pas et on sue ce qu'on peut.
Joy ne faisait pas exception à la règle. Elle était, elle aussi, prise par le rythme effréné du travail. Un semblant de balais dans les bras, elle balayait la poussière que le vent ne cessait d'amener. La saleté était comme une vague qui se retirait pour revenir. Encore et encore.
C'était parfois lassant et épuisant. Mais l'idée de se rendre un peu utile séduisait Joy. Plus que n’importe quelle récompense. Elle entendait dire que certains soigneurs se plaignaient souvent de la saleté qui envahissait chaque jour l'infirmerie. "On viens ici pour se soigner, pas pour choper l'tifus!"
C'était Mary qui l'avait chargée de cette tâche essentielle. Et c'était là, une motivation supplémentaire pour Joy. Bien qu'elle la connaisse peu, la Sanglante était sa supérieure, c'était une raison suffisante pour ne pas la décevoir.

Un tintement.

Joy n'eut pas besoin de lever la tête pour reconnaître Clochette. Et c'est sans lever les yeux qu'elle interrogea la fée sur la raison de sa visite. Tandis que la mère était occupée à frotter des taches de sang séché incrustée au sol, la petite messagère lui expliqua son motif : une mission, aider à fabriquer des veilleuses, le grand arbres, tout de suite. Quand elle eut fini, elle fila aussitôt, sans doute pour avertir d'autres personnes de ce rendez vous important.
La Stone fut d'abord bien embêtée, elle se tourna pour voir si Mary était là. Mais ce n'était pas le cas. Elle interpella alors un infirmier occupé à changer les bandages d'un blessé:

- Dis, si Mary rentre. Tu pourras lui dire que je suis en mission ? Je terminerais le ménage à mon retour.

- Pourquoi moi ? gémit l'intéressé.

Joy resta silencieuse et répondit étonnée :

- Je sais pas. Tu peux faire ça pour moi ?

Le jeune soigneur soupira et retourna à son travail.
Pour la énième fois, Joy se demanda pourquoi l'évocation de la Sanglante créait un tel émoi. Cependant, elle écarta ces pensée. On la demandait. On l'attendait.
Elle se dirigea d'un pas tranquille vers le point de rendez vous. Elle n'était pas pressée. De loin, elle aperçut deux silhouettes. Joy reconnut Rachel, la mère des artisans avec qui elle n'avait jamais conversé mais qu'elle connaissait de visage. A ses cotés, se tenait un garçon qu'elle n'avait jamais rencontré. Une troisième ombre les rejoint. Une ombre rouge.
La Stone arriva enfin à leur hauteur.

- Bonjour. Enfin, bonsoir ! Désolé, d'est dur d'y voir clair en ce moment.

Elle eut un petit rire.

" C'est pas drôle. "

Joy se tut.
Soudain, elle reconnut la troisième ombre. Le troisième individu. Sparkle.
Elle pâlis sans pour autant perdre son éternel sourire serein. Pourquoi lui ? Elle l'avait déjà rencontré lors d'une promenade.
l'incendiaire s'adonnait à sa passion brûlante et elle était arrivée au mauvais endroit, au mauvais moment. Elle avait eut très peur. Le feu lui avait même lécher le mollet. Mais plus de peur que de mal.
La Stone aurait bien vit oublié cette histoire si ce garçon n'avait pas alors choisit de la fuir depuis ce jour.

" Pourquoi lui ? "

Joy décida d'ignorer la réaction que susciterait sa venue chez Sparkle. Elle déclara donc:

- Clochette ne m'a expliquée que les grandes lignes. Si j'ai bien compris, il s'agit de veilleuses, non ?

Rachel sentit, plus qu'elle ne le vit, le regard empli de rage de Sparkle sur sa personne. Ce ne fut que lorsque le garçon fit entendre sa voix chevrotante que la Mère put poser un nom sur le visage partiellement camouflé par la pénombre. La mission s'annonçait plus ardue que prévue. Si Sparkle se conduisait comme lorsque Rachel avait du se rendre au sein des marais, la mission courait à la catastrophe. La Mère se contenta de hausser les épaules. Elle n'aurait, après tout, aucun scrupule à abandonner l'Enfant Perdu s'il se révélait être un poids mort.

La vie était une jungle qui n'admettait pas les faibles.

La Mère salua l'arrivée de Joy d'un hochement de tête. La Mère des Diplomates ne connaissait que peu la Mère-apprentie des Soigneurs. La demoiselle était très effacée comparée à Mary, agissant presque dans l'ombre. Cette mission saurait peut-être rapprocher les demoiselles et les aider à mieux se connaître.

Tout le monde étant désormais présent, Moony expliqua la quête. Rachel se saisit d'un des sacs, sa main plongeant à l'intérieur à la recherche de l'arme. Son visage se froissa et sa bouche se plissa à la vue de l'objet. Un vulgaire lance-pierres. Rachel glissa l'arme dans sa ceinture, espérant ne pas rencontrer de danger lors de leur marche. Un lance-pierre était une arme bien dérisoire face à un fauve, ou même un pirate.

« Partons donc à l'aventure, fiers compagnons. Nous aurons une belle histoire à raconter à notre retour, qui sera victorieux ! »

Rachel ne croyait qu'à moitié à ses propres paroles, mais il fallait savoir mentir pour motiver les troupes. La mère emboita le pas à Moony, se retournant tout de même pour veiller à ce que les deux autres les suivent. Lanterne à la main, la jeune fille veillait à éclairer le chemin. Au bout de quelques mètres, la mère finit par stopper sa marche et se pencha. Ramassant un long bâton, probablement une branche morte, Rachel en testa la solidité en frappant le sol avec. La mère répéta ce manège plusieurs fois, jusqu'à se retrouver avec quatre bâtons assez solides à son goût. Elle les tendit aux autres membres du groupe.

« Les bâtons nous aideront à marcher, et surtout à mieux voir. En foulant le sol devant nous avec, on pourra éviter les nids de poule, et les racines tortueuses. Le bruit répété du bâton sur le sol éloignera aussi les créatures comme les serpents. Mes enfants usent souvent de ce stratagème lorsqu'ils doivent se rendre en mission. »

Rejetant les épaules en arrière, Rachel rayonnait. Ah ça, aucun d'eux n'y avait pensé ! Emplie d'orgueil, si Rachel avait été une poule, elle aurait fait bouffer ses plumes.

Quel but avait la mission... Quel but avait la mission? Peu importe. Sparkle allait voir le feu sacré, c'était tout ce qui comptait, le reste, bof. Il n'avait même pas calculé qui était la dernière mère, ce qu'elle avait dit... Enfin bon. Il réagit à peine au contact du sac qu'il passa machinalement autour de son cou. IL prit néanmoins la précaution d'y ranger allumettes, briquet et bougies, de peur que tout ça tombe par terre sans qu'il ne s'en rende compte, sur des feuilles mortes ou de la terre qui amortirait le bruit du choc... Ce serait horrible. Il regarda ensuite sa torche avec ses grands yeux rouges, et se mordit la lèvre en songeant, vaguement, qu'elle serait parfaite pour mettre feu à un arbre.

Une arme? Pourquoi faire? Y'avait-il un réel danger... Non, L'Incendie en doutait. Pas si le feu était avec lui. Il avait le pouvoir de tout vaincre, quand il l'avait, c'était plus qu'une constatation, c'était une réelle certitude. Un peu comme quand quelqu'un croit en un Dieu, ou un esprit -l'esprit feu....-, cela était ancré en lui. Pas moyen de faire mieux. Pourtant, il glissa le lance-pierre dans un des arceaux du bout de tissu informe et puant qui lui servait de pantalon, sans douter une seconde qu'il brûlerait les yeux et les parties intimes de quiconque les attaquerait, si on les attaquait, ce qui était déjà aussi peu sûr que "DogFish m'attaquera un jour".

Ils partirent donc. Sparkle fermait la marche, et cela l'arrangeait vraiment, car cela avait beaucoup d'avantages. Déjà, pour commencer, on ne se souciait pas trop de lui, en théorie, et il pourrait tranquillement vaquer à ses occupations personnelles. Et puis, surtout, il était bien éloigné de l'autre vipère, et n'entendait donc pas ses ordres, car il se doutait bien qu'elle en donnait. Mère des diplomates ou pas, celle-là était trop sûre d'elle, oui. Sa façon de parler, avait tout de celle d'un vantard, ou alors de quelqu'un qui raconte des histoires... Sparkle ne l'aurait pas supporté, et était bien, derrière.

Il louchait sur sa torche. La flamme dansait devant ses yeux et le captivait plus que la marche. Lorsqu'on lui tendit un bâton, il le prit sans quitter le feu des yeux, et le coinça sous son bras sans même s'en soucier. Quel intérêt ça pouvait bien avoir, quelque chose comme ça? Aucune idée, donc aucun intérêt. Cela le gênait plus qu'autre chose, et il déposa la branche sur le sol, discrètement. Un encombrement en moins. Plus de place pour le feu. Il leva quand même les yeux pour regarder loin devant lui, le plus loin qu'il pouvait. Et puis comme il ne voyait rien, il balbutia:

Hé, t-toi, là, devant? Tu p-p-peux demander à Moony on est où, je...je.... j'vois rien.

Comme il n'aimait pas parler à un dos, il s'approcha de la jeune fille, puisque c'en était une . Il lui tapota l'épaule et la regarda plus attentivement, peut-être qu'il la connaissait, après tout.

C'était elle.
C'était elle.
C'était elle.

Il hurla de frayeur, et laissa tomber sa torche par terre. Il tenta de reculer, mais il était enchaîné à elle. Enchaîné, comme un prisonnier. Elle devait être triste, elle devait avoir peur. Et lui, lui aussi, il avait peur! Il reculait, toujours, et ses yeux tombèrent sur l'incendie qui était né dans l'herbe où la torche était tombé. Alors, il arrêta de hurler, aussi brusquement qu'il avait commencé. Il s'assit par terre et regarda la marée de flammes se propager. C'était comme un spectacle, une fête foraine. C'était comme quand le monsieur avait allumé le cerceau et l'autre avait sauté dedans. Une minute. Qu'est ce que cette pensée faisait là? Il n'y avait jamais eu ces deux messieurs. Hop, dehors.

Leur périple allait commencer. L'équipée semblait bien dérisoire fasse aux dangers que recelait les bois, mais Joy sentait néanmoins une grande fierté à l'idée de faire partie de ce petit groupe, à l'idée d'accomplir un devoir. Se sentir utile était d'un grand réconfort. Elle portait le sac que lui avait remis Moony sans trop de peine. Il n'était pas si lourd après tout. Tandis qu'elle avançait, elle contemplait le ciel nocturne.

Ou plutôt, elle s'y forçait. La présence de l’Incendiaire derrière elle, la mettait mal à l'aise. Il ne lui avait rien dit depuis leur départ. Était-ce pas peur ? Ou peut-être ne l'avait-il tout simplement pas reconnu ? Joy tentait de fixer ses pensées sur le ciel étoilé. Etoiles, constellations, galax... Et lui que pouvait-il bien penser ? Il la détestait ? Joy secoua la tête pour se débarrasser de ses pensées. Galaxie, Univers, Noir, Lumière, Etoile filante, Météor... Lui en voulait-il depuis ce jour ? Elle l'aurait interrompu pendant ses jeux ? Il était encore contre elle ? Oui, il la détestait. Ça ne pouvait être que ça.

La mère du nom de Rachel leur proposa des bâtons de marche. Joy trouva l'idée excellente. Elle remercia la Menteuse en lui lançant un sourire amical. Pourtant lorsqu'elle l'eut en main, elle le trouva assez encombrant. Il ne lui servait pas à grand chose pour l'instant. La Stone craignait pourtant de froisser sa compagne en se débarrassant de l'objet. Elle choisit donc de l'attacher à son sac de manière à avoir les mains libres. Après tout, cela pourrait être bien utile lors de ce petit périple. Si elle avait un couteau, elle pourrait l'aiguiser pour en faire une lance. Or, elle n'en possédait pas. De plus, elle ne se voyait pas attaquer un animal armée d'un bout de bois aiguisé. Zut.

Joy continuait à marcher et consacrait son esprit à divers occupations pour chasser l'ennui. Ils ne disaient rien et - était-ce son imagination qui lui jouait des tours ? - elle trouvait l'ambiance assez palpable. La Stone détailla les membres de cette équipe.

Ce dénommé Moony avait l'air plus âgé de part sa taille. Ce serait à lui de concevoir les veilleuses pour "chasser la nuit". Rachel étant la mère des diplomates, son rôle consisterait sans doute à négocier avec les Peaux Rouges pour l'obtention de cet ingrédient mystère. Quand à Sparkle... Joy n'osa pas se retourner. Le feu était sa spécialité après tout. Mais elle ?!
Joy réalisa soudainement un détail qui l'avait échappé : pourquoi était-elle là ?! Pas pour jouer les touristes ! La Stone réfléchissait. En quoi avait-elle une forme se supériorité ? Pourquoi elle et pas une autre ? Mmmmh... Elle s'y connaissait en matière de drogues en tout genre. Aucun rapport, bien évidemment. Elle était mère des soigneurs. Non ! Ils pensaient qu'elle pourrait les soigner ?! Joy ne savait plus s'il fallait en rire ou laisser place à la panique. Si elle s'y essayait, elle parviendrait sans doute à les achever.
La Stone poussa un soupir. Si elle était incapable de soigner, elle devait trouver un moyen de contourner ce problème : les empêcher de se blesser.

Une main lui tapota l'épaule, la tirant de ses réflexions.

C'était lui.
C'était lui.
C'était lui.

Il la regardait. Leur regard se croisèrent. Il l'avait reconnu. Merde. Sparkle poussa un cri, sans doute de peur, en esquissant un mouvement de recul.

Joy détourna les yeux, gênée. Pourquoi, réagissait-il toujours ainsi en sa présence ? Elle se sentait monstrueuse lorsqu'il posait ce regard épouvanté sur elle avant de prendre la fuite.
Ce jour-là, c'était-elle qui avait eut peur. C'était-elle qui avait poussé un cri. Ils avaient échangé un regard terrifié. Elle aurait voulu lui parler. Lui dire que ce n'était pas grave. Qu'elle allait bien. Qu'elle n'avait rien. Mais elle avait hésité, encore étourdie par la frayeur. Lui, il n'avait pas perdu une seconde. Il avait fuit. Et il continuait encore aujourd'hui. Encore, un fois. Encore.

Soudain, elle réalisa une autre chose. Le feu. Décidément, elle était longue à la détente.

Joy resta un instant immobile à fixer avec horreur cette lumière vivante et destructrice se propager dans les herbes sèches. C'était comme la dernière fois. Un véritable enfer qui s'ouvrait sous ses pieds. Mais, les mêmes événements ne se reproduirons pas : elle n'hésiterait pas.
La Stone enjamba les flammes pour rejoindre l'Incendiaire, craignant que dans sa passion brûlante lui fasse commettre quelques imprudences. L'attitude de ce dernier ne la surprit pas : il contemplait cet incendie avec la même fascination que celle des papillons de nuits. Joy l'écarta pour qu'il ne se brûle pas ou n'aille pas se jeter dans le petit brasier. Elle retira prestement sa veste et l'aspergea du contenu de sa gourde puis la plaqua contre les flammes pour tenter les étouffer. Elle lança à l'Incendiaire sans se retourner, de peur de croiser un regard empli de crainte :

- Je vois que tu es content de me voir... T'es pas blessé ?

Joy se sentait impuissance face à ce genre de situations. Et ces moments réussissaient toujours à lui faire perdre contenance. Si seulement, elle pouvait mâcher quelques feuilles de Délirette. Elle pourraient transformer cet incendie en quelque chose d'inoffensif et merveilleux. Le monde des illusions était bien moins effrayant. Mais la réalité avait besoin d'elle pour le moment. Elle ne pouvait pas se permettre d'être un poids pour ses coéquipiers.  

" Pitié, faites qu'il n'ait rien. Je ne sais pas soigner les brûlures ! "

Elle ne savait même pas à qui elle adressait ses pensées. A un dieu ? Un démon ?  A  Peter ? Au destin ou au hasard ? Au feu lui-même ? Qu'importe.

A peine commencée, leur mission semblait déjà compromise.

HRP:

Concentrée sur sa mission, Rachel avait suivi le meneur, en l’occurrence Moony, sans poser davantage de questions. Ce fut donc avec tout autant de surprise que lui qu'elle découvrit que leurs compagnons s'étaient volatilisés. Sans même laisser une trace, un indice quelconque. Les doigts de la Mère se resserrèrent autour du bâton. Elle ne devait pas céder à la panique, elle devait rester maître des ses émotions.

Ce qui n'était pas le cas de Moony. L'artisan se laissait gagner par la peur, fomentant les pires théories. Rachel lâcha son bâton pour s'approcher de l'Enfant Perdu. D'une poigne ferme elle saisit Moony par les épaules, l'obligeant à stopper sa marche.

« Moony ! Regarde-moi ! »

Sourcils froncés et menton en avant, Rachel incarnait en cet instant la Mère. Elle dominait l'enfant, du moins psychologiquement. (Le garçon faisait presque une tête de plus qu'elle) Rachel secoua fermement l'Artisan par les épaules.

« Tu ne dois pas, et même jamais penser au pire ! Rien ne nous dit qu'ils sont morts ! »

Même si, il fallait l'avouer, c'était une perspective possible.

« Ils ont dû être ralentis par quelque chose. Sparkle est quelqu'un de très... rêveur. Tu dois le savoir, vu que vous êtes dans le même groupe. »

Rachel soupçonnait même Sparkle d'avoir oublié la mission, au profit de son éternelle obsession : celle de réduire l'île en cendres. Relâchant Moony, Rachel lui donna une petite claque sur la joue. Juste de quoi le ramener sur terre, lui rappeler la réalité. Se penchant, la Mère ramassa son bâton.

« Retournons sur nos pas. Ils ne doivent pas être très loin. »

Cette fois-ci, Rachel marcha aux côtés de Moony, le guidant en conservant sa main posée contre le dos de l'Artisan. Ce n'était après tout qu'un Enfant qui tentait, tant bien que mal, de porter un lourd poids sur les épaules. En tant que Mère, elle se devait de le seconder, de l'aider à passer cette épreuve.

L'odeur du brûlé qui vint chatouiller leurs narines ne fit que confirmer les hypothèses de Rachel. Aucune flamme ne semblait se dessiner à l'horizon. Sparkle avait-il été stoppé, malgré lui, dans son entreprise ? Ils allaient bientôt le savoir.

Du moins c'est ce que Rachel avait espéré. Alors qu'elle tournait à un croisement, Rachel vit un drap immaculé flotter mollement devant eux. La Mère stoppa net face à cette vision, clignant des yeux. Son esprit avait du mal à concevoir ce que ses yeux voyaient. Un drap ne pouvait pas flotter ainsi, c'était imp... Ah oui, ils se trouvaient sur l'île Imaginaire après tout. Tout était possible.

Néanmoins, ce drap, aussi innocent soit-il d'apparence, ne plaisait guère à Rachel. Il suintait de cet objet une ambiance... glacée, dérangeante.

Le drap se rapprocha en glissant, poussant un long gémissement. Les mains de Rachel s'agrippèrent au bras de Moony, ses ongles égratignant le tissu.

« M-Moony ? O-On devrait f-fuir... »

En tant qu'ancienne Diplomate, Rachel savait comment parler à la plupart des peuples de l'île. Mais les fantômes  n'en faisaient pas partie.

Il avait regardé , comme hypnotisé, le feu, puis le feu qui s'éteignait, et puis Joy. Joy... Ses mots arrivèrent comme une flèche censée piquer le coeur du garçon. Mais il était trop subjugué par le début d'incendie pour faire attention à elle ou à quiconque d'autre. Pourtant Joy jeta une veste dessus, et c'était tout. Le feu était fini. Alors, les yeux exorbités, les bras ballants, la bouche ouverte il se releva et regarda l'apprentie mère. Elle avait éteint son feu. Pourquoi donc?

Pourquoi font-ils ça à chaque fois? Sparkle dodelina du chef quelques secondes de droite à gauche comme pour signifier son mécontentement. Éteindre un feu, c'est comme tuer un bébé chat en donnant des coups de pelle dans un sac, c'est inhumain. Il posait un regard nouveau sur elle. Un regard de terreur face à cet être qui le haïssait, mais aussi la terreur d'un tel monstre qui avait assassiné son enfant, son feu. Un regard de colère, sûrement, et un regard de désespoir.

P-P-pourquoi tu...tu... tu l'as ét-t-teint? P-pourquoi t'as fait ç-ça? Pourquoi? POURQUOI?!

Il avait hurlé le dernier pourquoi. Tout son corps était en détresse, et il était remué de spasmes fréquents ainsi que de tic épouvantables qui faisaient prendre à ses traits, à sa bouche des formes étranges et violentes. Ses mains tremblaient également, plus que jamais.

Les yeux vides de toute expression, la tête renversée sur le côté il rugit à moitié et se rapprocha de la jeune fille, décidé à ce qu'elle souffre autant que le feu qu'elle avait sauvagement meurtri, torturé, voire même euthanasié, comme le vulgaire insecte avec lequel on joue, enfant, à toutes sortes d'expériences visant la mort des minuscules êtres. Oui, qu'elle souffre, qu'elle meure, qu'elle connaisse la douleur en punition de son acte démoniaque. Elle s'était attaquée au noble feu? Et bien, et bien... Elle ne méritait pas de vivre. Ses gestes étaient saccadés, une main se rapprochait du cou de la jeune fille.

Soudain, la chaleur et la fumée de l'incendie se dissipèrent, et une brise fraîche commença à souffler. Sparkle s'ébroua et sa bouche se referma d'un coup sec. Sa main tomba mollement. Un spasme le prit à la gorge, mais ce n'était plus le même genre de spasme. Il fit volte face, et alors il vit cette ombre blanche. Un fantôme. Il recula vivement, se cogna contre quelque chose, ou plutôt quelqu'un, mais ne s'en préoccupa pas, et il continua à reculer. Un fantôme, un fantôme.

La peur lui battait les oreilles, le coeur et la tête. Il se mit à pleurer, soudainement, tant il était terrifié. Les larmes coulaient sur ses joues, tandis, que, immobilisé, il regardait l'espèce de drap volant qui s'approchait de deux silhouettes à l'autre bout de la clairière.. Toute trace de colère en lui avait disparu.

HRP:

Moony tremblait. Elle le sentait sous ses doigts qui pressaient le bras de l'Artisan. Il était perdu, décontenancé par l'apparition subite du fantôme. La voix de l'esprit plongea Rachel dans la stupeur. Elle ne pensait pas les esprits capables d'user de la parole. Mais rien n'était impossible sur l'île, la Mère l'oubliait bien trop souvent. Inspirant un grand coup, Rachel retira sa main de Moony et avança d'un pas.

Le froid, émanant de l'esprit, la gifla de plein fouet. Rachel crut avoir plongé dans un lac gelé. Sa main se crispa au niveau de son cœur. Elle crut que ce faible organe s'était gelé, et menaçait de se rompre. La Mère inspira et expira lentement, se concentrant sur l'air qui affluait dans son corps, sur le sang qui pulsait dans ses veines.

Rachel déposa son bâton à ses pieds. Elle tendit ses bras, paumes vers le ciel. Quel que soit le peuple, ce geste avait la même signification.

« Nous venons en paix, évanescent spectre. Nous ne sommes que de faibles enfants qui, obéissant à un ordre de Peter Pan, essayons de combattre la Nuit éternelle. »

La mission n'était pas du fait de l'Enfant-Roi mais la Mère s'était sentie obligée de modifier la vérité, afin de donner plus de poids à ses paroles. Si l'esprit craignait le roi de l'île, il s'inclinerait face à cette troupe qui agissait sous son ordre.

Pour ne pas froisser la créature, Rachel inclina légèrement la tête.

« Nous ne faisons que passer. Auriez-vous d'autres Enfants Perdus ? Ce sont nos compagnons. »

Rachel espéra ne pas avoir franchi une limite. Elle voulait, simplement, essayer de profiter de l'opportunité pour faire d'une pierre deux coups : apaiser la créature, et mener à bien leur mission. Tous ensemble.