Ça va un peu mieux.
Le mal de crâne incessant semble s'être estompé au fil des jours. Il faut dire qu'Heaven fait aussi un peu moins d'efforts pour les autres et se concentre plus sur elle, afin de rattraper ses nuits sans sommeil.
Besoin d'une grasse matinée ? Elle la prendra. Personne ne se rendra compte de son absence, après tout. Entre ceux de sortie et les éternels introuvables, il est parfois difficile de croiser quelqu'un dans le joyeux bordel du Camp.

Et pourtant, la Mésange était bel et bien en train de chercher Bashful.

Son chaperon l'avait perdu de vue, lui avait-on dit. Honnêtement, elle s'en serait bien fiché... s'il ne s'agissait pas d'un collègue. Que dirait-on si jamais des Perdus du même groupe ne se venaient pas mutuellement en aide ?
Alors, voilà. Mission du jour : retrouver Bashful, et si possible, vivant et en bonne santé.

La Récolteuse n'eut pas à aller bien loin pour chercher son petit camarade. Étant risqué de s'aventurer dans des zones touchées par le Givre, le "périmètre sécurisé" qui leur servait de terrain sans danger s'en retrouvait vraiment réduit.
Faire le tour dudit territoire reste malgré tout assez long, même si l'on a la "chance" de commencer par le bon côté. Et elle a eu cette "chance".

"Vivant et en bonne santé."
Plait-il ?

Le gamin est tout ce qu'il y a de plus mort.
Du moins, c'est ce que vous vous dites quand vous le retrouvez dans les bras d'un truc humanoïde inconnu penché sur lui, et que non loin, le rouge du sang macule le blanc pur de la neige sur les pierres grises des vestiges.

- Ah, là là... et c'est sur moi que ça tombe.

Que dira Creepy en l'apprenant ? Si l'information arrive un jour jusqu'à lui, parce que là, c'est plutôt mal barré.
La jeune fille n'aurait-elle pas simplement pu s'empêcher de faire une remarque inutile, en français ? N'aurait-elle pas pu simplement tourner les talons et repartir d'où elle était venue, puis arriver au camp et simplement dire : "mort" ?
Non non. Évidemment, telle une idiote, elle restait ainsi plantée là, peut-être pour s'assurer que son jeune collègue était bel et bien fini, peut-être pour pouvoir gentiment ramener au camp sa dépouille.

- Les temps sont rudes pour tout le monde, on dirait...

Il parait que sous l'emprise de la peur, on peut se mettre à raconter n'importe quoi.
C'est probablement ce qui arrivait actuellement à Heaven, qui, en son for intérieur, s'insurgeait de faire calmement la conversation à la Créature (ou l'Orbleue, vu ses cheveux blancs) qui venait très probablement de tuer un Garçon Perdu.

Mais voilà; l'adolescente était bel et bien là, à vainement essayer de faire la conversation à cette chose, signant probablement son arrêt de mort.
Elle était là et se tenait droite sous les vestiges d'un encadrement de porte, ses boucles roses bien entretenues tombant sur ses épaules, habillée un peu plus chaudement que d'habitude et enroulée dans son "Plit" qu'elle ne quittait plus.

Adieu, monde cruel.
Allait-elle vraiment finir en tant que boule de glace à la fraise pour une entité de l'Île ?

Elle la fixe. La chose la fixe. La femme. La jeune fille. Elle-ne-sait-quoi la fixe de ses yeux jaunes.
Jaunes.
Point positif; ce n'est pas une Orbleue. Point négatif; c'est visiblement tout aussi dangereux.

Ce n'est que lorsque Bashful bascule en arrière, pâle comme un linge, que sa collègue comprend.
La position, la marque, son apparence à lui, à elle, ça ne veut dire qu'une chose :

Eh merde. C'est un Vampire. Il faut vraiment être idiot pour ne pas l'avoir compris plus tôt... Et maintenant ?

Les pensées d'Heaven filent dans sa tête à une vitesse fulgurante. Elle ne sait plus quoi faire.
Courir ? Mauvaise idée. Non seulement elle se ferait probablement rattraper, mais même si ce n'était pas le cas, elle ne serait pas à l'abri de déraper sur du verglas.
Appeler à l'aide ? Non, non, il n'y a probablement personne aux alentours. Ou peut-être qu'il y a d'autres Vampires, ce qui risquerait de les ameuter. Enfin, elle ne sait pas. Ça chasse en groupe, les Vampires, déjà ?
Prier un Dieu auquel elle ne croit pas pour qu'il la sorte de ce pétrin ? On va éviter. Ça ne fera sans doute rien du tout.

- Tu ne sens pas la chimie.

Oh, elle n'a pas jugé bon de réagir à sa remarque, mais au moins, elle lui a parlé sans lui sauter à la gorge. Parfait ! C'est probablement un bon début pour s'en sortir vivant.
Mais pourquoi les mots résonnaient-ils aussi familièrement aux oreilles de la Mésange ? C'est comme si elle s'entendait parler... ça avait fait la même chose avec Apache, dernièrement...

- D’où te vient cette couleur ?

Ah, c'est peut-être parce que c'est du français.

À cette constatation, le visage de la jeune fille se décompose. Comme la suceuse de sang en face avait probablement compris sa lamentation, voilà donc la Récolteuse officiellement catégorisée chez les Perdus geignards...
Un bon début, hein ? Mais bien sûr. Du coup, elle devait lui parler en français, ou en anglais, maintenant ? Avec le Chasseur, ça n'avait pas été très compliqué de repasser à l'anglais, étant la langue officielle de l'Arbre, mais elle ?

Non, le temps presse. On ne fait pas attendre un truc qui peut, sur un coup de tête, décider de faire de vous son digestif sans que vous ne puissiez rien y faire.
Autant rester en anglais. C'est aussi la langue de l'Île, après tout. À moins que les Vampires aient un tel égo qu'ils avaient décidé de parler comme ils le voulaient ?
Oh, mieux vaut ne pas y penser et se plier à ses attentes, si c'est pour être sûr de rester en vie.

- Ah, c'est un mauvais tour d'une Fée... C'est permanent...

Répondit finalement l'adolescente en triturant machinalement une de ses mèches roses, louchant sur les doigts crochus de son interlocutrice qui les désignaient.
Elle avait volontairement omis de préciser que la farce concernait aussi ses yeux. Mieux valait éviter de lui donner envie de constater leur couleur fuchsia par elle-même...

- ... Tu aimes ?

Ajouta Heaven avec un petit sourire crispé. Elle avait bien du mal à faire la conversation à cette nouvelle rencontre on-ne-peut-moins rassurante.
Quand la peur vous prend au tripes au point d'entendre votre coeur battre à vos oreilles, il n'est décidément pas aisé de rester naturel.

Pourtant, elle s'était enfermée dans son idée idiote de sympathiser avec la Créature afin de pouvoir, peut-être, marquer des points et s'en sortir indemne.
Le jeune Bashful quant à lui était officiellement relégué au rang de "bonus supplémentaire". L'important, entre les deux, c'était qu'elle rentre en vie au Camp, ELLE !

Évidemment qu'elle allait s'approcher quand même. Évidemment, Heaven aurait dû prévoir, mais qu'aurait-elle pu faire ?
Comment aurait-elle pu contrer son geste sans que la suceuse de sang ne le prenne mal ? Ce n'était pas possible.
Alors, la Mésange était restée parfaitement immobile, avisant de loin ce qui restait de Bashful. À ce stade, la jeune fille n'avait même pas envie de se demander comment elle allait pouvoir récupérer le corps.
Elle repartira donc sans lui. Tant pis, pas de bonus quand il s'agit de survivre.

Adieu à toi aussi, espace personnel brusquement envahi. Encore, quand c'était lui, ça ne lui posait aucun problème. Le savoir si près, sentir son odeur de tissu et de... mâle ?
Ça, ça ne la dérangeait pas. La preuve se trouvait même actuellement sur son dos; ce "plit" dans lequel elle aimait s'enrouler et humer le parfum si particulier qui n'était pas le sien.

Mais les autres... non. Pas les autres, sauf si elle le voulait bien. S'approcher sans prévenir la fait rougir, et elle s'en désole. C'est toujours la même chose.
Cependant, une petite chose la rassure. La Vampire sent bon. C'est un parfum particulier, plutôt entêtant, comme celui de certaines bougies.
Même avec les yeux rivés au sol, cela n'empêchait pas la Récolteuse de faire attention aux odeurs.

Ça lui rappelle même les fameuses recharges de diffuseur, "whisky cigare", si intrigantes, qui sentaient bon le passé et le luxe. Elle aussi, sent le passé et le luxe, mais autrement.
C'est plutôt sucré et floral. C'est lourd, mais pas désagréable. Heaven elle-même avait toujours eu un faible pour les parfums poudrés.

- En faisant des rappels de couleurs - ou en utilisant les complémentaires - tu pourrais sans doute te démarquer de la masse des Enfants qui couraient l’Arbre. Tu serais plus élégante, plus intéressante... c'est un atout, en un sens. Si tu aimes attirer l'attention.

La Récolteuse eut un léger sursaut en analysant les mots qui lui étaient adressés. Comment ? Les Vampires étaient-ils télépathes ? Ou cela était-il simplement dans leur nature, de parler... mode ?
Non, le sujet était trop ciblé, surtout avec cette mention d'attention. Ou il s'agissait d'une énorme coïncidence, ou la demoiselle aux canines pointues en savait plus sur elle qu'elle ne le laissait paraître.

Se sentant plus concernée par le sujet qu'elle ne l'aurait voulu, la Mésange releva timidement les yeux, le temps d'aviser un sourire plein de dents qui la feraient presque reculer.
Presque. Un peu de contenace, bon sang. Elle avait les mains déjà assez moites comme ça. Un peu plus et la sueur allait en imprégner ses mitaines.

- Par contre... je déteste les Fées.

Silence.
Heaven aurait préféré que son interlocutrice la trouve ennuyeuse et n'ait pas envie de continuer la conversation, mais ça semblait parti comme on le ferait au restaurant après avoir fini son repas.
Ses mains vinrent resserrer le plaid autour de ses épaules, comme pour cacher ses vêtements. Bon sang, avoir honte face à une inconnue qu'elle ne reverrait probablement jamais -et heureusement ?- la mettait vraiment mal à l'aise.

- Je n'aime pas beaucoup les Fées non plus. Elles sont idiotes et ne mesurent pas la conséquence de certains de leurs actes, quand ils impactent les autres... Par leur faute, je ne supporte pas les jours de... grand soleil...

Elle eut un petit rire gêné alors qu'elle papillonait des cils, pour attirer l'attention sur ses prunelles à la couleur si particulière. Si elle se faisait à nouveau gratifier d'un "intéressant", elle allait finir par se poser des questions.
Après tout, l'Horreur en face pouvait parler, avec ses yeux jaunes comme les chats et ses cheveux blancs. C'est particulier, aussi. Et plutôt captivant, dans un sens.
Dieu, mais qu'avait-elle à faire une telle fixerte sur les yeux d'autrui ?

Avant de choisir soigneusement ses mots pour entamer une seconde réponse, la Récolteuse s'immobilise à nouveau. Elle avait parlé trop vite, à l'instant.
Et c'était probablement une grave erreur de geindre à propos du soleil face à une Créature qui ne pouvait même pas sortir en plein jour !

- Ah, navrée ! C'était probablement exagéré de me plaindre du soleil en présence d'un Vampire...

S'excuse la jeune fille d'une petite voix. Elle a même reculé d'un pas, par réflexe. C'est une attitude de fuite, elle n'aurait peut-être pas dû faire ça non plus...
Oh, elle était complètement perdue. Une Perdue perdue face à un être en présence duquel elle ne pouvait ni se détendre, ni ne savoir comment réagir.
Elle n'avait pas encore tenté de noyer le poisson dans la conversation, ce qu'elle s'empressa de faire.

- Là... Là, actuellement, j'ai simplement pris ce qui restait. Ce n'est ni vraiment chaud, ni pratique, ni forcément beau...

Surtout les mitaines -la gauche avait un petit trou dans la paume- et l'écharpe qui s'effilochait. Elle n'avait rien contre cette espèce de magenta, mais c'est juste que le combo mitaines low cost et imposante écharpe qui gratte n'était pas vraiment à son goût.

- On m'avait mis des choses de côté pourtant, et si je m'étais manifestée plus tôt... j'aurai pu les avoir. C'était une récompense, en plus... je n'ai pas l'habitude...

Elle s'égare, parle plus vite qu'elle ne pensait. Si le jour-même, quand Pit lui avait dit que cela l'avait chagriné qu'elle ne vienne pas chercher les vêtements qu'il lui avait préparés, la Mésange était vite passée à autre chose, à présent, cela lui pesait.
Qu'elle se sentait idiote... si elle continuait ainsi, elle n'aurait probablement plus rien de sa part, à l'avenir.

Et la revoilà qui s'était à nouveau mise à fixer le sol froid à ses pieds, serrant un peu plus fort son plaid nouvellement acquis.
Elle ne savait décidément plus où se mettre. Comme elle devait paraître pitoyable...

Argh, et la voilà qui se rapprochait à nouveau. Instaurer un peu de distance tout en parlant n'était décidément pas une bonne stratégie non plus. Si Heaven ne pouvait avoir recours ni à l'un ni à l'autre, où irait-elle ? Que lui resterait-il alors ?

- Même avec les restes, tu t’es bien débrouillée. Tu as de l’œil.

Lui fit l'Horreur en se saisissant d'un pan de sa robe, s'amusant à sentir le tissu sous ses doigts. La Mésange s'imobilise, et, à la fois surprise et ravie de recevoir un tel compliment de la part d'une Créature qui se doit d'avoir du style, s'exclame, un peu trop fort :

- Ah ! Merci, ça me touche, vraiment !

Son propre enthousiasme la fait instinctivement rougir. Ou alors, serait-ce simplement son étrange interlocutrice et ses myriades de sourires ? C'est que ça a un certain charme, un Vampire, que vous voulez l'admettre ou non.
C'en est un peu destabilisant.

- Je ne savais pas que l’on distribuait des ”récompenses” sous forme de vêtements, au Campement. Si je l’avais su, j’aurais été plus sage.

Cette réplique, par contre, fait prendre un air grave à la Récolteuse. Qu'insinuait-elle donc ? Avait-elle déjà infiltré le Camp sans que personne ne s'en rende compte afin de se nourrir ?
Pas possible. Ils n'avaient pas des charmes, ou autre, pour empêcher les Orbleus ou tout autre ennemi de pénétrer dans l'enceinte du Camp ? Non ? Oh, elle ne savait même plus !

Heaven décida de ne pas réagir ce coup-ci. La simple idée d'en dire un peu trop et que cela conduise l'Horreur à lui l'effrayait.
Et si elle l'approchait ? Et si elle posait ses doigts crochus sur lui ? Et pire encore : si elle le trouvait à son goût, dans le sens littéral du terme ?
Catastrophe !

Heureusement pour elle, la Mésange n'eut pas à se tourner des films pendant très longtemps. Car c'est la demoiselle aux canines pointues qui se retourne, afin de lui passer un bras autour des épaules, tout en lui demandant de l'accompagner pour une balade.

- Je te protégerai de tout ce qu’il y a au-dehors, c’est promis.

Son chuchotement fit frémir l'adolescente, envahie de l'impression de se sentir telle une souris dans les griffes d'un chat joueur.

Dis non.
Dis non.
Dis non !

- ... Oui ?

Mais quelle débile !
...
Oh non, attendez, c'est du génie !

Eh oui ! Si Heaven avait répondu par automatisme, préférant ne pas contrarier sa nouvelle compagne de voyage, elle commençait maintenant à entrevoir une des potentielles sorties de secours de cette situation déplaisante dans laquelle elle était enfoncée jusqu'au cou -sans mauvais jeu de mot.
Si elle faisait en sorte de l'emmener aux alentours du Camp, il y aura probablement assez de monde pour détourner l'attention de son encombrante escorte, assez longtemps pour lui permettre de rentrer en un seul morceau !
Ou, elle pouvait toujours continuer à sympathiser en espérant qu'elle ne se lasse. Tout n'était finalement pas perdu !

- Bien, allons-y, alors. Je ne sais pas si tu as un lieu en tête... sinon, on peut toujours vadrouiller dans la Jungle.

Déclara la Mésange en se mettant doucement en route.
Bon, eh bien, Bashful, bye-bye ! Heaven prétendra qu'elle ne t'a jamais retrouvé. C'était bien plus simple ainsi. Et puis, dans le cas présent, elle ne pouvait pas faire autrement.

- Au fait, tu dis me protéger de "tout", cela vaut-il aussi pour les Orbleus ? Ce serait surprenant quand même, comme on m'a dit que vous aviez fait alliance avec eux...

Demanda la jeune fille, afin de relancer un sujet de conversation.
Oui, vadrouiller dans la Jungle en papotant, tout en se rapprochant lentement mais sûrement du Camp, quelle idée de génie ! Oh, pourvu que la demoiselle aux canines pointues ne voie pas clair dans son jeu...
Lui faudrait-il jouer les idiotes pour se protéger ?