Elle explique son plan à grand renforts de gestes élaborés. A ses yeux, tout semble limpide. Et pour Wobbly aussi, il hoche la tête en souriant. Il a tout compris, se félicite Yarn. Alors elle lui signale d’y aller.

« A l’attaaaaaque ! »

Et Yarn se décompose. C’était pas ça, le plan ! Le plan c’était d’éliminer ce pirate là en premier, en silence, de sorte à ce que le deuxième ne s’en rendre même pas compte ! Tu parles d’un agent secret !

« Put... Qu’est-ce que c’est que ces conneries ?! » gueule le pirate, effectivement pris par surprise.

Pendant que Wobbly s’accroche à son cou de toutes ses forces, Yarn tourne vivement la tête vers l’entrée de la grange. L’autre silhouette s’est redressée, et regarde dans leur direction, l’air ahuri. Il fait assez sombre pour qu’il ne voie pas vraiment ce qui se passe, à l’autre bout de la pièce.

Le sang glacé dans ses veines, Yarn se dit que c’est l’heure de s’en aller.
Elle n’a pas survécu tout ce temps en étant un courageux héros ni en sauvant ses camarades de la mort. Si elle a survécu à tous ses amis de son âge, qui étaient si doux, si naïfs, c’est parce qu’elle sait à quel moment fuir, et à quel moment sacrifier savamment un autre perdu ou deux à une troupe de vampires affamés.
Yarn se dit qu’il est l’heure pour elle de laisser tomber Wobbly à son tour. Il n’avait qu’à réfléchir, avant de faire n’importe quoi. Son regard glisse de nouveau vers la fenêtre ouverte, qu’il lui est bien sûr impossible d’atteindre, puis vers la porte toujours bloquée, puis vers les caisses, dans lesquelles elle pourrait facilement se cacher en attendant que passe la tempête. Mais pour une fois, elle hésite.
Quelque part, même si elle ne l’avouera pas, elle sait que tout ça est un peu de sa faute, et qu’ils auraient du rester cachés, comme elle se le dit maintenant. Un nouveau regard à Wobbly, toujours en pleine séance de rodéo. La fourche du pirate est à terre, bien trop lourde pour qu’elle puisse la manier. Mais peut-être …

Yarn sort de sa cachette en un éclair. Plutôt que de se jeter sur le pirate, elle fonce vers la vache la plus proche. De sa poche, elle sort une aiguille, et la plante dans son flanc de toutes ses forces.
Immédiatement, l’animal se met à mugir, remuer, bousculant l’homme qui, sous le poids de Wobbly, vacille et tombe dans la paille, son assaillant avec. Sentant confusément que ce serait une mauvaise chose que l’autre pirate se rende compte qu’ils ne sont que deux enfants, elle se met à faire sa plus belle imitation d’un grognement d’ours.
Avec la vache et le pirate qui gueulent de douleur et d’incompréhension par dessus, sur un malentendu, ça passe, non ?

Le coup d’aiguille a l’effet escompté : celui de semer le chaos le plus total dans la grange. Faire les choses bien, proprement, ça demande du temps, de faire attention, mais le chaos, ça, c’est très facile, et Yarn le sait bien. La vache ne s’arrête pas de mugir une fois le pirate renversé (et d’ailleurs, Yarn s’inquiète un peu qu’elle piétine Wobbly, avant de le voir disparaître derrière une caisse).

« Mec, ça va ?! Qu’est-ce qu’il se passe bordel... »

Yarn elle-même a le bon sens de se tapir sous le réservoir de foin avant que retentisse le claquement d’un pistolet qu’on arme.

« Y avait un truc ! Y avait une putain de bête, je te dis ! Elle m’a sauté sur le dos. »
« Je sais bien qu’y avait un truc, je suis pas aveugle. Ni sourd. »

A quatre pattes dans l’obscurité, la gamine retient son souffle, observant la scène à travers les brins de paille. La sortie lui paraît plus lointaine que jamais, mais aucun des deux hommes ne bloque le chemin. C’est certain qu’elle ne peut pas courir assez vite, mais si elle se cache et rampe, peut-être … Les deux types sont sortis de son champ de vision et se font curieusement silencieux. Jusqu’à ce qu’on entende un deuxième clic, et l’explosion d’un tir de pistolet.

Les vaches se mettent à s’agiter et meugler de nouveau. Un frisson parcourt le dos de Yarn. Est-ce qu’ils ont tiré sur Wobbly ?

« Tu l’as eu ? »
« Je sais pas. »

Elle entend l’un d’eux remuer le tas de foin dans un des coins de la pièce, et visiblement, rien trouver.

« Putain ! »
« Quoi que ce soit, ça a pas pu s’enfuir de la grange », dit celui avec le pistolet. Et après une pause : « Va chercher des renforts, je reste là.  »
« Ça vaut mieux qu’on se casse et qu’on l’enferme à l’intérieur. »
« Et le laisser bouffer nos dernières vaches ?  »

Des bruits de pas indiquent à Yarn que le pirate que Wobbly a attaqué sort du bâtiment sans fermer la porte. De nouveau, la sortie est libre. De nouveau, ils sont à deux contre un. Sauf que celui-ci est armé, et aux aguets. Difficile de bouger sans faire diversion, et le coup des vaches marchera pas une seconde fois. Et puis elle sait pas où est Wobbly. Toujours terrée sous le réservoir de métal, Yarn cogite. Il lui faut un plan, mais rien lui vient.