Sujets similaires

HRP:

Ce soir, la fête s’en est allée, peut-être qu’elle reprendra plus tard, qui sait. Ninoxe profite d’un moment de solitude, au coin d’un feu qu’il allumé avec un briquet tout neuf—tout est relatif, puisque juger l’âge de ce qui vient de la ville aux zombies n’est pas possible, pas plus que pour le reste de ce monde—et de branches qu’il a ramassé sans aide. Il lui faut un peu de calme, parfois. S’isoler pour se reconstruire, pour inspecter les blessures qu’il continue de s’infliger et de nettoyer avec une lassitude ancrée fermement dans ses chairs. Guitare sur les jambes, cela fait un moment qu’il bloque sur des notes qui n’ont pourtant rien de difficile.

Ce n’est pas tant la faute à ses mains meurtries, plutôt celle de son esprit qui peine à se remémorer un air qu’il n’a jamais pratiqué à la guitare. Le piano lui manque—un peu sournoisement, en un rappel de ce rêve égaré—bien qu’il compte s’améliorer à la guitare jusqu’à atteindre un niveau jugé acceptable. Au vu de l’intransigeance de Ninoxe envers la musique, correct signifie certainement quelque chose qui s’approche de la perfection.

En l’absence des papooses qui agglutinent près de lui pour écouter, le Brasier est assez détendu pour se permettre d’accompagner les notes par les paroles qui vont avec. Sa voix est bien trop douce, quand il chante, rien à voir avec son timbre habituel ; il n’aime pas ça. Chanter, c’est une autre partie de la musique, une école différente qu’il n’a pas étudiée. Outre pendant la chorale scolaire, où il faisait généralement du playback pour éviter qu’on l’entende.

« May there always be sunshine!
May there always be blue skies!
May there always be mummy!
May there always be me! »

Le visage de son enseignante de Russe s’est érodé ; reste son accent, ses chemisiers toujours boutonnés parfaitement, et les chansons qu’elle leur apprenait. Meilleur moyen d’apprendre une langue, de la vivre ! Il faut faire vibrer les poitrines et les cœurs, qu’elle disait. Ninoxe trouve son rythme, reprenant depuis le début dès que ses doigts appuient sur la mauvaise corde. C’est un peu brutal, comme technique, bien que ça a le mérite de le garder occupé. Une fois les deux premiers couplets passés, le reste semble revenir naturellement. Son russe se dérouille, langue qui fait glisser les mots les uns après les autres.

« My little friend,
Listen, my friend,
Peace is the dream of the people.
Hearts old and young
Never have done
Singing the song you have sung. »

Les chansons destinées aux enfants ont l’avantage de ne pas présenter de difficulté au niveau de l’articulation, tout du moins pour lui. Ah, c’est qu’il n’en a pas étudié tant que ça, quand il y pense. Toujours les mêmes, en boucle, jusqu’à ne plus pouvoir les oublier. C’est à l’opposé de la pop qu’il affectionne, tout en apportant un soupçon de chaleur que seule ce genre d’air possède. Il en va de même pour les plus gros titres de son pays natal.

Ninoxe, avec son look entre perdu et pirate—un survivant qui n’a de place nulle part—et son eyeliner qui a été tracé avec soin, se contrefiche de faire tâche au milieu des Delaware. Il n’a pas besoin d’en devenir un—pas encore, pas alors que son esprit est un champ de bataille—de toute façon. En tant qu’invité accepté par le clan pour une durée indéterminée, Ninoxe se contente d’exister et de ne pas causer de problème. Ce qui est déjà pas trop mal.

« May there always be sunshine!
May there always be blue skies!
May there always be mummy!
May there always be me! »

Impossible de rester neutre face à cet air empli de joie et de fierté ; il chante un peu plus fort, dans une langue inconnue aux membres du clan. C’est un peu pareil avec le Coréen, c’est son univers et il n’a pas le besoin de le partager pour être heureux.

Juste que ça lui manque, parfois.

Blood loss? No I know exactly where it is.

KoalaVolant

Le retour du printemps amène le retour des Delaware au sein de leur camp et, avec lui, des habitudes qui ne se sont jamais totalement estompées, mais étaient bien moins présentes pendant le Givre. Notamment les soirées au coin du feu, pleines de rire, de musique et de danse.

Dans ces moments-là, Cygne se sent à sa place. Elle n'a plus l'impression de détonner, de faire tâche dans le paysage avec sa peau si blanche et ses cheveux si pâles. Elle partage l'allégresse des autres membres de son Clan et elle se sent fière d'y appartenir.

Ce soir encore, elle a participé à la danse avec un sourire rayonnant. Elle sourit plus souvent depuis quelques temps, et il n'est pas difficile d'en deviner la raison : depuis qu'elle a retrouvé son frère, Cygne redevient la petite fille pleine de joie qu'elle était jusqu'à ses six ans beaucoup plus facilement qu'avant. Son sourire solaire revient plus facilement, sa curiosité également. C'est peut-être pour cela qu'elle tourne la tête vers Ninoxe dès les premiers accords.

Le musicien est un nouveau venu, arrivé en même temps qu'un autre est parti. Cygne l'a observé de loin, s'approchant pour l'écouter avec les autres papooses lorsqu'il paraissait accessible. A présent, cependant, il est tout seul, et la Volontaire hésite. Elle ne voudrait pas déranger, mais la musique qu'il sort de ses doigts la fascine. Tout comme cet acharnement qu'a le jeune adulte de reprendre chaque note lorsqu'il estime qu'elles ne sont pas correctes. C'est quelque chose qu'elle comprend, l'Entêtée. Après tout, elle n'a pas gagné son nom pour rien.

Elle l'écoute de loin, tandis qu'elle suit une conversation autour d'un autre feu. Pourtant, lorsque Ninoxe commence à chanter assez fort pour qu'elle l'entende, sa réaction est instinctive. Cygne se fige, tourne la tête sur le côté. Si elle le pouvait, ses oreilles se dresseraient dans la direction de la voix. Elle tressaille, reconnaissant presque immédiatement cette langue dont elle ne connaître pourtant presque plus rien. C'est comme si son inconscient, ses souvenirs oubliés, s'unissaient à la voix du Brasier. Doucement, la papoose se lève, s'excuse d'un geste de la tête auprès de ceux qui l'entourent et avance vers le musicien, juste assez pour l'entendre lui plus que la conversation, à présent dans son dos.

Il lui semble que c'est la première fois qu'il chante. En général, il se contente de jouer et laisse ceux autour de lui compléter de leur voix. Cela l'étonne plus encore de reconnaître cette langue quand elle ne l'a jamais entendu la parler. A moins qu'elle n'ai pas reconnu ?

Elle n'est plus très loin de lui, à présent. Elle s'arrête, à distance raisonnable, juste assez près pour profiter de la chaleur du feu sans entrer dans l'espace du jeune homme. D'ailleurs, elle ne s'assoit pas : elle se contente de rester debout devant lui, ses mains jointes posées sur son ventre. Elle attend patiemment qu'il s'interrompe pour lui demander :

"...Ca t'ennuie, si je t'écoute ? J'aime bien... entendre ça."

Elle se sent un peu mal à l'aise, Cygne, à faire cette demande. Elle a l'impression de paraître bizarre. Ceci dit, le fort accent audible dans toutes les langues qu'elle parle à présent doit la trahir un peu.

Tout s’efface, lorsque la musique se répand dans ses veines, calmant un peu la rage sourde qui a laissé bien trop de cicatrices sur ses mains. Si certains se lasseraient de jouer le même air pendant toute une soirée, ce n’est pas son cas. Il ne s’arrêtera que s’il est trop fatigué pour suivre le rythme, ou bien que la chanson est maîtrisée. Cette exigence ne comble pas ses lacunes, son incapacité à être une sorte de prodige ; il n’a pas assez travaillé, voilà tout.

Une voix résonne, timide. Ou hésitante tout du moins. Il y reconnaît l’accent, ancien et peut-être autant rouillé que le sien Son regard se redresse, doigts qui continuent la chanson machinalement. Si Ninoxe ne connaît pas encore tout le clan, et qu’il n’en a pas le besoin pour l’instant, il est difficile de ne pas avoir remarqué l’enfant trop pâle. Ah, lui n’a pas grand-chose à dire, vu qu’il n’est ici que parce que Kaze a plaidé sa cause sans vraiment qu’il ne donne son avis. Pirate, ça ne l’aurait pas aidé, c’est tout.

« Tu peux rester, » qu’il offre, « toi parler Russe ? Avant l’île. »

A présent, ils sont Delaware, mieux ne vaut pas l’oublier, ou prétendre qu’ils n’ont pas leur place. Si l’anglais n’était pas une telle corvée—Ninoxe ne maîtrise pas encore assez bien la langue du clan pour s’en servir—il n’aurait pas l’impression de dire les mauvaises choses.

« May there be sunshine c’est une bonne chanson. Appri—Apprite ? Apprise ? A l’école. »

Avoir un public n’est pas si troublant, bien que Ninoxe se sente soudainement moins à l’aise avec l’idée de chanter. Son russe est imparfait, bien que correct, et il ne voudrait pas qu’on trouve autre chose à lui reprocher. Il est bien trop strict, et cela se lit dans ses yeux, dans la manière dont il doit lever une main pour serrer et desserrer le poing pour en chasser les fourmis qui s’y sont logées.

« Soldier, lad, stay!
Hear what we say –
War would make all of us losers.
Peace is our prize.
Millions of eyes
Anxiously gaze at the skies. »

Le jeune homme s’autorise néanmoins à continuer, plutôt que de poser des questions qui ne sont peut-être pas les bienvenues. C’est son couplet favori, ça l’a toujours été. Même lorsqu’il était enfant et que les paroles étaient impossibles à sortir correctement, le forçant à recommencer devant toute la classe jusqu’à ce que sa prononciation soit dénuée d’embûches.

Blood loss? No I know exactly where it is.

KoalaVolant

Quand le regard se lève de la guitare pour se diriger vers elle, Cygne sent un élan de timidité la parcourir. Elle manque de tourner la tête, mais tient bon : c'est elle qui a décidé de venir vers lui, après tout. Mais ce n'est que là qu'elle réalise le point auquel la demande qu'elle fait touche quelque chose de profond, de personnel. Elle n'est pas certaine de pouvoir le partager entièrement.

Ninoxe l'autorise à rester et la jeune fille hoche la tête brièvement, en signe de remerciement, avant de s'asseoir à même le sol, en tailleur, face au feu qui les sépare. Ses mains se posent sur ses chevilles et elle acquiesce une nouvelle fois, pour répondre à la question. Elle aurait des précisions à faire, mais elle ne sait pas comment les formuler, comment les intégrer dans la conversation sans que cela paraisse incongru ou étrange.

Elle a toujours l'impression d'être étrange, lorsqu'il lui faut parler d'elle-même. Un relent de ce sentiment insidieux qui lui laisse penser qu'elle ne sera jamais totalement à sa place parmi le Clan, malgré tous les efforts qu'elle peut faire pour son intégration.

"Apprise, oui."

Cygne confirme machinalement, comme elle entend le Brasier hésiter. Elle est passée par là, il y a longtemps. Ses difficultés avec les langues ont été assez problématiques pour qu'elle ne les ait pas oubliées. Elle répète d'ailleurs le mot en anglais, puis sa traduction en langue Delaware. Ce n'est peut-être pas le premier mot dont il va avoir besoin, mais il faut bien commencer quelque part, non ?

Le musicien reprend son tour de chant et la Volontaire l'écoute avec énormément d'attention. Il est rare qu'elle reste tranquille à l'entente de la moindre musique, elle est plutôt prompte à sauter sur ses pieds et se mettre à danser avec la grâce et l'élégance qui lui a valu son nom d'oiseau. Pourtant, ce n'est pas le tempo qui l'intéresse cette fois, mais bien les mots que la voix douce prononce. Ses yeux clairs se ferment et elle a presque l'impression de voir un autre paysage derrière ses paupières : plusieurs pièces, un peu comme les maisons du Port, des silhouettes floues qui vont et viennent autour d'elle.

Une vague de nostalgie la submerge, mais ce n'est pas quelque chose de négatif. Au contraire, elle sent un sourire s'étirer sur ses lèvres et lorsqu'elle ouvre les yeux à nouveau, ils sont secs, tranquilles. Apaisés.

Cygne n'a pas besoin de se remémorer les détails de sa vie d'avant. Cela lui suffit d'être capable d'en saisir des bribes, par instants. Et puis, elle a retrouvé son aîné. Peu importe tout ce par quoi il a fallu passer, elle n'a aucun regret. C'est peut-être ce qui la convainc finalement de détailler.

"C'était ma langue, avant l'Île. J'ai presque tout oublié maintenant."

Presque. Il lui reste des souvenirs flou, des mots par ci, par là et surtout l'écriture. Elle ne se rend pas compte que c'est déjà beaucoup, qu'elle n'ait pas oublié l'alphabet cyrillique. Après tout, ce n'est pas comme si elle aurait pu en avoir l'usage ici, si elle n'avait pas décidé d'elle-même de le préserver.

"Mais... C'est joli. Ca faisait longtemps."

Ca m'avait manqué, qu'elle murmure presque ensuite sans l'oser totalement, rendue interdite par la réalisation. C'est qu'on ne réalise pas toujours à quel point quelque chose peut manquer avant de le retrouver.

Sujet: Re: May there always be sunshine Mer 27 Jan 2021 - 21:02

Les langues, il y a de nouvelles, pleines de règles trop strictes et d’accents qu’il ne maîtrise pas. C’est une constante que Ninoxe a accepté, ne serait-ce que parce qu’il a vécu en passant d’une voix à une autre, de mensonges à moquerie, sans jamais véritablement avoir l’opportunité d’utiliser la sienne. Est-ce que ses paroles ne sont pas mieux à l’abri ? Là où les gens ne peuvent pas les prendre pour une attaque directe—Ninoxe a cette manie, habitude qui se ressent jusqu’à ses cicatrices, au jugement, à la colère qui brûle et qui menace de casser les cordes en accordant la guitare. Dans l’Ordinaire, dans ce qu’ils nomment tous l’Avant, il s’est mangé une corde en pleine gueule une fois, filet de sang qui gouttait sur sa peau pendant que son frère se marrait.

« Je parle—plusieurs langues, je ne veux pas les oublier. »

Pourtant, à force d’en rajouter dans son crâne, son cerveau est devenu un mélange informe de paroles qui ne veulent plus dire grand-chose. Pas que ça lui pose un problème. Ninoxe joue les derniers accords, puis cesse, sans pour autant reposer la guitare. Le sang doit re-circuler dans ses doigts un moment, c’est tout. Il ne dit pas à la fille qu’elle n’a plus l’air d’être Delaware que lui, que c’est facile de voir ça—il est un brasier, sans pour autant vouloir foutre au bûcher toute possibilité de conversation.

Une jambe s’étend, l’autre pliée pour accepter le poids de l’instrument, et il sort un paquet de clopes de sa poche—un qu’il ouvre pour lui tendre, au cas où ça la branche. Bien sûr, y’a une chance qu’elle soit comme la gamine des Récolteurs qui supportait pas la fumée, juste que Ninoxe a pas envie de l’insulter en la prenant pour une personne à la santé fragile. Juste qu’elle est petite, comme la majorité des gamins, et que sa chevelure fait pas très naturelle—en tendant le bras, Ninoxe a tiré sur les cicatrices contre son flanc et les sentir c’est pas idéal.

« Cigarette? Si toi—tu, mal avec ça—veut apprendre encore le russe, demande moi. »

Pas forcément là où maintenant. Juste qu’il a personne avec qui s’entraîner, et que c’est quand même sa seconde langue et que ça le sera toujours plus que cet anglais que le jeune homme se fait une joie de ne pas supporter, qu’importe ses progrès.

« Coréen, russe, c’est facile. Mandarin—okay ? Anglais et Delaware, pas encore ça. »

Et son sourire qui part sur le côté, qui dévoile une canine et qui n’est pas franchement plaisant. Ninoxe n’est pas tout simplement pas apte à se réguler, à moduler la colère comme on s’immisce dans une partition pour en ressortir essoufflé mais indemne. Cette île, il ne l’aime pas beaucoup.

« Je suis Ninoxe, je ne connais pas le tien de nom. » Il n’a pas honte de l’avouer, de dire qu’il repère les visages et les rangs mais que l’individualité est secondaire, car pas primaire, pas obligatoire pour vivre.

Blood loss? No I know exactly where it is.

KoalaVolant

Cygne esquisse une petite moue à la remarque et détourne le regard sur le côté, sans rien dire. La nostalgie s'en est allée avec les dernières notes et elle n'arrive pas tout à fait à décider si elle est triste ou en colère. Sûrement un peu des deux, mais surtout le premier. Pense-t-il qu'elle voulait l'oublier, elle ?! Elle a la sensation de ne pas avoir eu le choix. Pourtant, quand elle finit par répondre, elle ne montre rien de cet éclat, parce qu'elle se doute, quelque part, que ce n'est pas ce que le musicien a voulu dire.

"Je comprends. Il y a des choses importantes, qu'on ne devrait pas pouvoir oublier."

Sa langue maternelle en est une. Les souvenirs chers en sont une autre. Cygne se bat constamment pour ne pas oublier les prénoms de sa fratrie et les quelques souvenirs qu'il lui reste de leurs moments communs. Maintenant qu'elle a retrouvé son aîné, elle a l'impression que c'est un peu plus simple. Mais ce n'est pas si aisé, de lutter contre une partie du fonctionnement de l'Île.

Le silence s'étend, mais il ne dérange pas la Volontaire. La petite n'est pas du genre à parler beaucoup, et encore moins pour ne rien dire. Elle estime que chaque silence a sa place, chaque instant de pause est propice, comme en musique, à une respiration, à une observation avant d'amorcer le pas suivant. Sans s'en formaliser, l'Entêtée laisse son regard de glace se poser sur les mouvements de l'autre. Sa jambe qui se tend, la guitare qui tangue légèrement avant de retrouver un équilibre, la main qui fouille dans une poche pour en sortir un paquet de cigarettes. La vision lui arrache un sourire calme, sans qu'elle s'explique entièrement pourquoi.

A la question du Brasier, elle hoche légèrement la tête de gauche à droite, à plusieurs reprises. Non merci éloquent, mais non articulé. A sa seconde proposition, par contre, son regard s'agrandit d'étonnement et d'un peu de timidité mêlés -vraiment, elle peut ?

La petite russe n'a pas le temps de répondre par les mots. Ce n'est pas plus mal, cela lui laisse le temps d'appréhender la question, d'y réfléchir vraiment. Est-ce qu'elle veut se replonger dans cette nostalgie ? Elle se souvient des difficultés qu'elle a eu à apprendre les trois langues qu'elle parle à présent, toujours de manière un peu imparfaite et avec son accent qui ne ment jamais sur ses origines. Elle n'est pas faite pour ces apprentissages-là, elle le sait. Elle a peur de ne pas y arriver, et de se frustrer plus qu'autre chose.

Mais elle a envie.

Le sourire un peu croche, elle le note sans s'en offusquer. De ce qu'elle a remarqué du nouvel arrivant, au-delà de sa musique il n'apprécie pas grand chose. Elle est d'ailleurs presque étonnée qu'il poursuive encore leur conversation. Mais elle ne va pas le montrer, ni s'en plaindre. Ce n'est pas parce qu'elle est d'apparence froide et austère qu'elle n'aime pas faire de rencontres. Surtout au sein de son clan.

"C'est Cygne. Cygne Entêtée." Un moment de pause, avant qu'elle ne reprenne, répondant aux interrogations précédentes. "Et ça me ferait plaisir, d'apprendre avec toi."

Elle s'en rend compte en le disant : ce n'est pas seulement par envie d'apprendre. Elle pourrait demander à son frère, après tout. Mais ce musicien là l'intrigue un petit peu. Son menton se dirige vers la guitare.

"Tu joues depuis longtemps ?"

Le temps, ça n'a pas grande valeur ici, mais lorsque ce sont deux anciens Perdus qui parlent -même lorsque l'une des deux l'a été à peine quelques heures- c'est souvent synonyme d'avant. Et l'Avant, Cygne a cru comprendre que ça lui plaisait bien d'en parler, à Ninoxe. Du moins, tant que les sujets restent en surface, elle suppose.

Oublier—Ninoxe ne pourrait pas tolérer de perdre les racines qu’il ne cesse d’arracher pour ensuite les étouffer dans de la terre bien trop tassée pour qu’elles puissent respirer. Il préférerait se donner des coups de pelle que d’apprendre à faire autrement, aussi. Glissant la cigarette entre ses lèvres—il note le refus et range le paquet juste après—ignorant son flanc qui n’a pas terminé de guérir, les coupures et cicatrices sur ses mains, il l’allume avec son briquet. Les roulées c’est pas mal, mais aller en récupérer des paquets remplis d’on ne sait quoi dans la ville envahie par les zombies, ça lui fait une excuse pour extérioriser la colère qu’il se trimballe.

« Cygne, » il répète, mécaniquement, se demandant bien quel genre de piaf ça peut être. Un blanc, probablement. Peut-être petit, pour expliquer la carrure. Enfin, lui n’a pas vraiment la tronche d’une chouette non plus, juste qu’il a tendance à vivre lorsque le jour se couche. Lorsque la musique s’étend dans le camp et que les ombres cachent ce qu’il ne désire pas voir, « okay, alors on verra. »

Un jour où tous deux seront motivés pour une leçon. Certainement pas ce soir ; Ninoxe a offert toute la politesse qu’il possède pour le début de leur échange, et il n’aurait même pas poursuivi la conversation plus loin que ça, sans la question sur la musique. Cigarette entre ses doigts, fumée qui entre et qui ressort de ses poumons, il prend un moment pour—essayer de penser au temps. L’île et ses règles dénuées de sens, ça le laisse agacé, pour ne pas dire à l’aube d’une nouvelle colère. Heureusement, ses yeux entourés d’eyeliner se contentent de laisser couler cette vague au loin, avant de se diriger dans la direction de l’adolescente.

« Non, avant je—je joue piano aussi. Depuis petit. Tu connais la musique toi, tu joues ? La guitare c’est plus récent. » Le piano, c’était son rêve, la guitare c’est son âme. Heureusement qu’il manque de mots pour le dire, ça serait humiliant, de se dévoiler ainsi. Qu’importe que la musique représente son existence dans son intégralité, bien plus que la famille ou quoi que ce soit de similaire, « Celle-là, venir de la ville—la ville avec les zombies. »

Ninoxe ne prononcera pas Post-Apocalyptique, il apprécie son orgueil et ne désire pas le bafouer en butant en plein milieu d’une phrase.

« Moi et Ibijau, on a été là-bas, » il tire un coup sur sa clope, son sourire brutal et dénué de remord, « C’était bien. »

Est-ce que mentionner le type qui a abandonné le clan sans plus qu’une vague explication est approprié ? Ninoxe doute de perdre la langue pour en avoir parlé—les Delaware ne sont pas bien brutaux, pour ce qu’il en a vu. Ce qui ne veut pas dire qu’ils ne tiennent les comptes quelque part, dans un recoin d’une tente, prêts à le renvoyer au énième écart. Enfermé dans sa paranoïa, le jeune homme ne craint pas non plus de devoir quitter un lieu de plus pour errer au milieu de l’île. Après tout, ça devient habituel.

Blood loss? No I know exactly where it is.

KoalaVolant

Elle hoche la tête, mécaniquement. Oui, Cygne, c'est bien ça. Aurait-elle accès aux pensées de l'autre elle esquisserait un sourire, à la fois malicieux et narquois, digne de la petite peste qu'elle a pu être, à l'idée qu'on imagine l'oiseau petit. Elle le sait très bien : si elle grandit, elle est capable de rattraper son frère. Cette pensée l'apaise, même si au fond elle aime bien leur différence de taille, qui lui rappelle des souvenirs enfouis.

Elle n'a pas l'intention de grandir tout de suite, de toute manière.

L'éventuelle leçon n'est pas pour ce soir et c'est tant mieux : si c'est bien la langue chantante qui a entraîné la Volontaire à adresser la parole au musicien, elle n'est pas prête à enchaîner de suite. Mais elle a envie de faire connaissance, et est bien assez têtue pour trouver le moyen de continuer la conversation. La guitare est le sujet idéal. Son interlocuteur n'a pas vraiment l'air de cet avis, mais il finit par lui répondre après une bouffée de cigarette. Les mains sur ses chevilles qu'elle masse distraitement, Cygne attend. Elle n'est pas pressée. Si l'Île lui a appris une chose, c'est bien la patience.

La tête légèrement penchée sur le côté, l'Entêtée écoute la réponse du guitariste et ses lèvres s'arrondissent d'étonnement à la mention du piano, instrument qu'elle connaît bien.

Pas pour les raisons que Ninoxe évoque, cependant.

L'enfant écoute le récit de la guitare avec une curiosité non-feinte. Une ville avec des zombies ? Elle ne s'attendait pas à trouver ça ici, mais elle ne devrait pas être si surprise. La mention d'Ibijau ne l'atteint pas plus que cela. Bien qu'elle connaisse l'ancien Delaware pour son apprentissage auprès d'Oural, ils ne sont pas de grands bavards, ni l'un ni l'autre, et leurs interactions ont toujours été limitées par la nécessité. C'est peut-être dommage, peut-être pas. Elle ne le sait pas vraiment. En tous cas, elle ne s'estime pas assez proche de lui pour s'offusquer de son départ. C'est donc à une autre partie du récit qu'elle répond.

« ...Oh. Tant mieux. »

Maintenant qu'elle y pense, il doit y avoir plein de choses dans cette ville. L'espace d'un instant, elle se demande si c'est une vielle ville, comme celle d'Ibis, par exemple, ou s'il y a des choses plus récentes, comme chez elle. Elle a un vague souvenir d'un outil de communication qui aurait pu lui servir, si seulement ils fonctionnaient sur l'Île... Mais ce n'est pas le moment de poser ce genre de question. Et puis, elle n'est même pas certaine que le Brasier lui réponde. Alors elle préfère s'intéresser à ce qu'il a dit avant.

« Je connais la musique, mais pas pour jouer, non. Je danse. Je dansais avant aussi. Je me souviens de beaucoup de choses, y compris les musiques. J'aime bien. »

Un instant de silence, pendant lequel son regard de glace se pose brièvement sur ses chevilles avant de passer sur le feu. A-t-elle vraiment envie de partager cela avec un quasi-inconnu ? Probablement que non. Et en même temps, elle en a envie... Il va bien finir par le savoir, après tout. Son regard se tourne à nouveau vers le dernier arrivé au Clan.

« Mais... mon frère joue de la guitare. Il chante aussi. J'aime bien l'entendre chanter. »

Comme toujours depuis qu'ils se sont retrouvés, Cygne a un joli sourire enfantin en mentionnant son aîné. Elle est plutôt fière de parler de lui, à présent.

Il a dansé, quelques fois ; dans un bâtiment abandonné, musique interdite entraînant des gamins dans un truc qui aurait pu leur coûter une éternité, ou bien dans la campagne chinoise, les lèvres d’une inconnue sur les siennes, une main sur sa hanche. Parfois, il voudrait balayer tous ces moments du revers de la main, repartir d’un zéro moins affligeant que les bagages qu’il doit se traîner. A la place, il tire sur sa clope qu’il aura bientôt terminé, se demandant déjà quand il pourra allumer la prochaine. Pas trop vite, si possible. Il changera pour autre chose, pour ses couteaux ou bien la guitare. Ses mains ne s’arrêtent jamais vraiment.

« Tu sors parfois ? » Il a remarqué que certains Delaware ne s’éloignent que rarement, là où d’autres ne reviennent que le soir, avec leurs histoires et leurs rires. Ninoxe est un entre-deux, il peut passer des journées sans quitter l’endroit, et d’autres où il aura besoin de passer ses nerfs là où personne ne peut le voir. « Si tu veux—voir la ville, tu peux venir. »

Parfois, Ninoxe ne réalise simplement pas que les gens ne considèrent pas se faire limite bouffer par des zombies une activité relaxante. Leur perte.

A la mention du frère, son expression se fait plus distante, une ombre qui glisse devant son regard. Un frère, hein.

« Je dansais—non, j’ai dansé ? Pas beaucoup. » Il claque sa langue contre son palais, agacé de buter toutes les deux phrases. « Tu as fait école ? Carrière ? » Ninoxe peut imaginer échouer, être interrompu par une guerre ou n’importe quoi. C’est d’avoir été refusé dans une école de musique qui l’a entraîné d’un pays à un autre, après tout.

« Mon frère fait photos, » il mime l’appareil entre ses mains, « il est—à l’arbre, pas sûr. » Si ça se trouve ce con est mort. Le concept lui arrache une respiration hachée, un coup dont il pourrait se passer. Il écrase sa cigarette contre sa chaussure, avant de la balancer dans une petite boîte avec d’autres mégots. En général il les crame dans un petit feu une fois qu’il y en a assez. « On parle pas. Jumeaux mais plus jumeaux. Trop jeune ou trop vieux. »

Ils se sont croisés, de loin, sans pour autant dire quoi que ce soit. « Le tien ? » Tu en penses quoi, que Ninoxe paraît demander. Il suppose que si Cygne en parle au présent, c’est qu’ils sont proches, mais qui peut savoir.

Blood loss? No I know exactly where it is.

KoalaVolant

L’invitation la surprend. Cygne n’a pas hésité à acquiescer à la question. Oui, elle sort souvent du territoire des Delaware. Elle l’a fait chaque soir, pendant très longtemps. Pour son frère. Mais elle sortait souvent en journée aussi, même si elle aime beaucoup se rendre utile au camp : quand on a été enfermée une bonne partie de sa vie -même sans notion du temps- il est difficile d’accepter de rester prisonnière d’un endroit bien longtemps.

Toujours est-il qu’entendre Ninoxe lui proposer de l’accompagner, c’est curieux. Décidément, le nouveau venu ce soir ne se tient pas autant à l’écart qu’elle pensait. Peut-être que sa première impression du Brasier est fausse, ou peut-être qu’elle réussit mieux à interagir avec lui que d’autres. C’est gratifiant, quelque part.

La Volontaire se contente d’un petit sourire en guise de « Pourquoi pas ». L’endroit l’intrigue, la mention de la présence d’objets intéressants (comme une guitare) aussi et elle n’est pas contre une bonne aventure de temps en temps. La présence des zombies ? Disons que c’est une information qu’elle décide d’ignorer pour le moment. Après tout, si le guitariste y va souvent, c’est que ça doit valoir le coup.

Peut-être même qu’elle pourrait demander à son aîné de lui préparer des bombes, pour eux aussi.

A la question suivante, la gamine hoche la tête pour confirmer la structure grammaticale, comme par réflexe. Ses mains cessent leur manège et la gauche se met à jouer sur sa peau, dessinant une chorégraphie inconnue pendant qu’elle plonge dans ses souvenirs.

« J’étais dans une école, pas la meilleure. Ma professeure voulait que j’essaie de devenir professionnelle… » La préadolescente haussa les épaules. « Ca m’intéressait pas. J’étais pas si bonne que ça de toute façon. »

Entêtée qu’elle est, Cygne n’a toujours eu qu’un seul objectif, bien avant d’arriver sur l’Île : retrouver son frère aîné. Tout désir de carrière, quel qu’il soit, n’a pas lieu d’être.

Ses doigts s’arrêtent quand son interlocuteur évoque son frère. Elle sait que ce n’est pas si rare, les fratries qui arrivent en groupe sur cette île, mais il y a quelque chose d’inattendu dans la réponse de Ninoxe. Un instant, elle se demande si il peut parler d’Ibijau, mais elle se rend rapidement compte que c’est impossible. Sa tête bascule sur le côté, tandis qu’elle répète « Jumeau ? » à mi-voix, comme pour tenter d’en déchiffrer le sens. Ce mot-là, il ne fait pas partie de son vocabulaire. Elle n’en a jamais eu l’usage. Mais de ce qu’elle comprend, ce n’est pas très important. Elle se contente de répondre, après un temps.

« Il est à l’Arbre, aussi. Il fabrique des choses. » Des fois, elle préférerait qu’il soit ici, avec elle, plus loin de l’influence de Peter Pan. Mais ça, elle ne le dit pas à voix haute. Il y a des choses qu’on ne partage pas. « Il est parti tout seul, j’ai grandi un moment avant de le retrouver. » Un haussement d’épaules. Cygne n’est pas très affligée par le fait de grandir. Ou d’avoir grandi, plutôt. C’est l’attente, le problème. Et ça, c’est fini maintenant. Avec un sourire malicieux, elle enchaîne. « C’est toujours le plus vieux, quand même. On se voit souvent. »

La jeune fille aux cheveux pâles a un sourire ravi en disant cela. Son regard de glace, réchauffé par le feu qui les sépare toujours, semble briller de contentement. Elle est heureuse de pouvoir dire une telle phrase. Elle a longtemps cru que ce ne serait pas le cas.

« Tu le connais peut-être, mais sinon je pourrai te le présenter la prochaine fois, si tu veux ! » Elle est bien placée pour savoir que les Perdus sont tellement nombreux qu’il est difficile de tous les connaître -après tout, ce n’est pas pour rien qu’elle a passé des nuits et des nuits à sonder des silhouettes sans jamais trouver la bonne- mais cela ne veut pas pour autant dire que l’inverse est impossible. « Ils l’appellent Tool. »

Ils. Pas elle.

Malgré les efforts pour atteindre les rêves, une majorité demeurent inaccessibles—Ninoxe s’en veut, pour l’école de Pyongyang, encore aujourd’hui. Il aurait pu s’entraîner avec une ferveur passionnée, au lieu d’écouter de la musique interdite et de menacer ses camarades. En vérité, il n’a jamais eu la moindre chance d’entrer là-bas, c’était foutu d’avance, une question de sang plus que de talent, d’échelle sociale et de professeurs pour lesquels on allait pas gâcher de l’argent. Il n’a pas l’impression que ça soit pareil pour Cygne—plutôt que c’était un rêve secondaire, pas le principal, et qu’elle s’est détachée d’un concept pas si passionnant pour autre chose.

Il devrait y avoir quelque chose à dire à ce sujet, une sorte de ‘ce n’est pas si grave, de ne pas vouloir en faire ton futur’, sauf qu’il n’a pas encore digéré sa propre erreur. Un sourire féroce naît sur ses lèvres à l’interrogation qui suit.

« Jumeaux c’est être nés le même jour, même mère. Moi et lui, pas avoir le même visage. Certains jumeaux si. Je suis plus beau, » qu’il ajoute, prompt à taquiner son frère comme s’ils se parlaient encore. C’est mieux que ça ne soit pas le cas ; personne n’a besoin d’endurer Ninoxe et ses humeurs incompréhensibles, après tout.

C'est intéressant, d’écouter Cygne, ça lui garde l'esprit occupé. Bien sûr, Ninoxe réalise les similitudes entre les deux fratries, lui qui a abandonné lâchement son cadet pour ne pas choisir une fin différente, et cet idiot qui a voulu le suivre. Le Brasier ne compte pas rebondir sur ce détail, surtout une fois que l'identité du fameux frère s’échappe des lèvres de Cygne.

Oh, est-ce qu’elle sous-entend qu’elle a la chance de se rappeler du nom originel de son frère ? Une différence de plus au sein d’histoires qui se ressemblent.

Un rire échappe à Ninoxe—pas de la moquerie. « Tool ! Je connais. » Il mime le fait de tirer sur une clope invisible, « j’ai fumé avec lui. Je parlais pas l’anglais—donc pas plus.» Le Nord-Coréen l’aurait presque oublié, ce garçon silencieux qui lui tenait compagnie sans rien lui imposer.

« Tool, » il répète, accompagnant le nom d’un hochement de tête, « Tool être—est bien. Pas vu depuis longtemps. »

C’est compliqué, d’avouer qu’il peut passer d’un groupe à un autre sans ressentir de réel attachement, qu’il demeure déraciné quoiqu’il arrive.

« Je—je voulais parler anglais—pour avoir guitare de Tool. Pas avoir—avoir mais je demande ? »

Le Créateur, il l’appelait dans un recoin de sa tête. « Même cheveux que toi, » ce blanc impossible à manquer, il l'aime bien.

Blood loss? No I know exactly where it is.

KoalaVolant

“Oh…”

Les explications de Ninoxe sont limpides et Cygne voit rapidement de quoi il est question. Elle s’apprête à donner la traduction en langue Delaware, mais la précision du Brasier sur son frère, cette petite pique qu’il lui lance alors qu’il n’est pas présent, la coupe dans son élan. Un sourire amusé se dessine sur le visage pâle de la Volontaire, qui reconnaît là le témoignage d’une fraternité qui dépasse les frontières de l’Ordinaire. Sans s’en rappeler dans les détails, elle sait qu’elle faisait également ce genre de chose. Pas avec Lev, non, mais avec les autres. Un.e autre ?

Elle chasse rapidement le pincement au coeur que lui évoque le fait de ne pas être certaine de savoir auquel de ses adelphes elle fait référence. Cette nuit, en retournant dans son tipi, elle relira la lettre. Peut-être que la lecture d’un nom évoquera un souvenir plus concret.

A l’entente du nom de Perdu de son aîné, le guitariste réagit et Cygne ne peut s’empêcher de sourire à son tour. Depuis qu’elle a retrouvé son frère, ses deux mondes se rapprochent de plus en plus et cela déclenche chez elle une grande satisfaction. C’est un pont qui lie deux aspects essentiels de sa vie, une plaie qui cicatrise, alors qu’elle n’a pas réalisé à quel point elle était béante.

Et ça fait du bien.

La Volontaire n’a pas besoin de demander de détails à son camarade pour qu’il s’épanche de lui-même sur sa relation avec le Perdu. Elle l’écoute sans un mot, pendue à ses lèvres, ravie d’entendre ces détails. Evidemment, que Lev a vécu sans elle -tout comme elle a été obligée de le faire- et avoir des informations sur cette tranche de sa vie la fascine. Bien entendu, son aîné lui raconte sa routine passée et présente à l’Arbre dès qu’elle lui en fait la demande, mais ce n’est pas pareil d’avoir un témoignage direct de la part d’un tiers.

Son regard bleu glacé ne quitte pas le Brasier des yeux, ce qu’elle n’aurait pas osé quelques instants plus tôt. Ses mains ont cessé de danser sur ses chevilles et elle redresse son dos bien droit dans un réflexe qui lui vient tant des années de pratique que de l’intérêt manifeste qu’elle éprouve pour la conversation. Cygne hoche légèrement la tête, sourire aux lèvres quand Ninoxe émet un commentaire positif.

“C’est le meilleur, oui. Paroles de petite soeur pleine d’admiration pour son aîné, sans doute, mais pas sans fondements. “Souvent, on se retrouve à mi-chemin mais il vient aussi ici, de temps en temps. Si jamais tu veux le revoir un jour, tu me dis, je l’amènerai.”

On pourrait croire que l’Entêtée ne voudrait pas partager son aîné, maintenant qu’elle l’avait enfin retrouvé. Un caprice compréhensible chez une enfant qui a éprouvé une telle perte. Mais, au contraire, Cygne est plus que ravie d’afficher son frère à tout personne qui éprouve le moindre intérêt pour lui ou leur relation. Parce qu’elle est fière, si fière de lui. Et si heureuse de l’avoir à nouveau à ses côtés qu’elle voudrait pouvoir le montrer au monde entier.

La mention de la guitare lui fait baisser les yeux vers l’objet, qu’elle observe un instant avant de pencher la tête sur le côté et de compléter les paroles du musicien.

“Lui demander où il l’a trouvée ? Ou pour qu’il te la prête ?”

Dans le même temps, ses mains se mettent à dessiner les mots. “Trouvée ?” Un geste -toujours délicat, toujours élégant, peut-être trop pour une jeune fille de son âge- allant de la guitare vers le paysage, loin au-delà de la Plaine des Bisons avant que le bras ne retombe doucement. “Prête ?”, les deux bras se tendent vers la guitare, puis le gauche se replie doucement pour se poser sur la poitrine de l’adolescente, paume ouverte.

Cygne a peut-être perdu l’usage de sa langue maternelle, mais pas celle de danser les mots. Et ses expressions sont toujours plus calmes et assurées que lorsqu’elle prend la parole, car elle reste convaincue que son corps, lui, ne peut pas lui faire défaut.

Un nouveau sourire éclaire son visage lorsque Ninoxe fait un commentaire sur ses cheveux. Qui sont de la même couleur que ceux de Lev.

“Oui. Les mêmes yeux aussi. Tous ces détails auxquels elle se réfèrait dans les nuits où elle cherchait la moindre trace de son aîné dans les branches du Grand Arbre, sans jamais le trouver. La curiosité refait surface. “Et toi ?”

Il a dit que son frère et lui n’ont pas le même visage, même s’ils pourraient. Mais peut-être qu’ils ont des détails communs ? C’est ça, une fratrie, non ?

Le meilleur, rien que ça, hein. Ninoxe n’irait pas utiliser un tel terme pour son frère. Par souci de simplicité—parce que s’il commence à trop songer à lui, ses pensées vont vriller et il va finir par manquer de place sur ses mains et dans son cœur pour contenir sa rage. Il lui faut un moment, presque jusqu’à la fin de la phrase, pour comprendre ce que Cygne veut dire par à mi-chemin.

« Tu l’aimes beaucoup, » il constate, ses traits adoucis par quelque chose d’indescriptible, « je veux bien revoir Tool. Merci. » Peut-être qu’ils ne s’entendront pas, avec de vraies conversations et pas juste une poignée de silences.

Ninoxe n’y pense pas, pour l’instant. Quant à son frère—le Brasier ne parvient plus à s’imaginer un monde où ils pourraient exister au même endroit. Depuis que leur lien d’enfance a été arrêté net par la rivière gelée, Ninoxe n’a plus guère d’espoir que leur relation se répare. Tant mieux, dans le fond. Il ne détruira pas son cadet s’il n’a pas à lui adresser la parole, et encore moins à le croiser.

« Pas prêter—» Son expression se voile, langue entre ses dents, sur un côté, tandis qu’il rassemble ses connaissances. Le mot, il l’a dans toutes les langues sauf l’anglais, quelle plaie. En se forçant, en détruisant la phrase pour en former une seconde, le Nord-Coréen parvient finalement à trouver une alternative. « Faire quelque chose de tes mains. Comme une chaise. Créer ? Je voulais qu’il créé guitare pour moi. »

Du bout des doigts il tapote le bois de l’actuelle, signifiant que ce n’est plus une nécessité. Mieux que le piano—pour le transport tout d’abord, et tout simplement pour préserver son esprit. Avec un piano, Ninoxe sait qu’il presserait les touches jusqu’à les couvrir de sang, refusant la moindre erreur.

Et toi ? Demande Cygne, comme si son frère n’était pas plus qu’un mirage coloré abandonné dans un coin de sa tête. Comment décrire ce qu’on ne connaît pas ? Il jette un œil aux cordes de la guitare posée à ses côtés—mieux que de la garder sur ses genoux lorsque son sang se met à bouillir. Ninoxe ne supporte pas ses écarts, mini explosions pleines de violence envers le peu qu’il parvient à aimer. Enfin, il suppose qu’il vaut mieux lui que le bois, que c’est pas si grave, de se réduire en miettes.

Le couteau papillon passe d'une poche à sa main, tournoyant avec aise.

« Je suis plus vieux, juste un peu. Plus vieux, plus cruel, plus brutal. Strict ? Ou sévère ? » N’est-ce pas le même mot ? Ninoxe, coudes sur ses jambes, s’affaisse, fasciné par les flammes pas très loin, par les reflets contre la lame. Mieux que de regarder Cygne—il ne sait pas comment s’y prendre, pour décrire un inconnu qui porte le visage de son frère.

« Il est pas ça. Patient, doux—bébé pleurnicheur, quand nous étions petits, » Que Ninoxe se moque sans réelle joie, uniquement un ton mordant et un sourire, «L'inverse de moi. »

Très réducteur, il s’en fout.

« Pas si bien, ni lui ni moi. Lui mentir beaucoup, faux sourires. Moi—» Le Brasier ne fera pas de liste le concernant, l’état de ses mains, de son regard, ça parle bien assez. « Je crois qu’il me cherchait, avant le grand froid, » il marque une pause, redressant la tête, « moi non. »

Blood loss? No I know exactly where it is.

KoalaVolant

Sujet: Re: May there always be sunshine Sam 24 Sep 2022 - 20:29

Le constat de Ninoxe entraîne un hochement de tête vif chez la papoose. Oh que oui, elle l’aime vraiment beaucoup. Mais surtout, elle est heureuse de l’avoir enfin retrouvé, de pouvoir parler de lui sans la boule au ventre qu’elle traînait en permanence avant, à l’idée de ne jamais l’apercevoir. C’est fini, tout ça. Et la Volontaire est libérée d’un poids, qui se voit.

Elle sourit franchement en entendant le guitariste ajouter qu’il est d’accord pour revoir son frère à l’occasion. Elle se dit que ce n’est pas forcément la première réaction des gens, d’accepter de revoir des personnes qui les connaissent d’avant, quand ils ont décidé de quitter un groupe pour en rejoindre un autre. Elle sait que, quand les Perdus deviennent des Pirates, par exemple, c’est loin de se passer comme ça. Et elle est contente que le Brasier accepte -...ait envie ?- de revoir son aîné. Ça veut sûrement dire qu’ils sont un peu amis, ou quelque chose comme ça.

Fumer, ça rapproche, il paraît. Enfin, c’est le cas ici, toujours.

La conversation avance tranquillement, jusqu’à buter sur les mots, situation dont l’un comme l’autre des Delaware adoptés sont familiers. Leurs techniques pour palier la situation varient, mais à deux, ils parviennent à se comprendre : Cygne ouvre grand la bouche quand elle réalise à quoi le plus âgé fait allusion.

« Oh ! Oui, euh... fabriquer ! Tu voulais qu’il te fabrique une guitare, c’est ça ? »

En y repensant, c’est logique. Elle le sait, pourtant, que son frère est Artisan chez les Perdus. Fabriquer des objets pour d’autres, c’est ce à quoi il passe la plupart de ses journées. Sur le coup, Cygne s’en veut un peu de ne pas y avoir pensé, mais le moment passe vite. Surtout quand le Brasier enchaîne sur les ressemblances entre son aîné et elle (la plus évidente), qui l’amène à sourire comme l’enfant qu’elle est. Elle aime bien, quand on lui rappelle qu’ils se ressemblent.

C’est peut-être pour ça qu’elle lui retourne la question sans penser à mal, sans se dire que ça pouvait être un problème. Elle le sait pourtant, que ça peut aussi être douloureux, elle devrait s’en souvenir... Mais Ninoxe a la gentillesse de lui répondre, même si la Volontaire sent qu’elle a peut-être fait une gaffe.

Et pourtant, elle le trouve attendrissant, le musicien, à parler de son (petit, si elle a bien compris) frère comme ça. Il lui rappelle quelque chose. Quelque chose d’âpre mais mélancolique, une odeur de menthe chimique qui lui titille les narines et un souvenir qui pousse à l’arrière de son crâne sans qu’elle parvienne à mettre la main dessus.

Oui, même si ça grince par moments et que ça coince un peu, il y a quelque chose du typique grand frère agacé par son cadet, dans la description que fait Ninoxe.

A l’affirmation des opposés, la Volontaire s’insurge un peu, sans réfléchir. Ses bras se croisent sur sa poitrine et elle fait la moue, contrariée qu’il dise quelque chose et qu’elle ne soit pas d’accord du tout. Les enfants sont comme ça.

« C’est pas vrai. Je te trouve très patient, moi. »

Il n’y a qu’à regarder la façon dont il aide, dont il pratique avec acharnement, dont il joue pour les plus petits sans rien dire. Dont il vient d’accepter de l’aider à (ré)apprendre sa langue, alors que ce n’est certainement pas gagné. Cygne ne sait pas pourquoi elle s’agace comme ça : peut-être parce qu’elle trouve ça vraiment faux, tout simplement. Entêtée et franche.

L’instant passe avec la suite de la conversation. La papoose écoute et observe, se demandant au passage qui peut vraiment affirmer être bien, ici. Oural et Corneille, peut-être. Et encore. Ça ne veut pas dire grande chose, c’est tout ce qu’elle pense. Même elle, maintenant qu’elle a retrouvé son frère, elle dit qu’elle est mieux. Pas bien. C’est probablement ce fil de pensées qui l’amène à demander, même si elle se doute de la réponse au vu de ce qu’elle vient d’entendre :

« Tu vas le revoir, tu crois ? »

Sujet: Re: May there always be sunshine Sam 16 Mar 2024 - 19:26

"Fabriquer, oui."
Tout est une question d'adaptation, de savoir jouer correctement ; que ça soit pour la guitare ou avec les mots. Le Grand Arbre demandait un effort lassant, une enfance prolongée dont, finalement, Ninoxe ne voulait pas. Au moins, chez les Delaware—il peut se permettre de disparaître, du moment qu’il revient. Et même s’il venait à s’égarer à jamais, il n’a pas tissé suffisamment de liens pour que ça soit important.

A la moue de Cygne, il répond par un ricanement sec, sans cruauté. “Je joue le jeu,” pas très différent de son pays natal, ni du second, et encore moins du troisième—Ninoxe lance son couteau, regardant le couteau papillon tournoyer sur lui-même dans l’air, et il rattrape l’arme par ses lames, entre deux doigts. Même pas une égratignure, si c’est pas beau, “ici c’est plus facile, moins mal mais mal comme ennui pas mal comme douleur.”

Le mot en Russe, il l’a, par contre en anglais… “Pénible,” qu’il lâche dans l’ancienne langue de la jeune fille, bien que ça ne lui dise probablement rien à elle qui a oublié. Est-ce qu’il finira par se débarrasser des morceaux les plus douloureux un jour ? Comme si c’était possible, Ninoxe sait pertinemment qu’il oubliera le meilleur et gardera le reste.

“Possible. Il fait ce que lui vouloir, je m’en fiche,” le Brasier préfère l’admettre, agrandir le fossé entre son frère et lui, plutôt que de se raccrocher à un quelconque espoir. Là où cet imbécile ne voulait que tout réparer entre eux, à un moment donné.

Ah, toujours à dresser des comparaisons entre eux deux. Ninoxe tourne son poignet sèchement, et le couteau repart en l’air. Cette fois, il ne fait pas l’effort de le rattraper, et l’arme s’abat dans le sol, entre ses chaussures, puis s’écrase, parce que le couteau papillon n’est pas fait pour ce genre de tours, mieux vaudrait utiliser l’autre. “C’est facile, de savoir comment faire bien, comment aider. Il faut regarder les gens. Vrai ou pas, c’est autre chose.”

Ninoxe glisse sa langue sur ses dents, jugeant qu’il s’est bien assez confié pour la soirée.

“Je reste pour l’instant, Cygne, pas toujours.” Où est-ce qu’il irait, hein ? S’il partait. Le Port ne lui inspire qu’une excuse pour sa rage, et rien d’autre, “toi c’est ta maison, mais moi, j’appartiens à personne.”

Je n’ai de place nulle part, c’est ce que le musicien comptait dire, uniquement pour s’égarer avec ses mots. Il a bien remarqué à quel point Cygne est un membre à part entière du clan, la façon dont elle parle aux autres. C’est bien, tant mieux pour elle.

(S’il y avait une guerre de plus, entre Delaware et perdus, est-ce que le sang serait plus fort que les liens tissés par adoption ? Quel serait le choix de Cygne ? De tenter d’apaiser tout le monde, peut-être. Peut-être pas. Ninoxe ne la connaît pas assez.)

Ninoxe n’est pas aussi humain, il n’est qu’un soldat raté qui ne sait pas quoi faire de ses mains quand elles ne sont pas autour du cou de quelqu’un, serrant encore et encore.

Blood loss? No I know exactly where it is.

KoalaVolant

» A little sunshine dans la grisaille.

Rechercher

Résultats par : Messages Sujets
Recherche avancée