Zélia a toujours aimé la pluie. Et celle-ci se fait omniprésente depuis l’arrivée du Bayou sur l’île de Jamais : à son plus grand bonheur - du moins, jusqu’à ce qu’elle en aura marre. Emmitouflée dans une cape, l’Oracle revient d’une longue promenade au sein du Bayou. Ici, elle s’amusait : depuis peu, Zélia se prenait de passion pour les Pirates et s’amusait progressivement à leur faire des prédictions plus ou moins avérées. Si il n’y avait rien qui l’ennuyait ici, il fallait reconnaître que ses pensées au sujet de sa stérilité la parasitait bien trop. Elles n’avaient fait qu’empirer avec le décès de sa manman, au point de l’empêcher de dormir : et ça, elle n’aimait pas du tout. Les nuits passée, à se monter des scènes irréalistes dans sa tête, étaient bien trop courantes à son goût et la fatiguait de plus en plus.

Elle avait d’exorciser ses pensées noires. D’avoir une discussion sérieuse avec lui.

Machinalement, Zélia s’engouffre dans Gwo Kay Won. Il ne lui faut que peu de temps pour trouver son époux, installé confortablement dans les coussins disposés à proximité du bassin, où disparaissent les gouttes de pluies tombant du puits de lumière de la tour. Avant de s’approcher, elle se dévêtit de sa cape trempée, qu’elle essore au seuil de la porte d’entrée de la tour. Elle passe une main distraite dans ses cheveux, puis réajuste ses vêtements et ses bijoux. Il faut dire que même après leur mariage, elle a gardé cette étrange habitude de vérifier si tout est parfait sur elle, avant de voir son époux.

D’un pas léger, elle fait le tour afin de ne pas prendre Lundi par surprise : c’est qu’elle n’aime pas faire aux autres, surtout à son mari, ce qu’elle déteste. Fort heureusement, il ne dort pas.

- Kè mwen, je ne te dérange pas ?

Zélia n’ose pas trop s’approcher, même si elle a terriblement envie de se lover dans ses bras : peut-être est-il très sérieusement occupé. C’est que malgré le temps passé ensemble, elle a toujours peur de venir l’ennuyer... même s’il lui a assuré plus d’une fois le contraire. L’Oracle fait encore quelques pas vers son époux, lui adressant un sourire rayonnant, empli de tout l’amour qu’elle a pour son époux, qui balayerait presque la crainte maladive qui tord son estomac.

Pourtant, Lundi la connaissait suffisamment pour se douter que quelque chose la tracassait.

La pièce était éclairée de torches et bougies dont la cire dessinaient leurs racines, divers babioles rituelles habillant les murs et étagères, la pluie tombait dans le bassin que le Baron était en train de contempler. Sa collection ne comptait pas encore bien des spécimens à épier, mais déjà quelques uns permettaient de découvrir sans même se risquer à la décomposition... sept lunes en dehors du Bayou avant de finir en poussière, il valait bien savoir où se trouvaient ses objectifs s'il venait à devoir sortir de son domaine. Alors, au moins pour ça, Klere apprenait patiemment à connaître les parties de leur nouveau monde. Ils avaient déjà bien vite appris sur les plantes d'ici, mais le Guédé voulait savoir plus précisément les choses.

Là, il observait un pirate déambulant dans le Port. Rien de bien exotique en soit, mais cela pourrait bien être plus fourni plus tard.

Affalé dans les coussins, le sommeil n'avait heureusement pas frappé le Céleste. Pendant un instant, il se perdit dans la contemplation des gouttes d'eau salée. Ce qui fit naître l'envie de tendre la main pour les toucher. Cependant, l'attention se figea sur l'âme qui avait pénétré cette pièce centrale. En découvrant Zélia, le sourire du Baron se fit franc à en dévoiler les dents du bonheur.

À la question, Lundi se redressa pour mieux voir son épouse. Il ne vit pas tout de suite les émotions qui tournaient en elle, ses yeux tombaient toujours sur les marques qu'il lui avait laissées... Le remord d'avoir laissé la passion prendre le dessus, mais qu'y pouvait-il ? C'était une époque lointaine. L'Oracle ne lui en tenait pas rigueur, et Klere y trouvait quelque chose de beau comme si le lien s'était gravé à l'instar des marques de foudre que lui-même portait.

Il désigna de la main un coussin à ses côtés afin d'inviter Zélia à le rejoindre, si elle le souhaitait. La connaissant, on pouvait deviner qu'elle craignait de le déranger. Comme en témoignaient les mots prononcés.

- Bien sûr que non tu ne me dérange pas, viens vers moi, bèl zeklè mwen.

Un si doux nuage avec ses épouses, qui pourtant se changeait en orage de rage face à n'importe quel outrage. Quelque chose semblait tracasser sa belle, et le Céleste n'aimait pas voir ça. De plus, la mère de la divinatrice les avait fraichement quitté, laissant ainsi une place à une autre âme au Bayou.

- Je suis tout à toi.

Décidément, quelque chose ne lui plaisait pas. Il se retenait de fouiller dans les émotions.

- Est-ce que tu vas bien ?

Lundi est vraiment un amour. C’est ce que se dit Zélia en prenant place auprès de son époux, et en se lovant contre lui. Ce contact très simple, qu’elle cherchait spontanément lorsqu’elle ne se sentait pas dans son assiette, l’apaisait toujours. Très lentement, mais c’était déjà ça.

- Oh. Tu regardais l’un de ses idiot bato ? Demande-t-elle en remarquant dans le miroir d’eau la silhouette d’un pirate déambulant dans une allée du port.

Elle savait Lundi très curieux et prompt à découvrir tout du nouveau monde dans lequel ils se trouvaient. Zélia le faisait aussi, mais à sa façon. Et ce qu’elle en tirait pour l’instant était la stupidité notoire qui suintait de certains pirates. Dire qu’elle avait réussi à en détrousser quelques-uns sans trop forcer ! Ils étaient si bêtes.

La question de Lundi lui fait perdre le sourire absent qu’elle affichait en pensant au dernier idiot qui avait cru à sa fausse prédiction. Elle ne répond pas tout de suite. Par quoi commencer ? Elle pensait à trop de choses en même temps. Sa mère lui manquait, mais ce n’était pas le principal problème dans cette histoire. Non, il y a autre chose dont elle voulait lui parler.

Zélia s’insulte mentalement. Ce n’est pourtant pas si compliqué ! Lundi l’écoute, quoiqu’il advienne. C’est ce qui importe.

- Ça va aller. Je pense à manman, mais elle est bien mieux où elle est maintenant. Ah, elle me gronderait si elle m’entendait dire ça.

Elle était sincère, même si elle ne paraissait pas convaincante sur l’instant. Zélia avait encore la fâcheuse habitude de ne jamais vouloir déranger Lundi. Elle avait tant de chance de l’avoir... Ce serait bête de tout gâcher pour des plaintes.

- En fait, Klere, Je voulais te parler d’autre chose.

Dans sa tête, ça se corse. Au final, Zélia se donne un peu de courage, et saisit la main de son époux. Il faut vraiment qu’elle s’enlève de la tête l’idée de l’ennuyer. Ça ne mène à rien.

- ... Je crois que tu t’es déjà renseigné sur les plantes de l’île. Est-ce que tu crois que ça règlerait mon problème ?

Zélia sous-entend clairement sa stérilité, même si elle n’a jamais utilisé ce mot face à Klere. En soit, il sait de quoi elle parle : ce problème a déjà mené à quelques fausses-couches, au plus grand désarroi de l’Oracle. Elle qui pensait ne jamais vouloir d’enfants, là voilà à poser cette question à son époux.

- J'aimerais tellement que ça marche. J'ai l'impression que le bon Bondye me joue un sale tour depuis le début.

Ils n’étaient là que depuis peu, et Zélia ne comptait pas s’aventurer plus loin que sur le Port et au bord de l’océan. Mais nul besoin d’être devin pour comprendre le potentiel magique de cette île. Il suffisait d’écouter les autres parler.

L'Oracle fut chaleureusement accueillie lorsqu'elle se lova contre son époux, celui-ci ne pouvait pas penser un instant ne pas l'être face à l'une de ses femmes. Encore moins à une Zélia aux airs si graves. Enfin, quelque chose trottait dans cet esprit. Les réponses ont été données. Et de la peine se fraya un chemin jusqu'au coeur du Baron, son épouse attristée et toute soucieuse lui renvoyait un reflet bien moins éclatant qu'il aurait voulu pour elle.

Il caressa la main qui avait pris la sienne, détachant pour de bon le regard du bassin qui offrait la vue sur le Port. Puis, ce fut sur la joue que les doigts trouvèrent à montrer de la douceur, passant aussi bien sur les cicatrices dorées que la peau immaculée.

- Mèsi paske ou louvri kè ou pou mwen.

Lundi aimait qu'elle s'ouvre un peu, qu'elle lui témoigne cette confiance que beaucoup peine à avoir. Une confiance qui passait aussi par sa protection, n'essayez même pas de pousser Zélia dans ses retranchements... ce serait une invitation à ne jamais plus pouvoir reconnaître votre visage dans les reflets. En cas de survie.

Toute la douceur du ciel pour ses amours, et tout son pouvoir.

L'image sur la surface de l'eau s'effaça, et le Baron récupéra la mèche de cheveux qui revint
du fond du bassin. Objet précieusement rangé dans son flacon portant le nom de "l'acteur", et durant ce petit temps, Lundi répondait.

- Si c'est que tu souhaites, je remuerai ciel et terre pour toi. Ne l'oublie pas.

Doux sourire en regardant à nouveau l'Oracle alors que le récipient se trouva abandonné parmi d'autres élus du jour.

- Je pense que je peux trouver les bons ingrédients, oui.

Il y avait déjà un peu pensé, arrivant à la conclusion que les causes paraissaient bien différentes selon les individus. Il avait des émotions en flacons qui pouvaient rendre propice la réception de magie, il devrait encore travailler pour parvenir à quelque chose une fois l'ingrédient manquant trouvé... il savait prendre, poursuivre et détruire. Favoriser la création était un autre domaine, mais qu'il savait atteignable. À condition de s'adapter.

- Un rituel sera sûrement nécessaire... rien d'aussi grandiose que ce que Maman a fait pour mes frères et moi, juste une affaire d'offrandes et de vévés.

Sur ces mots, il se leva doucement pour ne pas bousculer sa belle et s'en alla prendre une fiole sur une étagère déjà bien garnie. Rien de bien long, le voilà déjà de retour. Prenant un court baiser à Zéla et déposant un bracelet de perle dans l'eau. Celle-ci, après un léger tourbillon nuageux laissa paraître un paysage marécageux.

- C'est une graine, celle d'un fruit qui pousse ici, qui pourrait t'aider. Dans une terre qui pourrait nous paraître familière, mais c'est un marais qui appartient bien à cette Île.

Les fruits d'une plante semblable à de la mousse espagnole mais qui était pourvue de feuilles fines et dorées.

- Mais, tu n'es obligée à rien, kè mwen. D'autant plus que dorénavant, les naissances coûtent une vie.

Le Céleste devait le souligner. Il aimait ses enfants, il aimait ses femmes, et même si la mort ne l'effrayait pas... celles qui partaient le laissaient en peine. L'importance de savoir que le Bayou ne s'étendrait pas prenait un rôle impossible à ignorer. Pour Zélia, pour la guérir, si il était question de guérison, si c'était ce qu'elle voulait... alors Klere s'y plierait. Il ne pouvait pas mesurer à quel point il était heureux que ses épouses lui donnent des enfants. Les liens si particuliers, qui seraient toujours là pour la famille.

Zélia tique à la première phrase que prononce Lundi. Elle se redresse doucement, et adresse un regard teinté d’un amour profond et d’une étrange angoisse à son mari. Même si elle avait accepté sa demande sans trop savoir pourquoi - sans doute parce que l’obstination de Lundi l’amusait, ses sentiments étaient sincères, et elle avait parfois peur d’être incapable de les exprimer. Et ce même si leur mariage remontait. Il était courant qu'elle s'en veuille pour ça, parfois. Perdue dans ses pensées, elle lissait du bout des doigts l’une des nattes de son mari.

- Dezole. Mwen espere ke mwen montre ou ase lanmou mwen.

Ça lui fait d’autant plus quelque chose, quand le Céleste lui dit qu’il remuerait ciel et terre pour elle. Il continue de parler, et Zélia tente de se concentrer sur ses propos pour ne pas laisser ses pensées dériver une nouvelle fois. Son corps se fige lorsqu’il lui parle des ingrédients, et elle le suit du regard tout en l’écoutant attentivement. Une lueur anxieuse traverse ses prunelles. Ça lui paraissait si simple... pour un rite vodou, évidemment. Lorsque Lundi revient, elle lui rend son baiser, et réagit spontanément :

- Kè mwen, je ne me sens obligée de rien.

L’Oracle s’arrête. N’est-ce pas égoïste de sa part, ce qu’elle lui demande ? Elle ne sait pas réellement si elle a le droit de penser ça. Par réflexe, elle glisse de nouveau sa main dans la sienne, et pose sa tête contre son épaule. Elle met du temps à trouver ses mots.

- J’avais presque oublié cette règle. C’est peut-être égoïste de ma part... j’ai toujours souhaité avoir des enfants. Qu’est-ce que tu en penses ? Finit-elle par demander à Lundi. Son avis lui est très important.

Par réflexe, elle baille, comme si elle était fatiguée de trop penser. Si elle en avait toujours eu envie, il faut dire qu’elle avait oublié cette hypothèse suite à ses très mauvaises expériences dans le Monde Ordinaire, et lorsqu’elle avait compris qu’elle était stérile. Pour autant, elle trouvait ça horrible qu’une amante ou une épouse de Lundi risque de mourir à cause de son égoïsme. D’autant que de manière générale, elle aimait bien les gens du Bayou. C’était son chez elle après tout. Zélia, assombrie par la règle du Bayou, se force à penser à autre chose.

- Mais si ça doit arriver, tu es le seul homme avec qui je voudrais en avoir. Je n’ai confiance qu’en toi. Ou konnen ?

Bien sûr qu’il le savait sans doute. Zélia était en pleine confiance avec Lundi : il ne la forçait à rien, lui laissait de la liberté, et la protégeait - même si la fierté de l’Oracle fait qu’elle préfèrerait tenter de se protéger du mieux possible... sauf lorsque les limites sont dépassées.

Le vent frais soufflait en se glissant dans le puit de lumière au sommet de la tour, mais le froid qu'il apportait était interdit et restait à l'extérieur par obéissance à un sort jeté qui veillait à garder les habitants au chaud. Cependant, il demeurait présent, faisant danser les flammes des torches ou promenant des loas paresseux.

Lundi n'écoutait rien de ce qui se passait autour de lui, seule la voix de son épouse trouvait chemin jusqu'à son esprit. Et les mots qui s'y imprégnaient sonnaient de sentiments si particuliers que le Baron pouvait deviner leur essence juste en entendant les phrases lancées. L'image des marais dans le bassin ne disparaissait pas, mais elle ne trouva plus les yeux de son invocateur. Ceux-ci étaient tournés sur l'Oracle aimé.

Klere se saisit des mains de Zélia pour les embrasser avec une grande douceur, avant de les envelopper dans les siennes.

- Tu me le montres bien assez.

Il ne relâcha sa prise que pour en prendre une autre sans délaisser l'amour dans ses gestes alors qu'il encadra de ses mains aux multiples alliances le visage de Zélia.

- Tu n'es pas égoïste, ne pense pas à cette règle.

Il fallait les suivre, et pour celle-ci le Bayou réagissait de lui-même. Klere ne regrettait jamais, ses épouses trépassées lui manquaient évidemment, rien ne les remplacerait. Néanmoins, le Guédé continuait. Le prix pour laisser paraître dans leur monde un lien concrétisé semblait en valoir la peine.

- Mwen damou ou, Zélia. Je te donnerai toujours tout ce que tu souhaites. Et si tu veux m'honorer d'un enfant, je t'accompagnerai jusqu'au bout.

Son sourire était doux, l'inverse d'un orage enragé, mais la passion du Céleste demeurait bel et bien présente et tout autant forte que les éclairs. Il s'était penché pour un baiser avant de poursuivre.

- Tu peux reposer toute ta confiance sur moi, jamais rien ne t'arrivera.

Il suffisait d'un regard, d'un geste, d'une émotion inscrivant un malaise en l'Oracle et l'orage pourrait éclater. Lundi la savait si anxieuse en dehors de ses taquineries, il ne laisserait pas ces sentiments la malmener. Le Céleste était heureux d'entendre ces mots de la voix de sa première épouse qu'il avait dû demander par deux fois afin de l'avoir, évidemment qu'il serait autant féroce que pour toutes celles pour qui sa passion était foudroyante.

Il relâcha sa prise, ne gardant comme contact que les yeux dans les yeux. D'âme à âme.

- Alors, tu veux essayer avec ce fruits ?

Fit-il en désignant vaguement d'un geste de la tête le bassin à côté d'eux.

Les paroles de son mari lui réchauffaient le cœur. Visiblement émue, Zélia, sans vraiment réfléchir, encadre de ses deux mains le visage de Lundi. Son geste est mesuré, très doux. Et ses yeux brillent d'un amour profond et sincère.

- Merci.

Que dire d'autre ? Zélia n'est parfois pas très douée avec les mots, comme tout le monde. En tout cas, ses gestes, son "merci", en disent beaucoup. Lundi ne manque jamais une occasion pour renforcer la confiance que lui accorde L'Oracle. Par sa tendresse, ses baisers, par sa présence lorsqu'elle en a besoin. Car elle le sait capable de la défendre corps et âme, et pour ça, elle lui en est et en sera éternellement reconnaissante. Elle ne quitte son mari des yeux que pour suivre le geste de la main qu'il fait en direction de l'étang. Songeuse, elle fixe le bassin et repense à l'image montrée par son mari. Et à cette plante.

Pendant un moment, elle ne dit rien. Repense aux paroles de Lundi, comme pour se convaincre, se rasséréner. Au final, elle tourne la tête vers lui et lui adresse un regard entendu.

- Je veux essayer.

Elle le veut réellement. Lui donner des enfants, s'occuper d'eux.

- Kè mwen, je suivrais tes directives.

Zélia lui adresse un sourire : un peu malicieux, un peu gêné. Il faut dire qu'elle n'y connaissait rien du tout, ni sur la marche à suivre, ni sur le reste.
Mais elle a confiance. Comme toujours.

C'était entendu. Zélia voulait bien du rituel qui pourrait, si les loas le voulaient bien, lui permettre d'enfanter. Du moins, une fois. Malgré la magie, il devinait bien ce fruit rare et ne l'avait repéré que depuis cette vision des marais au-delà du Bayou. Peut-être que les fées offraient des environnements plus propices aux naissances ? N'étaient-elles pas du côté des enfants ? Enfin, il fallait encore apprendre un peu plus sur ce nouveau monde, mais déjà le savoir du clan de Maman Brigitte se trouvait être bien rempli.

Un sourire tendre à sa première aimée, le Baron acquiesça de la tête. Des recherches avaient déjà été faites, il lui manquait juste cet ingrédient crucial que l'Île savait produire. La notion de temps serait plus compliquée à "réinventer", comment compter 9 mois dans un univers sans année ? Pourtant, le temps faisait son oeuvre, autrement. La science était évincée par la magie, celle-ci avait le dessus mais engendrait d'autres domaines. Les nouvelles plantes de ces terres apportaient de splendides possibilités aux connaisseurs du Bayou, et cette flore complétait définitivement les petits manques qui avaient existé dans le monde ordinaire.

Klere était heureux de pouvoir effacer cette ombre qu'il n'avait pas pu éclairer avant qu'ils ne passent de ce côté des étoiles, un cadeau pour l'Oracle.

- Très bien alors, il ne manque plus que ce fruit. Et mes directives ne seront pas difficiles pour toi, normalement.

Un baiser et un ton taquin. Comme s'il avait pu y glisser une farce ou un sous-entendu discret.

Il se leva doucement, se séparant à nouveau de sa belle Zélia. Néanmoins, il resta planté sur place. Observant un instant la surface de l'eau. Ce n'était pas si éloigné, non ? Enfin, sauf si l'Île venait à en décider l'inverse. Des terres bien joueuses.

- J'y vais tout de suite, je ne veux pas te faire attendre ou risquer qu'on nous vole ce qu'on convoite... Tu veux m'accompagner ?

Quand il le pouvait, c'était bien volontiers qu'il faisait participer ses épouses intéressées par ses rituels ou dans la recherche d'ingrédients. Il évitait lorsqu'il s'agissait d'humains en revanche.

- On pourrait voir un peu plus les paysages de notre nouveau monde, tant que ça ne nous prend pas sept lunes.

Le temps, en lunes, lui était compté lorsqu'il sortait du Bayou. Les forces s'amenuiseraient, et lentement il tomberait en décomposition. Le Céleste voudrait éviter à ses dames l'horreur d'un époux sans sa chair.

Apaisée, les yeux de Zélia brillent à nouveau de cette espièglerie qui la caractérise tant. Elle suivit du regard son époux se détacher doucement d'elle, puis se lever et aviser une nouvelle fois la surface du bassin. Ne souhaitant pas l'interrompre, elle l'écoute attentivement, et hoche la tête avant de se relever à son tour.

- Bien sûr ! S'exclame-t-elle en s'accrochant à sa main. Évidemment qu'elle voulait l'accompagner ! Hors de question de rester là, alors que son époux se démenait pour elle... et qui plus est, de brûler d'une curiosité qu'elle ne pourrait satisfaire si elle se contentait d'attendre.

Ah, elle avait si hâte ! Son cœur battait fort, et une drôle de sensation chaleureuse prenait place dans son ventre et sa poitrine. La simple idée de pouvoir avoir des enfants avec l'homme qu'elle aime, de régler ce problème, la rendait réellement et sincèrement heureuse. Même s'il n'était pas possible de rester longtemps à l'état de bambin hors des Garçons Perdus, la jeune femme avait toujours aimé les enfants, leur malice, leur espièglerie, leurs rires. Il faut dire qu'elle avait eu une si bonne mère : jamais elle n'aurait pu penser le contraire.

- Je suis tellement curieuse de cette île, si tu savais.

Elle repense au paysage marécageux que lui a montré son époux, et à ce drôle de fruit moussu, à l'allure éthérée et pourvu de fines feuilles dorées.

- Tu sais déjà à quoi ressemble ce monde ? Demande-t-elle, songeant au fait que Klere passe beaucoup de temps à observer le monde à travers son miroir d'eau. Je me demande si les paysages sont variés, s'il n'y a que des marécages, ou s'il y a des montagnes... Je crois que je n'en ai jamais vu.

Est-ce que ce paysage marécageux était loin de leur Bayou ? Zélia brûlait, mais se retenait : elle ne voulait pas non plus assommer son mari de ses milles-et-un questionnements...

L'engouement de Zélia ravissait le Baron Lundi. Il avait l'impression que la brume qui pesait sur le coeur s'en était allée pour laisser la lune rayonner de tout son éclat argenté. Il préférait évidemment lorsque ses épouses brillaient de milles feux, hors de question de laisser leur âme se ternir de peine.

L'envie d'offrir de nouveaux paysages aux yeux de sa femme faisait presque oublier que le "temps" demeurait compté au Céleste, il n'aurait pas plus de sept lunes afin de tomber en poussière s'il n'avait pas retrouvé le domaine du Bayou avant.

Le guédé souriait en caressant la main de Zélia, elle voulait découvrir ce nouveau monde et Klere projetait d'assouvir une partie de cette volonté. En se penchant en avant, il embrasse le front de sa première épouse avant de l'entrainer vers la sortie. Ils partaient.

- Je sais un peu à quoi ressemble l'île, oui. Pas énormément, mais j'ai quelques pièces à rassembler. Mais c'est suffisant pour savoir où nous allons.

La pluie dehors ne le dérangeait pas, il adorait ça. Il avait toujours aimé ce contact du ciel jusqu'à sa chair, sa seule inquiétude serait que Zélia soit ennuyée par ce temps. Cependant, il savait qu'elle l'aimait aussi.

Il n'avait pas lâché la main de l'Oracle, fidèle à son amour du contact. Il savait très bine où il allait, il savait quel genre de paysage il leur fallait traverser. Seules les distances demeuraient fourbes et joueuses, un peu comme si Samedi avait voulu joué sur les règles géographiques.

- Si on ne rencontre pas de montagnes en chemin, j'en trouverai et je t'y emmènerai une autre fois kè mwen.

Un sourire charmeur, mais avec un quelque chose d'enfantin. Peut-être parce que lui aussi voudrait bien grimper plus haut que sa tour et toucher le ciel du bout des doigts, sans jamais perdre le lien sacré à sa famille.

Pour le moment, ils ne passaient que la frontière du Bayou. Là, le compte à rebours débutait. À cet instant précis, Lundi gardait en tête qu'il était plus vulnérable. Certes, vulnérable à une certaine échelle. Il avait toujours pu compter autant sur sa force physique que sur sa magie, et le ciel le surplombait en permanence. Néanmoins, plus les lunes passeraient, plus sa chair pourrirait. Et comme le temps demeurait capricieux, et la lumière un peu filtrée par les nuages lourds... la prudence était de mise.

La forêt qui commençait à englober Klere et Zélia portait une flore différente de celle du monde ordinaire. Différente et à la fois similaire ou familière par moment. Le troisième des fils de Maman Brigitte notait que des végétaux paraissaient renaître, comme des suites d'une intense sécheresse. La boue au sol portait les cadavres de fibres déshydratées, dorénavant noyées.

Des lumières colorées se promenaient dans la cime des arbres, attirant l'attention de Lundi qui tira doucement Zélia vers lui pour lui montrer la chose.

- Ces lumières sont un peu grandes pour des lucioles non ?

Il avait bien une idée de quoi il s'agissait, ils savaient tous que ces terres étaient peuplées de créatures féériques et mystiques. Un monde peut-être cousin du leur au Bayou, mais qui ne répondait clairement pas aux mêmes valeurs.

- On risque d'en recroiser lorsqu'on s'approchera du marais.

Les lueurs magiques étaient trop hautes, et sûrement méfiantes envers des pirates, elles bougeaient vite et se dispersaient aussi vite que les lucioles communes.

Trop heureuse, Zélia suit son mari et l'écoute d'une oreille attentive. Avant de sortir, elle a attrapé de justesse sa cape, laissée à l'entrée de la tour. Si elle l'a enfilé en vitesse, elle n'a pas pensé à rabattre la capuche tant elle aime la pluie, à tel point que Zélia lève la tête vers le ciel pour lui adresser un sourire. Elle était dehors il y a peu, mais qu'importe : l'odeur de la pluie est presque plus plaisante que de la sentir rafraîchir sa peau.

Elle tient la main de son mari, s'accroche parfois à son bras. Klere est bien plus grand et même s'il fait toujours attention à Zélia, cette dernière fait de son mieux pour caler ses pas au sien. Elle ne veut surtout pas le ralentir.

- Si on ne rencontre pas de montagnes en chemin, j'en trouverai et je t'y emmènerai une autre fois kè mwen.

Ah, qu'est-ce qu'elle ferait sans lui ? Zélia lui rend son sourire. Malgré tout, une pointe d'appréhension naît dans le creux de sa poitrine, accentuée par le fait qu'elle aperçoit les contours du Bayou.

- Je sais que tu es fort, mais je ne veux pas que tu t'éloignes trop de la maison pour moi.

Ça y est, ils ont passé le pas hors de leur territoire. Zélia s'accroche à son mari, nerveuse à l'idée de l'imaginer hors de leur chez eux. Même s'il est fort et puissant, même si elle connaît les règles du Bayou, l'amour qu'elle lui porte fait parfois naître d'étranges sentiments. Afin de chasser ses mauvaises pensées, elle porte un regard curieux, presque enfantin, sur la flore qui les entoure. A la fois familière et nouvelle, la végétation a l'air de reprendre vie après une longue période de sécheresse qu'elle n'a pas connu. Klere l'attire vers elle, sortant L'Oracle de sa longue contemplation. Elle suit son regard et voit à son tour d'étranges formes colorées.

- Oh ! S'exclame-t-elle lorsqu'elle voit les lueurs disparaître aussi vite qu'elles n'apparaissent. Tu sais ce que c'est ? Des esprits de cette île ?

Zélia frôle du bout des doigts les gouttes d'eau qui glissent sur l'une des feuilles d'un grand bosquet. Face à toutes ces nouvelles choses, elle devient loquace plus qu'elle ne peut l'être, et encore. Elle se retient de poser un milliard de questions, et ne se contente que de l'essentiel. D'autant qu'elle connaît suffisamment Lundi pour savoir qu'il attirera toujours son attention vers des choses susceptibles de l'intéresser.

- C'est incroyable comme la flore est variée. Le marais est encore loin, kè mwen ?

C'était d'une marche assurée que le Baron emmenait son épouse sur le chemin de leur première quête sur cette terre nouvelle, il aimait veiller sur elle et l'avoir avec lui. Et bien plus encore, lui offrir ce qu'elle désirait. Que ce soient des montagnes, ou même la Lune...

Klere notait l'inquiétude de sa première femme sur la distance qu'il s'imposait entre lui et le Bayou pour elle. Il devait faire attention, ou bien il ne serait plus qu'un squelette. Et le Céleste refusait de manquer à son devoir d'enlacer son Oracle, et ce par prétexte de ne plus avoir de bras.

Lorsque son regard quittait les lumières magiques, Lundi contempla Zélia qui couvait déjà la flore d'attention. Elle avait raison, ce monde était très varié. Autant en plantes qu'en créatures. Une bouffée d'affection le poussa à caresser les cheveux de l'Oracle, avant de lui répondre et de poursuivre sa marche.

- Bientôt mon amour, nous devons passer une rivière d'abord.

D'une main, il glissa ses doigts entre les siens, et emporta Zélia à sa suite.

- Et pour les lumières... ce sont des fées. J'ai remarqué quelques territoires plus fréquentés que d'autres, de ce que j'ai pu esquissé de ce monde pour le moment.

Un grand sourire alors que le chemin le menait jusqu'aux flots, et sur le bord il scruta les flans afin de trouver le meilleur passage. Ou bien, il pourrait porter Zélia. Sur cette dernière idée, il glissa les yeux sur la dame concernée.

Il se baissa un peu, un sourire taquin sur le visage.

- Tu me laisserais te porter, ou tu voudrais faire trempette ?