Jim avait pris toutes les dispositions pour que son départ se déroule sans encombre. Il avait rangé ses affaires une à une avec le plus grand soin, pour éviter les plis, pour empêcher les dégâts. Il avait d’abord fait le tri de tout ce dont il aurait besoin durant sa courte absence. Puis, il avait rajouté non sans scrupules tout ce qu’il craignait de laisser derrière lui, c’est-à-dire tout le reste de ses possessions terrestres.
Il allait y avoir une fête, sur ce rafiot. Et Jim n’avait pas envie que le premier venu vienne dégueuler un mélange de rhum et de petits fours sur ses affaires.
Quand il eut bouclé son sac, il eut la surprise de réaliser que tout  rentrait parfaitement dans un simple sac à dos. Pire, il le soulevait sans le moindre effort. C’était sans le moindre doute, le seul avantage de ne pas avoir grand-chose.

Jim traversa le pont, gardant son regard soigneusement braqué sur les planches élimées, plus propres qu’à l’accoutumée. Avec un peu de chance, il descendrait à terre sans qu’aucun n’ait la mauvaise idée de lui faire perdre son temps. Il n’avait pas envie de croiser les invités, ou de se retrouver malgré lui entraîné dans les festivités. Tout ça n’était qu’une perte de temps.
Tijl avait trouvé mieux à faire, lui. Et Jim n’avait pas manqué l’occasion de lui proposer sa compagnie.

— Les rats quittent le navire ? Dommage, j'aimais bien voir traîner par là le bout de leur jolie petite queue.

Jim fit volte-face. Ses efforts pour garder un visage stoïque furent réduits à néant lorsqu’il se trouva nez à nez avec Fib, son expression remplacée par un air vaguement nauséeux. Encore ce sale type. Le mousse se détourna du gabier pour reprendre sa route, bien décidé à ne pas lui accorder la moindre miette de son attention.
Fib ne le méritait pas.

warning:

Ses jambes vacillèrent quand son sac lui fut violement arraché. Jim fit volte-face et découvrit sans surprises un Fib tout excité à l’idée d’empiéter sur l’intimité du mousse. Il avait toujours soupçonné que derrière son côté fouineur se dissimulait une jouissance tout à fait malsaine. Mais là, c’en était trop.

Le visage de Jim s’empourpra. Il n’eut besoin que de quelques larges enjambés pour attraper le gabier.

—  Rends-moi ça !

— Alors... voyons voir tes possessions... je me demande si je vais tomber sur tes petites culottes en dentelle ! Si tu ne m'en veux pas j'en garderai probablement une, de quoi sniffer tranquillement quand je pense à toi au lit.

Jim tendait les bras le plus loin possible mais ne parvenait pas à atteindre son sac que Fib lui maintenait toujours hors de portée à force d’esquive. Bigre, il était aussi souple qu’une anguille.

Tandis qu’il fouinait, le gabier jetait dédaigneusement les objets qui ne lui semblaient pas digne d’intérêt, à commencer par ses papiers. Jim abandonna la lutter pour s’empresser de les ramasser avant que le vent ne les emportent mais nombre d’entre eux lui échappaient.
C’était une catastrophe.

— Sans surprise : aucun goût pour la mode... ts, ts, ts c'est navrant. Je pensais pourtant que les petites fiottes dans ton genre aimaient se faire belles...

Ce fut le mot de trop. Jim laissa les quelques feuilles qu’il était parvenu à rassemblé lui filer entre les doigts. Dans un cri de colère, il se jeta sur Fib, le ceinturant pour mieux le plaquer au sol.
Il se redressa, les traits tordus par la colère :

— Tu vas me le payer, flaque de foutre !

Il leva le poing.

Le poing se figea à quelques centimètres de sa cible – à savoir la face détestable du gabier. Jim venait d’être coupé dans son élan par quelque chose qu’il aurait pourtant dû prévoir. Deux mains d’adultes froides et dégueulasses venaient de remonter l’arrière de ses cuisses pour venir se saisir fermement de ses fesses. Les doigts de Fib exploraient la surface à travers le tissu, avides et intrusifs.

— J'ai bien mouillé un peu mon pantalon mais je ne sais pas si on peut parler de « flaque », tu veux vérifier ?

Le poing de Jim tremblait de rage pourtant incapable d’atteindre sa cible. Ecartelé entre l’envie d’en découdre et un besoin plus pressant : celui de fuir son tortionnaire avant qu’il n’empiète davantage sur sa dignité.

— C'est moi ou t'as un peu plus de caractère ? Paraît que tu traînes avec le Prêtre depuis mon départ. C'est logique... paraît qu'ils adorent les gosses.

— Toi !! Tu- !! Comment tu peux- !!

Jim le repoussa violement et se redressa vivement. Il tremblait de colère, les mots se bousculaient dans sa tête et il ne savait pas par quoi commencer. Il ne savait pas comment exprimer la colère et le dégoût qui débordaient en lui.

— Ta gueule, Fib.

Il y parvient. En trois mots.

— T’aurais jamais les couilles de lui dire ça en face. T’es qu’un putain de lâche qui se rabat sur ce qu’il peut. Mais tu crois quoi ? Que je vais me laisser faire ?

Il ponctua sa question par un coup de pied dans les côtés.

— Tu pouvais pas juste me laisser tranquille, hein ? Non, fallait absolument que tu viennes me péter les couilles parce que ta vie est vide et merdique. T’es vraiment qu’un déchet humain.

Il lui asséna un dernier coup avant de se détourner du gabier. Cette confrontation n’avait aucun sens, ce n’était pas ça qui arrêterait Fib. Bien au contraire. Mais il était impensable pour Jim de subit en silence, en espérant que le gabier se lasse un jour. Et puis, il n’était pas mécontent de s’être un peu défoulé.

Le mousse ramassa son sac, devenu plus léger lui aussi. Et comme il s’apprêtait à tourner les talons, il décocha un dernier regard assassin vers son ennemi.

— Reste loin de moi. Je t’interdis de me faire perdre mon temps, sale merde.