Ce n’est qu’un mot, mais la petite est contente de l’avoir trouvé. Ils lui ont échappé pendant trop longtemps pour qu’elle ne s’obstine pas à les trouver, à présent. Et peut-être que Ninoxe se satisfait de ne pas toujours trouver les bons mots pour le moment, mais elle, elle sait aussi ce que ça fait de ne rien pouvoir dire. Initialement, son langage à elle, c’était le silence, mais ça aurait tout aussi bien pu être la colère.

Comme lui.

Cygne observe le couteau qui danse. L’aisance avec laquelle l’objet est manié délite sa moue, provoque son intérêt. Ça, la guitare, le piano... Ninoxe a l’air doué de ses mains. Un artiste est un type d’artisan, après tout. Il dit qu’il s’ennuie et elle ne répond pas. Elle peu comprendre, un peu. Parfois, les journées sont longues. Elle ne l’a jamais trop vécu parce qu’elle attendait toujours la nuit avec impatience, pour aller près de l’Arbre et tenter de retrouver son aîné. A présent, elle vadrouille la journée pour le rencontrer. Et les jours où ce n’est pas le cas, elle peut toujours surveiller les plus jeunes.

Le mot russe, elle ne le reconnaît pas mais elle l’entend. Comme la chanson plus tôt, il fait dans son paysage auditif l’effet d’un feu d’artifice. Elle l’entend et elle adresse un grand sourire au musicien, simplement ravie de l’usage, peu importe le sens.

Sourire qui s’effrite un peu quand il laisse échapper qu’il se moque bien de ce que fait son frère. Elle le savait : elle n’aurait pas du insister. Il relance le couteau qui cette fois finit à terre, et Cygne s’apprête à dire quelque chose, à s’excuser peut-être, mais les explications qui suivent l’interpellent. Elle tourne ses grands yeux de chouette vers le jeune adulte, et dans son regard clair passe une étincelle appréciatrice.

« Je suis d’accord. » Après tout, ce n’est pas pour rien que c’est la mission qu’elle s’est très vite donnée au sein du camp. Pas besoin de parler, pour regarder. Pour observer attentivement. Pour réagir. Pour faire bien. « Et les gens mentent plus facilement qu’ils n’aident. »

Elle le dit calmement, comme une vérité qu’elle considère générale. Quelque chose d’intégré dans son cœur et son esprit depuis bien plus longtemps que son temps sur l’Île. Ce n’est pas un jugement, mais un constat.

Un éclat de rire presque cynique passe la barrière de ses lèvres. La gamine tourne la tête vers les silhouettes de toutes tailles qui dansent un peu plus loin, ses yeux de glace se perdent sur les ombres, dans le paysage. « C’était pas ma maison au début. Ça a pas été ma maison pendant longtemps. »

Maintenant oui, mais à quel prix ? Tout le monde sauf elle semble avoir oublié les nuits passées attachée au poteau au centre du tipi, sans pouvoir bouger, sans pouvoir s’étirer ou même s’expliquer... et ceux qui s’en souviennent n’en parle pas. Elle sait qu’ils se souviennent, parce qu’ils ne sont pas comme elle. Tout comme elle sait qu’elle aurait pu oublier, mais qu’elle ne l’a jamais vraiment fait. Comme si l’Oubli voulait lui rappeler qu’elle n’est pas tout à fait chez elle, au contraire de ce que le Brasier dit.

« Des fois je suis pas sûre encore. » qu’elle murmure en regardant dans le vide, sa main gauche caressant par réflexe la cicatrice sur son avant-bras droit. Puis ses yeux bleus reviennent sur Ninoxe. « Mais tu sais, c’est pas grave si tu pars un jour. Pour le moment, t’es là. Et tu es à nous le temps que tu veux être là. »

Après tout, Ibijau aussi est venu puis parti. Et il n’est pas le seul. Ça n’en a pas moins fait un membre de la tribu à part entière.