La main du Séraphin sur son épaule lui arrache un léger sourire, triste mais reconnaissant. Elle ne pensait pas son Messager aussi opiniâtre : il est souvent bien plus prompt à jeter l’éponge que l’inverse, dès lors que cela ne concerne pas son travail. Et s’il y a bien quelque chose dont Mab est certaine, c’est que leur amitié n’a rien à voir avec leurs statuts respectifs.

Certains de ses Conseillers et Intendants passés ont tenté de la faire douter, au fil des saisons, de l’intégrité d’Éther. Il est évident que son attitude envers le reste de ses congénères joue contre lui. Mais l’Étincelante le connaît mieux que personne et sait très bien que, si le Séraphin joue un rôle, ce n’est pas dans ces circonstances. Pas lorsqu’ils sont seuls dans ses quartiers et qu’il tente de la réconforter alors qu’il se rend bien compte de l’ampleur de la tâche.

L’amitié d’Éther est un sentiment précieux dont elle n’a jamais douté, et elle espère le lui rendre au mieux.

Son sourire gagne en authenticité lorsqu’il la complimente. Évidemment, c’est toujours un bon moyen de s’attirer les bonnes grâces de Sa Majesté et son fidèle ami le sait, mais elle comprend bien la valeur des mots. Rares sont les fées qui prennent vraiment le temps de se demander ce que voudrait dire être à la place de la Reine. Son Conseil et ses plus proches sujets se rendent compte de ce que cela signifie, bien entendu, mais le reste du monde le voit comme un fantasme d’adulation -réel, mais dont les ficelles sont bien plus entremêlées que cela.

Alors, quand quelqu’un comme Éther, possédant son propre groupe de fans chez les fées comme parmi les hommes, dit qu’un rôle comme le sien ne l’intéresse pas, cela en montre bien plus que la simple phrase ne le suggère. Bien que Mab ne soit pas étonnée : son Messager est bien plus perspicace que ce qu’il laisse montrer.

Et il le lui prouve encore une fois, tâchant de la raisonner sur les éclats de Ciel. La mention de l’adolescence lui apporte un petit éclat de rire sans joie. Ce n’est pas pour rien que les humains, dès lors qu’ils ont offert leur premier rire, ne l’intéressent guère jusqu’à atteindre l’âge de procréer et faire rire à nouveau. Les adolescents sont à ses yeux les plus terribles spécimens de l’évolution humaine : les plus sceptiques et enclins à déplaire, prompts à la colère et parlant sans réfléchir aux conséquences, entraînant aisément la mort des siens. Les plus dangereux, selon elle.

C’est aussi pour cela que, malgré tout, elle supporte Peter dans ses choix et ses illusions : ses Enfants Perdus n’ont pas d’autre choix que de croire, et c’est un paradigme rassurant. Une garantie, aussi faible soit-elle.

Et elle doit admettre qu’Éther a raison : Ciel semble en plein dans cet âge difficile. L’Étincelante soupire, ôtant la main sur son épaule pour la serrer dans la sienne. La Reine n’est jamais très tactile, mais la fée a parfois besoin de soutien. Comme toutes les autres. Mais il y a à nouveau un éclat de malice dans son regard noisette lorsqu’elle lui demande :

« Te souviens-tu de ta propre adolescence, Éther ? »

A son ton, il est certain que la Reine, elle, se souvient pour deux.

La bonne humeur d’Éther -bien que potentiellement surjouée- est la bienvenue. Doucement mais sûrement, la Reine retrouve un semblant de joie de vivre. Elle l’écoute narrer les aventures dont elle est le principal témoin avec un léger sourire. A sa question, pourtant rhétorique, elle hoche la tête.

« Dire le contraire serait... effronté. »

Sa malice se lit dans son regard noisette, alors qu’elle use du qualificatif que bien des conseillers ont eu à l’égard de son Messager à cette époque... et encore maintenant, pour certains.

Son sourire s’ourle d’une douce mélancolie alors qu’elle tourne à nouveau le regard vers la fenêtre. Pourtant, cette fois, la peine est différente. Il y a quelque chose de plus nuancé dans son attitude... « Cela fait bien longtemps. » Dans le ton de sa voix, une autre forme de regret. Comme si elle pesait le pour et le contre de ses prochaines actions.

Les fées sont des êtres d'instants. La joie, la peine, la malice, l'envie sont autant de sentiments qui passent et repassent l'espace d'une seconde volée ou d'une minute d'éternité. Les sentiments jouent avec les fées, et les fées jouent avec les humains. Il en a toujours été ainsi.

Et Mab, quintessence de la fée, peut finir elle aussi par laisser dominer un autre sentiment que la peine et l'angoisse qui l'accablent. Peut-être que la présence du bonimenteur finit par faire effet. Toujours est-il que lorsqu'elle se tourne à nouveau vers lui, il y a dans son regard noisette une pointe d'espièglerie qui n'était pas encore réapparue depuis son arrivée dans les appartements du jeune prince.

« Et si nous y remédiions ? »

Ce n’est pas un secret, encore moins l’un de ceux dont on ne parle pas : le Séraphin, aussi agaçant qu’il soit pour l’ensemble des autres fées, est l’un des rares à pouvoir mettre du baume au cœur de la Reine. Un fait parmi tous ceux qui se partagent entre anciens et nouveaux membres du personnel de sa Majesté, comme toute personne en cuisine sait qu’il est de bon ton d’ajouter quelques graines de grenade à tout plat atterrissant à la table royale, par exemple.

Éther a le cœur de son Altesse comme l’ensemble de son peuple, mais il est le premier -voire le seul- à aller chercher lorsque c’est de son rire que l’on veut raviver l’éclat. Et si lui n’y parvient pas, c’est qu’il n’y a probablement rien d’autre à faire que de laisser ce temps, inexistant et pourtant si faste, faire son office.

Cette fois-ci, néanmoins, a laissé à penser que l’inquiétude et le chagrin de la Reine des Fées ne saurait être mis au placard par quelques douceurs et bonimensonges. C’est tout l’arsenal du Séraphin qui a été de sortie pour obtenir ce qui, en temps normal, ne serait considéré que comme une très légère victoire. Mais la disparition -ou l’évasion- du Petit Prince n’est pas un événement anodin, et demande donc un effort supplémentaire.

C’est au bout d’une longue bataille que le Messager obtient enfin un sourire sincère de la part de celle qui -pour le moment- n’a d’Étincelante que le surnom. Mais voilà qu’Éther fomente, tout de suite prêt à une nouvelle escapade dans les couloirs du Palais à la recherche de la victime parfaite, comme ils ont pu tant en avoir par le passé. Son Altesse n’a pas forcément envie de quitter la chambre de son enfant tant qu’il n’est pas rentré, mais elle sait également que rester ici à ruminer ne lui servira plus à rien.

Ciel aussi a besoin de ses propres expériences. Un enfant ne peut être sans arrêt surveillé. Encore moins un enfant-fée. Elle le sait pertinemment, bien que cela ne lui plaise guère.

Elle ne se force que peu pour suivre son ami dans ses combines : c’est là toute la magie des sentiments éphémères. Voir Éther ainsi lui donne plus d’énergie qu’elle n’en a eu depuis le début de cette journée cauchemardesque et Mab sourit doucement, mais avec sincérité.

« Ton enthousiasme est contagieux... » Elle fait mine de réfléchir à la question avant de continuer. « Laissons Thé tranquille pour cette fois. » Le pauvre est probablement autant si ce n’est plus anxieux qu’elle concernant le départ de Ciel, elle l’a bien vu, mieux vaut ne pas en rajouter.

Le sourire de la Reine se fait plus calculateur et ses yeux noisette commencent -enfin- à briller d’autre chose que de tristesse quand elle reprend.

« Je préfère te laisser choisir : je ne suis jamais déçue. » Dans son regard, on peut presque lire l’éclat de rire qui n’arrive pas encore tout à fait à faire entendre sa voix. A défaut, elle tend la main en direction du Séraphin, en guise d’invitation. « Je te suis, mon cher. »

Se laisser porter par les frasques de son ami est actuellement le meilleur remède à son inquiétude.

Au fil des efforts persistants du Messager, la Reine finit par retrouver un peu de son impétueuse malice. Les mimiques d’Éther, qu’elles soient de sublimes sourires ou de légères moues, parviennent à lui remonter le moral et à l’entraîner dans ses frasques. Après tout, Mab est consciente qu’elle ne peut plus rien faire. Rester ici en se lamentant ne mènera à rien. Il est temps d’occuper ses pensées autrement jusqu’au retour de son enfant. Et pour cela, Éther est certainement son ami le mieux placé !

A sa réplique, Son Altesse hausse un sourcil, aussi intriguée qu’amusée. Dans son esprit, elle visualise rapidement une liste des fées dans les murs qui correspondent à ce critère... Beaucoup trop pour savoir à qui précisément son ami décide de s’attaquer, malheureusement. Mais la joie se trouve également dans le mystère.

Sa Majesté se contente donc de sourire et de prendre la main qu’on lui tend, les yeux pétillants, choisissant de se laisser entraîner sans se poser de questions. Quand bien même elle en aurait, elle connaît son Messager : derrière toute bonne farce, il y a une part non-négligeable d’improvisation.

A la question qu’il lui pose directement -montrant que l’improvisation au moment voulu n’est que le résultat d’une préparation savamment dosée- Mab fait mine de réfléchir un moment.

« Habituellement, ils partent de la salle d’armes pour aller vers la galerie, puis les appartements avant de redescendre par la bibliothèque. Nombre d’entre eux sont partis avec les groupes, néanmoins... les tours de garde doivent s’être espacés. »

Elle n’est pas certaine de savoir si Éther souhaite cette information pour qu’ils puissent partir sans se faire voir, ou parce qu’il a une cible bien précise en tête parmi ses gardes. Si le dernier, sa liste interne se réduit à bien peu de noms... Il n’y a aucune garde royale que son Messager aime tarabuster autant que la meilleure d’entre elles.

L’espace d’un instant, les yeux de l’Étincelante brillent d’une lueur d’obsidienne. Un courant d’air, léger mais rapide, semble parcourir l’ensemble du couloir qui leur fait face, s’arrête devant eux avant de recommencer dans une autre direction, comme une tête chercheuse. Parfois, des sons leurs parviennent : des discussions visiblement endiablées mais incompréhensibles dans la direction des petits salons, des remontrances depuis les cuisines -à l’odeur qui les accompagne-, des bruits de pas sur un sol clair. La reine se tourne vers son ami alors que ses yeux retrouvent leur noisette d’origine.

« Quelqu’un arrive. »